4 avr. 2013

LE MANAGEMENT EST UN ART DE LA CONTINGENCE

Le temps est plus que jamais la source d’un pacte commun – Revue Aetos mars 2013 (3)
Dans Les Échos du 4 mars 2013, l’éditorialiste Jean- Marc Vittori rappelait la nécessité d’être « à la fois souple et simple, visionnaire et exemplaire ». Que vous inspirent ces conseils en leadership ? Quelles sont les entreprises, et plus généralement les organisations, qui arrivent à créer vraiment de la valeur dans la durée ?
Certes on ne peut qu’être d’accord avec une proposition qui affirme qu’il faut être « à la fois souple et simple, visionnaire et exemplaire » ! Mais l’expérience montre que si l’intention et la volonté sont là, la réalité l’est beaucoup moins souvent… Pourquoi ? Parce que l’on confond zapping et performance, que l’on croit que si un dirigeant a réussi quelque part, il réussira ailleurs, ou encore parce que l’on imagine que c’est le changement des actionnaires et du management qui permettront l’agilité et la poursuite de la création de valeur. Je pense exactement le contraire. Tout d’abord, le management est un art de la contingence : si un dirigeant a réussi ici et maintenant, la seule conclusion qu’il faut en tirer est qu’il a réussi ici et maintenant ! Toute transposition à d’autres situations est purement spéculative.
Ensuite, les processus de décisions relèvent majoritairement de l’inconscient. Nous pouvons en constater les effets, mais sans en comprendre précisément les modalités concrètes. Ceci est vrai pour les actionnaires, le conseil d’administration, le comité de direction, et plus généralement pour l’entreprise. La performance tient donc dans l’ajustement de ces processus inconscients, ce qui n’est possible que si tout ce petit monde a grandi ensemble. La création de la valeur dans la durée repose d’abord sur la stabilité du management et des actionnaires. De ce point de vue, les entreprises détenues ou contrôlées par un actionnariat familial disposent d’un atout indéniable.
(à suivre)

3 avr. 2013

POUR UNE ENTREPRISE STRUCTURELLEMENT STABLE DANS LA DIRECTION QU’ELLE VISE, ET SANS CESSE CHANGEANTE AU QUOTIDIEN

Le temps est plus que jamais la source d’un pacte commun – Revue Aetos mars 2013 (2)
Clausewitz affirmait qu’« en cas de doute, nous devons garder notre idée de départ et ne pas en dévier tant qu’une raison claire ne nous a pas convaincus de le faire ». Qu’en pensez-vous ?
Il ne faut pas en effet, sauf cas de force majeure, se laisser détourner de son objectif. Mais à condition que celui-ci ne soit pas fixé sur un coup de tête, ou en suivant la mode induite par le bruit ambiant ! Ce que l’on vit n’est pas ce dont on parle. Et quand je vois des comités de direction choisir une stratégie entre deux avions, je ne suis pas franchement rassuré… La réponse à l’inattendu n’est pas dans l’abandon de sa mer, mais dans le choix d’une nouvelle voie pour l’atteindre.
Comment concilier concrètement la nécessité du pilotage au long cours avec l’acceptation de l’imprévisibilité de notre environnement ? Pourquoi préconisez-vous plus particulièrement de « diriger en lâchant prise » ?
Précisons d’abord que le « lâcher prise » n’est pas le « laisser-faire », ou l’abandon au simple jeu des forces qui nous entourent. Il est la reconnaissance de ces forces, leur acceptation et leur compréhension, afin de s’y inscrire et d’en tirer parti. Comment, tout en lâchant prise, concilier le pilotage effectif au long cours et l’acceptation de l’imprévisibilité ? En concevant les actions de l’entreprise comme des poupées russes dont l’extérieur est stable et le cœur changeant. Tout comme une armée, à ma connaissance, s’articule autour de quatre niveaux de décision (politique, stratégique, opératif et tactique), l’entreprise s’organise selon un processus d’emboîtement de quatre poupées russes.
À l’extérieur, la mer visée relève de la « méta-stratégie » : c’est un point fixe choisi pour la vie. La beauté pour L’Oréal, « l’information du monde » pour Google… En sont déduits les « chemins stratégiques », qui comprennent à la fois le cadre stratégique et les principes d’actions - c’est-à-dire les « voies et moyens » à emprunter et à mobiliser pour atteindre cette mer. Le troisième emboîtement est « le dessin dynamique des chemins stratégiques » : il permet de passer de l’intention à la concrétisation (choix des marques, de leur positionnement, du portefeuille produit, des marchés-cibles…). Le quatrième et dernier emboîtement est celui des actions immédiates, quotidiennes, concrètes. Elles vont inscrire tous ces emboîtements dans le réel pour proposer des produits et des services tangibles aux clients visés : quels produits ? Avec quelles formules, quelle communication, quels packagings ? À partir de quelles usines, à quels prix, selon quelles promotions, avec quelles animations de la force de vente… ?
On aboutit bien de la sorte à un emboîtement de matriochkas : des actions immédiates qui réalisent des produits, emboîtées dans des marques qu’elles contribuent à construire, elles-mêmes donnant naissance à l’expansion mondiale de l’entreprise dans les marchés qu’elle a choisis, ce qui la rapproche chaque jour un peu plus de sa mer, en donnant corps et réalité à sa méta-stratégie. L’on obtient ainsi, comme dans le cas de L’Oréal, une entreprise structurellement stable dans la direction qu’elle vise, et sans cesse changeante au quotidien : le chaos apparent des initiatives de chacun contribue à la résilience globale du système !
(à suivre)

