14 mai 2014

LE TEMPS DES CERTITUDES

Quarante ans déjà (1)
Septembre 1974, élève à l’École Polytechnique
Bien loin ce temps des mathématiques, de la physique et de toutes ces sciences dites dures. Un temps où je croyais encore – et où on me poussait à croire – que progrès et connaissance rimaient avec moins d’incertitude et plus de prévisibilité.
Mais il est vrai qu’il me suffisait alors de pousser la porte de l’École – ce que je faisais souvent –, ou de ne pas la rejoindre à temps – ce que je faisais aussi souvent ! – pour me retrouver dans les rues et les cafés du Quartier Latin.
Autant d’occasions de plonger de la vraie vie, ses heurts, ses chaos et toute l’énergie aléatoire qui l’habitent et la rendent passionnante…
Août 1983, chargé de mission à la Délégation à l’Aménagement du Territoire et à l’Action Régionale
Je profite du calme estival pour me plonger dans les dossiers de la dernière restructuration de la sidérurgie, conduite en 1978, et y lis que les experts gouvernementaux tablaient alors sur une production d’acier en France dans cinq ans, de vingt-et-un millions de tonnes, que la CGT prévoyait un marché à trente millions de tonnes, et que le journal Le Monde tranchait, lui, au milieu. Or j’ai entre les mains le résultat, et il est de dix-sept millions.
Ainsi le plus proche s’est trompé de près de vingt-cinq pour cent, ce sur une donnée supposée prévisible et non sujette à des spéculations : la demande en acier n’est ni une donnée virtuelle, ni cotée dans une quelconque bourse, ni le fruit d’arbitrages faits dans des salles obscures.

Première douche froide : comment continuer à croire que l’on peut mathématiser le monde ?...

13 mai 2014

ÊTRE LE PREMIER DES PILOTES DE SON CORPS, MAIS PAS LE SEUL

L’écosystème de notre corps (11)
Qui décide ?
Est-ce moi qui, consciemment, choisit de faire ceci ou cela ? Quelle est la portée de l’influence du cerveau intestinal qui pèse sur mes émotions et modifie ma perception du monde et des risques ?
Jusqu’à quel point les bactéries qui sont présentes dans mon microbiote intestinal peuvent-elles me faire mener des buts qui servent leurs intérêts, ce voire au préjudice de ma propre survie ? Puis-je être une sorte de véhicule passif de micro-organismes qui me manipuleraient ?
Très probablement pas… mais je suis certainement influencé. Je repense à ces scènes cauchemardesques des films Alien où les humains se transforment en simple véhicule d’êtres qui les détruisent. Rien à craindre de tel.
Je repense aussi au livre de Richard Dawkins, Le Gène égoïste, publié en 1976, où il soutient la thèse que ce sont les gènes qui manipulent le vivant et son évolution. Comme il est expliqué dans Wikipedia, « en décrivant les gènes comme étant « égoïstes », l'auteur n'entend pas par là (comme il l'affirme sans équivoque dans le livre) qu'ils sont munis d'une volonté ou d'une intention propre, mais que leurs effets peuvent être décrits comme si ils l'étaient. Sa thèse est que les gènes qui se sont imposés dans les populations sont ceux qui provoquent des effets qui servent leurs intérêts propres (c'est-à-dire de continuer à se reproduire), et pas forcément les intérêts de l'individu même. Cette vision des choses explique l'altruisme au niveau des individus dans la nature, en particulier dans le cercle familial : quand un individu se sacrifie pour protéger la vie d'un membre de sa famille, il agit dans l'intérêt de ses propres gènes. »
Finalement la réalité est très certainement plus complexe, et est le résultat de tendances naturelles et compétitives : des gènes qui cherchent à survivre et à se propager, des êtres vivants multiples qui cherchent à élaborer un écosystème plus favorables pour eux, un néocortex qui analyse sous influence et fait des choix, des chocs aléatoires et imprévisibles qui organisent des télescopages entre tous les acteurs et toutes les actions.
De cet écosystème global et chaotique, émergent des trajectoires individuelles dont nous croyons être à l’origine, alors que nous n’en sommes qu’un des participants.
Comprenons et admettons que notre corps est constamment pénétré par le monde dans lequel il baigne, et que, si nous en sommes le premier des pilotes, nous n’en sommes pas le seul.

