Quarante ans déjà (1)
Septembre 1974, élève à l’École Polytechnique
Bien
loin ce temps des mathématiques, de la physique et de toutes ces sciences dites
dures. Un temps où je croyais encore – et où on me poussait à croire – que
progrès et connaissance rimaient avec moins d’incertitude et plus de
prévisibilité.
Mais il
est vrai qu’il me suffisait alors de pousser la porte de l’École – ce que je
faisais souvent –, ou de ne pas la rejoindre à temps – ce que je faisais aussi
souvent ! – pour me retrouver dans les rues et les cafés du Quartier Latin.
Autant
d’occasions de plonger de la vraie vie, ses heurts, ses chaos et toute
l’énergie aléatoire qui l’habitent et la rendent passionnante…
Août 1983, chargé de mission à la Délégation à l’Aménagement du Territoire
et à l’Action Régionale
Je profite du calme estival pour me plonger dans
les dossiers de la dernière restructuration de la sidérurgie, conduite en 1978,
et y lis que les experts gouvernementaux tablaient alors sur une production
d’acier en France dans cinq ans, de vingt-et-un millions de tonnes, que la CGT
prévoyait un marché à trente millions de tonnes, et que le journal Le Monde
tranchait, lui, au milieu. Or j’ai entre les mains le résultat, et il est de
dix-sept millions.
Ainsi
le plus proche s’est trompé de près de vingt-cinq pour cent, ce sur une donnée
supposée prévisible et non sujette à des spéculations : la demande en acier
n’est ni une donnée virtuelle, ni cotée dans une quelconque bourse, ni le fruit
d’arbitrages faits dans des salles obscures.
Première
douche froide : comment continuer à croire que l’on peut mathématiser le monde
?...