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17 avr. 2013

SAVOIR ACCEPTER CE QUI NOUS DÉPASSE POUR EN TIRER PARTI

Naissance des « Radeaux de feu » (3)
Voici donc l’introduction actuelle de mon prochain livre :
Quand je lis des traités sur le management des entreprises, j’ai souvent l’impression que leurs auteurs considèrent que l’entreprise est une entité tombée du ciel, née pour toujours et qu’émettre des critiques la concernant est un crime de lèse-majesté.
A croire que les penseurs du management sont créationnistes, et nient l’évolution ! Penseraient-ils qu’un Deus ex-machina est venu déposer une entité parfaite au milieu des hommes ? Car enfin, l’entreprise n’est née qu’il n’y a que quelques centaines d’années, et moins de deux cents ans pour sa forme actuelle, c’est-à-dire rien au regard de l’histoire du monde qui se compte en milliards d’années pour les temps du minéral et végétal, et en centaines de milliers pour l’homme.
Pour ma part, ne croyant pas que l’entreprise soit un produit hors-sol ou qu’elle ait surgi du néant, je la vois comme une construction contingente, issue d’un passé dont on ne peut faire table rase. Elle n’est pas réellement un construit des hommes, elle est un construit du monde. Donc pour comprendre l’entreprise, il faut comprendre le monde.
Voilà pourquoi mon livre accorde une place importante au récit de ces presque quinze milliards d’années qui ont vu naître successivement le minéral, le végétal, l’animal, l’homme, et tout récemment notre neuromonde, ce monde de l’interdépendance et de la connexion.
Je ne vais pas y prendre parti quant au caractère originel ou non du Big Bang. Je laisserai ce point aux experts, me contentant d’un récit depuis cette origine.
Je ne chercherai pas non plus à y être exhaustif, mais m’arrêterai sur les points saillants, soit parce qu’ils sont les témoins des lignes de force de l’évolution, celles que l’on retrouve dans les entreprises, soit parce qu’ils sont des ruptures signifiantes.
J’y montrerai que ce qui tisse et dirige cette évolution est le trépied de la croissance de l’incertitude, de la multiplication des emboîtements, et des émergences de nouvelles propriétés.
Afin de faciliter la lecture et de préparer le passage à l’entreprise, j’ai choisi d’émailler ce récit d’une série de commentaires sur l’entreprise, commentaires qui sont des embryons de ce qui sera repris et détaillé dans la deuxième partie.
Au cœur du monde animal, vous y découvrirez les fourmis de feu, ces êtres apparemment si minuscules, et pourtant capables de se transformer en radeau vivant, ces représentantes de la puissance d’une énergie collective, et de la petitesse d’un individu face à elle. Un appel à la modestie face à la force du groupe.
Certes nous ne sommes pas des fourmis, mais, comme une fourmi de feu peut, tout en ne sachant toujours pas elle-même nager, constater qu’elle participe à créer un radeau qui flotte, le dirigeant d’une entreprise ne devrait-il pas admettre que la puissance de celle-ci le dépasse et qu’il ne sert à rien de la contrôler ou de prétendre la comprendre ?
Cette modestie et cette lucidité ne sont pas du tout un abandon. Elles sont acceptation des limites, et le préalable à une action réelle et mature : le management par émergence est un levier puissant pour apprendre à utiliser et orienter ce que l’on constate et que l’on ne comprend pas. C’est se croire tout puissant tant dans la compréhension que dans l’action, qui conduit à l’inverse à l’impuissance réelle…
C’est à l’explicitation de cette nouvelle façon d’aborder le management que je consacrerai la deuxième partie de cet ouvrage, en abordant successivement l’élaboration de la stratégie et sa traduction en chemins stratégiques, l’ergonomie des actions émergentes, pour finir sur le profil du dirigeant et son mode d’engagement.
En route donc à la suite des radeaux de feu… 

