24 avr. 2014

APPRENDRE À SE SAISIR DU LOINTAIN OU À S’EN PROTÉGER

L’écosystème de notre corps (3)
Pourquoi donc un cerveau autonome s’est-il développé ? Pourquoi progressivement des neurones se sont-ils développés loin des tubes digestifs ?
Pour piloter les sens qui ont émergé : la vue, l’ouïe, le toucher. Telle est la fonction primaire du nouveau cerveau qui a grandi loin du tube digestif : ce deuxième cerveau – car oui, le premier, c’est bien le cerveau intestinal ou entérique – est là pour mieux nourrir le corps qui l’héberge. L’œil est là pour repérer la proie, l’oreille pour l’entendre s’approcher, le membre pour mieux la saisir.
Il est là aussi pour mieux se protéger : l’œil est là pour identifier le prédateur, l’oreille pour entendre ce que l’on ne peut pas voir, le membre pour courir et se défendre.
Finalement ce deuxième cerveau n’est bien que la prolongation de la digestion. Il l’a perfectionnée, et permet de se saisir et se protéger d’un dehors lointain et distant, dont on peut se rapprocher et ingérer, ou qui peut surgir et nous attaquer.
Ce cerveau, petit à petit, a grossi : il contrôle les organes moteurs, assure le pilotage d’un organisme sans cesse plus complexe, et est le principal acteur de la survie. Oui, mais le cerveau primaire est toujours là, tapis dans les recoins des intestins, et sans lui, la vie ne serait pas possible.
Et qu’en est-il de notre cortex ? En quoi ce passé lointain nous concerne-t-il ? Sommes-nous réellement encore dépendants de cette origine ? Nos pensées sont-elles encore conditionnées par notre digestion ?
(à suivre)

23 avr. 2014

LA PENSÉE VIENT-ELLE DE LA PANSE ?

L’écosystème de notre corps (2)
Nous avons donc un cerveau dans notre intestin. Étrange sensation, non ?
Mais ne serait-il pas plus exact de dire que nous étions un intestin intelligent qui s’est progressivement doté d’un cortex pour mieux survivre ? Encore plus étrange, non ?
Et pourtant c’est bien dans cet ordre que la vie a déroulé le ruban de son évolution.
Tout a commencé au début par des organismes qui n’étaient que des tubes digestifs : savoir à se nourrir du dehors, capter ce qui peut être transformer en énergie, se protéger de ce qui peut détruire. La peau de la vie est ce qui limite et qui permet les échanges.
Je digère donc je vis. Si le propre de l’homme est le rire, celui de la vie est la digestion, c’est-à-dire la capacité à manger l’autre…
Et ce n’est pas facile : comment trier dynamiquement dans le bain qui entoure ce qui est bon, et rejeter le reste ? Petit à petit, au fur et à mesure du développement, ce qui n’était que des cellules primaires est devenu des tubes digestifs intelligents. Des neurones sont venus tapisser les parois et l’intelligence est née.
Voilà donc l’origine des neurones : apprendre à digérer.
Aussi notre cerveau entérique – appellation scientifique du cerveau intestinal – est-il celui qui a précédé l’autre.
Certes, mais notre « vrai » cerveau, ce cortex qui nous permet de penser, et de nous voir comme des « Je » indépendants et responsables, n’a rien à voir avec cette activité primaire : la pensée ne vient pas de la panse ! 
Est-ce si vrai ?
(à suivre)

22 avr. 2014

LE VENTRE, NOTRE DEUXIÈME CERVEAU

L’écosystème de notre corps (1)
Le 17 juin 2013, intrigué par la découverte de neurones tapissant notre paroi abdominale, j’écrivais sur mon blog un article intitulé « Penser avec les tripes ».
En effet, fort d’une centaine de millions de neurones, soit près du double du cerveau d’un rat, ce cerveau local est un bel exemple de la puissance d’une intelligence décentralisée : il permet un traitement rapide, et ce sans solliciter notre cerveau principal, du processus clé et complexe de la digestion.
Je terminais en écrivant : « Les deux cerveaux sont-ils totalement indépendants ? Non, ils sont réunis par un nerf au joli nom, le nerf vague. Son rôle reste encore imprécis, mais, s’il assure une forme de synchronicité entre les deux, il n’entrave pas l’autonomie du cerveau abdominal.
Ce principe d’organisation n’est pas inintéressant pour réfléchir au management des entreprises, et la façon de développer de vrais processus décentralisés…
Décidément plus nous avançons dans la compréhension de nos mécanismes cérébraux, plus on s’écarte de la vision de Descartes, et de son célèbre « Je pense donc je suis »… à moins qu’il faille le réécrire avec un néologisme : « Je panse et je suis » ! »
La diffusion récente d’un documentaire sur Arte, « Le Ventre, notre deuxième cerveau » vient enrichir et prolonger mes réflexions, et ce en droite ligne de ce que j’écrivais dans mon dernier livre, Les Radeaux de feu, à savoir l’importance des processus émergents et la complexité de la notion de « je » et d’individualité.
Il était nécessaire donc que je m’y arrête. Tel est le propos des billets des jours à venir.

