5 oct. 2010

« SAVEZ-VOUS QUE L’INVESTISSEMENT EN CHARS À BŒUFS EST ÉQUIVALENT À L’INVESTISSEMENT TOTAL DANS LES CHEMINS DE FER ? »

Un regard sans complaisance sur ses origines indiennes

Dans l'Inde brisée, parue en 1977, V.S. Naipaul, prix Nobel e littérature 2001, dresse de l'Inde, la terre natale de ses parents, le tableau d'un pays prisonnier d'une histoire qui s'effondre peu à peu. En voici, un court patchwork. 

Sur les castes
« La caste et le clan sont plus que des fraternités ; ils définissent complètement l'individu. Ce dernier n'apparaît jamais en tant que tel ; il est toujours fondamentalement le membre de son groupe, avec ses règles, ses rites, ses tabous. (…) Les relations obéissent à un code. La religion et les pratiques religieuses – « la pensée magique et animiste » – cadenassent l'ensemble. Le besoin d'observation et de jugement personnel est réduit ; une sorte de vie purement instinctive devient dès lors possible. (…) Il est moins facile pour les Indiens de prendre du recul et de se livrer à l'analyse. La différence de perception entre Indiens et Occidentaux paraît avec le plus d'évidence dans l'acte sexuel. Un Occidental est à même de décrire un acte sexuel ; même au moment de l'orgasme, il peut observer. Kakar dit que ses patients indiens, hommes ou femmes, ne possèdent pas cette faculté, sont incapables de décrire l'acte sexuel, et peuvent simplement dire : « C'est arrivé ». »
« Comment une personne, habituée depuis l'enfance à la sécurité du groupe, à la sécurité d'une vie minutieusement réglée, peut-elle devenir un individu, un homme à part entière ? Elle sera noyée dans l'immensité d'un monde inconnu ; elle sera perdue. »
« Le scientifique qui revient en Inde perd l'individualité qu'il avait acquise durant son séjour à l'étranger ; il retrouve la sécurité de son identité de caste et le monde est une fois de plus simplifié. Il y a des règles précises, aussi réconfortantes que des bandages. (…) Le fléau du système de castes ne se réduit pas à l'intouchabilité et à la déification conséquence en Inde de la saleté ; le fléau, dans une Inde qui essaie de se développer, c'est aussi la soumission générale qu'elles imposent, ses satisfactions toutes faites, la régression de l'esprit d'aventure, le rejet par les hommes de l'individualité et de la possibilité de s'améliorer. »

Sur le progrès et la technologie
« Les balayeurs, ultime et dernier échelon : leur existence même, le fait qu'ils acceptent une fonction parfaitement méprisée en Inde, renforçait la conviction indienne qu'il était impur de nettoyer, et cela engendrait les abominations que nous allions découvrir. (…) Il était impur de nettoyer ; il était même impur de le remarquer. Enlever les excréments c'était le travail des balayeurs, et en attendant leur venue, les gens se contentaient de vivre au milieu de leurs propres déjections. »
« Le balayeur des rues de Jaipur se sert de ses mains pour mettre de la poussière de la rue dans la carriole. La femme qui brosse la digue du grand barrage du Rajasthan, avant que l'on ne l'enduise de ciment, emploie un bout de chiffon qu'elle tient entre le pouce et le majeur. Voilée, accroupie, presque immobile, mais présente, gagnant sa demie-roupie, elle fait en un jour ce qu'un enfant ferait en se contentant de pousser un balai à long manche. On ne lui en demande pas plus ; elle est à peine une personne. La vieille Inde n'exige que de rares outils, de rares compétences et beaucoup de bras. »
« Le nouveau culte, en Inde, ce sont les chars à bœufs. Les chars à bœufs ne doivent pas disparaître ; après trois mille ans ou plus, la technologie intermédiaire indienne doit maintenant améliorer les chars à bœufs. « Savez-vous », m'a dit quelqu'un à Delhi, « que l'investissement en chars à bœufs est équivalent à l'investissement total dans les chemins de fer ? » »