16 avr. 2013

UN VOYAGE AU PAYS DE L’INCERTITUDE, DES EMBOÎTEMENTS ET DES ÉMERGENCES

Naissance des « Radeaux de feu » (2)
Pour lire et découvrir la totalité de mon livre, il vous faudra donc attendre encore six mois. En forme d’apéritif, je vais en évoquer déjà le plan.
Il est composé de deux parties de taille sensiblement égales.
Dans la première, je dresse le récit des quelques quinze milliards d’années qui se sont écoulées depuis le Big Bang. J’y suis à la recherche de constantes qui pourraient sous-tendre son évolution, constantes qui seront ensuite utiles dans la deuxième partie.
Nous y passons successivement au travers du monde minéral, végétal, animal, humain et enfin du Neuromonde, le nouveau monde de la connexion qui est devenu le nôtre. Au sortir de ce voyage, vous verrez que trois mots en sont au cœur : incertitude, emboîtement et émergence…
Dans la deuxième partie, je commence par repositionner l’entreprise comme étant inscrite dans cette évolution, et donc comme un emboîtement pris dans l’incertitude et les émergences.
Ensuite, je m’y interroge sur la capacité à la diriger dans un tel contexte et tente d’apporter une réponse :
- Comment construire une stratégie résiliente : peut-on le faire au travers de matriochkas stratégiques ?
- Comment agir au quotidien : peut-on définir et construire une ergonomie des actions émergentes ?
- Quel profil pour le dirigeant : comment aller vers un dirigeant porteur de sens et de compréhension ?
Pour finir cet « apéritif », demain, je vous communiquerai l’état actuel de l’introduction de ce livre…
(à suivre)

15 avr. 2013

PEUT-ON COMPRENDRE CE QUI ÉMERGE ET DIRIGER SANS DÉCIDER ?

Naissance des « Radeaux de feu » (1)
A la rentrée d’octobre sortira mon nouveau livre. Pourquoi attendre six mois alors qu’il est aujourd’hui terminé ? Parce que je veux lui laisser le temps de « se reposer », et que je rédigerai la version finale cet été. Volonté de pouvoir le peaufiner et lui adjoindre quelques dernières réflexions.
Mais son contenu est d’ores et déjà figé, ainsi que son titre et sa couverture (cf. la photo ci-jointe).
Pourquoi ce titre « Les radeaux de feu » ? Parce que la métaphore centrale de mon livre est l’histoire des fourmis de feu et de leur capacité à créer collectivement un radeau pour survivre aux inondations, histoire que j’ai résumée dans mes articles de mercredi et jeudi dernier (voir La force de la tribu des fourmis et Peut-on être sauvé par ce que l’on ne comprend pas ?). Soyons clair, il n’est évidemment pas question d’assimiler les hommes à des fourmis : c’est seulement le principe collective de cette propriété émergente qui est centrale.
Sans surprise, ce livre est un prolongement de mes livres précédents, et les lecteurs assidus de mon blog peuvent avoir une idée de son contenu.
A l’origine de ce livre, se trouve une double interrogation :
- Pourquoi pense-t-on le management des entreprises comme si celles-ci étaient un produit hors-sol, né de nulle part ? Ne serait-il pas plus pertinent de chercher à l’inscrire dans l’évolution du monde depuis son origine ? Ou formulé autrement, ne sont-elles pas plus le produit du monde, que celui des hommes ?
- Quelle est l’importance de la décision dans la direction des entreprises ? Est-ce que le poids des décisions d’un dirigeant est essentiel, ou sont-elles finalement peu de choses dans la marée des décisions quotidiennes prises de toutes parts ? Si oui, peut-on diriger sans décider, ou presque ?
(à suivre)

25 mars 2013

ARRÊTONS DE DIRIGER EN CROYANT LE MONDE PEUPLÉ D’ « ÉCONS » !

A la découverte de « Thinking, Fast and Slow » de Daniel Kahneman (14)