(à suivre)

18 avr. 2014

UN HOMME À LA MER

Histoire d’eau (1)
Trois silhouettes et de l’eau.
Silhouette minuscule, le premier marche sur une plage, et semble prier. En appelle-t-il à une quelconque divinité ? A-t-il peur des vagues qui meurent à ses pieds ?
Le second est plongé, à mi torse. Il est calme, résolu, quasiment immobile. Ses bras légèrement écartés lui apportent courage et stabilité.
Le troisième flotte. La barque a disparu, et l’eau semble le porter. Comme un Dieu, qui n’aurait même plus besoin de marcher, il la survole.
La juxtaposition des trois crée en moi une sensation étrange. Ils se fondent, pour ne faire plus qu’un, et évoquer la conquête de la mer : tout commence par la prière, se poursuit par l’immersion et se finit par la lévitation…
A moins que ce ne soit la réponse à un appel des plantes qui survolent le tout. Sont-elles carnivores ? Vont-elles le dévorer, lui qui avance droit vers elle ?

Incertitude de la vie, télescopage des souvenirs et des images…

17 avr. 2014

LE DANGER DE L'EXPERTISE

Ne pas s’enfermer dans ses convictions issues du passé - Vidéo
Plus une entreprise a prospéré et est peuplée d'experts, plus elle risque de ne lire l'évolution du monde qu'au travers du prisme de son expérience et de son passé. Elle pousse le talent de l'inférence au maximum, et sait ou est persuadé de savoir.

16 avr. 2014

POUR UN DIRIGEANT PLUS PHILOSOPHE ET HISTORIEN QUE MATHÉMATICIEN

Pour un Dirigeant porteur de sens et de compréhension – Vidéo 4
On peut sous-traiter les calculs, mais pas la compréhension, l'empathie et la vision. Aussi les qualités requises pour diriger sont celles d'un visionnaire-philosophe et historien :
- capable de rêver le futur qui attire le cours de son fleuve,
- soucieux du sens des mots et des actes, les siens comme ceux des autres, individuels comme collectifs,
- sensible à l'importance et la vulnérabilité des interprétations.

15 avr. 2014

LES MOTS DE LA DEUXIÈME FRANCE

Kery James, un chanteur enterré vivant
Hier c’étaient les mots de Georges Brassens qui m’étaient revenus pour évoquer la situation d’aujourd’hui et la montée des peurs au nom de nos racines.
Un autre poète contemporain nous parle de ces mêmes peurs. Lui n’est pas mort, et bien vivant. C’est Kery James, mais vous ne le trouverez quasiment jamais à la télévision, ni ne le l’entendrez dans les ondes de la radio. A croire que, comme Brassens, il n’est plus des nôtres. Pourtant il parle de notre société et de notre difficulté à vivre ensemble. J’ai déjà évoqué sur mon blog à de multiples reprises la portée de ses mots…
En voici à nouveau quelques uns piochés dans trois de ces chansons - Lettre à la républiqueBanlieusardsÀ l’ombre du show business :
« Ce passé colonial, c'est le vôtre,
C'est vous qui avez choisi de lier votre histoire à la nôtre,
Maintenant vous devez assumer.
L'odeur du sang vous poursuit, même si vous vous parfumez,
Nous les arabes et les noirs, On n'est pas là par hasard,
Toute arrivée à son départ.
(…)
On ne s'intègre pas dans le rejet,
On ne s'intègre pas dans des ghettos français.
Parqués entre immigrés, faut être sensé,
Comment pointer du doigt le repli communautaire,
Que vous avez initié depuis les bidonvilles de Nanterre ? »
« Le 2, ce sera pour ceux qui rêvent d'une France unifiée.
Parce qu'à ce jour y'a deux France, qui peut le nier ?
Et moi je serai de la 2ème France, celle de l'insécurité, des terroristes potentiels, des assistés.
C'est c'qu'ils attendent de nous, mais j'ai d'autres projets qu'ils retiennent ça.
Je ne suis pas une victime mais un soldat.
Regarde-moi, j'suis noir et fier de l'être.
J'manie la langue de Molière, j'en maîtrise les lettres.
Français parce que la France a colonisé mes ancêtres …
Banlieusard et fier de l'être. On n'est pas condamné à l'échec !
On est condamné à réussir, à franchir les barrières, construire des carrières »
« Issu de la 2ème France j'attends encore ma 1ère chance.
Pardonne mon arrogance mais ils condamnent mon art en silence.
Pendant que je pleure, mes potes ont terminé leur dernière danse.
Alors oui, je suis poète dans le cercle des disparus. A l'ombre du show business, mon art vient de la rue …
Oh que j'aime la langue de Molière.
J'suis à fleur de mots, tu sais y'a une âme derrière ma couleur de peau,
Et si je pratique un art triste, c'est que mon cœur est une éponge. »

