10 janv. 2011
ON NE DOIT PAS OPPOSER MANAGEMENT ET INCERTITUDE
Conférence faite le 16 décembre à la convention des cadres du Conseil Général de l'Eure
7 janv. 2011
TROIS FORMES DE SOUHAITS EN CHANSON
_____ Éditorial du vendredi _______________________________________________________________
6 janv. 2011
ON FAIT SON ANNÉE COMME ON LA VIT
Bonne année à tous !
Il s'agit souvent de vœux de bonne santé. Dans ce cas, pas de soucis : effectivement, nous sommes d'abord des enveloppes physiques et notre cerveau – et donc ce qui supporte notre pensée et notre identité –, est un viscère. Aussi la santé est-elle un pré-requis à tout le reste. Mens sana in corpore sano, comme l'a dit un de nos romains ancêtres…
Mais pour le reste… Comment définir ce qui est meilleur, et comment le souhaiter à l'avance ? Tout est tellement aléatoire, incertain et personnel. Toute rupture, même douloureuse et subie, peut être à l'origine d'un nouveau départ. Tout succès apparent peut être l'occasion d'un endormissement et de la perte d'autres vraies opportunités.
Ceci ayant été précisé, bonne année à tous les lecteurs de ce blog !
Voilà donc arrivé le moment de vœux de bonne année. Je ne veux évidemment pas déroger à cette tradition bien établie et sympathique puisqu'elle consiste à souhaiter le meilleur à ceux que l'on connaît et avec qui on est contact.
Mais que veut dire : souhaiter le meilleur ?
Il s'agit souvent de vœux de bonne santé. Dans ce cas, pas de soucis : effectivement, nous sommes d'abord des enveloppes physiques et notre cerveau – et donc ce qui supporte notre pensée et notre identité –, est un viscère. Aussi la santé est-elle un pré-requis à tout le reste. Mens sana in corpore sano, comme l'a dit un de nos romains ancêtres…
Mais pour le reste… Comment définir ce qui est meilleur, et comment le souhaiter à l'avance ? Tout est tellement aléatoire, incertain et personnel. Toute rupture, même douloureuse et subie, peut être à l'origine d'un nouveau départ. Tout succès apparent peut être l'occasion d'un endormissement et de la perte d'autres vraies opportunités.
Je crois vraiment que l'on réussit son année si l'on la construit jour après jour en saisissant ce qui se présente et en sachant aussi s'arrêter régulièrement pour prendre du recul. Un proverbe dit « on fait son lit comme on se couche ». En le paraphrasant, je dirais : « on fait son année comme on le vit. »
Ceci ayant été précisé, bonne année à tous les lecteurs de ce blog !
5 janv. 2011
NOUS AVONS BESOIN DE “TOY TRAINS”
BEST OF 2010 (publié les 20 et 21 octobre)
Pourquoi ne pas promouvoir le voyage arrêté ?Dans les contreforts de l'Himalaya, dans les derniers kilomètres arrivant à Darjeeling, un train pousse à l'extrême la lenteur, puisque sa vitesse moyenne est inférieure à dix kilomètres par heure. Mais qu'importe ! Il n'est pas vraiment là pour permettre de se déplacer, mais simplement pour venir souligner la route sinueuse et les paysages escarpés. Pour ceux qui veulent aller plus vite, il y a les jeeps. Mais parler de vitesse même dans ce cas serait abusif, car, vu l'état de la route et la difficulté de procéder au moindre croisement, la vitesse moyenne est de vingt kilomètres par heure. Cette lente approche vers Darjeeling est une saine préparation à ce pays des brumes et du flou. Lent et progressif atterrissage.
Alors quitte à aller lentement, autant prendre le train ! Tiré par une locomotive à vapeur, il rappelle des images vues dans de vieux films. Sensation d'être au cœur d'une reconstitution historique. Ce train est appelé « Toy train », le train jouet. Je trouve cette appellation injuste et pour tout dire irrespectueuse de ce train qui fait ce qui peut et qui, finalement fait ce que l'on attend d'un train : il nous déplace ! Il est vrai qu'il ressemble à ces trains Märklin qui ont bercé mon enfance, mais pourquoi l'afficher ainsi ? Il pourrait se vexer, alors à quoi bon.