Au travers de ses travaux et ses écrits, Daniel Kahneman a montré la complexité de nos motivations, pourquoi nous allions faire tel ou tel choix, comment ce n’était pas la simple perspective d’un gain qui allait nous décider, et combien le risque de perdre ce que nous avions déjà pouvait nous tétaniser.
Il a ainsi dressé un tableau de nous les humains, bien éloignés de ces êtres mathématiques et logiques que manipulent les économistes. Il résume ceci au travers d’une expression simple et parlante :
« Mes collègues économistes travaillaient dans le bâtiment voisin, mais je n'avais pas pris la mesure des profondes différences entre nos mondes intellectuels. Pour un psychologue, il est évident que les gens ne sont ni complètement rationnels, ni complètement égoïstes, et que leurs goûts sont tout sauf stables. C'était comme si nos disciplines étudiaient deux espèces différentes, que l'économiste comportemental Richard Thaler a baptisées par la suite les Econs et les Humains. Contrairement aux Econs, les Humains que connaissent les psychologues ont un Système 1. Leur vision du monde est limitée par les informations dont ils disposent à un moment donné (COVERA), et par conséquent, ils ne peuvent pas faire preuve de la même constance et de la même logique que les Econs. »
Les Econs et les Humains, voilà bien un des problèmes majeurs non seulement en économie, mais en management : j’ai croisé des dirigeants qui, trop bien formés et déformés par leurs études, croyaient leurs entreprises peuplés d’Econs, c’est-à-dire d’individus logiques et rationnels. Ces mêmes dirigeants oublient combien eux-mêmes ne sont pas des Econs, et combien ils sont mûs par leurs ambitions, leurs peurs et leurs émotions…
S’ils étaient un peu plus attentifs à la nature humaine des comportements, ils comprendraient pourquoi les changements qu’ils proposent génèrent plus de peurs que d’adhésion, pourquoi « ceux qui risquent de perdre se battront avec plus d’acharnement que ceux qui pourraient en tirer parti. »
S’ils étaient un peu plus informés des travaux de Daniel Kahneman, ils sauraient qu’un gestionnaire de portefeuille n’a pas un comportement rationnel, et qu’il cherchera toujours à vendre d’abord les titres sur lesquels il a le plus gagné depuis leur prix d’achat, et non pas ceux qui ont le moins de perspectives de plus-value.
(1)

Il est vrai par contre que « les vendeurs apprennent rapidement qu'en manipulant le contexte dans lequel un client voit un produit, ils peuvent profondément influencer ses préférences. » La vente est souvent l’art de manipuler les réflexes induits par le Système 1 des clients.
Est-ce rêver que penser que l’on pourrait construire un monde où les dirigeants politiques comme économiques tiendraient compte de tous ces enseignements ?
Pour terminer cette longue promenade dans le dernier livre de Daniel Kahneman, je lui laisse la parole avec une phrase qui résume toute son humanité :
« Les pauvres pensent comme les traders, mais la dynamique n'est pas du tout la même. Contrairement aux courtiers, les pauvres ne sont pas insensibles aux différences entre le gain et la perte. Leur problème, c'est qu'ils n'ont de choix qu'entre des pertes. »

(Article paru le 12 décembre 2012)


(1) Dessin emprunté à la vaste bibliothèque des pensées du chat de Philippe Geluck…

14 févr. 2013

LA CONFIANCE NE SE DÉCRÈTE PAS, ELLE SE CONSTRUIT

Sans confiance, rien n’est possible
Cette semaine, j’ai abordé successivement le thème du temps, de la nécessaire décentralisation et des forces qui luttent contre elles, et hier le profil souhaité du dirigeant. Je vais la clore en revenant une fois de plus sur l’importance de la confiance.
En effet, la confiance n’est pas une valeur seconde, car :
- Elle est le socle du management dans l’incertitude : comment accepter l’incertitude, et comprendre qu’elle est source d’opportunités, si l’on a peur pour soi à court terme, et si l’on n’est pas convaincu que, en cas de problèmes, tous ceux qui m’entourent seront solidaires et source de support et de réconfort ?
- Elle est le ciment de l’action collective : travailler avec les autres, c’est ne pas avoir peur de se mettre à nu, être prêt à parler de ses doutes, savoir s’opposer quand on pense le contraire. Pensez à l’action des commandos : si les membres qui le composent ne sont pas soudés, rien n’est possible.
La confiance ne se décrète pas, elle se crée, et ce à quelques conditions :
- Chacun doit être convaincu que le chef n’est pas seulement compétent, mais juste et légitime. Il est le premier responsable du climat général dans l’entreprise. Un proverbe chinois dit : « Le poisson pourrit par la tête ».
- Le but poursuivi doit être fédérateur et vu comme lui aussi juste et légitime. Les armées se battent pour leur pays, une entreprise ne peut pas se battre collectivement pour un cash-flow.
- Chacun doit comprendre son rôle et comment il se relie au but poursuivi. La confiance ne naît pas de l’obéissance aveugle et subie.

