18 avr. 2013

DANSER POUR SE PARLER

La démocratie des abeilles (1)
Si jamais vous voyez une abeille danser, ne croyez pas qu’elle est prise de folie, un rêve de mini Noureev en quelque sorte,  non, elle est en train de parler avec ses sœurs : Karl von Frisch, éthologiste allemand et prix Nobel de physiologie ou médecine en 1973, a montré que les abeilles se servaient de la danse pour communiquer entre elles.
Par les modalités des mouvements qu’elles effectuent, elles indiquent à leurs congénères l’intérêt de ce qu’elles ont découvert, la direction dans laquelle cela se trouve, ainsi que la distance.
C’est ainsi par exemple que la découverte de fleurs particulièrement riches en pollen peut être transmise au sein de la ruche.



Mais il y a encore plus surprenant : grâce à leur danse, les abeilles échangent des informations entre elles, et choisissent par un vote majoritaire, le meilleur emplacement pour une nouvelle ruche. Cette capacité collective mise en évidence et analysée par Thomas D. Seeley est tout à fait spectaculaire…
(à suivre)

17 avr. 2013

SAVOIR ACCEPTER CE QUI NOUS DÉPASSE POUR EN TIRER PARTI

Naissance des « Radeaux de feu » (3)
Voici donc l’introduction actuelle de mon prochain livre :
Quand je lis des traités sur le management des entreprises, j’ai souvent l’impression que leurs auteurs considèrent que l’entreprise est une entité tombée du ciel, née pour toujours et qu’émettre des critiques la concernant est un crime de lèse-majesté.
A croire que les penseurs du management sont créationnistes, et nient l’évolution ! Penseraient-ils qu’un Deus ex-machina est venu déposer une entité parfaite au milieu des hommes ? Car enfin, l’entreprise n’est née qu’il n’y a que quelques centaines d’années, et moins de deux cents ans pour sa forme actuelle, c’est-à-dire rien au regard de l’histoire du monde qui se compte en milliards d’années pour les temps du minéral et végétal, et en centaines de milliers pour l’homme.
Pour ma part, ne croyant pas que l’entreprise soit un produit hors-sol ou qu’elle ait surgi du néant, je la vois comme une construction contingente, issue d’un passé dont on ne peut faire table rase. Elle n’est pas réellement un construit des hommes, elle est un construit du monde. Donc pour comprendre l’entreprise, il faut comprendre le monde.
Voilà pourquoi mon livre accorde une place importante au récit de ces presque quinze milliards d’années qui ont vu naître successivement le minéral, le végétal, l’animal, l’homme, et tout récemment notre neuromonde, ce monde de l’interdépendance et de la connexion.
Je ne vais pas y prendre parti quant au caractère originel ou non du Big Bang. Je laisserai ce point aux experts, me contentant d’un récit depuis cette origine.
Je ne chercherai pas non plus à y être exhaustif, mais m’arrêterai sur les points saillants, soit parce qu’ils sont les témoins des lignes de force de l’évolution, celles que l’on retrouve dans les entreprises, soit parce qu’ils sont des ruptures signifiantes.
J’y montrerai que ce qui tisse et dirige cette évolution est le trépied de la croissance de l’incertitude, de la multiplication des emboîtements, et des émergences de nouvelles propriétés.
Afin de faciliter la lecture et de préparer le passage à l’entreprise, j’ai choisi d’émailler ce récit d’une série de commentaires sur l’entreprise, commentaires qui sont des embryons de ce qui sera repris et détaillé dans la deuxième partie.
Au cœur du monde animal, vous y découvrirez les fourmis de feu, ces êtres apparemment si minuscules, et pourtant capables de se transformer en radeau vivant, ces représentantes de la puissance d’une énergie collective, et de la petitesse d’un individu face à elle. Un appel à la modestie face à la force du groupe.
Certes nous ne sommes pas des fourmis, mais, comme une fourmi de feu peut, tout en ne sachant toujours pas elle-même nager, constater qu’elle participe à créer un radeau qui flotte, le dirigeant d’une entreprise ne devrait-il pas admettre que la puissance de celle-ci le dépasse et qu’il ne sert à rien de la contrôler ou de prétendre la comprendre ?
Cette modestie et cette lucidité ne sont pas du tout un abandon. Elles sont acceptation des limites, et le préalable à une action réelle et mature : le management par émergence est un levier puissant pour apprendre à utiliser et orienter ce que l’on constate et que l’on ne comprend pas. C’est se croire tout puissant tant dans la compréhension que dans l’action, qui conduit à l’inverse à l’impuissance réelle…
C’est à l’explicitation de cette nouvelle façon d’aborder le management que je consacrerai la deuxième partie de cet ouvrage, en abordant successivement l’élaboration de la stratégie et sa traduction en chemins stratégiques, l’ergonomie des actions émergentes, pour finir sur le profil du dirigeant et son mode d’engagement.
En route donc à la suite des radeaux de feu… 

