Le Développement industriel et économique en France (4)
En fait, selon des analyses croisées et convergentes, la tendance lourde de baisse des activités industrielles en France se corrèle à trois phénomènes :
- Le premier spécifique à la France est notre déficit de confiance en nous, et les uns avec les autres (1). Or la confiance est le moteur essentiel du développement : tout investissement ou création est un pari vers l’avenir ; tout travail collectif est un abandon à l’autre. Ce point est lié directement avec le système éducatif français qui donne une part essentielle aux évaluations individuelles et sanctionne de fait tout travail collectif.
- Le deuxième aussi spécifique est lié à la dérive excessive et constante des délais de paiement, qui se traduit par un transfert massif de ressources depuis les PMI/PME vers la grande distribution et les grandes entreprises. Il est d’ailleurs flagrant que le seul secteur où l’on ait vu fleurir de nouvelles grandes entreprises d’origine française est depuis trente ans, celui de la grande distribution. Les sommes en jeu sont considérables, puisqu’elles représentent plus de 500 milliards d’euros. Elles sont très probablement la raison majeure du déficit de la France en entreprises moyennes. Cet abus en matière de délai de paiement se corrèle directement avec une spécificité du droit français qui organise le transfert de propriété non pas au paiement, mais à la livraison. (2)
- Le troisième concerne tous les pays occidentaux : depuis le début des années 80, nous faisons face à un rattrapage des pays dits émergents – qu’il conviendrait d’ailleurs appelés émergés –, dont essentiellement la Chine, l’Inde et le Brésil. Le mouvement en cours est loin d’être terminé et devrait se prolonger encore pendant dix à vingt ans. (3)
C’est sur ce socle structurel, qu’est venu se rajouter l’excès des charges sociales. Il faut revenir dessus, mais faire seulement cela, serait inefficace…
Enfin, le développement du tissu industriel s’est fait au travers de la constitution d’un réseau de plus en plus complexe de relations intra et inter-entreprises, rendant difficile l’analyse réelle de la localisation de la création de la valeur ajoutée. Ce n’est pas parce qu’un produit est assemblé dans un pays donné, que les composants qui interviennent dans son élaboration le sont aussi. De plus, souvent une part importante de la valeur ajoutée est dans le processus industriel lui-même, et dans l’origine des machines-outils et des systèmes informatiques qui le pilotent. Il faut donc se garder d’une analyse trop rapide et de conclusions hâtives.
En conclusion et en résumé, une politique de développement industriel et économique devrait :
- Partir de la complexité des organisations en place, tant au sein des entreprises qu’entre elles,
- Ne pas chercher des pseudo-remèdes dans un passé rêvé et révolu,
- Ne pas se leurrer sur la capacité de lutter contre le courant de fond du rééquilibrage au profit des pays émergés,
- Bâtir une stratégie sur cet état de fait,
- Savoir que la confiance, la capacité ensemble et l’anticipation sont les leviers majeurs de création de valeur durable.
La capacité d’intervention directe de l’État vis-à-vis des grandes entreprises, hormis les quelques-unes dont il détient une part du capital significative, ne peut se faire réellement efficacement qu’au travers de la définition du cadre réglementaire et fiscal.
La question centrale de la politique de l’État en matière de développement industriel n’est donc pas celle de l’action directe sur les grandes entreprises, mais celle de la régénérescence du tissu industriel, et donc du développement et de la pérennité des PMI/PME : comment rendre vivant le tissu industriel et y permettre la croissance des entreprises.
(à suivre)
(1) Voir notamment les travaux d’Yves Algan, et singulièrement le dernier livre auquel il a participé « La fabrique de la défiance », et sa vidéo « Construire une société de confiance »