2 avr. 2013

LA RÉPONSE À L’INATTENDU N’EST PAS L’ABANDON DE SON OBJECTIF STRATÉGIQUE, MAIS LE CHOIX D’UNE NOUVELLE VOIE POUR L’ATTEINDRE

Le temps est plus que jamais la source d’un pacte commun – Revue Aetos mars 2013 (1)
La Lettre mensuelle AETOS dans son numéro de mars, m'a interviewé. Aetos est la revue du Centre d’études stratégiques aérospatiales de l'Armée de l'Air. Elle veut être un lieu de retours d’expérience, réflexions, regard sur les idées et défis du moment. Elle s'adresse à l’ensemble de la société.
Occasion de revenir sur ma vision du management dans l'incertitude, et de commencer à parler de mon prochain livre, sur le management par émergence.
Je publie sur mon blog, cet interview en cinq parties à partir d’aujourd’hui.
Dans Les mers de l’incertitude (cf. AETOS hebdo n°13, 01/2012), vous estimez que, pour construire une stratégie, toute organisation doit d’abord oublier le présent et partir du futur en cherchant sa destination, « tel le fleuve sa mer ». Est-ce si facile de s’affranchir de la pression du présent pour conserver une vision claire de l’avenir ?
Sommes-nous certains que cette « pression du présent » soit si impérieuse ? S’il suffi sait de courir pour être plus efficace, toutes les entreprises le seraient, car je ne vois que des gens qui courent de tous côtés ! Plus fondamentalement, il m’apparaît indispensable de s’affranchir du bruit inutile et vain. Ce n’est pas en étant pris dans les turbulences d’un fleuve que l’on peut comprendre où il va, et ce qui l’attire. Quand on est captif de mouvements vibrionnaires, on ne perçoit plus rien, et un méandre peut être aisément pris pour un mouvement de fond.
Par exemple, que veut dire cette focalisation sur les taux de croissance ? Je ne conteste pas, bien sûr, que la croissance doive être mesurée. Mais comment croire que c’est possible au travers d’un taux qui est la dérivée d’un PIB, qui n’est lui-même qu’une approximation de l’activité réelle du pays, avec des transactions par Internet en plein essor mais non modélisables ? Toute erreur de 1 % sur le calcul du PIB conduit donc à ne pas savoir si, pour un taux de croissance annoncé de +1 %, on se situe à -1 % ou à +3 % de croissance ! Il faut donc savoir ne pas se laisser emporter par l’absurdité de raisonnements purement mathématiques, de théories économiques qui n’ont en fait jamais démontré leur validité. Leur seule force est de relever de la « pensée-perroquet », répétée sans fin d’un media à un autre, d’un expert à l’autre. Alors que depuis plus de 10 ans les décisions dans le monde réel sont prises en fonction d’indicateurs virtuels, il vaudrait mieux en revenir à des données tangibles, dont on comprend le sens, comme le volume de béton coulé prêt à l’emploi ou des valeurs de la consommation des ménages.
Clausewitz affirmait qu’« en cas de doute, nous devons garder notre idée de départ et ne pas en dévier tant qu’une raison claire ne nous a pas convaincus de le faire ». Qu’en pensez-vous ?
Il ne faut pas en effet, sauf cas de force majeure, se laisser détourner de son objectif. Mais à condition que celui-ci ne soit pas fixé sur un coup de tête, ou en suivant la mode induite par le bruit ambiant ! Ce que l’on vit n’est pas ce dont on parle. Et quand je vois des comités de direction choisir une stratégie entre deux avions, je ne suis pas franchement rassuré… La réponse à l’inattendu n’est pas dans l’abandon de sa mer, mais dans le choix d’une nouvelle voie pour l’atteindre. 
(à suivre)