Sur la non-violence et le dharma
« « La non-violence dans tous les domaines, importants ou non, personnels ou nationaux, est supposée engendrer une quiétude sans trouble ni agitation, à la fois dans la personnalité et la société. ». Mais cette non-violence ou ce non-agir dépend du devenir de la société ; elle dépend de ce que font les autres. (…) La quiétude de Srinivas – composée de karma, de non-violence et d'une vision de l'histoire perçue comme une fable développée – est en fait une manière de se chérir soi-même au milieu du désarroi général. C'est du parasitisme. Ce comportement dépend du fait que les autres continuent à s'activer, que les trains circulent, que les presses impriment et que les roupies finissent par tomber. Il lui faut le monde mais il abandonne l'organisation du monde aux autres. »
« « Fais ton devoir, même s'il est humble », dit la Gita aryenne, « plutôt que celui d'un autre, même s'il est grand. Mourir en faisant son propre devoir, c'est la vie ; vivre en faisant celui d'un autre c'est la mort. ». Le dharma est créateur ou destructeur suivant l'état de la civilisation, et ce que l'on attend des hommes. Il ne peut en être autrement. »
« Durant cette campagne, l'ancien membre du Congrès ne fit aucune promesse et ne développa aucune idée ; tout ce qu'il avait à proposer, c'était sa personne, son gandhisme et ses états de service. »
« La loi évite l'affrontement avec le dharma. C'est pourtant ce dharma que la loi doit affronter si elle veut jouer un « rôle dynamique ». Voila le problème : pour faire face aux nouvelles pressions, l'Inde doit, d'une certaine manière, se miner elle-même, renoncer à son ancienne sécurité. »

4 oct. 2010

ATTENTION À NE PAS SE LEVER AU MOMENT DE SAISIR UN VERRE

Sans confrontation interne, une entreprise est désarticulée

Si, quand vous voulez attraper un verre, vos jambes se dressent brutalement, votre main ne trouvera que le vide. Ces coordinations inconscientes, nous les vivons au quotidien sans nous en rendre compte.
De même, nous échangeons constamment avec l'extérieur pour nous adapter aux situations rencontrées : déclenchement de la transpiration pour faire face à une élévation de la température, rétrécissement de la rétine face à une lumière forte,…
La vie n'est maintenue que grâce à ces ajustements constants internes et externes. Aucune programmation préalable ne pourrait piloter un système aussi complexe dans un univers aussi aléatoire.
Les composantes de l'entreprise ont besoin de s'ajuster ‒‒ pour aboutir à un mouvement collectif efficace : les actions menées par les individus ou les sous-ensembles qui composent l'entreprise ne vont pas spontanément s'ajuster, et, sans confrontation, l'entreprise restera désarticulée, elle n'arrêtera pas de « se lever au moment de saisir un verre ». Les ajustements nécessaires n'auront pas lieu, les projets dériveront, les actions prévues ne se feront pas :
- Parce que le chef de projet a accepté sans les discuter les demandes du Directeur marketing, le projet informatique a dérivé en coût et durée,
- Parce que l'ingénieur de fabrication de l'usine n'a pas suffisamment fait valoir le point de vue des équipes de production, le niveau de performance prévu du nouveau four n'a pas été atteint et les coûts de maintenance sont plus élevés,
- Parce que la compagnie aérienne a diminué le nombre de bagagistes au moment où elle réduisait le temps de correspondance, bon nombre de voyageurs sont arrivés sans bagages.

Extrait des Mers de l'incertitude

30 sept. 2010

LE REFUS DE L’INCERTITUDE CONDUIT À UN ÉTAT DE DÉPRESSION COLLECTIVE

Ce ne sont plus seulement les trajectoires élémentaires qui sont imprévisibles…

Dès le début de notre univers, l'incertitude était là : loi de l'entropie, relativité, trajectoires chaotiques. Mais l'incertitude se situait essentiellement au niveau élémentaire des particules : il était impossible de prévoir où quelques particules allaient se trouver et comment elles allaient se comporter. Par contre, à un niveau plus global – un gaz, un liquide, un grand nombre de particules –, on pouvait appliquer des modèles et prévoir relativement ce qui « collectivement » allait se produire.

C'est cette vision qui reste encore très présente dans l'esprit de nombre de ceux qui veulent prévoir l'évolution du monde : certes ils savent que le comportement de chacun de nous est imprévisible, mais ils pensent que, globalement, tout ceci – comme pour un gaz – va déboucher sur des systèmes modélisables, dont l'évolution est prévisible, ou, a minima, peut être mis en forme au travers de scénario assorti de probabilités.
Or il n'en est rien. Pourquoi ? Pour plusieurs raisons.
D'abord parce que les mathématiques du chaos nous ont montré que des divergences élémentaires – c'est-à-dire infiniment petites – pouvaient déboucher sur des écarts macroscopiques considérables : le « collectif » ne lisse plus les écarts, mais les amplifient.
Ensuite parce que les hommes sont de plus en plus dotés d' « objets-monde » (*), c'est-à-dire d'objets qui permettent à quelques individus d'avoir des actions à longue portée et susceptibles à elles-seules d'agir à l'échelle du monde. Comme le comportement de ces agents est imprévisible, la conséquence de leurs actes l'est aussi. Or la portée de ces actes est celle du système global. Les actualités sont peuplées de tels exemples.

