Accepter que l'on est né par hasard et pour rien est le vrai chemin pour la liberté et la responsabilité
Mon article d'hier « Ciel, Dieu me parle ! » qui reprenait des extraits de « A tort et à raison » de Henri Atlan a été mis en ligne sur Agoravox et a déclenché à ma grande surprise de très nombreux commentaires. Je ne pensais pas qu'un tel sujet intéresserait autant. Rassurant, je trouve !
Tout ceci m'amène à repréciser mon propos.
Imaginez-vous comme un homme d'il y a très très longtemps. Je sais, ce n'est pas facile, mais essayez !
Votre cerveau ne sait que réagir aux informations transmises par vos cinq sens. Vous avez en plus des réflexes issus de vos gènes, complétés par votre expérience personnelle. Avec cela, vous avez l'habitude de vous débrouiller. Manger et boire quand il le faut, même si trouver de la nourriture n'est pas toujours si aisé ; éviter les dangers qui peuvent menacer votre survie ; vous reproduire pour prolonger votre espèce. Tout va bien quoi.
Un matin, vous êtes assis, tranquille, dans votre caverne, repu, quand arrive un truc improbable et impossible. Alors que rien ne se passe de nouveau autour de vous – vos yeux n'ont rien vu de spécial, vos oreilles rien entendu, votre odorat rien senti -, il vous vient une « image mentale », une pensée quoi. Oh, rien de bien structuré, rien de bien concret, mais, pour sûr, vous avez eu un flash. Bon, rapidement, vous revenez à votre activité normale, manger, courir, vous reproduire, vivre en un mot. Mais voilà que cela recommence. Et de plus en plus… Bizarre quand même. Un sixième sens ? Pratique en plus, car vous venez de vous rendre compte que ces « pensées » informes ne le sont pas tant que cela, mais peuvent vous aider à survivre, à construire des nouvelles approches, à innover. Incroyable. Vous voilà, grâce à ces pensées, de plus en plus performant.
Et pour vos congénères, c'est pareil. Dingue, comme ce « sixième sens » peut être utile. Mais d'où cela peut-il bien venir cette « voix intérieure » ? Qui vous souffle des idées, qui vous guide face au danger ? Cela doit bien venir de quelqu'un ou quelque chose. Quand vous voyez, c'est bien que quelque chose ou quelqu'un est devant vous. Idem pour l'ouïe : si vous entendez un bruit, il existe vraiment… Donc là aussi, il doit exister quelque chose qui vous « parle », qui est capable de venir entrer en vous. Une chose pour la chasse, une pour la reproduction, une pour votre voisin… Des choses toutes puissantes, qui savent tout, qui peuvent tout.
Comme vous êtes un malin, vous comprenez avant les autres qu'il y a là un moyen d'éviter d'aller chercher vous-mêmes de la nourriture. Vous vous installez devin, c'est-à-dire comme un spécialiste dans l'interprétation du discours de ces choses. Comment faites-vous ? Un peu de baratin bien tourné, quelques herbes qui ; bien mâchouillées ; viennent renforcer la sensation d'entendre des voix, et c'est parti.
Vous connaissez la suite de l'histoire…
Bon, c'est vrai, tout ceci ne parait pas très scientifique, mais j'ai comme dans l'idée que, d'une certaine façon, cela a pu se passer ainsi…
Maintenant, je vais vous demander un nouvel effort. Ne dites pas non, s'il vous plaît. Il n'y en a vraiment pas pour longtemps. Merci.
Donc cette fois, vous êtes vous-mêmes, aujourd'hui. Ne changez rien. Posez-vous simplement une question : pourquoi suis-je là ?
La première réponse est simple : parce que mes parents m'ont procréé et, comme vous êtes chanceux, parce qu'ils l'ont voulu. Certes. Mais si l'on prolonge un peu plus le raisonnement, la suite logique dans le passé, avez-vous vraiment l'impression que vous existez parce que cela a été décidé, voulu ? Vraiment ? Vous croyez qu'un méga Gosplan, génial et parfait, a tout organisé, tout prévu ? Vous vous rendez compte que garantir que vous allez exister est extrêmement difficile : pensez à tous les risques que, pour une raison ou une autre, un des paramètres nécessaires à votre existence ne soit pas satisfait. Et en plus vous pensez que ceci est vrai pour chacun de nous ? Sérieux ? Vous ne plaisantez pas ? Non ?
Et si nous étions tous là par hasard, simplement parce que nous sommes le résultat non prévu de l'évolution du monde. Pénible pour votre ego de vous imaginer le fruit du hasard, plus que d'une volonté ?
Je vous sens sur le point d'accepter cette existence née du hasard, mais vous restez persuadé que vous êtes né pour quelque chose, pour une mission secrète, pour mettre en œuvre une volonté immanente. Votre existence doit bien avoir un sens, quand même !
Je ne crois pas. Nous sommes nés pour rien. Nous sommes juste là, comme cela, un maillon possible et provisoire du vivant.
Est-ce désespérant ? Non je ne trouve pas. Je me sens plus léger, sans fardeau préalable sur mes épaules. Personne n'attend rien de moi.
Suis-je du coup irresponsable ? Non, je me sens porteur du vivant et de sa prolongation. Et je ne dresse pas de limites a priori à l'intérieur du vivant. C'est un tout.
Suis sans liberté, le jouet de l'évolution ? Non, je suis né par hasard, mais je peux agir. Plus je comprendrai dans quelle logiques, dans quels courants s'inscrivent ma vie et ma possibilité d'action, plus je serai libre…