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19 sept. 2012

LE PIRE N’EST PAS SÛR, MAIS IL EST DEVENU POSSIBLE…

Déplacer les inégalités ou les éradiquer (3)
Si nous n’y prenons pas garde, ce sont les plus fragiles qui vont supporter la baisse relative de pouvoir d’achat, et une paupérisation massive va se diffuser chez nous.
Alors la réduction en cours des inégalités entre pays se traduira par le creusement des inégalités à l’intérieur de chaque pays, la mondialisation des activités aura créé des classes mondiales de riches et de pauvres, avec un transfert des écarts : aux inégalités géographiques se substitueront des inégalités sociales, et tout le bénéfice des actions entreprises dans nos pays depuis un siècle seront gommés.
Or que constate-t-on depuis vingt ans ? Précisément ce creusement des inégalités. Les données fournies par François Bourguignon sont sans appel :
- Aux États-Unis, entre 1979 et 2004, le revenu des 1% les plus riches a cru de 176 %, alors que celui des 20% les plus pauvres stagnait, et que celui des 20% suivant n’augmentait que de 17%. En moyenne le revenu de 80% des Américains n'a augmenté que de 21%... soit plus de 8 fois moins que les 1% les plus riches.
- Au sein de l’OCDE, entre 1985 et 2005, les inégalités ont fortement augmenté non seulement dans les pays anglo-saxons, mais aussi en Allemagne, Autriche, Belgique, Italie et dans les pays d’Europe du Nord. Les seuls pays où elles n’ont pas progressé sont la France, la Grèce, l’Espagne, l’Ireland, l’Islande ou des pays de l’Est.
François Bourguignon s’interroge pour savoir si ces pays où les inégalités progressent sont des éclaireurs. Quand je vois que ce sont plutôt ceux qui aujourd’hui résistent mieux à la crise, le futur n’est pas particulièrement réjouissant : pour s'adapter à un monde globalisé, ces pays ont creusé les inégalités. Est-ce une fatalité ?
Autre complément d’information : au lieu de s’intéresser à la convergence entre les populations, il a aussi regardé si les pays globalement convergeaient, c’est-à-dire si l’écart entre les pays les moins favorisés versus les plus favorisés diminuait lui aussi. La réponse est cette fois inverse : alors qu’en moyenne le niveau de vie de la population mondiale converge, ce sous l’effet du développement essentiellement de la Chine, de l’Inde et du Brésil, l’écart se creuse si l’on raisonne en terme de pays, ce spectaculairement depuis vingt ans.
C’est là la traduction du retard croissant pris par l’Afrique. Petite lueur d’espoir, mais bien fragile, la croissance en Afrique sub-Saharienne s’est accélérée depuis 2004. Est-ce durable ?
Bref le tableau est noir : la réduction des inégalités géographiques s’est traduite par le développement d’inégalités locales, et rien n’indique que ceci va s’arrêter naturellement. Bien au contraire…
Charles-Henri Filippi, dans Les 7 péchés du capital, insiste sur la dévalorisation de la valeur travail par « l’irruption dans le périmètre de la division internationale du travail et de l’échange de marché de milliards d’êtres humains qui créent aujourd’hui abondance et déflation salariales ». Il poursuit : « pris en tenaille être ce qui se vend sans devoir être fabriqué, et ce qui ne peut être fabriqué sans recours à des ressources dont la valeur augmente, le travail voit sa position s’affaisser progressivement. Mais plus définitivement encore, la société de marché financier, qui exprime la conquête de l’économie réelle par l’argent, fait de la richesse une résultante de la variation de prix dans l’échange plus que la création de valeur dans la production, du mouvement plus que de la matérialité. (…) Marx se retourne dans sa tombe : la plus-value ne se définit plus comme du « travail non payé » mais comme du « non-travail payé ». ».
Il parle enfin de « princes (qui) sont désormais sans peuples, (et de) peuples sans identité ».
Autre remarque qui n’apparaît pas directement dans ces statistiques, mais qui peut venir aggraver la situation future : la mondialisation en cours, la diffusion des technologies de l’information, la montée en puissance des arbitrages financiers, et la raréfaction progressive de quelques matières premières critiques conduisent toutes à un effet de polarisation qui fait que la richesse du monde se concentre de plus en plus en quelques points ou en quelques mains.
Je ne pense pas qu’il faille se résigner à un tel diagnostic, car alors nous irions droit vers des fractures sociales extrêmement dangereuses : qui ne voit pas qu’elles conduiront à des explosions, et qu’aucune ligne Maginot ne pourra protéger demain une classe de favorisés immergés dans un monde de pauvres.
Il est plus que temps de se réveiller car, comme Charles-Henri Filippi conclut : « Le pire n’est pas sûr, mais il est devenu possible. Le meilleur est improbable, mais il n’est pas hors d’atteinte. »