Ainsi devons-nous accepter le fait que ce ne sont plus seulement les trajectoires individuelles qui sont imprévisibles, mais aussi les évolutions globales du système qui le sont : des écarts locaux ne sont pas lissés, mais amplifiés ; des décisions individuelles ont des conséquences globales.

Si, comme Jean-Paul Sartre l'a écrit dans Le Diable et le Bon Dieu, on préfère le désespoir à l'incertitude, on n'est pas prêt d'espérer quoi que ce soit et on sombre dans une mélancolie et une dépression collective.
Si, à l'inverse, on comprend qu'il ne peut pas y avoir d'espoir vrai sans incertitude, car elle est l'expression de nos libertés individuelles et la garantie de l'existence de marges de manœuvre collectives, alors on est stimulée par elle et on est gagné par un optimisme collectif.
Au choix...

(*) Expression créée par Michel Serres, dans Hominescence (2001)

29 sept. 2010

SE CONFRONTER POUR RESTER ENSEMBLE CONNECTÉS AU DEHORS

Sans confrontation, l'entreprise implose ou se calcifie

« Une entreprise est faite d'une multitude d'hommes et de femmes, de fonctions, de services, de pays, de filiales… Elle est immergée dans des marchés multiformes, des réglementations multiples et des environnements changeants.
Cette capillarité de l'entreprise et cette diversité sont la richesse qui vont permettre d'appréhender le complexe et de saisir ce qui se passe et émerge. A une double condition essentielle :
- Que l'entreprise fonctionne comme un réseau interne qui vit et échange : cet échange va permettre les ajustements et la construction d'une compréhension commune. Le commun émergera alors dynamiquement de ces frottements.
- Que l'entreprise respire avec l'extérieur : nourrie par les informations sur ce qui survient, elle pourra ajuster ses interprétations et piloter son parcours en eaux troubles.

Tel est le double but : éviter d'une part l'implosion de l'entreprise, d'autre part sa calcification en un dinosaure inadapté.

Ceci rejoint la vision de François Jullien : pour lui, l'universel est souvent une forme de l'impérialisme d'une pensée, l'uniforme est appauvrissement, alors que le commun est la recherche de ce qui peut tous nous unir, tout en respectant nos différences et nos richesses individuelles : « la solution n'est pas dans le compromis, mais dans la compréhension. (…) Une telle tolérance ne peut venir que de l'intelligence partagée. (…) Chacun s'ouvre également, par intelligence, à la conception de l'autre » (*)
C'est bien de cela dont il s'agit dans la confrontation : s'ouvrir par l'intelligence à la conception de l'autre, parce que le point de vue de l'autre est complémentaire et nécessaire. Tout est aléatoire, tout est chaotique, rien ne se produit selon ce qui est prévu, donc seule une compréhension fine et commune peut amener l'entreprise à comprendre ce qui se passe, à se remettre en cause et à agir efficacement. »

(*) François Jullien, De l'Universel, de l'uniforme, du commun et du dialogue entre les cultures, p.220-221

Extrait des Mers de l'incertitude p.135-136

28 sept. 2010

NE RIEN SAVOIR À L’AVANCE POUR POUVOIR DÉCOUVRIR

Seul dans les rues de Calcutta

Voyager seul, c'est se rendre plus disponible, plus ouvert à l'endroit où l'on passe. Qu'on le veuille ou non, dès que l'on est deux, on commence à être en soi. Les autres viennent moins vous parler. Peur de déranger. Être seul, c'est comme lancer un appel, inviter l'autre à venir vous parler. Quant aux voyages en groupe, c'est un peu comme ces séjours linguistiques que bon nombre d'entre nous avons fait enfants en Angleterre : nous passions plus de temps entre Français qu'avec des Anglais !
Non seulement, j'aime voyager seul, mais j'aime me laisser glisser, sans savoir où je vais, ni ce que je vais faire ou trouver. Je n'aime pas lire à l'avance ce qu'il faut faire, ce qu'il faut voir, ce qu'il ne faut pas manquer. Je ne veux pas vivre l'histoire des autres, je veux vivre la mienne. Si je passe des heures et des jours à préparer mon voyage, je vais être ensuite à la recherche de ce que j'ai lu, je ne serai plus disponible à l'imprévu, à ce qui advient, à ce qui est réel. Certains me disent : « Oui, mais vous risquez de manquer quelque chose d'essentiel. ». Que veut dire essentiel ? Pourquoi devrais-je me conformer à un système de valeurs préétabli ?