14 avr. 2014

L’INTEMPORALITÉ DE LA PEUR DE L’AUTRE

La ballade des gens qui sont nés quelque part
Ce Week-end, en courant – une de mes occupations au cours de laquelle mon esprit flotte et vagabonde –, dans mes oreilles a résonné (et raisonné aussi !) une chanson de Georges Brassens, La Ballade des gens qui sont nés quelques part.
Étonnante modernité de ces morts acerbes qui mettent l’accent sur la peur de l’autre, et la volonté d’hérisser des barrières au nom de l’histoire.
Face à l'émergence du Neuromonde, ce monde fait de connexions multiples et complexes, en ces temps de montée des peurs collectives, où l’abstention des dernières élections municipales s’est accompagnée de la progression des extrêmes et du rejet des différences, où, dans quelques semaines, ce sera le temps des élections européennes, il m’a semblé utile de redonner la parole à celui qui nous a quitté, il y a maintenant plus de trente ans…
« C'est vrai qu'ils sont plaisants tous ces petits villages,
Tous ces bourgs, ces hameaux, ces lieux-dits, ces cités
Avec leurs châteaux forts, leurs églises, leurs plages.
Ils n'ont qu'un seul point faible et c'est d’être habités,
Et c'est d’être habités par des gens qui regardent
Le reste avec mépris du haut de leurs remparts,
La race des chauvins, des porteurs de cocardes
Les imbéciles heureux qui sont nés quelque part
 (…)

C'est pas un lieu commun celui de leur naissance.
Ils plaignent de tout cœur les pauvres malchanceux,
Les petits maladroits qui n'eurent pas la présence,
La présence d'esprit de voir le jour chez eux.
Quand sonne le tocsin sur leur bonheur précaire,
Contre les étrangers tous plus ou moins barbares
Ils sortent de leur trou pour mourir à la guerre,
Les imbéciles heureux qui sont nés quelque part  »

11 avr. 2014

DES GOÛTS ET DES COULEURS

Rencontres animales
N’en déplaise aux défenseurs absolus de nos amis les bêtes, la rencontre de celles-ci peut ne pas être vécue comme une expérience plaisante !
Qui aurait ainsi envie de se saisir de ces morceaux de gâteau dont des guêpes sont en train de faire leur nectar ?
Ici, à Jaipur, au Rajasthan, ce sont elles qui sont en train de faire leur marché, et ce sans débourser la moindre roupie.
Mais il est vrai que, si l’on oublie l’idée de vouloir lutter avec elles pour s’approprier un de ces morceaux, le spectacle devient plaisant, et leur présence anime ce qui ne serait qu’une banale assiette…
Là, c’est une toute autre histoire. C’est simplement l’étrangeté de l’objet qui me rebute, et m’interdit de m’en saisir.
Comment arriver à prendre une de ces larves d’insecte pour m’en délecter ? Mes voisins qui déambulent sur le marché de Chiang Rai, dans le Nord de la Thaïlande, n’ont pas mes craintes, et savent les apprécier.
Probablement, face à une huitre ou un escargot, ils n’auraient pas la même aisance, et la situation serait inversée…
Mais ceux qui sont les moins difficiles, ce sont bien ces oiseaux de Bombay qui font leurs délices d’un amoncellement d’ordures.

Eux, savent bien que les apparences sont trompeuses ! Ils n’ont ni mes préventions, ni mes peurs…

10 avr. 2014

POUR UN DIRIGEANT VISIONNAIRE, MODESTE ET CRÉATEUR DE CONFIANCE

Pour un Dirigeant porteur de sens et de compréhension (11)
Prise dans la tourmente du Neuromonde, l’entreprise est donc d’autant plus puissante que son Dirigeant est à la fois visionnaire, modeste et créateur de confiance :
- Visionnaire, c’est-à-dire capable de rêver un futur qui, tout ayant commencé à exister largement par hasard, n’est pas encore là, et qui, à l’instar des mers pour les fleuves, attire le cours de l’entreprise. Personne ne peut le faire à sa place. Avec le conseil d’administration, et éventuellement quelques très proches collaborateurs, fort d’une compréhension fine de l’histoire de l’entreprise, de pourquoi elle est née et a survécu, à lui de construire cette stabilité.
- Modeste, c’est-à-dire conscient de tout ce qui lui échappe venant de l’entreprise et de son environnement, et de la force des processus collectifs. Cette double connaissance l’amène à privilégier le lâcher-prise, en se situant en recours et en veillant à la performance des organisations collectives.
- Créateur de confiance, c’est-à-dire calmement déterminé, propageant dans l’entreprise un climat de respect et confiance les uns dans les autres. Sans confiance individuelle, il n’y a que des peurs, et aucune anticipation positive. Sans confiance collective, il n’y a ni cohésion, ni création de valeur globale durable.
Tout ceci étant indissociable de la stabilité, il est vain d’imaginer que la performance vienne d’un zapping managérial et d’une approche court terme de son actionnariat.
Enfin, il peut sous-traiter les calculs, mais ni la compréhension, ni la recherche et la propagation du sens.
À ces conditions, alors, comme les radeaux de feu, les entreprises sauront s’adapter à ce qui advient et avanceront, chaque jour un peu plus fortes, vers leur futur, cette mer dont elles ne cesseront de se rapprocher, sans jamais l’atteindre.

(Ceci conclut la série des extraits de mon livre Les Radeaux de feu)