22 déc. 2010

POURQUOI AVONS-NOUS BESOIN D’EN APPELER À DES AUTORITÉS QUI NOUS DÉPASSENT ?

Nous sommes libres et responsables

Si l'on croît que le monde est régi par des logiques implacables et écrites à l'avance, on n'a plus d'autres choix que, soit de se résigner – à quoi bon entreprendre puisque tout a été écrit et décidé à l'avance ? -, soit d'en appeler à une force immanente capable, elle, de changer la logique du monde – à un Dieu qui serait le maître d'œuvre de ce monde que nous subissons, à des chefs cachés mais tout puissants qui manipulent la société.

Comme on a du mal à se résigner, on opte en général pour la deuxième solution et l'on imagine des Deus ex machina derrière tout ce qui se passe, en bien comme en mal. En caricaturant – mais si peu…–, cela donne le florilège suivant :
« Si les hommes existent, c'est qu'un Dieu l'a voulu et nous a créés. »
« Si le mal existe, c'est que les hommes ont commis, il y a très longtemps, un péché terrible, et qu'un Dieu les a punis. »
« Je ne sais pas pourquoi ceci arrive, mais eux, ils savent. Simplement, ils ne veulent pas me le dire. »
« Puisqu'ils sont à la tête des États ou des entreprises, ils savent pourquoi les choses adviennent, connaissent les conséquences de leurs actions, et décident en connaissance de cause. »

A l'inverse, si l'on croît que le monde est régi par un jeu complexe de lois contradictoires et que, du coup, l'évolution est imprévisible et est le résultat des actions locales et contingentes, on a tous les choix possibles, y compris de se sentir responsable de ce que l'on fait et décide, et ce sans avoir à en appeler à des autorités qui nous dépassent.
Cela donne alors le florilège suivant :
« Je suis né par hasard et personne n'attend rien de moi. Je suis donc libre. »
« Quand je serai mort, je n'existerai que dans la mémoire de ceux qui me survivront et par la trace de ce que j'aurai fait. Raison de plus pour agir de façon responsable. »
« Puisque rien n'est déterminé de façon fatale, comment pourrais-je accepter l'inacceptable sans agir contre ? »
« Personne n'est capable de savoir ce qui va se passer, ni les conséquences exactes de ce qu'il entreprend. C'est rassurant, car sinon, la vie pourrait être mise dans un système informatique. »

21 déc. 2010

VIVE L’ÉMERGENCE, VIVE LA DÉRIVE… ET VIVE L’INCERTITUDE !

Nous ne sommes pas prisonniers de forces qui nous dépassent

Il ne nous est pas facile d'admettre cette notion d'émergence que j'évoquais hier dans l'extrait issu de mon dernier livre. Nous restons marqués par une vision « matérialiste » qui nous a persuadé que le monde existait indépendamment de nous, et qu'il évoluait « naturellement » vers le meilleur (vison darwinienne de l'évolution).
Eh bien non ! Le monde fait comme il peut et évolue cahin-caha de possible en possible. Il dérive, il tâtonne, il expérimente, il bricole.
Pourquoi tel événement s'est-il produit ? Simplement parce qu'il s'est produit… et non pas parce qu'il devait se produire. A tout instant, le champ des possibles est si vaste, que l'on peut le considérer comme infini.
Et voilà bien la meilleure garantie de nos libertés individuelles.
Si le monde évoluait de façon inexorable vers un « monde meilleur », nous n'aurions aucune marge de manœuvre, aucun espace dans lequel exprimer notre créativité. Nous serions prisonniers de forces qui nous dépassent, nous ne serions que les pions d'une évolution qui nous domine.
C'est parce que le moteur du monde est le désordre, l'incertitude et le tâtonnement que nous avons la possibilité d'entreprendre et de peser sur le cours des choses.
Alors vive l'émergence, vive la dérive… et vive l'incertitude !

20 déc. 2010

LE MONDE ÉMERGE AVEC NOUS

Nous sommes tous acteurs

Aucun objet n'a de sens ni de finalité en soi, le sens et la finalité émergent dans et par la relation avec ce qui l'environne : l'objet reste le même, mais le sens de l'objet et sa fonction sont dépendants de ce qui se trouve face à lui et de l'interaction entre les deux. De ce point de vue, on peut dire que le réel n'existe pas a priori, mais émerge de l'interaction avec ce qui est là.
La mécanique quantique et la relativité ont mis l'accent sur l'interdépendance entre ce que l'on observe et celui qui l'observe. C'est la même idée que l'on retrouve ici.

