La vie végétale bricole comme elle peut… (2)
Intéressons-nous à une molécule d’eau, un morceau de calcaire ou une
montagne. Ils sont incontestablement dans un état beaucoup plus complexe que la
matière au moment du big-bang : la molécule d’eau est un assemblage sophistiqué
de particules élémentaires et elle est en interaction constante avec tout ce
qui l’entoure, sous les contraintes des quatre grandes forces de la nature. Si
j’arrive à zoomer à l’intérieur de cette molécule, je vais apercevoir le
mouvement chaotique et quantique des particules. Quant au calcaire, sa
composition est beaucoup plus complexe, et celle de la montagne fait, elle,
intervenir un grand nombre de molécules. Dans tous les cas, derrière la
stabilité apparente, il y a un mouvement interne, largement imprévisible.
Enfin, si je les observe sur une très longue période, disons quelques
millions d’années, plus rien n’est stable, ni prévisible. Le calcaire va se
transformer, la montagne s’effondrer, et l’eau s’être évaporée ou avoir été
associée à d’autres molécules. Multiplicité des états possibles tant présents à
l’intérieur de la matière, que futurs, et donc imprévisibilité et incertitude.
Mais si je les regarde à mon échelle de temps et d’espace, ils me
semblent terriblement prévisibles et je peux modéliser ce qu’ils vont devenir.
Notons quand même que si la molécule d’eau est partie prenante d’un nuage, les
perturbations sont beaucoup plus rapides et incertaines. Il suffit de voir
l’imprécision de la météorologie pour s’en persuader. Mais le plus souvent,
nous percevons le monde inerte comme prévisible.
Avec la vie, le mouvement change de rythme : la cellule échange sans
cesse avec son environnement, et les perturbations qui se faisaient avant
souvent sur des périodes longues, sont cette fois accélérées. Voilà à cause de
la vie, le nombre d’états possibles dans un délai de temps donné, au sens
d’accessibles, considérablement augmenté.
La vie apporte par son nouvel ordre, l’auto-organisation, une explosion
de l’incertitude. Elle assure en quelque sorte l’émergence au niveau
macroscopique de l’instabilité qui n’était jusqu’alors qu’au niveau
macroscopique. Avant la vie, il fallait descendre jusqu’aux particules
élémentaires, pour ne pas savoir exactement où elles se trouvaient, ni quel
était leur niveau d’énergie réel. En dehors de ces échelons cachés dans la
profondeur de la matière, le reste semblait prévisible, car si les processus
d’évolution étaient chaotiques, ils étaient le plus souvent lents.
Avec la vie, rien de tel : tout change constamment et continûment. La vie
malaxe la matière sans cesse, et de façon imprévisible. Allez donc prévoir la
forme d’un chêne, ou quelle sera sa taille dans cinq ans, à partir de la taille
d’un gland et de la nature du sol où il est planté…
Le vivant comme la matière inerte suit bien les lois de l’entropie et du
chaos : accroissement de l’incertitude et sensibilité extrême à tout changement
des conditions initiales.
(à suivre)
(à suivre)