12 mai 2014

LE « JE » ÉMERGE CONTINÛMENT DE NOS INTERACTIONS AVEC LE MONDE

L’écosystème de notre corps (10)
Trois acteurs : deux cerveaux en propre – un venu du fond des âges et tapi dans les méandres de notre intestin, un doté d’un néocortex, qui fait de nous un homme –, et le microbiote intestinal – cent mille milliards de bactéries, depuis notre naissance, nous accompagnent et nous influencent. C’est de l’interaction de ces trois composantes que naissent nos décisions… et non pas seulement de ce que nous appelons notre conscience.
Qu’en aurait pensé Sigmund Freud s’il avait su que des bactéries agissaient sur nos émotions et nos choix ? A côté de la psychanalyse gastrique, que j’évoquais dans le cinquième billet de cette série, faut-il en appeler à une psychanalyse bactérienne ? Amusant. Je ne vois pas bien comment arriver à les faire parler de leurs rêves. Faut-il essayer de faire allonger les bactéries sur des divans ?
Plus sérieusement, notre identité est donc le fruit d’une triple histoire : une innée venue de notre passé et constituée de notre double cerveau initial, une acquise très vite après la naissance avec notre microbiote intestinal, et enfin une vécue qui forme et déforme nos émotions, notre mémoire et nos savoirs conscients.
Notre « je » est donc doublement perméable au monde extérieur : par les bactéries qui entrent et sortent, par les évènements qui se produisent et qui nous heurtent.
Nous baignons doublement dans les écosystèmes du monde, et le dehors nous pénètre continûment. La limite entre dehors et dedans devient floue.
Nous sommes des milliers de gènes, des milliards de neurones, des centaines de milliards de bactéries, et un nombre non calculable d’échanges d’informations et de messages.
De cela, le « je » émerge. Mais qui décide et pourquoi fait-on ceci plutôt que cela ? …
(à suivre)

7 mai 2014

SOUS L’INFLUENCE DES BACTÉRIES QUI NOUS HABITENT

L’écosystème de notre corps (9)
Selon les bactéries qui nous habitent, selon notre flore intestinale, notre corps fonctionne plus ou moins bien. Mais nos pensées ? Est-ce que notre comportement dépend de ces hordes de micro-organismes qui vivent en nous ?
Pour commencer à répondre à cette question surprenante, des tests ont été réalisés sur des souris.
Prenons deux groupes de souris : certains sont agressives, d’autres ne le sont pas. Échangeons maintenant leurs microbiotes. Résultat : les calmes deviennent agressives, et réciproquement ! Une preuve que le microbiote influence le cerveau.
Serions-nous conditionnés par les bactéries qui nous habitent ?
Autre exemple d’action conditionnée chez la souris avec le cas de la toxoplasma : présente au sein d’une souris, elle peut générer une attitude suicidaire en poussant la souris à se laisser approcher par des chats, et ainsi à être mangée, ce pour le seul bénéfice de la toxoplasma. En effet, celle-ci se développant mieux dans l’organisme d’un chat a tout intérêt à ce que la souris soit mangée.
Et l’homme ? Sommes-nous aussi influencés par notre microbiotique intestinal ? Difficile de répondre à cette question, car comment isoler l’effet mental d’un probiotique, surtout car il est à chaque composé d’une multitude de molécules ?
Une étude publiée en mai 2013 par Kirsten Tillisch, du centre de neurobiologie du stress de Los Angeles, apporte une première réponse positive. Le test a porté sur soixante femmes auxquelles on a donné des yaourts avec ou sans probiotique. L’étude a montré que celles qui ont pris des probiotiques sont moins réactives aux images négatives et potentiellement menaçantes.
On modifie des yaourts… et en conséquence, on modifie ce qui se passe dans le cerveau ! Mais attention prudence car on ne connaît pas les effets secondaires. Les effets sont certains, mais largement encore imprécis.
Il semble donc bien une composante de notre cerveau vienne des bactéries qui nous habitent.
Nous aurions donc en quelque sorte trois cerveaux : deux liés à nos propres neurones, un grand et un petit, et un lié à l’intelligence de notre microbiote. Nous sommes aussi le résultat de qui vit en nous, et non pas seulement de notre ADN et de ce que nous avons vécu…
(à suivre)

