9 mars 2012

TÉLESCOPAGES D'IMAGES...

Puzzles
Quand les photos remplacent les mots
Du bois, des pierres et un veilleur ...
Des pierres, du bleu et une ombre ...
Trois verticales ...
Quand les éclairs viennent du sol ...

8 mars 2012

NE PAS TOUT DÉFINIR, NE PAS TOUT OPTIMISER

Savoir lâcher prise - Le management par émergence (7)
Après le lien entre mer et action, la paranoïa optimiste et la facilité, voici le quatrième point nécessaire à une émergence efficace : le flou.
Là encore, pour les lecteurs réguliers de mon blog, ou ceux qui ont lu mon livre les Mers de l’incertitude, il ne s’agit pas d’une idée neuve. Quelle est-elle ?
Elle part une fois de plus d’une idée toute simple : comment on ne peut pas, par construction, prévoir ce que l’on ne connaît pas, si l’on ajuste exactement une entreprise à la vision actuelle que l’on a de la situation future, on la rendra cassante et elle ne pourra pas faire face aux aléas à venir.
C’est pourquoi le sous-titre de mon livre est : une entreprise anorexique ne peut pas faire face aux aléas, et que j’y écrivais : « Je sais combien ceci va aux antipodes de la tendance actuelle qui cherche par tous les moyens à accroître la rentabilité des entreprises : on coupe tout ce qui ne sert apparemment à rien, on comprime tout ce qui n’est pas lié directement avec ce qui est planifié. Mais si l’on améliore les résultats immédiats, on se prépare pour un mort future certaine. L’anorexie managériale en quelque sorte : des entreprises devenues tellement maigres qu’elles vont être emportées par la première bourrasque. »
Donc place au flou.
Est-ce donc à dire qu’il ne faut pas se préoccuper de l’allocation des ressources, et que l’on peut dépenser sans compter ? Évidemment non !
Pour prendre une image : si pour démonter une prise, une personne est suffisante, inutile d’être à deux…
Non, ce qu’il faut préserver, c’est une part de flou, c’est-à-dire des ressources en temps, en argent et en moyens techniques non affectées pour pouvoir faire face à l’imprévu, pour permettre d’inventer, pour autoriser des émergences créatives.
Quelle quantité de flou ?
Le plus possible, en fonction de la rentabilité de l’entreprise et des moyens requis pour tout ce qui est déjà engagé et planifié. En d’autres mots, priorité d’abord à l’accomplissement de ce qui est prévu à court terme : inutile de se donner une souplesse pour le futur, si l’on n’est pas capable de faire face aux contraintes de la situation actuelle.
Ce flou ne doit pas être réservé à des fonctions d’état-major ou d’encadrement. Il faut le répartir dans toute l’entreprise, et apprendre à chacun à s’en servir pour tirer parti de ce qui se présente, saisir une opportunité nouvelle, s’engager dans une pente naturelle qui était restée jusqu’à présent cachée, entreprendre une action qui va rapprocher un peu de la mer visée…
L’idée de flou doit aussi être intégrée dans la conception du rôle de chacun et dans le dessin des organisations. Comme il est impossible de tout optimiser, de tout prévoir, de tout planifier, pourquoi vouloir tout définir ? Pourquoi ne pas lâcher prise, et accepter de laisser le futur répondre à ce que l’on ne sait pas aujourd’hui ?
(à suivre)