13 févr. 2013

ON PEUT SOUS-TRAITER LES CALCULS, PAS LA PENSÉE

Vers des dirigeants visionnaires, philosophes et historiens ?
Dur, dur d’être un dirigeant performant, surtout si l’on croît qu’il s’agit seulement d’avoir une tête bien faite, garnie d’équations, de mathématiques et de business plan en tous genres !
Pour résumer ma pensée sur ce que devrait être le profil du dirigeant, voici quelques qualités qui me semblent essentielles :
- Il sait que, quels que soient ses efforts, ses décisions et ses actes seront conduits majoritairement par ses processus inconscients : Il doit l’avoir intégré, et donc se méfier des situations où son expérience et son passé pourraient l’amener à avoir des intuitions fausses. Ceci milite à ne pas vouloir diriger des entreprises dans lesquelles il n’a pas grandi, ou qui sont trop éloignées des précédentes où il a travaillé.
- Il a compris que l’incertitude n’est pas le témoin d’un déficit de connaissance ou une anomalie, mais le fruit du développement du monde, et croît inévitablement avec le vivant : s’il lutte contre l’incertitude, et croît qu’il la réduit par le contrôle et la prévision, il fait fausse route. Renforcer son entreprise, c’est accroître l’incertitude, tout en développant une capacité collective à en tirer parti.
Les mots et le langage qu’ils emploient, ne sont pas seulement ce avec quoi il communique, mais d’abord ce au travers de quoi il pense : comme il est important d’affûter un couteau pour découper efficacement une viande et savoir utiliser le bon tranchant, l’art du langage est celui de la précision. Tout dirigeant doit prêter attention aux mots qu’il utilise, et comment ils conditionnent sa pensée et la compréhension de ceux qui l’entourent. L’art des mots est souvent plus important que celui de l’art de la règle de trois, car les calculs peuvent être sous-traités, la pensée non.
Il recherche la confrontation comme moyen d’ajuster les interprétations : il sait que les points de vue de chacun dépendent de l’endroit où l’on se trouve et de sa propre expérience. Il est donc normal de ne pas être d’accord avant toute discussion, c’est l’inverse qui est surprenant et preuve d’évitement.
il inspire confiance et la diffuse dans toute l’entreprise : sans confiance, il est impossible de vivre dans l’incertitude et de développer une confrontation positive. C’est donc une qualité majeure du dirigeant, et doit être un des ses objectifs quotidiens : comment accroître la confiance collective et individuelle au sein de son entreprise.
En conclusion de ce panorama rapide des qualités qui me semblent requises pour diriger, je dirais que je le vois d’abord comme un visionnaire philosophe et historien, c’est-à-dire quelqu’un capable de voir où sont les mers qui attirent le cours des fleuves, de se préoccuper du sens des actes de son entreprise, et de comprendre l’importance et la vulnérabilité des interprétations.

29 janv. 2013

POURQUOI L’ART DU MANAGEMENT SERAIT-IL PLUS FORT QUE L’ART DE LA GUERRE ?