Ce train circule au milieu des voitures, des boutiques, des maisons, de la vie. Un anti-TGV sur tous les points ! Pas de barrières qui l'entourent, un confort plus que relatif, des arrêts fréquents pour remettre de l'eau dans la machine, la possibilité en côte de descendre du train et de remonter sans difficulté… Le TGV n'a pas à faire son fier, j'aimerais bien voir ce qu'il serait capable de faire sur les pentes raides qui vont à Darjeeling !
Comme les voitures, le train klaxonne, ou plutôt siffle, pour annoncer son passage et écarter ceux qui se trouvent sur sa voie, humains, animaux ou voitures. Car le train ne va pas s'arrêter, alors tout le monde se pousse. Dommage qu'il n'y ait pas de vaches dans ce coin, car j'aurais aimé voir qui allait gagner : le train allait-il arriver à faire se déplacer les flegmatiques vaches indiennes qui, se sachant sacrées, n'ont aucune raison de se faire du souci pour leur survie ? Pourquoi bouger ?
- Voir ci-dessous le film que j'ai pris sur le « Toy Train » -
Assis dans le train, je ne pense plus au déplacement – peut-on encore parler de déplacement à cette vitesse ? – et me laisse glisser dans une douce paresse. Je repense à cette chanson de Bénabar dans laquelle une jeune femme fait tout ce qu'elle peut pour arriver en retard. Elle cherche le moyen de déplacement le plus lent, espère manquer sa correspondance, choisit l'itinéraire le plus long. Comme je la comprends. Moi aussi, assis dans ce train, pris par la magie du train, la lenteur de ce paysage qui ne défile pas, mais glisse doucement, absorbé par les brumes de Darjeeling qui absorbent tout progressivement, je m'endors doucement
Prendre ce train, c'est aussi un peu comme lire Proust : une délicieuse sensation de surplace, d'approfondissement de la compréhension, de capacité à zoomer dans les détails du paysage comme Proust zoome à l'intérieur des situations.
Moi qui aime me sentir me déplacer pour avoir le temps de me préparer, je suis comblé ! J'aurais tellement ralenti que je vais avoir le plus grand mal à repartir de Darjeeling. Pourquoi aller ailleurs ? Pourquoi bouger ? Pourquoi voyager ?
Je suis loin de celui que j'étais dix ans plus tôt. Alors habitué à vivre professionnellement dans et entre les avions – le temps passé dans les avions était alors quasiment le seul disponible à la réflexion –, j'étais venu en Inde pour changer de millénaire : deux jours à Bombay, deux jours à Goa, puis à nouveau 2 jours à Bombay, six jours en tout en Inde. A un ami qui m'avait fait remarqué que c'était court, j'avais alors répondu : « mais j'ai passé deux nuits de suite au même endroit, où est le problème ? ».
Assis dans le « toy train », je suis conscient d'être arrivé à un autre extrême, mais est-ce vraiment un extrême ? Est-ce qu'en courant, en zappant, on est efficace ? Comme j'ai souvent eu l'occasion de le dire ou de l'écrire, s'il suffisait de courir pour être efficace, toutes les entreprises le seraient, car je ne vois que des gens qui y courent…
Pourtant quand survient une catastrophe comme le nuage de cendres islandais, ces mêmes dirigeants, si pressés, si indispensables, se retrouvent bloqués à l'autre du bout du monde et se rendent compte que le système continue à fonctionner sans eux. Forts de ce repos forcés, ils ont eu du temps libre devant eux…
Nous devrions promouvoir un peu partout des « toy trains », des espaces où le temps et le mouvement s'arrêteraient pour permettre à tout un chacun à réfléchir à ce qu'il fait.
4 janv. 2011
IL EST MOINS DANGEREUX D’INVENTER UN LION QUE D’EN MANQUER UN
BEST OF 2010 (publié le 7 septembre)
Nous avons été sélectionnés pour notre capacité à nous inventer des ennemisDans sa conférence diffuse par TED (voir ci-dessous), Michael Shermer parle de notre propension à construire des causalités artificielles.
Il commence en disant : « Croire est notre état naturel, notre option par défaut… L'incrédulité, le scepticisme, la science ne sont pas naturels. C'est plus difficile, plus inconfortable de ne pas croire. » D'où cela vient-il ? De nos origines animales.