16 avr. 2013

UN VOYAGE AU PAYS DE L’INCERTITUDE, DES EMBOÎTEMENTS ET DES ÉMERGENCES

Naissance des « Radeaux de feu » (2)
Pour lire et découvrir la totalité de mon livre, il vous faudra donc attendre encore six mois. En forme d’apéritif, je vais en évoquer déjà le plan.
Il est composé de deux parties de taille sensiblement égales.
Dans la première, je dresse le récit des quelques quinze milliards d’années qui se sont écoulées depuis le Big Bang. J’y suis à la recherche de constantes qui pourraient sous-tendre son évolution, constantes qui seront ensuite utiles dans la deuxième partie.
Nous y passons successivement au travers du monde minéral, végétal, animal, humain et enfin du Neuromonde, le nouveau monde de la connexion qui est devenu le nôtre. Au sortir de ce voyage, vous verrez que trois mots en sont au cœur : incertitude, emboîtement et émergence…
Dans la deuxième partie, je commence par repositionner l’entreprise comme étant inscrite dans cette évolution, et donc comme un emboîtement pris dans l’incertitude et les émergences.
Ensuite, je m’y interroge sur la capacité à la diriger dans un tel contexte et tente d’apporter une réponse :
- Comment construire une stratégie résiliente : peut-on le faire au travers de matriochkas stratégiques ?
- Comment agir au quotidien : peut-on définir et construire une ergonomie des actions émergentes ?
- Quel profil pour le dirigeant : comment aller vers un dirigeant porteur de sens et de compréhension ?
Pour finir cet « apéritif », demain, je vous communiquerai l’état actuel de l’introduction de ce livre…
(à suivre)

15 avr. 2013

PEUT-ON COMPRENDRE CE QUI ÉMERGE ET DIRIGER SANS DÉCIDER ?

Naissance des « Radeaux de feu » (1)
A la rentrée d’octobre sortira mon nouveau livre. Pourquoi attendre six mois alors qu’il est aujourd’hui terminé ? Parce que je veux lui laisser le temps de « se reposer », et que je rédigerai la version finale cet été. Volonté de pouvoir le peaufiner et lui adjoindre quelques dernières réflexions.
Mais son contenu est d’ores et déjà figé, ainsi que son titre et sa couverture (cf. la photo ci-jointe).
Pourquoi ce titre « Les radeaux de feu » ? Parce que la métaphore centrale de mon livre est l’histoire des fourmis de feu et de leur capacité à créer collectivement un radeau pour survivre aux inondations, histoire que j’ai résumée dans mes articles de mercredi et jeudi dernier (voir La force de la tribu des fourmis et Peut-on être sauvé par ce que l’on ne comprend pas ?). Soyons clair, il n’est évidemment pas question d’assimiler les hommes à des fourmis : c’est seulement le principe collective de cette propriété émergente qui est centrale.
Sans surprise, ce livre est un prolongement de mes livres précédents, et les lecteurs assidus de mon blog peuvent avoir une idée de son contenu.
A l’origine de ce livre, se trouve une double interrogation :
- Pourquoi pense-t-on le management des entreprises comme si celles-ci étaient un produit hors-sol, né de nulle part ? Ne serait-il pas plus pertinent de chercher à l’inscrire dans l’évolution du monde depuis son origine ? Ou formulé autrement, ne sont-elles pas plus le produit du monde, que celui des hommes ?
- Quelle est l’importance de la décision dans la direction des entreprises ? Est-ce que le poids des décisions d’un dirigeant est essentiel, ou sont-elles finalement peu de choses dans la marée des décisions quotidiennes prises de toutes parts ? Si oui, peut-on diriger sans décider, ou presque ?
(à suivre)