18 sept. 2012

LA CONVERGENCE EST LOIN D’ÊTRE TERMINÉE…

Déplacer les inégalités ou les éradiquer (2)
À l’occasion du suivi des cours de Pierre Rosanvallon au Collège de France, je viens de découvrir une conférence faite, le 23 février 2011, sur « la Mondialisation de l’inégalité » par François Bourguignon, ancien Premier Vice-Président de la Banque Mondiale et actuel Directeur de l’École d’Économie de Paris.
Dans celle-ci, en s’appuyant sur une étude considérablement plus approfondie et étayée que la mienne, il confirme la convergence dont je parlais hier : il l’observe aussi à partir des années 90, et, la remettant en perspective grâce à une série statistique remontant aux années 1800, montre qu’elle est un retournement récent et extrêmement rapide. Selon ses estimations, le rattrapage aurait déjà ramené les pays émergents à la situation prévalant il y a un siècle.
Pour ce faire, il s’appuie non pas seulement sur le revenu brut moyen, mais le pondère par la parité de pouvoir d’achat, qui tient compte du coût de la vie dans un pays donné.
A quoi attribue-t-il ce retournement ? Essentiellement à un découplage apparu récemment entre les taux de croissance des pays de l’OCDE et des pays en voie de développement. Il constate en effet à partir des années 2000, un écart constant et d’environ 5 à 6 % entre les deux taux de croissance. Ceci rejoint très exactement aussi mon analyse.
Une remarque : pour mesurer les inégalités, il est effectivement pertinent de pondérer les écarts en tenant compte des parités de pouvoirs d’achat, mais cela masque une partie des effets de transfert entre pays.
En effet, pour apprécier la dynamique concurrentielle entre pays, c’est bien le revenu brut qui est pertinent : un Indien reste actuellement presque 30 fois moins cher qu’un ouvrier occidental, un Chinois 9 fois et un Brésilien 4 fois. Pour évaluer plus finement la situation concurrentielle, il ne faudrait pas redresser ces données par la parité de pouvoir d’achat, mais en tenant compte du niveau de qualification, des équipements des usines, des savoir-faire…
Plus la produit est sophistiqué, plus ce redressement sera réel… du moins pour un temps : il suffit de voir les performances des usines mécaniques chinoises ou des entreprises de software indiennes pour comprendre que ces coefficients correcteurs tendent rapidement vers zéro.
Je maintiens donc que je ne vois pas comment nous éviterons une baisse relative de notre niveau de vie, et ce durablement. En effet, l’effet de convergence se poursuivra au moins pendant dix à vingt ans, temps nécessaire pour finir le rattrapage.
Est-ce possible de supporter une telle évolution ? Oui, vu le niveau de richesse de nos pays, mais à une condition : que nous fassions porter cette baisse relative sur les plus favorisés, et que nous veillions à ne pas laisser se creuser les écarts.
(à suivre)