Il y a un découplage de fait entre pensée théorique et action sur le terrain
Léon Tolstoï, dans Guerre et Paix, dresse un tableau de la campagne de Russie de Napoléon, bien loin de ce que j’avais retenu de mes cours d’histoire. Le déroulement est d’abord le fruit de hasards, de malentendus, de chances et malheurs. Napoléon se croyait, selon lui, aux commandes, alors que, dans la réalité, sa Grande Armée agissait d’elle-même : « A la suite de ces rapports, faux par la force même des circonstances, Napoléon faisait des dispositions qui, si elles n’avaient pas déjà été prises par d’autres d’une manière plus opportune, auraient été inexécutables. Les maréchaux et les généraux, plus rapprochés que lui du champ de bataille et ne s’exposant aux balles que de temps à autre, prenaient leurs mesures sans en référer à Napoléon, dirigeaient le feu, faisaient avancer la cavalerie d’un côté et courir l’infanterie d’un autre. Mais leurs ordres n’étaient le plus souvent exécutés qu’à moitié, de travers ou pas du tout. »
Ce découplage entre la réalité du terrain et la théorie pensée dans les états-majors, est d’ailleurs ce qui fait choisir au prince André Bolkonsky le champ de bataille : « Le rapport de forces de deux armées reste toujours inconnu. Crois-moi : si le résultat dépendait toujours des ordres donnés par les états-majors, j’y serais resté, et j’aurais donné des ordres comme les autres. » 
Pourquoi diable le management d’entreprises se croit-il trop souvent plus fort que Napoléon et que les plus grands chefs de guerre ? Pourquoi n’admet-il pas que l’art du management est souvent, certes d’aller vers l’objectif que l’on s’est fixé, vers cette mer qui, à l’horizon, attire le cours du fleuve de l’entreprise, mais non pas à partir de plans détaillés, de business plans ciselés, de tableurs excel prétendant modéliser le futur ?
Il est temps d’admettre qu’il y a nécessairement un découplage entre la pensée théorique et la volonté d’une Direction Générale, et la réalité de ce qui advient et l’action de tous ceux qui composent l’entreprise.
Aussi l’art du management est comme l’art militaire de savoir réellement tirer parti de l’énergie locale, et de la compréhension dynamique et décentralisée, c’est-à-dire de faire de l’entreprise un corps vivant, réactif et alliant souplesse et cohésion. Et comprenons comme le prince André Bolkonsky, que c’est cette incertitude qui donne tout son poids et son intérêt à ceux qui sont en première ligne !

12 déc. 2012

ARRÊTONS DE DIRIGER EN CROYANT LE MONDE PEUPLÉ D’ « ÉCONS » !

A la découverte de « Thinking, Fast and Slow » de Daniel Kahneman (14)
Au travers de ses travaux et ses écrits, Daniel Kahneman a montré la complexité de nos motivations, pourquoi nous allions faire tel ou tel choix, comment ce n’était pas la simple perspective d’un gain qui allait nous décider, et combien le risque de perdre ce que nous avions déjà pouvait nous tétaniser.
Il a ainsi dressé un tableau de nous les humains, bien éloignés de ces êtres mathématiques et logiques que manipulent les économistes. Il résume ceci au travers d’une expression simple et parlante :
« Mes collègues économistes travaillaient dans le bâtiment voisin, mais je n'avais pas pris la mesure des profondes différences entre nos mondes intellectuels. Pour un psychologue, il est évident que les gens ne sont ni complètement rationnels, ni complètement égoïstes, et que leurs goûts sont tout sauf stables. C'était comme si nos disciplines étudiaient deux espèces différentes, que l'économiste comportemental Richard Thaler a baptisées par la suite les Econs et les Humains. Contrairement aux Econs, les Humains que connaissent les psychologues ont un Système 1. Leur vision du monde est limitée par les informations dont ils disposent à un moment donné (COVERA), et par conséquent, ils ne peuvent pas faire preuve de la même constance et de la même logique que les Econs. »
Les Econs et les Humains, voilà bien un des problèmes majeurs non seulement en économie, mais en management : j’ai croisé des dirigeants qui, trop bien formés et déformés par leurs études, croyaient leurs entreprises peuplés d’Econs, c’est-à-dire d’individus logiques et rationnels. Ces mêmes dirigeants oublient combien eux-mêmes ne sont pas des Econs, et combien ils sont mûs par leurs ambitions, leurs peurs et leurs émotions…
S’ils étaient un peu plus attentifs à la nature humaine des comportements, ils comprendraient pourquoi les changements qu’ils proposent génèrent plus de peurs que d’adhésion, pourquoi « ceux qui risquent de perdre se battront avec plus d’acharnement que ceux qui pourraient en tirer parti. »
S’ils étaient un peu plus informés des travaux de Daniel Kahneman, ils sauraient qu’un gestionnaire de portefeuille n’a pas un comportement rationnel, et qu’il cherchera toujours à vendre d’abord les titres sur lesquels il a le plus gagné depuis leur prix d’achat, et non pas ceux qui ont le moins de perspectives de plus-value.
(1)