7 mars 2012

ÉVITONS LE TRIATHLON SI L’ON NE SAIT PAS NAGER

Rechercher la facilité pour pouvoir faire face à l’imprévu - Le management par émergence (6)
Comment passer de la métaphore des caravanes de l’Ouest américain sur laquelle je finissais mon article d’hier, a un éloge de la facilité ? N’y a-t-il pas une contradiction à vouloir allier les deux ?
Non, je ne crois pas… à la condition expresse de ne pas faire de contresens sur la notion de facilité : je ne l’emploie pas dans le sens occidental du terme, c’est-à-dire celui d’une paresse ou d’une inclination à fuir la difficulté, mais dans le sens asiatique, c’est-à-dire celui de la pente naturelle ou de l’inclination à fuir l’adversité.
Pour ceux qui ne l’ont pas encore lu, je conseille fortement la lecture de la Conférence sur l’efficacité de François Jullien. Ce court ouvrage – il ne comprend que quatre-vingt-douze pages – est un modèle de concision et de clarté. Sa qualité est une forme de démonstration de l’efficacité dont il traite ! Dans mon article Le grand général remporte des victoires faciles, j’en ai donné mon best of.
J’aime particulièrement ce qu’il dit des plantes et de la façon dont elles poussent : « Méditer la poussée des plantes : Ni volontarisme, ni passivité ; mais, en secondant dans le processus de poussée, on tire parti des propensions à l'œuvre et les porte à leur plein régime. (…) Comme est indirect de biner au pied de la plante pour la faire pousser. (…) On ne voit pas la plante pousser. (…) La grande stratégie est sans coup d'éclat, la grande victoire ne se voit pas. »
Sur ce même thème, j’écrivais dans les Mers de l’incertitude : « Comme un fleuve, la voie vers la mer doit « couler de source », elle doit prendre appui sur la géographie de l’entreprise : les tendances de fonds de la situation actuelle ; les savoir-faire de l’entreprise, sa position, son histoire, ses hommes ; ceux de la concurrence actuelle et potentielle… On teste la faisabilité du chemin à parcourir sans entrer dans le détail, car il est inutile et même dangereux de vouloir dessiner trop précisément le chemin : il se dessinera au fur et à mesure de l’avancée en fonction. »
De ce point de vue, la culture judéo-chrétienne nous a vraiment bien peu préparés à cette recherche de la facilité. Je vois trop de dirigeants qui se font les chantres de l’effort, de la transpiration, de montagnes à escalader… Pour eux, seule, la recherche de la difficulté semble noble.
Mais si l’on part à contre-courant, si, dès le départ, on n’a pas privilégié ce qui était le plus naturel, comment faire face à l’imprévu, à la difficulté qui surgit sans qu’on l’attende ?
J’ai couru plusieurs marathons, et je dois – au risque de vous décevoir – dire que, pour cela, je m’étais entraîné, avais perdu un peu de poids, avais fait attention la veille de bien dormir, et m’étais alimenté tout au long de l’épreuve. Pour être plus méritant, aurait-il fallu que je le coure avec un sac à dos plein de cailloux, aurais-je dû arriver fatigué le matin de la course, et ai-je eu tort de boire et manger durant les un peu plus de quarante-deux kilomètres ?
Ou encore si l’on ne sait pas nager, n’est-il pas raisonnable d’éviter le triathlon ? Ou si l’on a le vertige, est-il vraiment nécessaire de monter en haut de la Tour Eiffel ?
(à suivre)