Telle est la logique de l'émergence : la réalité n'existe pas en tant que telle, elle n'est pas un absolu immuable mais naît de l'interaction entre l'observé et l'observateur. En reprenant la terminologie de Varela, elle « enacte ».
Il ne s'agit plus seulement de co-évolution, mais bien de co-dépendance instantanée : chacun donne un sens à l'autre, chacun est dépendant continûment de l'autre. On arrive ainsi à un triptyque : co-organisation, co-dépendance, co-évolution.

Finalement, la notion même d'environnement se dissout(1), aucune frontière n'étant ni stable, ni étanche : Edgar Morin parle de système auto-éco-organisateur dans lequel le système auto-organisateur « ne peut pas se suffire à lui-même, ne peut pas s'achever, se clore, s'auto-suffire. »(2)

(Sur même thème, voir aussi mon article : « Radar ou Jeu : Et si la réponse dépendait de l'observateur »)

(1) « Oubliez donc le mot environnement, usité en ces matières. Il suppose que nous autres hommes siégeons au centre d'un système de choses qui gravitent autour de nous, nombrils de l'univers, maîtres et possesseurs de la nature. » (Michel Serres, Le Contrat naturel, p.60)
(2) Edgar Morin, Introduction à la pensée complexe, p.46


Extrait des Mers de l'incertitude

17 déc. 2010

LE TEMPS EN CHANSONS

_____ Éditorial du vendredi ________________________________________________________________






16 déc. 2010

RÉGIME FLUVIAL OU TORRENTIEL ?

Le régime torrentiel n'est pas sans dangers...

Concernant un écoulement d'eau, il y a deux types de régime, le régime fluvial et le régime torrentiel. :
Selon Wikipedia :
« Pour un cours d'eau un même débit peut être obtenu de deux façons différentes :
Fr > 1 : régime torrentiel, avec une faible hauteur d'eau et une forte vitesse (équivalent d'un régime supersonique). Dans ce régime, le fluide est "tiré" par les forces qui le meuvent (la gravité le plus souvent), sans que la masse de fluide en avant soit une gène.
Fr < 1 : régime fluvial, avec une forte hauteur d'eau et une faible vitesse (équivalent d'un écoulement subsonique). Ce régime est "piloté par l'aval" : le comportement des particules en mouvement est contraint par celles qui les précèdent.
La transition du régime torrentiel au régime fluvial provoque un ressaut hydraulique (qui ressemble à un mascaret, mais n'en est pas un) : la hauteur d'eau s'accroit brusquement. »

Tout cours d'eau a une tendance naturelle à passer à un régime fluvial. Pour cela, il va creuser son lit, et emporter les obstacles. Le régime torrentiel n'est que provisoire :
  • à la naissance du cours d'eau (cas des torrents de montagne) : Dès que la pente diminuera, dès que la rivière aura suffisamment grandie, elle passera au régime fluvial
  • pour faire face à un accident de terrain : une fois l'accident franchi, le régime redevient fluvial ; la violence de l'eau du régime torrentiel va progressivement lisser cette difficulté, jusqu'à essayer de la supprimer
  • lors de pluies exceptionnelles : la taille du lit de la rivière peut se révéler insuffisant pour écouler la quantité d'eau tombée et l'écoulement devient alors provisoirement torrentiel. Les conséquences peuvent alors être catastrophiques pour tout ce qui se trouve sur le passage de l'eau (notamment les ponts…)
Quand une entreprise va vers sa mer, je crois aussi que le régime naturel est fluvial, c'est-à-dire calme, tranquille et posé, et qu'il ne faut passer en régime torrentiel, c'est-à-dire se précipiter, que pour faire face à des circonstances exceptionnelles. Sinon, comme quand l'eau devient torrent, les conséquences peuvent être désastreuses…

15 déc. 2010

TRANSFORMATION D’ENTREPRISE ET IDENTITÉ

Comme un fleuve, une entreprise se transforme en avançant

De la même façon que la Seine n'est pas l'eau qui est en train de passer sous le pont Mirabeau, ni seulement le fleuve qui passe là, comment définir ce qui fait qu'une entreprise reste elle-même quand elle subit une transformation profonde ? On retrouve la question de l'identité de l'entreprise. Comme indiqué précédemment, cette identité est reliée à la culture de l'entreprise et repose sur les règles qui la définissent. Elle ne se décide pas brutalement, elle est le résultat de son histoire. La Direction peut vouloir l'infléchir et la faire évoluer, elle ne peut pas la changer instantanément.