Seul, solitaire, sans informations, je suis comme une éponge, plein d'un vide que les rencontres vont combler. Marcher sans poser de questions, éviter toute projection, juste observer, regarder, repérer l'insolite, ce que l'on ne comprend pas pour s'y arrêter, un moment, avant de reprendre son mouvement. La chanson de Gérard Manset, « Il voyage en solitaire » résonne en moi : « Il voyage en solitaire. Et nul ne l'oblige à se taire. Il chante la terre. »
Ainsi, je me laisse perdre dans les méandres de la vie, dans les aléas des rues. Vais-je tourner à droite ou à gauche ? Pousser la porte de ce café pour un thé ou une bière ? M'asseoir par terre pour rêver et regarder ce qui se passe autour ? Je ne sais pas, du moins pas à l'avance. Je regarde ce qui se passe autour de moi, essaie de ressentir vers quoi peut me conduire mon choix, j'hume les possibles instantanés.
Depuis le temps que je pratique ces navigations au jugé, j'ai appris à lire les villes, les courants, les flux d'énergie. Savoir par exemple regarder les flux des passants, interpréter leurs façons de marcher ou leurs habillements, se sentir se refroidir ou se réchauffer comme dans son jeu où l'on guide quelqu'un vers un but en lui disant : « Là, c'est froid. Là, c'est chaud. ». Simplement ici personne ne me guide à part mon inconscient. Je ne marche pas consciemment, je laisse mes émotions et mes sensations m'emmener là où elles veulent.

27 sept. 2010

« L’INTERCULTUREL N’EST PAS INSCRIT DANS NOS NEURONES. L’AUTRE, L’ÉTRANGER, EST UNE MENACE EN PUISSANCE PERMANENTE »

Nous venons seulement de sortir de la jungle

Patchwork tiré du livre de Martine Laval (*), N'écoutez pas votre cerveau.

Peut-on regarder sans déformer ?
« Notre société d'image a une médecine de prises de vues. Elle intervient quand l'événement est là, en train de se dérouler sous ses yeux, sinon elle répond aux abonnés absents. (…) Notre médecine en ce qu'elle a d'éphémère et de précipité est le reflet de nos propres pratiques et de nos exigences désordonnées, excessives, et sans cohérence globale. »
«  « Si tu comprends, les choses sont comme elles sont, si tu ne comprends pas, les choses sont comme elles sont » dit un proverbe zen. Comprendre permet d'agir à partir de ce qui est, et non à la place. »
« Manager consiste dans un premier temps à savoir mettre ses certitudes temporairement à distance, afin d'avoir accès à l'autre sans jugement, car le jugement tue l'écoute, et il ne peut y avoir de véritable communication sans écoute préalable. Puis dans un deuxième temps, il s'agit de revisiter ses a priori car ils ferment la porte aux réalités. »
« Qui nous habite ? : S'agit-il de souvenir ou de conditionnement ? (…) Un rien peut les réveiller (…) Si Marcel Proust n'avait pas fait le lien entre l'odeur merveilleuse des gâteaux de la boulangère et les madeleines que sa maman chérie cuisinait amoureusement, peut-être aurait-il fini par épouser la boulangère. »

L'autre est-il d'abord une menace ?
« L'interculturel n'est pas inscrit dans nos neurones. L'autre, l'étranger, est une menace en puissance permanente. »
« (La colère) se connecte lorsque nous avons l'impression que nos territoires réels ou symboliques sont attaqués, méprisés, convoités, ou quand nous sommes en état de manque, de désirs non assouvis et d'attentes non comblées. »
« Comment interrompre ces courses de « mammifères repus » qui connectent l'énergie de la colère pour une cause aussi triviale que celle d'être premier ? »