12 avr. 2013

IMMOBILE

En Thaïlande, sur les rives du Mékong (2007, 2009, 2011)
Un endroit perdu tout au Nord de la Thaïlande, au bord d’une petite route qui sinue le long du Mékong. Quelques bungalows, un potager qui fournit à la cuisine ce dont elle a besoin et surtout quelques tables ancrées sur une terrasse en teck face du fleuve.
Tout y est délicieusement immobile, suspendu en dehors du temps et de l’espace, entre-deux, un peu irréel. Les collines qui ferment l’horizon sont celles du Laos, à portée de main, séparées par la masse d’eau qui s’écoule lentement et majestueusement.
Je l’ai découvert à l’été 2007, au hasard d’une promenade solitaire et un peu mélancolique, au bord du Mékong.
Occasion d’un arrêt à l’abri d’un des parasols pour y poursuivre, pendant quelques heures, la lecture d’A la Recherche du Temps Perdu. La lenteur, la beauté et les zooms infinis des mots de Proust ont rebondis alors sur ceux de ce paysage, résonance parfaite et improvisée.
Deux ans plus tard, nouvel arrêt, mais cette fois prolongé. Quelques jours immobiles à profiter de ce calme. Découverte aussi l’autre rive de l’endroit : le Mékong d’un côté et sa majesté silencieuse, la rizière de l’autre et sa verdeur ondoyante.
Sur celle-ci, une passerelle en bois, sente mimant les méandres d’un fleuve, mini-reproduction du grand frère opposé.
Au bout de cette sente, quelques autres bungalows où j’ai laissé les jours passer.
Encore deux plus tard, je suis revenu. Fasciné par le lieu, c’est plus d’une semaine que je me suis attardé… à ne rien faire à part lire, écrire, et regarder.
Mon ordinateur s’est lui-même pris au jeu, devenant un miroir de ce que je regardais, reflet de l’eau et des lignes brisées de mon balcon. Confusion et fusion, effacement des limites.
La pluie de la mousson était au rendez-vous, lessivant constamment tout ce qui se trouvait à sa portée et nourrissant la force du lieu, ce Mékong qui capte les énergies et les fournit en rebonds…
Je sais que cette magie m’attend et que j’y retournerai… bientôt…
(Rai Saeng Arun, 2 Moo 3 Baan Phagub Rim Khong 57140 Chiang Khong Thaïlande,  http://www.raisaengarun.com)

11 avr. 2013

PEUT-ON ÊTRE SAUVÉ PAR CE QUE L’ON NE COMPREND PAS ?