6 mars 2012

LA RECONQUÊTE DU « PRODUIRE EN FRANCE » NE VIENDRA PAS D’UN ÉTAT INDUSTRIEL ET MAGIQUEMENT STRATÉGIQUE

Au temps de l’incertitude, la reconstruction de l’industrie française sera longue, décentralisée... et européenne !
Voilà donc trouvée la recette à la désindustrialisation française : le retour de la politique industrielle et l’impulsion par l’État d’une politique de filières.
Que nous disent les chantres politiques de cette renaissance tout gaullienne ?
En résumant :
  • Au centre, la puissance intellectuelle et visionnaire du système public qui va défricher le futur pour trouver là où il faut aller.
  • Puis sous l’impulsion de ce centre enfin retrouvé, toutes les PME de France et de Navarre se réuniront sous les ailes protectrices et devenues bienveillantes des grandes entreprises françaises, pour partir à la conquête du monde entier.
  • Et le tour sera joué : dans quelques années, que dis-je dans quelques mois - pourquoi en effet ne pas être ambitieux dans la concrétisation de cette volonté… -, les emplois industriels refleuriront, l’innovation viendra arroser les terres arides de nos zones industrielles, et notre balance des paiements se dressera fièrement.
Certes, quel beau conte de fées… Mais, probablement à cause d’une vision trop empreinte d’un scepticisme suranné, qui devrait être dépassé par ces vagues d’enthousiasme, j’ai dû mal à me laisser emporté par cet élan, et ce pour trois raisons :
1. Comment imaginer que dans le monde de l’incertitude, la solution puisse venir d’une recentralisation des décisions ?
Mon expérience personnelle, ma pratique auprès de dirigeants d’entreprises, mes recherches personnelles et les réactions recueillies suite à la publication de mon livre, les Mers de l’incertitude, et à mes conférences, m’amènent à beaucoup plus de modestie en la matière. Je crois que la performance tient de plus en plus à la mise en place de processus conduisant à des émergences efficaces, et de moins en moins à la concentration de la prise de décisions, fussent-elles faites par les meilleurs cerveaux du monde.
2. Comment, compte-tenu de l’historique, croire à la capacité de l’État français de concevoir des plans par filière réellement efficaces ?
J’ai encore le souvenir des plans industriels lancés en 1981, suite à l’élection de François Mitterrand. Étant alors chargé de mission à la Délégation à l’Aménagement du Territoire et à l’Action Régionale (DATAR), j’ai été pour celle-ci le correspondant du Ministère de l’industrie pour l’élaboration et le suivi de tous ces plans. Quel fiasco ! Tout l’argent déversé l’a été en pure perte, que ce soit pour le plan machine-outil, textile ou un autre. Les succès de l’État industriel ne l’ont été que dans le cadre d’investissements majeurs comme l’aviation civile, la filière nucléaire ou le TGV. Cela n’a absolument pas empêché l’écart avec l’Allemagne, l’Italie ou même la Grande Bretagne de se creuser, et à notre balance des paiements de s’effondrer.
3. Comment croire que la performance viendra d’une relation contrainte entre grandes entreprises et PME ?
Les grandes entreprises ne poursuivent pas dans des stratégies nationales, mais mondiales. Ceci est vrai pour toutes les entreprises, qu’elles soient françaises, allemandes, italiennes ou britanniques. Si Volkswagen s’appuie sur un tissu d’entreprises moyennes allemandes, si elle maintient des emplois industriels en Allemagne, ce n’est pas au nom d’un nationalisme germanique, mais à cause d’un réalisme économique : le climat social, la confiance qui existe entre les individus et les organismes, la qualité des formation, le principe du transfert de propriété au paiement et non à la livraison, tout cela amène à la performance d’un système global. Si l’on cherche à contraindre une entreprise française à faire ce qui n’est pas souhaitable pour elle, soit, si l’entreprise est suffisamment indépendante de l’État, on ne l’obtiendra pas, soit, si elle ne peut pas dire non, on entravera son développement futur. Loin de construire la performance à venir de la France, on la détruira.
Je ne crois donc pas à ces recettes magiques, tirées d’une réalité qui n’a jamais existé.
Aussi si, oui, il faut se battre pour développer le « Produire en France »,  il ne faut pas le faire avec ces recettes éculées, inefficaces et dangereuses.
Pourquoi ne pas développer un label France ? C’est une idée à tenter, à condition d’y intégrer la notion de niveau, permettant d’aller du « Assembler en France » au « Tout en France », en passant par le « Fabriqué en France » (voir « Label France : et si Bayrou avait raison »).
Mais ce n’est pas le plus important. Ce sont sur les fondamentaux du développement de nos entreprises qu’il faut agir. J’en vois personnellement deux :
-        En priorité, nous devons réapprendre à nous faire confiance, ce qui suppose de revoir notre mode d’éducation, en passant du travail individuel au travail en groupe, et en cassant notre culte de la hiérarchie et du statut. (voir « Veut-on attendre que la France devienne le Tiers-monde de l’Europe ? »)
-        Il est urgent aussi de revoir le mode de transfert de propriété pour qu’il n’ait plus lieu à la livraison, mais au paiement. Comme cela, les PME ne financeront plus la distribution et les grandes entreprises. Cette modification reviendrait à augmenter la trésorerie des PME de probablement nettement plus de 100 Milliards d’euros ! (voir « Qui arrêtera l'hémorragie financière des PME ? »)
Enfin, pourquoi ne pas doter l’État d’une vraie agence de conseil indépendante, construite à partir l’Agence pour les Participations de l’État et des experts mis en place pour la gestion du grand emprunt ? Je connais bon nombre d’anciens associés de cabinet de conseil, qui, après une carrière réussie dans le privé, seraient prêts à mettre leur expertise au service de l’État. Cette agence pourrait être indépendante des lobbies, éclairer les choix publics, et aider les entreprises moyennes dans leurs réflexions et leurs choix… mais sans les contraindre, ni les définir.
Bien sûr tout ceci ne va transformer la France par un coup de baguette magique, et redresser instantanément notre balance des paiements. Mais qui peut croire que notre handicap structurel peut être comblé en peu de temps ? C’est une action de fonds qu’il faut entreprendre. Le reste n’est que tour de prestidigitation, baliverne, et poursuite de nos erreurs passées…

Enfin, la solution ne pourra pas être seulement franco-française. Elle va nécessairement passer par la construction d’une réelle Europe fédérale. Pouvons-nous le faire dans la dilution qu’est devenue la communauté européenne, ou faut-il repasser par un noyau autour duquel viendront ensuite s’agglomérer les autres ? Par réalisme, j’opterais plutôt pour la seconde.
Comme ces transformations seront longues et difficiles, Il faut commencer maintenant. Souvenir d’une anecdote attribuée au Maréchal Lyautey. Un jour où il visitait un village marocain, il s’étonnait qu’il n’y ait aucune ombre sur la place centrale.
« Il faudrait au moins dix ans pour qu’un arbre donne une ombre significative, lui dit le chef du village.
- Raison de plus pour le planter tout de suite, fut sa réponse. »
Plantons donc immédiatement les nouveaux arbres de la confiance en France, transformant notre droit, dotons nous une agence réellement indépendante, et allons vers le fédéralisme, il y a urgence !

