Sur le dos du serpent légendaire
Un air glacial, au moins dix degrés en dessous de zéro. Le vent vif vient creuser les morsures. Sur les montagnes qui m’entourent, la neige offre un miroir aux rayons du soleil.
Pékin, pourtant à seulement cent kilomètres, est à l’infini. Ici aucun bruit, aucune pollution, aucune vie.
Juste Haï et moi.
Et le froid. Et le vent. Et la neige.
Et, sur le sommet de la montagne, un immense serpent qui dort, immensément immobile. Caméléon protecteur, habillé des pierres tirées des cimes sur lesquelles il repose, il veille depuis deux mille ans, sentinelle de l’Empire céleste.
Doucement, nous montons sur son dos. Les pas de Haï glissent en prenant garde à ne pas la réveiller. J’essaie de me hisser au niveau de son art. La glace recouvre les aspérités qui font office de marches. Progression lente, religieuse, difficile.
Un souffle dans mon cou me fait me retourner. Je vois couler le serpent sur lequel nous avons progressé. Au loin, je l’aperçois dormant sur les crêtes. Tapi, il attend ceux qui voudraient s’attaquer aux forces de l’Empire du Milieu.
A quelques pas de moi, un peu plus bas, Haï me regarde. Il est chez lui et sait qu’il n’a rien à craindre. Ces terres sont les siennes. Ce serpent aussi.
Ses bras se lèvent. Veut-il que je le rejoigne ? Pour qu’ensemble, étroitement joints, nous nous envolions ?
Me reviennent alors les mots de Dominique A : « On imagine pourtant très bien voir un jour les raisons d'aimer, perdues quelque part dans le temps. Mille tristesses découlent de l'instant. Alors qui sait ce qui nous passe en tête ? Peut-être finissons-nous par nous lasser. Si seulement nous avions le courage des oiseaux qui chantent dans le vent glacé ! »1
(1) Dominique A, Le Courage des Oiseaux