17 sept. 2012

LA TRIPLE TRANSFORMATION DU MONDE : CONVERGENCE, GLOBALISATION ET CONNEXION

Déplacer les inégalités ou les éradiquer ? (1)
Au cours du 4ème trimestre de l’année dernière, j’ai écrit plusieurs articles portant sur la situation à laquelle nous faisons face (1). Mon propos essentiel était qu’il ne s’agissait pas d’une crise, mais d’une transformation en profondeur du monde : parler de crise, c’est laisser penser que les problèmes actuels sont graves, mais transitoires, et que l’objectif est de revenir à un passé perdu. Je crois qu’une telle vision est une erreur profonde, car demain ne pourra être comme hier, ce sous l’effet de trois forces qui s’entremêlent :
1. La convergence des niveaux de vie entre les grands pays :
Nos problèmes économiques ne sont ni nés en 2008, ni d’abord issus d’une crise financière, mais sont les effets de la convergence, amorcée à partir des années 90 : les écarts entre nos pays et les pays ex-émergents, aujourd’hui largement émergés (Chine, Inde et Brésil) se réduisent rapidement, le revenu brut moyen d’un habitant de nos pays occidentaux étant passé de 60 à 9 fois celui d’un Chinois, de 70 à 30 fois d’un Indien, de 8 à 4 fois d‘un Brésilien.
J’y écrivais notamment : « Prenez deux bassins ayant des niveaux d’eau très différents, séparés par des vannes, et approvisionnés par un cours d’eau. Commencez à ouvrir un peu les vannes : les niveaux vont alors se mettre à converger. Tant que la fuite est inférieure à l’apport d’eau, les écarts entre les niveaux se réduisent, mais le niveau le plus élevé ne baisse pas, au contraire. Ouvrons davantage les vannes. À un moment donné, la fuite devient supérieure à l’apport, et alors, le niveau le plus élevé baisse. Cette baisse durera tant que les niveaux ne seront pas identiques. 
C’est très exactement ce qui nous arrive. La mondialisation a rendu communicante nos économies, et a amorcé la convergence, d’abord lentement, puis de plus en plus vite à partir des années 2000. Grâce à l’endettement, nous avons masqué un temps cette baisse, mais cela ne peut plus durer. Comme nous sommes encore en 2011, trente fois plus riche qu’un Indien, neuf fois qu’un Chinois et quatre fois qu’un Brésilien, la convergence n’est pas terminée, et va s’étaler sur les dix à vingt ans à venir… sans compter les dettes qu’il va nous falloir rembourser. »
2. La globalisation du système économique et productif :
Le système économique et industriel passe de la juxtaposition d’entreprises et d’usines, à un réseau global de plus en plus complexe : les entreprises tissent des réseaux denses entre elles, et entre leurs différents lieux de production. Chaque produit, chaque service, chaque transaction fait intervenir un nombre croissant de sous-produits, sous-services, sous-transactions. Impossible de démêler les fils de ce qui est devenu une toile planétaire.
Cet entremêlement contribue à l’accroissement de l’incertitude, par la propagation du moindre aléa :
- Autrefois le monde était cloisonné, et les incertitudes restaient locales : ce qui se passait à Pékin, Johannesburg ou Bombay, n’était imprévu que pour les habitants de ces villes et de ces pays, car, vu la vitesse de propagation de son effet, les autres avaient le temps de s’y préparer.
- Maintenant la planète vibre de façon quasi synchrone, et ce qui se passe en un lieu, a des effets immédiatement de partout : nous sommes soumis à toutes les incertitudes. Un nuage de poussières issu d’un volcan islandais perturbe tout de suite une bonne partie de l’économie mondiale…
3. L’émergence d’une humanité d’individus connectés :
L’humanité passe d’une juxtaposition d’individus et d’appartenances, à un réseau global et de plus en plus complexe : sous l’effet cumulé de la croissance de la population, de la multiplication des transports et du développement d’internet, les relations entre les hommes se tissent finement. Les pensées et les actions rebondissent d’un bout de la planète à l’autre, des intelligences collectives apparaissent.
Comme Michel Serres l’a écrit dans le Temps des Crises, « le connectif remplace le collectif ». Dans une conférence tenue le 31 janvier 2011, il insistait sur les conséquences de a disparition d’individus spatialisés : « On est dans un nouvel espace topologique où on est tous voisins. Les nouvelles technologies n’ont pas raccourci les distances, il n’y a plus de distance du tout. (…) C’est l’adresse qui nous relie au politique. Donc ce ne peut plus être le même droit et la même politique, car ils étaient bâtis sur là où on habitait. (…) Nous habitons un nouvel espace, et comme il est nouveau, c’est un espace de non-droit. (…) Robin des bois : Robin vient de Robe, c’est l’homme de loi, l’homme de droit. Il habite la forêt de Sherwood qui est un espace de non-droit dont il construit le droit. Nous avons besoin de nouveaux Robins des bois. »
Un an s’est donc écoulé depuis lors, et rien ne m’amène à revoir mon propos. Au contraire, les malentendus me semblent perdurer…