5 mars 2012

ON NE TRANSFORME PAS UN PAYS GRÂCE À LA MACROÉCONOMIE

Les candidats à l’élection présidentielle doivent quitter la mathématisation du monde, et rejoindre le réel s'ils veulent être crédibles et réellement changer les choses.
Tout le discours collectif est, sauf de rares exceptions, de nature macroéconomique : on ne parle que taux de croissance, PIB, taux d’inflation, taux de chômage, taux de création d’entreprises, taux de défaillance, pourcentage d’entreprises innovantes ou exportatrices, balance des paiements…
Or ce monde macroéconomique n’est qu’un monde fictionnel, une construction de l’esprit, une représentation du réel, une mathématisation des relations : je n’ai jamais croisé dans un café un taux de croissance, ni pris un verre avec un PIB, ni, au détour d’un carrefour, risqué d’écraser un pourcentage d’innovation quelconque, ou encore discuté avec une balance des paiements…
Le monde réel est celui des individus, de tous les êtres vivants et inanimés, de leurs relations et interrelations, de ces structures locales ou globales qui vont de la fourmilière à l’entreprise en passant par tous les écosystèmes et nos villes.
Ce monde qui est celui que nous habitons, celui qui nous rend heureux ou malheureux, autonomes ou dépendants, épanouis ou malades, a disparu du discours politique. Il n’est plus qu’une abstraction décrite par des chiffres, des statistiques et des moyennes.
De temps en temps, à l’occasion d’une crise, il émerge dans le débat public : là pour une émeute dans une banlieue, ici pour des salariés qui refusent la destruction de leur outil de travail, et ailleurs, ailleurs pour des familles ne pouvant plus se loger.
Et la vie continue... si l'on peut dire...
Mais ce construit théorique de la macroéconomie et des sciences dites sociales est de moins en moins représentatif de notre monde. Pour ceux qui en doutent, qu’ils se posent une question simple : si la macroéconomie et les sciences sociales étaient exactes, pourquoi aurions-nous des crises à répétition ? Est-ce que leur succession sans cesse renouvelée, voire même leur amplification, ne sont pas la meilleure démonstration de l’absurdité de cette mathématisation du monde ?
Cet envahissement du tout économique est récent, et a pris son essor essentiellement ces dernières années. Charles-Henri Filippi, dans son dernier livre, Les 7 péchés du capital, écrit très bien ces dangers. Il y insiste sur le danger de la « transformation de la rationalité » en une « aptitude à chiffrer toute chose. (…) La rationalité moderne par la simplicité même de sa définition, juge toutes les activités à la même aune : quel bien-être procurent-elles ? Au prix de quels moyens ? Le fait que tout devienne ainsi mesurable et comparable étend l’économique qui, de champ particulier des rapports sociaux, en devient l’interprète et la seule expression possible. »
Venant d’un banquier, encore à la tête de la filiale française d’HSBC, une des plus grandes banques mondiales, le propos prend tout son poids…
Cette « maladie » a envahi non seulement les structures politiques, mais aussi bon nombre de directions générales de grandes entreprises. C’est ce que j’ai été amené à dénoncer à de multiples reprises, et singulièrement dans mon livre, Les mers de l’incertitude : on ne peut pas diriger efficacement à coup de tableurs excel et de prévisions mathématiques !
Et rien ne change, bien au contraire. Je suis frappé comme tous les programmes et les discours des principaux candidats à l’élection présidentielle restent à ce niveau macroéconomique. Leur entourage n’est constitué que des théoriciens de l’entreprise et de l’économie. Se croyant comme des grands prêtres, ils me donnent l’impression de croire que l’on peut changer le monde par incantation (voir On ne change pas l’économie par incantation)
Parfois ces incantations vont dans le bon sens, comme par exemple l’appel de François Bayrou à plus de rigueur et à développer la production française, mais elles restent toujours théoriques et bien éloignées de la réalité de la vie. Comment concrètement François Bayrou veut-il procéder et quel lien concret avec la vie des entreprises ?
Quand comprendront-ils que la macroéconomie n’est ni un outil d’explication, ni un outil de pilotage, puisque la réalité se situe ailleurs, et qu’au mieux, elle ne fait que constater, a posteriori, les évolutions en agglomérant les données locales ?
Quand descendront-ils de leur piédestal pour se pencher sur des sujets concrets comme les délais de paiement et les modalités de transfert de propriété ?
Quand reparleront-ils du territoire réel dans lequel se déroule l’économie, de nos villes, nos banlieues et nos campagnes ?
Le Général de Gaulle, lors de son retour au pouvoir en 1958, ne s’était pas contenté de discours. Il avait lancé une politique nouvelle d’aménagement du territoire. Il avait agi concrètement et physiquement en modifiant la géographie de nos villes. Il avait lancé des actions industrielles structurantes.
En 2012, à l’ère de l’incertitude et de la globalisation, il serait illusoire et dangereux de vouloir copier à l’identique ce qui avait été fait plus de cinquante plus tôt. Notamment imaginer que c’est l’État central qui peut inventer une stratégie industrielle est une illusion.
Mais ce sont bien ces questions concrètes qu’il faut se poser, et auxquelles il faut apporter des réponses contemporaines : quelle nouvelle politique d’aménagement du territoire compte-tenu de la position de la France, de nos ressources et de la multiplicité des acteurs ? Quel rôle concret peut-jouer un État central et comment le mettre en œuvre ?