Les fourmis de feu sont sauvées par des radeaux qui les dépassent (2)
Nous voilà donc avec des fourmis de feu qui, tout en ne sachant pas nager, élaborent un radeau insubmersible. Mais au fait, comment est né le premier radeau ? Les fourmis de feu ont-elles été fatiguées de se voir décimées, année après année, par les inondations à répétition ? Ont-elles un jour mis sur pied un bureau d’études pour chercher quelle pouvait être la meilleure réponse à ces cataclysmes récurrents ? Après avoir débouché sur quelques idées, ont-elles construit des prototypes, avant de retenir le principe du radeau ? Se sont-elles ensuite entraînées à le réaliser le plus rapidement possible ? Non, n’est-ce pas… La solution a dû naître au hasard des télescopages de la vie. Les seules fourmis qui sont passées au travers des aléas de l’évolution sont celles qui ont acquis cette propriété. Impossible de savoir comment cela s’est passé.
D’ailleurs, posons-nous alors une question « simple » : une fourmi de feu est-elle capable de comprendre, ou simplement de percevoir des propriétés qui la dépassent, mais auxquelles elle participe, et qui n’existeraient pas sans elle ? Sait-elle ce qu’elle fait et pourquoi elle le fait ? Imaginez-vous à l’intérieur du corps d’une fourmi de feu en train d’agripper votre voisine : comment pourriez-vous conceptualiser ce que vous êtes en train de faire, ce d’autant plus que vos capacités cognitives individuelles sont très limitées ?
Dommage que je ne puisse pas interroger une fourmi pour avoir la réponse ! Mais il est quand même peu probable qu’elle soit à même de comprendre ce qui la dépasse au sens strict du terme. Même nos chercheurs les plus émérites ont du mal à modéliser ces radeaux flottants et leur caractère quasiment indestructible

10 avr. 2013

LA FORCE DE LA TRIBU DES FOURMIS

Les fourmis de feu sont sauvées par des radeaux qui les dépassent (1)
Les fourmis de feu vivent essentiellement, en Amérique du Sud, où elles sont nées et prospèrent. Elles sont des forces de la nature, capables de se déplacer rapidement et de tout ravager sur le chemin.
Comme tous les êtres vivants dans ces régions, elles sont soumises à un phénomène chronique et destructeur : les pluies diluviennes et les inondations. Tant que la pluie ne dépasse pas une certaine intensité, tout va bien elles peuvent continuer leur progression. Mais quand l’inondation survient, elles vont être emportées comme des fétus de paille et leur toute puissance n’est rien face à la puissance des courants.
Comment font-elles donc pour survivre ? Ont-elles individuellement appris à nager ? Voit-on les unes partir en un crawl réinventé, les autres à la brasse ? Non, dès que le risque d’une inondation est patent, avant d’être submergées par le flot, elles s’agrippent les unes aux autres, emprisonnent, chacune et ensemble, un maximum d’air, et forment une sorte de radeau qui a la souplesse et la résistance d’une balle de tennis. Cette structure de forme quasi circulaire a une double propriété : elle est résistante, et elle est insubmersible. Toutes ensemble, les fourmis sont devenus un radeau qui flotte quoi qu’il arrive.
Au cœur du radeau, bien protégée par toutes ses ouvrières, se trouve la reine. Avec l’air embarqué, non seulement tout le monde flotte, mais respire. Les jours peuvent passer, rien de grave ne survient : même si le radeau heurte une souche emportée par le courant, il n’est pas détruit ; s’il est pris dans des torrents ou des vagues, il ondule dans le courant. Probablement quelques fourmis périront au cours du voyage, mais comment les compter et qui s’en préoccupe ? Seul vrai risque, les poissons qui, s’ils repèrent un tel radeau, vont s’en nourrir. Aucun système n’est pas parfait, et la probabilité d’une rencontre avec un poisson est faible. Un jour, au gré des courants, le radeau en vient à se trouver heurter la rive. Alors les fourmis du bord s’y agrippent, la reine est transportée, les liaisons se dénouent et la marche conquérante des fourmis de feu reprendre.
(à suivre)
(Photo David Hu and Nathan J. Mlot)