24 juil. 2012

INCERTITUDE, CLOISONNEMENT ET PROPAGATION

BEST OF (10-11-12 janvier 2012)
Incertitude, cloisonnement et propagation
Chacun se sent pris, comme emporté, par les vagues de l’incertitude. L’imprévu déferle sans cesse, et les prévisions sont balayées, les unes après les autres. L’horizon du court terme se rapproche, et bien peu de responsables économiques se risqueraient à s’engager trop en avant.
Que se passe-t-il ? Le monde est-il donc devenu brutalement incertain ? Ou sommes-nous devenus, du jour au lendemain, incapables de nous projeter dans le futur ?  Faut-il redorer le blason des cartomanciennes, et aller tirer les cartes pour construire des plans stratégiques ?
Non, bien sûr.
Comme j’ai eu l’occasion de l’expliquer sur ce blog, et longuement dans la première partie de mon livre, les Mers de l’incertitude, l’incertitude était là de tous temps, car elle est le moteur du monde. Depuis le Big-Bang, tout se complexifie et dérive constamment : aléas de l’entropie, évolution chaotique – au sens mathématique du terme –  de la plupart des phénomènes, auto-organisation des cellules vivantes, mouvements erratiques du monde animal, importance de la dimension des processus inconscients, emboîtement de libres arbitres… Bref que des raisons de voir l’incertitude non seulement s’accroître, mais le faire de plus en plus vite.
Alors pourquoi diable, avons-nous l’impression que, il n’y a ne serait-ce qu’une vingtaine d’années, ou même une dizaine d’années, tout était plus prévisible, moins incertain ?
Parce qu’alors l’incertitude était contenue, localisée, comme « emprisonnée ». Qu’est-ce que je veux dire par là ?
Chacun de nous est soumis à toutes les incertitudes
Il y a dix ou vingt ans, nous n’étions, chacun de nous, soumis qu’à l’incertitude de ce qui était autour de nous, à portée de notre vue et notre toucher. Nous savions que nous pouvions subir le décès imprévu d’un de nos proches, que le ticket de loterie que nous venions d’acheter pouvait être gagnant ou pas, qu’un client pouvait nous faire défaut, qu’une machine pouvait brutalement se casser, qu’il était imprudent d’affirmer qu’il ferait beau demain, etc.
Par contre, ce qui se passait dans le lointain, dans une autre ville, un autre pays, un autre continent, cela ne nous concernait pas. Nous pouvions regarder serein les informations, sans nous sentir impliqué, car cela n’avait pas de conséquences directes sur notre vie quotidienne, sur notre famille, sur notre emploi, sur notre entreprise, sur notre pays. Ou plutôt la vitesse de propagation des effets était suffisamment lente, pour que nous ayons le temps d’être informés et d’avoir mis en place des actions correctives. Donc ce n’était plus incertain pour nous.
Le monde était donc partitionné, cloisonné, et nous en avions l’habitude. Nous étions protégés des incertitudes des autres. Certes le champ géographique de propagation des incertitudes s’était étendu au rythme du développement de l’énergie et des transports, mais jusqu’à ces dernières années, la vitesse de propagation restait limitée.
Avec le déferlement de l’informatique, des télécommunications et d’internet, cette partition du monde a volé en éclat. Tout se propage instantanément, et nous sommes directement et immédiatement exposés à toutes les incertitudes. Et dès lors, l’aléa change de dimension, et nos peurs se lèvent.
Pour être encore plus clair, je vais prendre une image simple : imaginez que vous jouez aux dés et que, si jamais vous faites quinze fois de suite un « 6 », vous perdez tout ce que vous avez. Si vous êtes seul à jouer, vous ne risquez pas grand chose : vous n’avez qu’une chance sur 615 de perdre, soit moins d’une chance sur 470 milliards. Vous pouvez être détendu, car la probabilité de la catastrophe est négligeable. Si maintenant c’est l’ensemble de l’humanité qui joue, c’est-à-dire sept milliards de joueurs, et qu’il suffise que l’un quelconque fasse cette séquence pour que vous perdiez tout, c’est une tout autre histoire, car vous avez maintenant une chance sur soixante-sept. Vous allez devenir très nerveux.
Eh bien, c’est exactement ce qui se passe depuis peu : chacun de nous est soumis au jeu de tous les autres.
Que faut-il faire alors ? Essayer de reconstruire la partition du monde ? Prôner le suicide collectif et immédiat, car il ne sert à rien de différer l’holocauste ?