Enfin, l'identité de l'entreprise doit être partagée par tous, direction comprise, et ne peut pas être imposée : la Seine ne reste un fleuve face aux aléas que parce que toutes les molécules d'eau qui la composent suivent les mêmes règles communes. Soyons clairs, il ne s'agit surtout pas de dire que tout doit être aligné dans le détail : ces règles communes ne doivent définir que quelques principes qui viennent assurer la cohésion d'ensemble, sans tout rigidifier.

Ces questions peuvent sembler un peu théoriques et loin des préoccupations habituelles qui occupent les esprits des dirigeants. Je crois pourtant qu'il est important de chercher à y répondre si l'on veut maintenir ce qui soude une entreprise, ce qui lui permet d'être auto-organisée. Sinon, l'entreprise peut soit se déliter et se désagréger, soit se rigidifier : aucune Direction Générale ne pourra maintenir de force la cohésion de l'entreprise sans la détruire.

A force de ne pas s'intéresser à ce qui fait et a fait l'identité d'une entreprise, ou de simplement ne pas y prêter une attention suffisante, on risque de voir a posteriori bon nombre de salariés se désimpliquer, ne plus comprendre quel est leur rôle et ce que l'on attend d'eux, voire la quitter. Je peux rattacher bon nombre de problèmes actuels rencontrés par ces entreprises à cette non prise en compte.


Extrait des Mers de l'incertitude

14 déc. 2010

DENTS DE LA MER OU RETOUR DU JEDI ?

Quand Hollywood envahit notre monde…

Voilà que les Dents de la mer quittent Hollywood pour se retrouver dans la mer rouge : des requins viennent d'attaquer et de tuer une nouvelle touriste sur les plages de Charm el-Cheikh (voir l'article du Monde : « Charm el-Cheikh visée par des attaques meurtrières de requin »). Comme le dit l'article dans un sous-titre avec un « understatement » très british : ce n'est pas normal !
Est-ce un nouveau signe du risque de désagrégation que j'évoquais dans mon article de mardi dernier ?

Dans ce cas, devons-nous nous attendre à une Tour infernale ou à l'ouverture de la faille de San Francisco ? A moins que nous subissions une invasion d'extra-terrestres comme dans « Mars attacks ! » ?

Comme je reste optimiste et suis certain que nous allons finir par basculer du bon côté de la force, je pense que nous allons plutôt voir arriver le retour du Jedi !

13 déc. 2010

« ON NE DOIT PAS S’INTERDIRE DE RALENTIR LA BOURSE »

Quand accélérer a-t-il une utilité sociale ?

Il est suffisamment rare de voir un dirigeant en appeler à un ralentissement, pour ne pas relever les propos tenus le 9 décembre dernier par Jean-Pierre Jouyet, Président de l'Autorité des marchés financiers, dans le Monde et repris par le Figaro.
Dans cet article, en réponse à la question « Doit-on ralentir le marché ? », il répond :
« Cela relève plus d'une réflexion du G20 que de l'Europe, mais il faut réfléchir à ce qu'apporte cette accélération des échanges : quels sont les bénéfices financiers, économiques, pour quelle utilité sociale ? On ne doit pas s'interdire de ralentir les transactions si cela fait courir un risque systémique et facilite les abus de marché. »

Enfin la bonne question : en quoi, l'accélération des échanges crée-t-elle une valeur réelle ? Et j'ajouterais : en quoi la volonté de tout faire plus vite, crée-t-il une valeur réelle ?
Comme j'aime à le dire, on ne peut pas réfléchir vite à long terme. Ou encore, s'il suffisait de courir pour être efficace, toutes les entreprises le seraient, car je n'y vois que des gens courir (1)
Il est donc urgent de prendre le temps… de réfléchir sur le temps et la vitesse. Mon propos n'est évidemment de proposer de tout ralentir, mais de se poser la question de l'adéquation entre la vitesse et le sujet traité.

(1) Voir « À force de zapper, on ne sait plus prendre le temps de la réflexion : Prendre son temps, est-ce perdre du temps ? » et « Ne plus être malade du temps : On ne peut pas penser vite à long terme »

10 déc. 2010

CERTAINS NE CHANTENT PAS POUR NE RIEN DIRE...