Ainsi qu'il l'explique, quand on est dans la jungle, il vaut mieux se tromper en prenant le bruit du vent pour celui de la marche du lion que l'inverse : dans le premier cas, on a seulement fait une erreur de jugement et on n'en ressort qu'un peu plus stressé, mais toujours vivant ; dans le deuxième cas, on n'aura aucune chance de s'améliorer, car on sera devenu le déjeuner du lion. Il fait donc l'hypothèse que l'évolution a renforcé les individus qui attribuaient des causes à tout ce qu'ils percevaient.
D'où notre tendance à chercher constamment ce qui est caché derrière ce que l'on voit ou entend, ce qu'il appelle notre « pattern-seeking brain process ».
Au besoin, non seulement nous « inventons » des liens, des configurations, mais nous leur prêtons des intentions : d'abord le bruit que nous entendons, n'est pas le fruit du hasard, ensuite il devient provoqué par quelque chose qui poursuit un but, celui de nous attaquer. Nous passons ainsi de la création de liens artificiels à l'invention de buts et de finalités.
Et, plus notre survie sera en jeu, la situation incertaine, notre sensation de contrôle faible, plus nous inventerons des menaces qui rodent et rampent autour de nous.
A méditer…
3 janv. 2011
« AYEZ LE COURAGE DE SUIVRE VOTRE CŒUR ET VOTRE INTUITION »
BEST OF 2010 (publié le 6 septembre)
Quand Steve Jobs parle de son adoption, de son échec à 30 ans et de la mort…
Le 12 juin 2005, Steve Jobs est intervenu lors de la remise des diplômes de l'Université de Stanford (voir la vidéo ci-dessous). En quinze minutes, il explique comment trois épisodes clés de sa vie ont construit l'homme qu'il est. Ces moments sont éminemment personnels. En voici le résumé :
- « Vous ne pouvez pas relier des événements à l'avance, vous ne le pouvez qu'en regardant en arrière »(1) : Dans la première, il raconte qu'il a été adopté, car sa mère biologique voulait qu'il puisse suivre des études universitaires, et qu'elle savait n'en avoir jamais les moyens. Des années plus tard, il fut effectivement admis à l'Université, mais ne put finalement faire face aux coûts de la scolarité que pendant six mois. Il a alors quitté le parcours officiel pour ne suivre que les cours qui lui plaisaient vraiment. C'est ainsi qu'il s'est intéressé à l'art de la calligraphie. Dix ans plus tard, c'est ce qui lui permit de donner naissance au design d'Apple et à sa typographie.
- « La seule façon de faire du bon travail est d'aimer de ce que l'on fait »(2) : Dans la deuxième, il explique comment il a été licencié de l'entreprise qu'il avait créée, Apple. A trente ans, il a dû se remettre en question et supporter la perte de ce qu'il avait construit. Après un moment de doute, il a compris que, même rejeté, il aimait toujours ce qu'il avait fait et qu'il devait recommencer de nouvelles aventures. Sont ainsi nés Pixar et Next. Pixar a révolutionné le monde des dessins animés, et Next a finalement été rachetée et sa technologie est au cœur aujourd'hui d'Apple.
- « Si ce jour était le dernier jour de ma vie, est-ce que je voudrais faire ce que j'ai prévu de faire aujourd'hui ? »(3) : Dans la troisième, il dit que l'arrivée possible de la mort a toujours conduit ses choix. Face à la mort, on comprend que l'on n'a rien à perdre. Il y a un an, il a appris qu'il avait un cancer du pancréas et qu'il n'avait plus que quelques mois à vivre. Finalement il s'est avéré qu'il avait une des rares formes de ce cancer susceptible d'être traité, et le voilà donc aujourd'hui guéri.
Il termine en disant aux étudiants que, reprenant une devise qu'il avait toujours suivie, de « rester affamé et stupide »(3) !
Au-delà de la richesse et la profondeur des propos tenus, ce qui me frappe est leur sincérité et la capacité de Steve Jobs à parler vrai : il parle simplement de lui-même, montrant qu'il n'y a pas deux Steve Jobs, l'un qui dirige Apple, l'autre qui est un homme privé. Il est un et unique, et c'est sa force.
Imaginerait-on un dirigeant français être capable de tels accents de sincérité et de se mettre ainsi en jeu aussi personnellement ? Et un homme politique ?
(1) "You can't connect the dots looking forwards, you can only connect them looking backwards."