29 mars 2013

À HAMPI, ON ARRACHE LA VIE POUR RETROUVER UN PASSÉ DISPARU

Promenade en terres indiennes (7)
Voilà près d’une heure qu’ils regardaient fascinés la démolition en cours. Sous les coups répétés des bulldozers, les murs s’effondraient. De nouvelles perspectives se dégageaient, des colonnades anciennes réapparaissaient, le vieux bazar renaissait de la destruction du nouveau. Hampi remontait le temps. On enlevait méthodiquement les peaux successivement accumulées pendant plus de cinq siècles. Comme un oignon, on le pelait. A la différence essentielle, que les peaux desséchées étaient à l’intérieur, et que c’était la vie qui était retirée. Petit à petit, la mort apparaissait. Les briques s’effondraient, les fresques étaient arrachées, le sang refluait. In fine, ne restait plus que l’ossature du bazar depuis longtemps disparue. Des colonnes brutes, des dalles à vif, des restes de sculptures. Ils voyaient le travail de dizaines de générations être ôté sans considération.
Année après année, décennie après décennie, siècle après siècle, la sueur des marchands avait fait vivre le village et le marché. Certes, on était loin de la splendeur des années quinze-cents, mais ils s’étaient tenus droit : contre toutes les adversités, malgré l’effondrement de leur royaume, en butte à tous les conquérants, ils avaient fait front et maintenu debout la vie et le commerce. Avec honneur et détermination. Tout au long des années, Hampi avait fait de la résistance : le bazar en était resté un. Chaque matin, il riait des cris des marchands, il hurlait des enfants tentant d’arrêter les chalands, il vibrait de marchandages infinis. Tel coin était connu pour ses épices, tel autre pour ses tissus. Les étalages de légumes et fruits rivalisaient entre eux. Le regard ne savait pas sur quoi se poser.
C’était cette histoire et cette lutte qui se trouvaient balayés d’un revers de bulldozer. Chacune des maisons détruites étaient imprégnées d’une sueur légitime, aujourd’hui bafouée et méprisée. Chaque mur abattu était un membre arraché. Chaque colonnade retrouvée l’était au prix du sang et du meurtre.
Demain qu’allait-il en rester ? Une galerie froide et esthétique mimant un passé révolu. Des allées redevenues anciennes et à ce titre perçues comme authentiques, réservées à des touristes en mal de photographies. Une beauté théorique, probablement sublime, mais glaciale comme les couloirs d’un musée.
Les habitants regardaient, figés, leur vie disparaître. Pour eux, ce n’était pas leur passé que l’on retrouvait, c’était leur présent et leurs racines que l’on détruisait. Ils n’avaient cure de voir revenir les fantômes d’ancêtres trop lointains pour être aimés et connus. Non, le retour au bazar des origines ne signifiait rien pour eux, à part peine et douleur.