Il est vrai par contre que « les vendeurs apprennent rapidement qu'en manipulant le contexte dans lequel un client voit un produit, ils peuvent profondément influencer ses préférences. » La vente est souvent l’art de manipuler les réflexes induits par le Système 1 des clients.
Est-ce rêver que penser que l’on pourrait construire un monde où les dirigeants politiques comme économiques tiendraient compte de tous ces enseignements ?
Pour terminer cette longue promenade dans le dernier livre de Daniel Kahneman, je lui laisse la parole avec une phrase qui résume toute son humanité :
« Les pauvres pensent comme les traders, mais la dynamique n'est pas du tout la même. Contrairement aux courtiers, les pauvres ne sont pas insensibles aux différences entre le gain et la perte. Leur problème, c'est qu'ils n'ont de choix qu'entre des pertes. »


(1) Dessin emprunté à la vaste bibliothèque des pensées du chat de Philippe Geluck…

6 nov. 2012

TROIS MODES D’ACTION À PRIVILÉGIER

Agir dans l’incertitude : Diriger en lâchant prise? (4)
1. Rechercher la facilité : Nous sommes naturellement poussés à faire l’éloge de la sueur et de la difficulté. Mais parce qu’on ne peut pas lutter longtemps contre le cours des choses, et que le pire ne peut jamais être exclus, si l’on n’agit pas initialement dans la facilité, c’est-à-dire en s’appuyant sur ce que l’on sait faire, on n’ira pas au bout du marathon.
2. Ajuster la vitesse à ce que l’on fait : S’il suffisait de courir pour être efficace, comme chacun se précipite de partout, toutes les entreprises le seraient ! Ainsi que l’a écrit Jean-Louis Servan-Schreiber, « Nous travaillons sans recul. Pour un canon, c’est un progrès. Pas pour un cerveau ». Que faire ? Adapter son rythme à ce que l’on fait, et ne pas oublier que l’on ne peut pas penser vite à long terme.
3. Être un paranoïaque optimiste : Dans le monde de l’incertitude, il est impossible de probabiliser le futur. Ce qu’il faut, c’est identifier les scénarios les plus dangereux par leurs conséquences (1), s’y préparer, et faire tout pour qu’ils ne se produisent pas.

(1) Voir Le Cygne Noir de Nassim Taleb

5 nov. 2012

TROIS TENTATIONS À ÉVITER

Agir dans l’incertitude : Diriger en lâchant prise? (3)
1. L’expertise : Toute expertise conduit implicitement à construire une vision du monde fondée sur le passé. Difficile avec les yeux de l’expert, de repérer ce qui est nouveau et en rupture. Il ne s’agit pas de se priver de l’expertise, mais de veiller à la mobiliser non pas a priori, mais a posteriori.
2. La mathématisation : La réponse à la montée de l’incertitude n’est pas dans la sophistication des modèles et dans la multiplication des tableurs excel. Il n’est pas non plus pertinent de croire que l’on va pouvoir appliquer des règles de trois sur les comportements humains : ce n’est pas en multipliant par deux la taille d’une équipe qu’elle ira deux fois plus vite… La complexité doit être acceptée.
3. L’anorexie : La recherche de la productivité à tout prix conduit à ajuster l’entreprise à la vision que l’on a actuellement de la situation. On la rend ainsi cassante, et incapable de faire face aux aléas. Il faut préserver une part de flou, c’est-à-dire de ressources non affectées et disponibles.
(à suivre)

31 oct. 2012

PENSER À PARTIR DU FUTUR : CHERCHER LA MER QUI ATTIRE LE COURS DU FLEUVE

Agir dans l’incertitude : Diriger en lâchant prise? (2)
Depuis le pont Mirabeau, essayez donc de savoir où va la Seine. Difficile de trouver la bonne réponse non ? Aussi, descendez et suivez son cours. Rapidement puisqu’au gré de ses méandres, elle va sans cesse de droite à gauche, vous conclurez qu’elle ne sait pas où elle va.
Pourtant, quoi qu’il arrive, la Seine va bien toujours au même endroit !
Dès lors, comment faire pour voir où elle se dirige ?
Prenez plutôt le temps de comprendre qu’elle est un fleuve, ne regardez pas ce qu’elle fait, et cherchez la mer, ce futur qui l’attire.
Quand un dirigeant construit sa stratégie à partir de l’observation de ce qui s’est passé et se passe, il tombe dans la même  erreur : il veut deviner où va la Seine depuis le pont Mirabeau.
Voilà un des grands paradoxes du monde de l’incertitude : il faut réfléchir à partir du futur, et non pas à partir du présent.
(à suivre)