(2) "The only way to do great work is to love what you do"
(3) "If the day was the last day of my life, would I want to do what I am about to do today?"
(4) "Stay hungry, stay foolish"
31 déc. 2010
“WHY MUSIC? BECAUSE WE LOVE MUSIC”
BEST OF 2010 (publié le 6 juillet)
Les mers sont des besoins fondamentaux de l'humanité et du monde
« Une mer est un besoin fondamental et stable qui, quels que soient les aléas, va structurer le fonctionnement de notre société à long terme, orienter les évolutions, et attirer vers lui les courants. Cela peut être un des éléments constitutifs de notre écosystème social, comme la beauté, la communication, les loisirs, le déplacement, l'alimentation, la sexualité… Ou encore un des composants indispensables au fonctionnement des processus comme la gestion des gaz, les déchets, l'énergie. (…)
Quand vous demandez à L'Oréal de définir sa stratégie, il va répondre la beauté de la femme, et plus récemment celle de l'homme. Il a précisé sa mer en ne s'intéressant pas à toute la beauté, mais à celle qui a trait à la peau, au cheveu et au parfum. Il mobilise ainsi trois de nos cinq sens : la vue, le toucher et l'odorat.
De même Nestlé avec la nutrition et la santé (mer aussi visée par Danone), Saint-Gobain avec l'habitat, Total avec l'énergie ou Air Liquide avec la gestion des gaz. »(1)
Quand Steve Jobs lance le 23 octobre 2001 l'iPod, il ne sort pas de grandes statistiques, ni ne fait de prévisions détaillées.
Que dit-il ?
- La musique est une mer : « C'est une part de la vie de chacun », « Ce n'est pas un marché spéculatif »,
- On peut améliorer l'accès à cette mer : « Personne n'a encore trouvé la recette pour la musique numérique »,
- Apple a trouvé des réponses multiples : « Toute votre bibliothèque musicale tient dans votre poche », « Ultraportable », « Dix heures d'autonomie »,
- Apple est légitime : « Les gens font confiance à Apple », « Nous aimons la musique », « iMac, iBook, iPod », « Apple design »
(1) Extraits des Mers de l'incertitude p.109-110
30 déc. 2010
IL Y A UNE DISSOCIATION ENTRE LE TEMPS HUMAIN ET LE TEMPS DE L’INFORMATIQUE
BEST OF 2010 (publié le 14 avril)
Le temps n'a pas de vitesseEn 2008, Stéphane Paoli a réalisé un documentaire centré sur le philosophe français, Paul Virilio. Ce film intitulé « Penser la Vitesse » est une réflexion riche sur le temps (diffusé sur Arte et disponible sur Arte Vidéo).
En voici, un patchwork :
« Un original, une œuvre d'art intègre de la durée. Avec un clic de souris, on peut copier tout en numérique et l'envoyer au monde entier. (…) Il faut faire de sa vie un original, c'est-à-dire une œuvre d'art. » (Joël de Rosnay)
« Le temps n'a pas de vitesse. (…) Ceci sous-entendrait que le temps se déplace par rapport à lui-même. (…) Ce qui accélère, c'est ce qui se passe dans le temps et pas le temps lui-même. » (Etienne Klein, physicien CEA)
« La vitesse, c'est la violence suprême. Avec une main, on peut caresser ou gifler. » (Paul Virilio)
« Le monde virtuel, c'est le sixième continent. C'est un substitut à la patrie. C'est une colonie de substitution. » (Paul Virilio)
« On a une synchronisation des émotions, une mondialisation des affects en temps réel. (…) Une communauté d'émotions remplace les communautés d'intérêts. » (Paul Virilio)
« On est au bord du monde la totalité. Il va falloir gérer le tragique de la situation. (…) Le 20ème siècle m'apparait vraiment obsolète. (…) C'est tragique, mais pas triste. » (Paul Virilio et Enki Bilal)
« Un optimiste, c'est un homme qui voit une chance derrière chaque calamité. » (Winston Churchill)
« Avec l'informatique, on est passé à la nanoseconde, la picoseconde. Ce sont des temps plus rapides que le temps humain. (…) Il y a une dissociation entre la perception et la vitesse des échanges : c'est très aliénant. » (Jeremy Rifkin, Foundation on Economic Trends),
« Plus la vitesse s'accroît, plus l'impatience aussi. On a de moins en moins d'attention et de concentration, on zappe, car on est distrait par la quantité de l'information permanente, le bruit. (…) Notre cerveau n'est pas multitâche. (…) Nous sommes moins concentrés, moins attentifs, moins introspectifs, moins prospectifs, toutes qualités nécessaires pour affronter ce monde complexe. » (Jeremy Rifkin)