27 mars 2013

LES LANGAGES SONT LE PROPRE DE L’HOMME

Nous ne pouvons pas ne pas communiquer
Selon Rabelais, le rire est le propre de l’homme. Il est vrai que j’ai rarement vu des fourmis rire, mais comment être certain qu’elles ne vivent pas à leur échelle une forme d’humour ? Mais les singes semblent bien capables de se jouer des tours, et de s’en amuser. Donc il semble bien que le rire ne soit pas vraiment le propre de l’homme.
Par contre, je n’ai jamais entendu parler d’un animal qui ferait un numéro de chansonnier ou un stand-up, avec tous ses congénères assis et s’esclaffant de ses jeux de mots. Car, oui, le langage, avec toutes ses subtilités, tous les sens et les contresens qu’il véhicule, nous est bien spécifique : si les animaux communiquent entre eux, et sont capables à partir de cela de déclencher des comportements collectifs, ils n’emploient pas à proprement parler de langage, c’est-à-dire qu’ils ne sont pas capables de manipuler des symboles porteurs de sens et qui se substituent aux objets même, et les représentent.
Nous, humains, au fil de notre évolution, nous avons multiplié nos langages. Bien sûr d’abord ceux au travers desquels nous nous exprimons et lisons. Mais aussi une multitude de langages spécialisés, soit pour le jeu (comme les échecs, le bridge ou le go), soit pour les sciences ou la technique (les mathématiques, la physique, la chimie, l’architecture…), soit au sein de structures locales (les langues internes aux entreprises par exemple avec leur floraison d’acronymes).
D’ailleurs, sauf à nous isoler sur une île déserte, nous ne pouvons pas ne pas communiquer. En effet comme chacun de nos comportements a valeur de message, volontairement ou involontairement, nous nous exprimons sans cesse, et symétriquement nous sommes soumis au flux des autres :  « On ne peut pas ne pas avoir de comportement. Or, si l’on admet que, dans une interaction, tout comportement a la valeur d’un message, c’est-à-dire qu’il est une communication, il suit qu’on ne peut pas ne pas communiquer, qu’on le veuille ou non. Activité ou inactivité, parole ou silence, tout a valeur de message. De tels comportements influencent les autres, et les autres, en retour, ne peuvent pas ne pas réagir à ces communications, et de ce fait eux-mêmes communiquer. » 1
Bref, même si sous le coup d’une colère, nous pouvons nous écrier : « L’enfer, c’est les autres » 2, sans eux, nous sommes impuissants. Aussi les mots, c’est du sérieux, on ne doit laisser aux seuls humoristes l’art de jouer avec, et « lire après tout, est une façon de vivre à l’intérieur des mots d’autrui. » 3
(Article paru le 15 janvier 2013)
(1) P. Watzlawick, J. Helmick Beavin et Don D Jackson, Une logique de communication
(2) Jean-Paul Sartre, Huit Clos
(3) Siri Hustvedt, La femme qui tremble

25 mars 2013

ARRÊTONS DE DIRIGER EN CROYANT LE MONDE PEUPLÉ D’ « ÉCONS » !

A la découverte de « Thinking, Fast and Slow » de Daniel Kahneman (14)

Au travers de ses travaux et ses écrits, Daniel Kahneman a montré la complexité de nos motivations, pourquoi nous allions faire tel ou tel choix, comment ce n’était pas la simple perspective d’un gain qui allait nous décider, et combien le risque de perdre ce que nous avions déjà pouvait nous tétaniser.
Il a ainsi dressé un tableau de nous les humains, bien éloignés de ces êtres mathématiques et logiques que manipulent les économistes. Il résume ceci au travers d’une expression simple et parlante :
« Mes collègues économistes travaillaient dans le bâtiment voisin, mais je n'avais pas pris la mesure des profondes différences entre nos mondes intellectuels. Pour un psychologue, il est évident que les gens ne sont ni complètement rationnels, ni complètement égoïstes, et que leurs goûts sont tout sauf stables. C'était comme si nos disciplines étudiaient deux espèces différentes, que l'économiste comportemental Richard Thaler a baptisées par la suite les Econs et les Humains. Contrairement aux Econs, les Humains que connaissent les psychologues ont un Système 1. Leur vision du monde est limitée par les informations dont ils disposent à un moment donné (COVERA), et par conséquent, ils ne peuvent pas faire preuve de la même constance et de la même logique que les Econs. »
Les Econs et les Humains, voilà bien un des problèmes majeurs non seulement en économie, mais en management : j’ai croisé des dirigeants qui, trop bien formés et déformés par leurs études, croyaient leurs entreprises peuplés d’Econs, c’est-à-dire d’individus logiques et rationnels. Ces mêmes dirigeants oublient combien eux-mêmes ne sont pas des Econs, et combien ils sont mûs par leurs ambitions, leurs peurs et leurs émotions…
S’ils étaient un peu plus attentifs à la nature humaine des comportements, ils comprendraient pourquoi les changements qu’ils proposent génèrent plus de peurs que d’adhésion, pourquoi « ceux qui risquent de perdre se battront avec plus d’acharnement que ceux qui pourraient en tirer parti. »
S’ils étaient un peu plus informés des travaux de Daniel Kahneman, ils sauraient qu’un gestionnaire de portefeuille n’a pas un comportement rationnel, et qu’il cherchera toujours à vendre d’abord les titres sur lesquels il a le plus gagné depuis leur prix d’achat, et non pas ceux qui ont le moins de perspectives de plus-value.
(1)