_____ Éditorial du vendredi ________________________________________________________________







9 déc. 2010

POURQUOI LUTTER CONTRE L’INCERTITUDE, C’EST LUTTER CONTRE LA VIE

Un nouvelle critique de mon livre

EPEE, société de conseil en intelligence stratégique, créée pour servir et accompagner le développement international des entreprises françaises et européennes, vient de mettre en ligne une critique de mon livre « les mers de l'incertitude » (voir l'article). La voilà in extenso.

« COMMENT DIRIGER AVEC L'INCERTITUDE

Prévisions démenties, informations contradictoires, statistiques battues en brèche, événements inattendus, retournements de situation, surprises « stratégiques », crises imprévues,… l'incertitude est omniprésente dans notre quotidien, privé ou professionnel. Dans la sphère de l'entreprise (où nombre d'entre nous passons plus de temps que dans nos familles), dirigeants et responsables doivent composer avec elle tout en assurant le maximum, possible, de sécurité et de sérénité au sein des équipes et dans leurs relations avec leur environnement.
Entre renforcement et emprise constante d'une discipline collective affirmée autour d'objectifs précis et chiffrés, que l'on espère fédérateurs et assurant la rentabilité à long terme « contre vents et marées », et politique de « l'abandon consenti aux aléas » dont il convient au contraire de tirer avantage en privilégiant la rentabilité à court terme, quel parti choisir ?
Pour Robert Branche, polytechnicien, ingénieur des Ponts et Chaussées, haut fonctionnaire (peu de temps !) puis responsable de la stratégie chez L'Oréal (1), et aujourd'hui consultant auprès des dirigeants de plusieurs grands groupes français, une troisième voie existe pourtant, qu'il explore dans cet ouvrage tout à fait original, aux titres et sous-titres intrigants et un brin provocateurs.
Fort d'une longue expérience du conseil stratégique, il développe ici l'idée selon laquelle « une entreprise, comme un fleuve, doit se fixer pour objectif une mer, qui sera son attracteur stable dans les aléas de l'incertitude ».
Mais quand on a écrit cela… il convient d'en dire plus et surtout de le démontrer faute à passer pour un doux rêveur, ce que n'est à l'évidence pas notre auteur ! Alors, après, dans une longue mais indispensable première partie, exposé pourquoi l'incertitude n'est pas provisoire mais bien structurelle, « pourquoi elle n'est pas le témoin de l'incomplétude de notre savoir, mais le moteur permanent de notre monde », et pourquoi « lutter contre elle, c'est lutter contre la vie même », Branche s'attache à répondre, avec une multitude d'exemples concrets tirés de la réalité de la vie de ses « clients », aux trois questions suivantes : quelle attitude doit avoir le dirigeant ? Comment doit-il se fixer un ou des objectifs ? Comment doit-il agir au quotidien ?
Ceci en évitant deux pièges symétriques : penser que l'on peut s'abstraire de l'incertitude : « mon entreprise est protégée ; elle maîtrise son futur et s'organise en conséquence ; elle sait mieux que les autres et le futur sera ce que j'ai prévu pour elle » et a contrario, renoncer à toute anticipation et confier son avenir à la chance : « puisque rien ne peut être prévu de façon fiable, seule l'action immédiate compte ; il est illusoire de penser le futur ». Autant de citations exactes entendues, ici reproduites par l'auteur…
… Qui recommande plutôt de tirer parti de l'incertitude, de « diriger en lâchant prise », en « abandonnant l'idée de prévoir et planifier au-delà de l'horizon immédiat », en refusant de « tout contrôler et tout piloter depuis le sommet (…), de se laisser emporter par les mouvements ambiants, de mieux maîtriser « son » temps, et d'accepter les intuitions ».
Sauf et seulement, consent-il, si l'entreprise est dans une situation d'urgence extrême, si sa survie à court terme est en jeu, si le dépôt de bilan menace…
Nous n'en dirons pas plus pour laisser à ceux que ce concept de management novateur intéresse découvrir par eux-mêmes pourquoi Robert Branche conseille à ses clients de « faire le vide », sans a priori, de ne plus être « malades du temps », tout en étant « intensément attentifs », de ne plus « tout prévoir sur tableur Excel » mais de « choisir à partir du futur et des « mers » accessibles pour choisir au présent », d'apprendre à « mettre du flou dans l'organisation », renforçant ainsi singulièrement la résilience de l'entreprise.
Et pour ceux que ce concept de « mer » intriguerait toujours, je leur conseille à mon tour la lecture (pour commencer…) des pages 108 et 109, qui ne devrait pas les laisser indifférents. »


(1) En fait j'ai été chef de groupe marketing, et non pas responsable de la stratégie