« On ne peut pas s'ajuster à la vitesse et à la densité des échanges. On prend des drogues pour essayer de se réadapter (car la drogue accélère ou ralentit notre référentiel temporel). Il y a un décalage entre la temporalité personnelle et celle de la société. » (Jeremy Rifkin)
« Dieu est si efficace qu'il peut exiger quelque chose, et que ça arrive sans aucune durée, sans que le temps s'écoule. Instantanément. (…) Le niveau suprême d'efficacité, c'est optimiser le rendement dans un laps de temps si court qu'il n'y a plus de durée. (…) Ainsi on est constamment en vie. » (Jeremy Rifkin)
29 déc. 2010
UN DIRIGEANT NE DOIT PAS ÊTRE UN SHOW MAN, MAIS UN “CHAUX-MAN”
BEST OF 2010 (publié les 27, 28 et 29 mars)
"CHAUX" TIME
Nous vivons de plus en plus dans un monde de l'immédiateté et de l'apparence :
- Comme j'ai déjà eu l'occasion de l'écrire à de multiples reprises, nous vivons de plus en plus dans l'instant et nous avons un rapport maladif avec le temps. Nous avons peur de perdre du temps, alors que le temps est une des rares choses que l'on ne peut pas perdre (voir « Non, vous ne perdez jamais du temps ! »)
- Parallèlement, nous ne prenons plus le temps (eh oui, le temps est là à nouveau…) de réfléchir et de comprendre. Du coup, nous en restons aux apparences et à la surface des phénomènes. Nous ne sommes même plus victimes des modes, nous vivons au travers d'elles et grâce à elles.
Mais si un modèle mathématique nous démontre que tel phénomène est en train de se produire, ou même risque de se produire…
Mais si Internet véhicule vers nous la nouvelle nouvelle, l'information brute sans intermédiaire ou le scoop venant de nulle part…
Alors tout le système média-politique s'emballe… et chacun d'entre nous le relaye sans problème.
Auparavant nous ne nous levions que pour faire des holàs dans des stades ; aujourd'hui le monde entier fait des holàs numériques.
Sans réfléchir, nous passons collectivement d'un tsunami thaïlandais à des cendres islandaises, d'une crise des subprimes au dernier incident amoureux de David Beckham. Nous nous émouvons d'un réchauffement climatique potentiellement à venir, tout en laissant mourir de faim ou du sida une partie de l'Afrique…
Je suis assis sur la terrasse de ma maison perdue dans la campagne provençale quand je tape ces lignes. Et j'ai dans les mains encore les traces de cette chaux que je viens d'appliquer au mur Est de mon hangar. « Chaux » time…
Je viens de passer une bonne partie de l'après-midi à reprendre à la chaux le mur Est du hangar de ma maison en Provence. En fait, j'ai commencé cela depuis quelques jours.
J'aime cette activité où l'on travaille à la fois sur l'apparence des choses – si le mélange de sables a été judicieusement fait, le mortier à la chaux se fond en une aquarelle qui vient souligner le contour des pierres –, et sur la solidité du mur – la chaux est d'abord là pour maintenir les pierres en place et les lier entre elles.
C'est aussi une matière naturelle que l'on mélange avec du sable et de l'eau. Du choix des sables dépendra l'apparence : comme un peintre joue de la palette de ses couleurs, je vais jouer de celle de mes sables. Plus ou moins fin, avec ou sans des particules colorées, jaune, blanc ou gris…
Ensuite la mise en œuvre d'un mortier à la chaux ne peut pas être accélérée, il faut en respecter les rythmes et les caprices.
D'abord l'application du mortier. A coups de truelle, on vient garnir les pierres de mortier. Au besoin, de ci de là, on met une pierre si le mur est trop dégarni. Puis environ une heure après, toujours avec la truelle, on écrase le mortier pour renforcer son adhérence et on enlève ce qui est en excès. On se sert aussi de ses doigts – un conseil : n'oubliez pas de porter des gants en caoutchouc si vous ne voulez pas voir votre peau disparaître au fur et à mesure que le mur se reconstruit. Un peu après – la durée n'est pas fixe. Elle est fonction de l'épaisseur de mortier mis et de la température extérieure. Il va falloir prendre le temps d'observer… –, avec une brosse métallique, on enlève tout le mortier qui recouvre les pierres et on creuse entre les pierres.