Il est vrai par contre que « les vendeurs apprennent rapidement qu'en manipulant le contexte dans lequel un client voit un produit, ils peuvent profondément influencer ses préférences. » La vente est souvent l’art de manipuler les réflexes induits par le Système 1 des clients.
Est-ce rêver que penser que l’on pourrait construire un monde où les dirigeants politiques comme économiques tiendraient compte de tous ces enseignements ?
Pour terminer cette longue promenade dans le dernier livre de Daniel Kahneman, je lui laisse la parole avec une phrase qui résume toute son humanité :
« Les pauvres pensent comme les traders, mais la dynamique n'est pas du tout la même. Contrairement aux courtiers, les pauvres ne sont pas insensibles aux différences entre le gain et la perte. Leur problème, c'est qu'ils n'ont de choix qu'entre des pertes. »

(Article paru le 12 décembre 2012)


(1) Dessin emprunté à la vaste bibliothèque des pensées du chat de Philippe Geluck…

22 mars 2013

ÊTRE LÀ... JUSTE LÀ

Faire face immobile…
La chanson de Dominique A, le courage des oiseaux,  m'a inspiré ces quelques lignes.

Le courage des oiseaux
Si seulement nous avions le courage des oiseaux qui chantent dans le vent glacé,
Nous pourrions, immobiles et stoïques,
Sans rien attendre, ni espérer,
Pouvoir résister et nous opposer.
Notre regard, fixé dans le lointain, vers ce futur qui n’arrive pas,
Nous pourrions, tranquillement et posément,
Ne pas faillir, ne pas oublier,
Être là, simplement, intensément présent.

Mais nous ne savons que voler et bouger.
Alors, comme une feuille emportée par le vent,
Nous oublions le pourquoi et le comment,
Nous nous retrouvons là où nous ne voulions pas.
Notre regard fixé vers ce futur qui n’est plus qu’un passé,
Nous pleurons nos illusions perdues,
Nous crions après un Dieu absent.
Si seulement nous avions le courage des oiseaux qui chantent dans le vent glacé…


(Poème paru le 6 juillet 2012)

20 mars 2013

L’INCONSCIENCE EST UN DES MOTEURS DU CAPITALISME !

A la découverte de « Thinking, Fast and Slow » de Daniel Kahneman (11)
Troisième et dernier volet sur notre propension à reconstruire le passé, à avoir l’illusion de la validité… bref à nous tromper sur notre capacité à comprendre et prévoir : comment ce défaut est-il un des moteurs de la société actuelle et du capitalisme ?
Selon les travaux menés par Daniel Kahneman, sans notre cécité par rapport au futur et notre optimisme sur nos propres capacités, aucun investissement ne serait réalisé, aucune acquisition faite, aucune entreprise créée :
« La prise de risque optimiste des chefs d'entreprise contribue certainement au dynamisme d'une société capitaliste, même si la plupart des preneurs de risque subissent des déceptions. (…)
Bien souvent, j'ai posé cette question à des fondateurs et des membres de start-up innovantes : dans quelle mesure vos résultats dépendront-ils de ce que vous faites dans votre entreprise ? Une question manifestement facile. La réponse vient rapidement et dans mon petit échantillon, elle n'a jamais été inférieure à 80 %. Même quand ils ne sont pas sûrs de réussir, ces gens audacieux estiment avoir leur sort presque entièrement entre leurs mains. Ils ont certainement tort. Le résultat d'une start-up dépend autant des performances de ses concurrents et des changements sur le marché que de ses propres efforts. (…)
Les directeurs financiers étaient beaucoup trop confiants dans leur capacité à prévoir le marché. L'excès de confiance est une autre manifestation de COVERA(1): quand nous estimons une quantité, nous nous appuyons sur les informations qui nous viennent à l'esprit et nous bâtissons une histoire cohérente où cette estimation trouve son sens. (…) Un directeur financier qui informe ses collègues qu'il y a « de bonnes chances que les retours de S&P se situent entre –10 % et + 30 % » peut s'attendre à quitter la pièce sous les quolibets. Ce large intervalle de confiance est un aveu d'ignorance, ce qui est socialement inacceptable de la part de quelqu'un qui est payé pour s'y connaître dans le domaine financier. Même s'ils savaient à quel point ils en savent peu, les responsables seraient pénalisés s'ils l'admettaient. »
D’ailleurs à l’inverse si nous étions capables de prévoir ce qui allait arriver, aucune entreprise ne créerait de la valeur durablement, car progressivement toutes les entreprises s’aligneraient sur la stratégie gagnante. C’est bien le fait que ce soit le hasard et l’incertitude qui régissent notre qui est le garant de nos libertés, de l’innovation et de la créativité.
Faut-il encore l’admettre, et ne pas tomber dans le travers de Jean-Paul Sartre qui lui avait fait écrire : « Je préfère le désespoir à l’incertitude ». Non l’incertitude, et notre incapacité à savoir à l’avance ce qui va advenir, sont la source de l’espoir.
(Paru le 6 décembre 2012)