9 avr. 2013

OBSERVONS, ANALYSONS, INTERPRÉTONS, SOYONS EN QUÊTE DE SENS, ET LE MEILLEUR SERA AU RENDEZ-VOUS

Le temps est plus que jamais la source d’un pacte commun – Revue Aetos mars 2013 (5)
Quel est le rôle du facteur temps dans ce « trépied » ?
Le temps est le ciment commun, ce dans quoi s’inscrit l’action. Les emboîtements se multiplient, les émergences naissent, l’incertitude s’accroît en s’inscrivant dans le temps. Le temps est aussi cette matrice dont nous aimerions maîtriser le cours, pour l’accélérer ou le ralentir, ou parfois pour effacer les actions passées. Mais si le temps pouvait ainsi être remodelé, les attentes et les desseins des uns et des autres seraient au mieux distinctes, et le plus souvent contradictoires. Nous cesserions d’être synchrones, d’habiter le même monde et de pouvoir agir ensemble. Le temps est donc bien la source d’un pacte commun : pour le meilleur et le pire, nous habitons le même monde, et nous dépendons les uns des autres. Le temps impose ainsi sa mesure et ne peut pas être considéré comme une variable d’ajustement, extensible et contractable à souhait, y compris en management : ce n’est pas en tirant sur une plante qu’on la fera pousser plus vite !
La stratégie repose in fine sur le décideur, qui doit selon vous « être stable pour pouvoir se diriger et diriger ; être fort pour aimer l’incertitude, s’appuyer sur l’incertitude pour se renforcer ». Une telle posture ne gagnerait-elle pas à être davantage diffusée dans la société ?
Bien sûr. Nous vivons une transformation profonde du monde dans lequel nous vivons, comme l’expliquait déjà Michel Serres, dès le début des années 2000, avec son livre Hominescence. Nous ne vivons pas une crise, nous n’inventons pas un nouveau mode de production : nous sortons de nos cavernes mentales et cloisonnées. Après les ères du minéral, du végétal, de l’animal et de l’humain, nous entrons dans ce que j’appelle le « Neuromonde » - ce monde de connexions et d’échanges dans lequel nous sommes soumis aux incertitudes de tous. Apprenons donc collectivement la responsabilité et la modestie. La responsabilité, car chacun de nous joue un rôle dans ce Neuromonde. La modestie, car personne ne le comprend vraiment. Et là n’est pas l’essentiel. Observons, analysons, interprétons, soyons en quête de sens, et le meilleur sera au rendez-vous. Agissons sans but, affirmons, répétons, soyons en quête de pouvoir, et le pire sera au rendez-vous.
Qu’est-ce qu’un chef, un dirigeant, ou même un actionnaire « éclairé » dans ce Neuromonde ? Davantage un philosophe ou un historien qu’un technicien. Un créateur de sens et de stabilité, qui sait fixer un cap et s’y tenir, déterminé, dans la durée… Un véritable stratège en somme !  

8 avr. 2013

LA QUESTION CENTRALE DU MANAGEMENT N’EST PLUS LA DÉCISION, MAIS LA CAPACITÉ À FAIRE CONVERGER DES PROCESSUS CHAOTIQUES ET ÉMERGENTS

Le temps est plus que jamais la source d’un pacte commun – Revue Aetos mars 2013 (4)
Votre prochain ouvrage traitera plus particulièrement du « management par émergence ». Qu’entendez-vous par là ?
Je pars de deux constatations simples. D’une part, l’entreprise n’est pas un produit hors-sol, elle n’est pas née de nulle part. Elle est le produit d’un monde. Si l’on veut progresser dans sa compréhension et dans la façon de la diriger, il est donc nécessaire de s’intéresser à la dynamique du monde, à ce qui sous-tend l’entreprise depuis son origine. D’autre part, le poids réel des décisions du dirigeant d’une grande entreprise est finalement modeste au regard de la somme des décisions qui sont prises constamment dans son organisation, et au sein de son environnement. Certes, certaines décisions sont essentielles, notamment s’agissant du choix de la méta-stratégie, du cadre stratégique et des principes d’actions exposés précédemment. Mais ce qui fait au quotidien la performance d’une entreprise, c’est le résultat d’un foisonnement, c’est-à-dire d’un phénomène d’émergence. La question centrale du management n’est donc plus la décision, mais la capacité à faire converger des processus chaotiques et émergents, qui sont la nature même de toute vie.
Dès lors, comment « manager par l’émergence » ? Trois conditions me semblent nécessaires. Tout d’abord, une stratégie articulée en poupées russes avec la mer au pourtour (ou la méta-stratégie), contenant le cadre stratégique et les principes d’actions. Ces deux « peaux » constituent l’enveloppe structurellement stable de toutes les initiatives émergentes et chaotiques. Ensuite, une ergonomie de l’action émergente qui articule la recherche de la facilité et du geste naturel avec la confiance, le calme et l’acceptation sereine de la confrontation - laquelle permet notamment de dégager une culture commune. Enfin, il faut un dirigeant porteur de sens et de compréhension, qui se concentre réellement sur l’enveloppe stratégique et sache faire preuve de stabilité émotionnelle, en acceptant le monde tel qu’il est. Un monde marqué à mon sens par un triple phénomène : la croissance de l’incertitude, la multiplication des emboîtements, l’émergence de nouvelles propriétés.
(à suivre)