Rejointer un mur à la chaux est donc bien une activité qui joue sur l'apparence, mais qui sait dépasser l'immédiateté.
Un « chaux » time qui n'est plus un show-time.
J'ai comme l'impression que l'on devrait proposer des stages de mortier à la chaux à bon nombre de nos concitoyens…
Bizarrement, je ressens de plus en plus ce travail à la chaux comme une métaphore pertinente pour approcher ce que doit être le rôle d'un dirigeant.
Lui aussi, il doit se préoccuper de trouver le bon liant, celui qui va venir assurer les bonnes liaisons, celui qui va donner force et cohésion à l'ensemble. Ce liant doit venir se fondre avec ce qui préexistait. Des mois ou des années plus tard, il doit être encore là, mais invisible, noyé dans la masse. Ce liant doit aussi laisser respirer, il ne doit pas constituer une chape de plomb, mais, comme la chaux sait laisser l'humidité, l'action du dirigeant doit fluidifier les échanges et non pas les contraindre. Un liant souple, perméable, naturel…
Lui aussi, il est confronté au rythme et au bon enchaînement des gestes. Au début de l'action, un maximum de fluidité est nécessaire, mais pas trop non plus : comme le mortier à la chaux, il doit avoir cette consistance pâteuse, mi-fluide mi-solide, qui va se glisser là où il faut. Puis il va falloir suivre le durcissement du mortier, l'effet des actions. Venir appuyer un peu là, enlever ce qui est en trop… Enfin, quand les choses seront en place, mais pas encore tout à fait figées, venir faire un dernier lissage.
Le métier d'un dirigeant n'est surtout pas de faire du spectacle, cela ne doit pas être un show-man… mais je le vois bien être un « chaux-man ».
28 déc. 2010
LA VIE N’APPORTE JAMAIS CE QUE L’ON CHERCHE
BEST OF 2010 (publié le 1er mars)
Télescopage entre Tetro et le Prophète ou quand Coppola répond à Audiard…Deux jeunes hommes, sortis depuis peu du monde de l'adolescence, poussent une porte qui fera que leur vie ne sera plus jamais la même.
L'un la pousse volontairement : Bennie, échappé du domicile paternel, tout habillé du blanc de son uniforme de marin, pénétrant dans l'appartement de son frère. Ce frère, nettement plus âgé que lui, l'a abandonné brutalement, sans un mot, sans une explication, le laissant désemparé. Il le retrouve ici à Buenos Aires, au milieu des jeux du théâtre et de la musique. Est là aussi celle qui a recueilli son frère et peu à peu aider à se reconstruire.
Petit à petit, Bennie va se rapprocher de ce frère qui cherche à le garder à distance. Il était venu pour fuir son père et retrouver son frère. Entremêlé dans les fils de son passé, prisonnier d'une histoire qui est bien la sienne, mais à laquelle il ne peut rien, le voilà qui finira par trouver ce qu'il n'aurait jamais pouvoir imaginer trouver. Celui qui était son père au début en sera pour une deuxième mort…
Petit à petit, Malik va faire son chemin, décryptant instinctivement les règles de ce monde qui n'était pas le sien. Se fondant dans le paysage, retournant à son profit ce que les autres prennent pour sa faiblesse, le voilà qui finira par devenir le caïd. Celui qui était son protecteur au début sera sa victime.
Drôle de parallélisme entre deux résurrections : l'une en forme de rédemption, l'autre de damnation. L'un croyait savoir ce qu'il cherchait, l'autre ne cherchait rien. L'un perd définitivement le frère qu'il voulait pour y gagner un père auquel il ne croyait plus, l'autre s'insère dans la société au moment où celle-ci a voulu l'enfermer. Les deux en viennent à tuer leur père d'origine. Et à chaque fois, la vie vient apporter des réponses à des questions que l'on ne se posait pas…
PS : Sur le film Tetro, allez lire l'excellent texte de Paule Orsoni : "Garde le fil qui te lie à ton âme"
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