18 mars 2013

NOS DEUX MOI : CELUI QUI EXPÉRIMENTE, CELUI QUI SE SOUVIENT

A la découverte de « Thinking, Fast and Slow » de Daniel Kahneman (6)

Donc nous avons deux « identités », l’une qui vit les situations, l’autre qui les revit… et elles ne se recouvrent pas exactement : le moi dont nous sommes conscients, celui qui nous fait dire « je », est un moi reconstruit, c’est celui qui a revécu les situations, celui qui se souvient.
Comme le dit Daniel Kahneman dans sa conclusion, cette reconstruction est faite par le Système 2, mais avec tous les biais induits par le Système 1 : « Le moi mémoriel est une construction du Système 2. Cependant, sa façon d'évaluer les épisodes et les vies relève de notre mémoire. La négligence de la durée et la règle du pic-fin trouvent leur origine dans le Système 1 et ne correspondent pas forcément aux valeurs du Système 2. Nous pensons que la durée est importante, mais notre mémoire nous dit le contraire. (…) La négligence de la durée du moi mémoriel, l'accent outrancier qu'il met sur les pics et les fins, et sa tendance à l'illusion rétrospective se conjuguent pour donner des reflets déformés de notre véritable expérience. (…) Le moi mémoriel et le moi expérimentant doivent être tous deux pris en compte, parce que leurs intérêts ne coïncident pas toujours. Les philosophes pourraient longtemps débattre de ces questions. »
C'était sur ce thème qu'il avait fait en février 2010, une conférence TED : L’énigme de l’expérience et de la mémoire (voir la vidéo ci-dessous)


Nous sommes donc le fruit de ce télescopage entre nos processus conscients et inconscients, à la fois forts de la rapidité de nos intuitions et de nos décisions et faibles de leurs a priori, forts de nos expériences accumulées et faibles de leurs imprécisions…
« Le Système 2, attentif, est qui nous pensons être. Il articule les jugements et fait des choix, mais il approuve ou rationalise souvent les idées et les sentiments engendrés par le Système 1. Vous ne savez peut-être pas que vous êtes favorable à un projet parce que quelque chose, chez la fille qui le dirige, vous rappelle votre sœur que vous aimez tant, ou bien que vous détestez telle autre personne parce qu'elle ressemble vaguement à votre dentiste. Cependant, si on vous demande de vous expliquer, vous fouillerez dans votre mémoire en quête de raisons présentables et en trouverez certainement. De plus, vous croirez l'histoire que vous aurez inventée. »
Ceci milite donc à être extrêmement vigilant sur les erreurs systématiques générées par notre Système 1. Du dernier livre de Daniel Kahneman, outre ceux déjà présentés précédemment, je retiens quatre thèmes : la non-prise en compte du hasard, la reconstruction du passé, l’aversion à la perte, les Econs et les humains.
(Paru le 21 novembre 2012)

15 mars 2013

À DEUX

Duel en duo…
Les mots sont-ils le miroir de la réalité… ou l’inverse ?
Toi
Dans les cris d’un moment, je n’ai pu t’oublier,
Dans les bras d’un amant, je n’ai pu que crier,
Dans la douceur de ton effroi, je n’ai pu que trembler,
Dans la couleur de ta joie, je n’ai pu que t’aimer.
Pour la beauté de tes yeux, je me suis perdu dans tes jeux,
Pour la rudesse de ta voix,  j’ai cru te voir pleurer,
Pour la pluie de tes larmes, je me suis senti délaissé,
Pour le soleil de ton rire, j’ai cru te voir m’aimer.
Contre le cours du temps, je me suis obstiné,
Contre la force de ta perte, je me suis rebuté,
Contre la violence de ton absence, je me suis déchiré,
Contre le vide de ton départ, je ne suis que trahi.
Pour toi, je me serais battu,
Pour toi, je n’aurais jamais vaincu,
Pour toi, je n’aurais jamais fini,
Pour toi, je n’aimerai plus.
(Poème paru le 15 juin 2012)