2 mars 2012

DES MOTS AU BORD D’UN BORD…

Manque…
Ballade du vendredi, mélancolique et nostalgique…
Ennui
Là pour rien,
Le vide devant moi,
Le laisser venir,
L'accompagner peut-être.
Tentation d’un saut ultime,
D’une fin à ma vie,
La dépasser par le néant.
Pourquoi ?
Pourquoi pas ?
Un geste,
Juste un geste à faire,
Un coup de volant,
Un pas de plus,
Et ne plus rien avoir à penser, ni à faire,
Un pas de plus,
Et continuer ou finir.
À gauche ou à droite ?
Fatigue, lassitude,
Ennui, séduction du vide.
Faut-il une raison,
Pour se laisser glisser ?

Rupture
Je ne sais que te dire,
Ni par quoi commencer.
À quoi bon,
Au moment de partir,
T’assener un pourquoi ?
Le temps a glissé,
La vie nous a écartés,
L’eau a coulé et nous a fissurés.
Je te regarde et ne te connais pas,
Tu me regardes et ne me comprends pas.
Ni larme, ni tension,
Juste l’amertume d’un possible achevé.
Demain, tu ne seras plus là.
Demain, je ne serai plus là.
Le temps va glisser,
Un peu plus,
La vie va éloigner,
Un peu plus,
Nous qui n’étions plus unis,
Et rapprocher ceux qui s’ignorent encore.
Life goes on…

1 mars 2012

RETROUVONS L’ÉNERGIE DES CARAVANES DU FAR WEST

Allier inquiétude et optimisme - Le management par émergence (5)
Après le lien entre action et mer, explicité hier, venons-en au deuxième point nécessaire à l’émergence efficace, à savoir la « paranoïa optimiste ». J’ai déjà eu l’occasion d’exposer à plusieurs reprises, ce que j’entendais par là, notamment dans mon article Soyons des paranoïaques optimistes.
Je vais reprendre ici les aspects qui sont essentiels, et les compléter en regard de mon propos sur l’émergence.
L’idée principale est la suivante : dans le monde de l’incertitude, il est illusoire de vouloir la contenir ou la limiter. Il faut simplement avoir pensé le pire sans en être tétanisé, s’être préparé pour y faire face tout en se mobilisant pour en limiter la probabilité.
Cet état d’esprit n’est ni courant, ni naturel.
Mon expérience de consultant m’a confronté, le plus souvent, soit à :
  • Des optimistes qui croyaient que le pire n’arriverait jamais, que l’improbable était impossible, ou que le plus raisonnable était de s’organiser sur un scénario médian. Ces optimistes avancent résolument, et ne se sont pas préparés à ce qu’ils ont ignoré ou négligé. Pire, ils ont souvent coupé toutes les ressources ne correspondant pas à leur vision du monde, et qu’ils ont jugées inutiles (1). Or, dans le monde de l’incertitude, comme on ne peut plus probabiliser le futur et que la notion même de médiane n’a plus grand sens, rien ne dit que leur vision est la bonne.
  • Des pessimistes qui, tétanisés par les périls dont ils se sentent entourés, construisent autour d’eux des lignes Maginot ou des murailles de Chine, supposées pouvoir contenir les déferlantes des tsunamis à venir. Mais rien ne dit qu’ils viendront, et même s’ils venaient, ces digues seraient bien insuffisantes. Je repense aussi aux officiers du fort du Désert des Tartares de Dino Buzzati. A quoi sert-il donc de passer son temps à attendre ce qui n’arrive pas ?
J’ai finalement trop rarement rencontré ce juste équilibre entre l’action résolue et volontaire, et la préparation à ce qui peut survenir à tout moment.
La meilleure image qui me vient est celle de ces caravanes qui, parties à la conquête de l’Ouest, se devaient de traverser des contrées hostiles.
Fortes de la vision qui les habitaient, riches des provisions stockées dans leurs chariots, avares dans l’utilisation de leurs ressources, informées constamment par des éclaireurs envoyés en reconnaissance, entraînées aux combats susceptibles d’advenir, elles avançaient. Le soir venu, elles meublaient les nuits de chants joyeux, lancées autour de grands feux de bois, qui ressourçaient leur enthousiasme…
(à suivre)
(1) Je reviendrai sur ce point lors de mon article traitant du « flou »