Mais nous sommes aussi soumis à tous les gains potentiels
Revenons à la partie de dés, où si vous faites quinze fois de suite un « 6 », vous perdez tout, et complétons la règle avec les ajouts suivants, si vous faites une série de quinze chiffres identiques autre que le « 6 », vos avoirs seront multipliés par un facteur dix si c’est un « 1 », cent si c’est un « 2 », mille si c’est un « 3 », un million si c’est « 4 » et un milliard si c’est un « 5 ».
Si vous êtes seul à jouer, peu de chances de gagner ou de perdre. Vous n’allez pas vous intéresser à ce jeu.
Si c’est à nouveau la planète qui joue pour vous, vous avez une chance sur soixante-sept de tout perdre, et une chance sur treize de multiplier vos avoirs (dix fois, cent fois, mille fois, un million de fois, un milliard de fois).

Alors toujours nerveux ? Moins n’est- ce pas. Vous seriez même peut-être à jouer, non ? Surtout si je change les probabilités, et qu’il suffit, par exemple, d’une série de dix chiffres identiques pour gagner, et toujours quinze pour perdre…
Voilà le jeu auquel joue notre planète : certes les incertitudes se propagent à toute vitesse, mais les bonnes comme les mauvaises, et nous sommes d’abord riches de notre diversité et de nos échanges.
Pourquoi ?
Parce que l’incertitude, le désordre et les échanges sont le moteur du vivant : plus il y a d’incertitude, de désordre et d’échanges, plus la vie se développe. On ne protège pas la vie en la cloisonnant, au contraire.
Penser aux risques des mariages consanguins : le métissage enrichit l’ADN du monde, le cloisonnement l’appauvrit.
Avec le retour à l’isolement et la remontée des barrières, nous ne serions pas plus riches, mais plus fragiles : moins d’innovation, moins de puissance dans la recherche, moins de performance dans les nouveaux produits. Les laboratoires et les chercheurs se nourrissent des découvertes des uns et des autres, les améliorations techniques inventées dans une usine se répandent partout, la création musicale ou littéraire rebondit d’un lieu à l’autre, internet est une immense agora collective.
Alors ayons l’attitude du joueur, et n’ayons plus peur de l’incertitude : elle est la garante de notre survie et notre développement…

30 mai 2012

LE TERRITOIRE N’EST PLUS OU SI PEU, MES VOISINS NE SONT PLUS LES MÊMES

L’entreprise est une construction contingente (5)
De plus en plus de compétition pour la matière, de moins en moins pour l’information (voir mon article précédent « La matière devient rare, l’information surabondante »), et une entreprise et des hommes qui sont de plus en plus hors sol, ou qui, du moins, ont une relation nouvelle et distante avec le territoire et la géographie.
Historiquement pourtant toutes les entreprises sont nées quelque part et sont le fruit et l’expression de leur lieu de naissance : McDonald ou Coca-Cola n’auraient pas pu émerger ailleurs qu’aux États-Unis, Sisheido qu’au Japon ou L’Oréal qu’en France.
Mais depuis ces dernières années, tout a changé sous l’effet de mutations concomitantes et cumulatives.
Tout d’abord l’internationalisation, puis la globalisation de leurs opérations. Il est bien loin le temps où ces grandes entreprises avaient un état-major monoculturel et n’était qu’une juxtaposition d’entreprises locales. Elles ont, chacune à sa façon, entrepris un métissage qui, sans faire disparaître la réalité de leur origine, l’enrichit des apports de chacun. Ainsi par exemple, si L’Oréal reste différent d’un Procter & Gamble dans sa façon d’aborder un marché, de s’organiser et de s’y développer, l’entreprise n’en est pas moins de plus en plus chinoise en Chine, russe en Russie ou américaine aux USA… devenant par là-même un être hybride, nouveau et complexe.
Ensuite chacun de nous, chaque homme ou chaque femme qui participe à ces entreprises, nous avons une relation différente avec le pays et le territoire où nous nous trouvons. C’est ce qu’a notamment très nettement explicité Michel Serres dans ces différents livres.
Comme il le résumait dans une conférence tenue en janvier 2011 : « Avant, notre adresse nous repérait dans l’espace. Aujourd’hui nos adresses sont le téléphone portable et l’ordinateur, ce sont deux adresses qui ne sont plus repérées dans l’espace. (…) On est dans un nouvel espace topologique où on est tous voisins. Les nouvelles technologies n’ont pas raccourci les distances, il n’y a plus de distance du tout. » L’essor récent des réseaux sociaux, et singulièrement Facebook, invente de nouvelles appartenances, de nouveaux voisinages, de nouvelles interactions.
Enfin ce brassage des origines et des cultures n’est pas seulement organisationnel dans les entreprises ou virtuel dans les réseaux, il est aussi de plus en plus physique dans nos villes. Il suffit de marcher, les yeux ouverts, dans les rues de Paris pour y constater la diversité qui y déambule. Toutes les races, toutes les religions, toutes les cultures s’y télescopent… souvent non sans mal.
Comment dès lors l’entreprise, qui est avant tout l’expression d’un mode d’organisation collective des hommes, ne s’en trouverait pas changée… et en profondeur ?