5 avr. 2013

RÊVES DE BOUDDHA

Thaïlande 2006-2007
Voilà si longtemps que je suis couché, là, immensément immobile, que j’en ai perdu le compte. Les yeux fermés, je sens la présence inutile et vaine de la foule qui, presque quotidiennement, se masse à mes pieds.
Que vient-elle regarder ? Comment pourrait-elle me comprendre, ou même simplement m’effleurer, elle qui n’est que la trace de celui que je fus ?
Comment ont-ils pu faire de moi cette masse dorée qui se répand dans un temple de Bangkok ? Comment peuvent-ils imaginer se rapprocher de mes enseignements, au sein de ces palais luxueux ?
Je sens profondément encore ce jour lointain, où enfin, après tant de tentatives infructueuses, après un long cheminement m’amenant à découvrir le néant, à associer perception et non-perception, j’ai pu m’abstraire de la souffrance et des apparences.
Et je me retrouve engoncé d’or. Quelle dérision !

Heureusement, il est des terres où je me sens moins absurde, où le calme qui m’entoure et la dévotion de ceux qui me contemplent, sont plus en harmonie avec l’essence de mon témoignage.
Dans les terres du Nord, pour ceux qui se laissent perdre dans les montagnes, au-delà des jardins de Doi Tung, pour ceux qui savent que la longueur de la route, la rudesse de la déclivité, et la multitude des marches sont autant de prémisses aux vraies rencontres, ils me trouveront, assis. 
Seuls des draps me recouvrent. Comme pour mieux montrer la vacuité de mon apparence, en arrière-plan, se dresse un tissu de plastiques. Quelques statuettes ont été posées à mes pieds, je ne les vois pas, mais je sais leur présence.
L’humidité est partout, saturant l’air. A quelques mètres, une jungle de bambous peuple les collines. L’eau ruisselle autour de moi et en moi, me lavant quotidiennement des pensées inutiles.
Parfois l’un de vous s’arrête, de temps en temps un touriste perdu, mais le plus souvent, un des prêtres qui officient ici. Je connais le glissement de chacun de leur pas, le souffle de chacune de leurs exhalaisons, le silence de leurs prières muettes.
Et je me dissous. Quel bonheur !

J’aime ces mikados géants que l’on dresse à mon intention, prières de bois, partant du sol et s’appuyant sur les branches de mon voisin végétal. Béquilles inclinées, elles évoquent le parcours des âmes vers le ciel. Elles sont aussi de nouvelles racines aériennes pour la frondaison de l’arbre.
La nuit, quand le lieu m’est seul réservé, quand les hommes sont partis dans les torpeurs de leurs rêves, je joue avec ce mikado. Doucement, je déplace une tige, en faisant attention, de n’en effleurer aucune autre.
A quelle fin, me direz-vous ? Mais pour jouer, simplement pour jouer. Qui a dit que moi, Bouddha, j’avais perdu les plaisirs de mon enfance ? Au contraire, avoir abandonné l’illusion du monde m’a rapproché de la spontanéité de mes débuts.
Et à l’instar de mon frère crucifié sur une colline de Palestine, je laisse venir en moi l’enfant du Dieu que je suis devenu…