29 févr. 2012

RELIER MER VISÉE ET ACTION INDIVIDUELLE

Agir ici et maintenant - Le management par émergence (4)
Comme indiqué dans mon article d’hier, je vois six points nécessaires à des émergences efficaces : lien action/mer + paranoïa optimiste + facilité + flou + confrontation + rythme.
J’aborde aujourd’hui le premier : le lien entre action et mer (1).
Laisser les décisions émerger, et s’assurer qu’elles vont effectivement permettre de se rapprocher de la mer visée, suppose en effet que chacun soit capable de lier son action individuelle à l’avancée vers la mer.
Ceci suppose deux choses essentielles :
  • Que chacun sache quelle est la mer visée, et en quoi elle le concerne personnellement,
  • Qu’il soit capable de trier dynamiquement entre les opportunités d’action qui se présentent à lui, pour choisir celle qui lui apparaît la plus en relation avec la mer.
Ce double préalable à toute émergence efficace paraît trivial, mais je constate que bien peu d’entreprises le mettent réellement en œuvre.
En effet, il ne suffit pas :
  • De diffuser un document présentant la stratégie pour que chacun comprenne de quoi on parle, et surtout en quoi il peut contribuer à cette stratégie,
  • D’informer pour communiquer, de parler pour être compris, ou de dire pour être cru,
  • D’affirmer que chacun dispose de marges de manœuvre, pour qu’il les saisisse, et que son encadrement de proximité l’y incite,
Je ne dis pas non plus que c’est inatteignable, bien au contraire. Simplement, cela nécessite un effort et une action volontariste pour que cela se produise.
Certains vont penser qu’il est dangereux de laisser chacun choisir  ce qui lui apparaît le plus efficace. Je leur répondrais d’abord que l’inverse me semble encore plus dangereux : dans le monde de l’incertitude, l’action centralisée est inefficace, car inadaptée et trop peu réactive.
Ensuite cette prise d’initiative locale se fait dans le cadre des autres points sur lesquels je reviendrai dans les prochains articles, à savoir notamment la facilité (apprendre à privilégier le « geste naturel »), le flou (qui définit les marges de manœuvre), la confrontation (qui articule les points de vue et les actions), le rythme (qui structure la réflexion).
Je reviendrai enfin, dans quelques jours, une fois que j’aurais explicité les six points nécessaires à l’émergence efficace, sur comment il est possible de transformer réellement une entreprise.
Lundi donc la suite avec la « paranoïa optimiste »
(à suivre)
(1) Je rappelle que le mot « mer » image l’idée de ce futur durable que l’entreprise vise (voir notamment mon article Réfléchir à partir du futur pour se diriger dans l’incertitude)

28 févr. 2012

SUFFIT-IL DE NE RIEN FAIRE ?