Sommes-nous le cancer de notre planète ?
« Notre société porte en elle tous les stigmates du cancer. La similitude de comportement entre ces cellules qui en veulent toujours plus et absorbent tout ce qu'elles trouvent, et nous qui n'arrêtons pas de consommer tout et n'importe quoi, est troublante. Biologiquement dérégulées, elles sont le miroir de nous-mêmes. Sans interventions précises, rien ne les arrête. Il en faut beaucoup pour stopper l'être humain dans ses prédations incessantes. Cette maladie, cette épidémie plutôt, nous montre par mimétisme combien nous faisons fausse route au point d'en perdre la raison. Pareil à ces cellules déréglées, l'homme apparemment civilisé, en réalité tueur en série de l'autre et de lui-même, est déjà en chemin en train de faire disparaître les éléments de la planète avant d'être éliminé à son tour avec. »

(*) Martine Laval est psychologue, consultante et coach en entreprises depuis plus de trente ans. Elle dirige et anime un cycle d'enseignement pour managers à HEC

23 sept. 2010

DE « LOST IN TRANSLATION » À « LOST IN CONNECTIONS »

Se protège-t-on vraiment en érigeant des barrières ?

Il y a quelques jours, alors que je marchais dans le forum des Halles à Paris, mon regard fut arrêté par l'aspect des projecteurs d'éclairage : ils étaient tous dotés de pics verticaux, leur donnant une allure de porcs-épics technologiques. Voilà la réponse qui a été trouvée, comme en beaucoup d'autres endroits, pour se protéger contre les pigeons.

Ceci me rappelle cette maison proche de la mienne en Provence qui, pour lutter contre les cambriolages, avait été recouverte de grilles et de portails métalliques. La solution fut effectivement efficace : la maison n'a plus jamais été cambriolée. Mais sa façade est défigurée et qui a vraiment envie de vivre à l'intérieur d'une prison ?

Bill Murray, dans le film Lost in translation, refuse de se plonger dans le Japon qui entoure son hôtel et qui, dans son esprit, l'assiège. Il s'enferme dans la double barrière de son hôtel et de sa langue pour garder à distance ce monde qui lui fait peur. Comme le projecteur, il se couvre de pics pour que personne ne vienne se poser. Comme la maison en Provence, il condamne la moindre ouverture pour n'avoir aucun contact.

Ne serait-il pas temps d'avoir une autre approche et de s'ouvrir un peu plus aux autres et aux différences ? 
Plutôt que « Lost in translation », ne serait-il pas souhaitable d'être « Lost in connections » ?

22 sept. 2010

DIRIGER ATTENTIVEMENT POUR RÉUSSIR DANS L’INCERTITUDE

Comment diriger en lâchant prise

Je reprends la publication d'extraits de mon dernier livre en abordant maintenant les questions liées à la mise en œuvre.

« Diriger différemment pour réussir, dans l'incertitude, à atteindre la mer si longuement choisie, voilà le challenge. Même si les courants de fonds sont favorables, même si on peut prendre appui sur les potentiels de situation, la route sera longue et difficile. Comment faire pour que la traversée ne tourne pas au cauchemar, ni au naufrage ? Comment diriger pour que l'entreprise ne se désagrège pas ou, à l'inverse, ne se rigidifie pas ? Comment obtenir que l'énergie collective progresse et ne s'épuise pas ?
Dans le titre de ce livre et l'avant-propos, j'ai déjà indiqué quelle était ma réponse : il faut diriger en lâchant prise. Diriger pour donner du sens et garder le cap, lâcher prise pour prendre appui sur ce qui advient et faire du voyage une expérience positive. Atteindre ce cocktail miracle de sens et de plaisir qui conduit au bonheur individuel et à l'efficacité collective.

Certes, mais concrètement qu'est-ce que cela signifie ?
- En termes de bonnes pratiques à encourager, j'en vois une centrale et essentielle : la culture de la confrontation. C'est elle qui va maintenir la cohésion interne sans tout souder en un seul bloc rigide et cassant. C'est elle qui va assurer les respirations entre le dehors et le dedans, respirations qui rendront l'entreprise capable de sentir ce qui se passe et d'en tirer parti effectivement.
- En termes d'organisation et de structure de l'entreprise, je vais recommander de la penser comme un jardin à l'anglaise, respectant les différences et laissant émerger la cohérence. L'existence de ces différences couplées avec le maintien d'un minimum de flou dans les systèmes permettra de donner vie à l'organisation.
- Enfin, en termes de comportement du dirigeant lui-même, ma réponse est de manager dans le calme et la durée, s'interdire le zapping et ne pas changer d'entreprise trop souvent. Cette stabilité du management apportera la sérénité nécessaire face aux aléas. »

Extrait des Mers de l'incertitude p.133-134