25 mai 2012

"COMMENT AIMER UN PAYS QUI REFUSE DE NOUS RESPECTER"

Il est urgent que nous fassions face à la réalité de notre histoire
Kery James est un artiste malheureusement constamment absent des radios et des télévisions nationales. Ce chanteur dresse tout au long de ses différents disques, un portrait dur et râpeux de la réalité des banlieues, se faisant toujours l’apôtre de la non-violence et de la prise en main par chacun de son avenir.
Dans son dernier disque, 92.2012, il semble pris d’un pessimisme croissant face à la réalité française et à la montée des intolérances. Sa chanson, « Lettre à la République », sonne avec violence et se termine par cette phrase terrible : « Je ne suis pas en manque d'affection, comprend que je n'attends plus qu'elle m'aime ». J’espère qu’il est encore temps pour lui redonner espoir…
Voici ci-dessous des extraits du texte de cette chanson, ainsi que la vidéo associée.
Est-il besoin d’ajouter que je conseille vivement l’achat et l’écoute de tous ces disques…
Lettre à la République 
A tous ces racistes, à la tolérance hypocrite
Qui ont bâti leur nation sur le sang
Maintenant s'érigent en donneurs de leçons
Pilleurs de richesses, tueurs d'africains,
Colonisateurs, tortionnaires d'algériens
Ce passé colonial, c'est le vôtre
C'est vous qui avez choisi de lier votre histoire à la nôtre
Maintenant vous devez assumer
L'odeur du sang vous poursuit, même si vous vous parfumez
Nous les arabes et les noirs, On n'est pas là par hasard
Toute arrivée à son départ.
(…)
Les immigrés ce n'est que la main d'œuvre bon marché
Gardez pour vous votre illusion républicaine
De la douce France bafouée par l'immigration africaine
Demandez aux tirailleurs sénégalais et aux harkis
Qui a profité de qui ?
La République n'est innocente que dans vos songes
Et vous n'avez les mains blanches que dans vos mensonges
(…)
On ne s'intègre pas dans le rejet
On ne s'intègre pas dans des ghettos français
Parqués entre immigrés, faut être sensé
Comment pointer du doigt le repli communautaire
Que vous avez initié depuis les bidonvilles de Nanterre ?
(…)
Et plus j'observe l'histoire, moins je me sens redevable
Je sais ce que c'est d'être noir depuis l'époque du cartable
Bien que je ne sois pas ingrat, je n'ai pas envie de vous dire merci
Parce qu'au fond, ce que j'ai, ici, je l'ai conquis,
(…)
Au cœur des débats, des débats sans cœur
Toujours les mêmes qu'on pointe du doigt dans votre France des rancœurs 
En pleine crise économique, il faut un coupable
Et c'est en direction des musulmans que tous vos coups partent
(…)
Vous nous traitez comme des moins que rien, sur vos chaînes publiques
Et vous attendez de nous qu'on s'écrie « Vive la République »
Mon respect se fait violer au pays dit des Droits de l'homme
Difficile de se sentir français sans le syndrome de Stockholm
(…)
Que personne ne s'étonne si demain ça finit par péter
Comment aimer un pays qui refuse de nous respecter ?
Loin des artistes transparents, j'écris ce texte comme un miroir
Que la France se regarde si elle veut s'y voir
Elle verra s'envoler l'illusion qu'elle se fait d'elle-même
Je ne suis pas en manque d'affection, comprend que je n'attends plus qu'elle m'aime