On n’est pas efficace par hasard ou par chance - Le management par émergence (3)
Comment donc procéder par émergence ?
Peut-on se dire qu’il n’y a qu’à laisser faire, que l’entreprise trouvera bien d’elle-même le bon cap, qu’attirée par sa mer(1), elle ira cahin-caha dans la bonne direction ? Que la bonne façon de diriger est de prendre de longues vacances, et de ne surtout pas intervenir ?
Évidemment non !
Que risque-t-il de se passer ? Elle va être prise entre deux risques symétriques :
  • Premier cas de figure : sans leadership, l’entreprise va se désagréger aux hasards des initiatives prises. Comme chacune de ses composantes est soumise à un champ de forces spécifique, comme chaque dirigeant local va progressivement se construire sa propre interprétation et sa propre compréhension de ce qu’il faut faire, elle va imploser. Rapidement la culture commune n’existera plus, et ses différentes composantes ne se comprendront plus. Dans le meilleur des cas, la solution passera par sa scission en autant d’ensembles qu’il y aura eu de dérives locales. Le plus souvent, elle disparaîtra, sans laisser d’autres traces que des souvenirs et des regrets.
  • Autre cas de figure : elle restera soudée, mais va dériver et, sans s’en rendre compte, s’éloignera de la mer visée. Ou elle continuera en s’en rapprocher, mais trop lentement, sans voir qu’elle s’est faite doubler par des concurrents plus efficaces. Forte de ses convictions internes, persuadée de sa supériorité, aveuglée par son expertise passée, elle se réveillera trop tard, soit perdue et loin de tout, soit irrémédiablement distancée.
Comment faire alors ? Comment agir pour permettre des émergences efficaces ?
Je crois que cela repose sur le cocktail suivant : lien action/mer + paranoïa optimiste + facilité + flou + confrontation + rythme.
Inutile, je crois, de revenir en détail sur l’idée de mer, car je l’ai fait à de multiples reprises(1). Si vous ne deviez retenir que deux idées la concernant, je vous suggère les deux suivantes :
  • Dans le monde de l’incertitude, notre Neuromonde, comme tout est tourbillonnant, c’est en partant du futur que l’on peut trouver des points fixes, des attracteurs, vers lesquelles les courants convergent.
  • Ces attracteurs doivent être accessibles pour l’entreprise, c’est-à-dire qu’ils doivent être compatibles avec son histoire, et que, avec ses savoir-faire immédiats, elle doit pouvoir apporter une innovation immédiate et palpable, facilitant l’accès à cette mer.
Dans les articles à venir, je vais reprendre chacun de ces points, avant de conclure sur une approche de la transformation en opposition à celle du changement.
Demain donc, le lien entre action et mer…
(à suivre)
(1) Sur le concept de mer qui est au cœur de mon livre, voir notamment mon article Réfléchir à partir du futur pour se diriger dans l’incertitude

27 févr. 2012

VEUT-ON ATTENDRE QUE LA FRANCE DEVIENNE LE TIERS-MONDE DE L’EUROPE ?

La mal français est notre déficit de confiance issu de notre culte de la hiérarchie et du statut
La lecture du dernier livre de Yann Algan, cosigné avec Pierre Cahuc et André Zylberberg, La Fabrique de la défiance, devrait être prescrit à tous les candidats à l’élection présidentielle, et les apôtres du « Produire en France ». Dans ce livre, Yann Algan met l’accent, à nouveau (1), sur les dégâts causés par le manque de confiance en France, et le relie à notre culte de la hiérarchie et du statut.
Citons-en d’abord quelques extraits :
« Un Français sur cinq est insatisfait de sa vie, ce qui est dix fois plus qu’au Danemark, trois fois plus qu’en Hollande et en Belgique, deux fois plus qu’en Italie ou en Angleterre, ou encore une fois et demie plus que nos voisins allemands. Seuls les habitants des pays de l’Est et les Portugais sont plus insatisfaits. (…) En fait, les Français considèrent les inégalités comme inacceptables, car ils ont de bonnes raisons de penser qu’elles sont illégitimes ; elles proviendraient de passe-droits, de collusions d’intérêts entre les puissants, d’une reproduction sociale particulièrement forte à l’école. Ont-ils tort ? Ils ont en tout cas le sentiment que la richesse est associée au statut plus qu’au fruit du travail : 45% pensent que travailler dur n’apporte pas nécessairement le succès, contre 23% aux États-Unis. En France, on n’aime pas les riches parce qu’on considère plus souvent qu’ailleurs qu’ils le sont non grâce à leur talent ou à leur travail, mais bien grâce à leurs connivences, le plus souvent liées à leur origine sociale. »
« En France, l’enseignant professe le plus souvent au tableau ; les élèves, assis en rang, écoutent et prennent des notes. L’enseignant, vers lequel toutes les attentions sont censées converger, doit être écouté en silence. La communication entre élèves est un parasite. (…) Éduqués dans une école où nous apprenons surtout à obéir aux ordres et très peu à coopérer, nous avons besoin d’une structure envahissante pour réaliser des tâches collectives. C’est notre déficit de confiance, produit par le système scolaire, qui nous condamne à travailler dans des entreprises où nous nous sentons opprimés par des chefs omniprésents. »
« « Virtuellement tout échange commercial contient une part de confiance, comme toute transaction qui s’inscrit dans la durée. On peut vraisemblablement soutenir qu’une grande part du retard de développement économique d’une société est due à l’absence de confiance réciproque entre ses citoyens. » (Kenneth Arrow, « Gifts and exchanges », Philosophy and public affairs)  (…) Ce constat n’est pas surprenant, car la confiance favorise l’efficacité des entreprises. (…) Ils sont plus réactifs, mieux à même de s’adapter à l’environnement et d’innover. Ils facilitent l’adoption de méthodes efficaces : décentralisation des décisions, organisation horizontale des relations de travail, travail en équipe, valorisation de l’esprit d’initiative et d’innovation. »
Parallèlement à la publication de ce livre, sont mises en ligne sur le site de Sciences Po, des séries de tableaux statistiques permettant à tout un chacun de prolonger sa propre réflexion.
J’en ai extrait ceux qui me semblent les plus significatifs, et que je joins en illustration à cet article.
Qu’y voit-on ?

Dans le premier groupe de questions, l’accent est mis sur le déficit en France en matière de confiance collective : nous sommes les avant-derniers en matière de travail en groupe derrière l’Irlande (quatre fois moins de travail en groupe que les Américains, deux fois que les Danois, 50% de moins que les Allemands), et de satisfaction vis-à-vis de la démocratie, cette fois derrière le Portugal (plus de deux fois moins que les Danois, les Finlandais ou les Suisses, 25% moins que les Allemands et la moyenne des Européens). Et pour la confiance dans les autres et la confiance dans la justice, seuls deux pays font pire que nous, le Portugal, et respectivement la Grèce ou l’Espagne.


Les deux autres groupes de questions ont trait au monde du travail et de l’entreprise. Je vous laisse parcourir ces données en détail, et me contenterais de mettre l’accent sur :
-        Les problèmes vis-à-vis de la hiérarchie et des relations internes à l’entreprise : les salariés français se sentent sans influence sur ce qui se passe dans les entreprises, et ne perçoivent pas de collaboration avec leur hiérarchie (deux fois moins qu’en Europe du Nord, 40% de moins qu’en Allemagne). Avec le Portugal, nous sommes les « rois » en matière de distance sociale.
-        Ceci se traduit malheureusement logiquement par une moindre coopération (nous sommes là les derniers de la classe), plus de stress (à nouveau les derniers en Europe) et une moindre satisfaction au travail (seule, l’Espagne est derrière nous).
Comment face à une telle situation, s’étonner que la production en France décline ? En effet, si nous nous ne nous faisons plus confiance,  pourquoi ferions-nous confiance aux produits français ? Et surtout, comment produire en France serait-il rentable, si les relations au travail sont à ce point dégradées ?
Comme je l’ai déjà écrit à plusieurs reprises, dans le monde de l’incertitude, la performance économique des entreprises ne dépend pas d’abord du niveau de rémunération des salariés, mais de l’efficacité de l’organisation du travail et de l’engagement individuel et collectif. Une entreprise pour être efficace doit décentraliser son mode de management, développer une culture commune alliant compréhension de l’objectif visé, confrontation locale et prise d’initiative. La solution passe par le partage, l’engagement, et la responsabilité.
Il est urgent que nous prenions conscience que le mal français est enraciné dans ce déficit de confiance, lui-même issu de notre mode d’éducation et de l’organisation pyramidale de notre société. Faute de cela, tous les discours actuels ne seront que des incantations sans lendemain.
Les discours tenus actuellement ne sont pas pour me rassurer : affirmer que l’on veut renforcer l’autorité des maîtres et le respect de la hiérarchie va à contresens ; accroître le nombre des enseignants sans rebâtir l’école autour du travail collectif et non pas individuel ne sert à rien ; croire que l’on va réindustrialiser la France en relançant une politique industrielle centralisée est aller contre la décentralisation ; diminuer les charges salariales sans améliorer l’efficacité du travail est absurde ; ne pas voir que multiplier des referendum sans confiance collective est jouer à l’apprenti-sorcier…
Prenons garde à ne pas nous réveiller quand il sera trop tard. Continuons encore un peu, laissons des analyses aussi pertinentes que celles de Yann Algan ne faire que remplir des étagères, et nous serons le Tiers-monde de l’Europe.
Ou faut-il espérer que le salut ne vienne d’une Europe fédérale dans laquelle la France serait dirigée de l’extérieur…
(1) Voir son livre précédent « La société de défiance »