6 mai 2014

L'ENTÉROTYPE OU UNE FORME D'ADN INTESTINAL

L’écosystème de notre corps (8)
Comme on peut séquencer notre ADN, c’est-à-dire avoir une photographie analytique de notre identité génétique, il est possible de séquencer l’ADN de notre microbiote, et d’analyser ses propriétés.
C’est à cette tâche apparemment herculéenne – n’oublions pas que notre microbiote intestinal comprend environ cent mille milliards de bactéries –, que notamment Dusko Ehrlich, chercheur à l’INRA, s’est attelé… et les premiers résultats ouvrent des perspectives sur un nouveau monde… qui est très probablement le nôtre.
Quelques exemples.
D’abord on a montré que tous les microbiotes intestinaux pouvaient être classés en trois groupes principaux, appelés entérotypes. Chacun d’entre nous est donc caractérisé non plus seulement par un groupe sanguin, mais aussi par un entérotype. Plus surprenant, l’appartenance à un groupe ne dépend ni de la race, ni de l’âge, ni du sexe.
Quelles sont les conséquences de cette appartenance ? Ils conditionnent notre capacité à plus ou moins bien transformer notre nourriture en énergie.
Ainsi, une bactérie vient d’être identifiée qui, selon sa présence chez la souris, fait que celle-ci grossit plus ou moins. Elle dialogue avec les cellules de la paroi intestinale de la souris, et active les gènes qui déclenchent le fait de brûler des graisses. Résultat : la souris stocke plus ou moins d’énergie.
Autre propriété des microbiotes : selon ses caractéristiques, nous avons des prédispositions à certaines maladies. Peut-être prochainement, pour avoir une action préventive, il suffira d’étudier la flore intestinale.
Un vaste monde donc la découverte ne fait que commencer.
Mais tant que l’on ne parle que de capacité à plus ou moins bien digérer, ou à stocker de l’énergie, rien de bien inquiétant. Cela ne concerne pas notre processus de décision et notre comportement.
Comment des organismes si petits, même en nombre gigantesque, pourraient-ils bien agir sur nos pensées et nos actes ? Quand même, nous ne sommes pas sous influence.
Là aussi, rien n’est certain…
(à suivre)

5 mai 2014

NOUS SOMMES UN VÉHICULE À BACTÉRIES

L’écosystème de notre corps (7)
Notre identité et nos pensées ne naissent pas seulement de notre cortex, mais le cerveau intestinal y participe. Mais est-il le seul ?
Ne répondez pas trop vite oui, les surprises ne sont finies, car notre intestin héberge une population d’hôtes : cent mille milliards de bactéries habitent notre tube digestif, soit mille fois plus que d’étoiles dans notre galaxie. C’est le microcosme le plus dense qui regroupe dix fois plus que de cellules que celles de notre corps.
Sensation bizarre d’imaginer cette population qui squatte notre intestin.
Échange de bons procédés, car, sans ces bactéries, la digestion ne serait pas possible : nous leur offrons le gîte et le couvert, et elles digèrent notre nourriture pour nous. Sans les deux kilos qu’elles représentent, nous ne survivrions pas.
Quand commence cette colonisation ? Dès notre naissance, c’est-à-dire dès que l’embryon quitte le milieu stérile et protégé de l’utérus de sa mère. Dès les premières minutes, les bactéries nous envahissent, et les premières occupantes contribuent à sélectionner les suivantes.
Nous voilà ainsi quasi immédiatement doté d’un microbiote intestinal, c’est-à-dire d’une population de micro-organismes vivant en accord avec nous.
Nous avions hérité de l’ADN de nos parents, et nous héritons, selon les hasards de la vie, du moment et de l’endroit où nous naissons de ceux, d’un ADN complémentaire infiniment plus vaste.
Nous sommes un véhicule à bactéries, et c’est pour notre bien.
Mais est-ce une simple cohabitation digestive ?...
(à suivre)

30 avr. 2014

LES PARTIES ET L’ÉMERGENCE D’UN TOUT

L’écosystème de notre corps (6)
Notre cerveau intestinal interagit donc avec notre cerveau principal, celui que pendant longtemps nous avons cru unique.
Finalement, une image pertinente pour imaginer le fonctionnement de notre corps est de le voir comme un monde de tubes, de fluides et de tuyaux, un réseau complexe au sein duquel des informations et des messages sont continûment échangés.
De ce réseau, selon des modalités qui nous dépassent et dont nous ne percevons encore que des bribes, émergent des propriétés. A nouveau donc, retour de l’émergence, elle qui est au cœur des réflexions de mon dernier livre, les Radeaux de feu.
Telle est bien d’ailleurs l’approche de la médecine chinoise qui pense globalement le corps. Elle le conçoit comme un ensemble de flux d’énergies reliés au reste de l’univers. En Occident, on analyse chaque élément ; en Chine, on s’intéresse au tout, aux relations entre les différentes parties du corps.
Deux approches plus complémentaires que contradictoires.
Le documentaire sur Arte qui a inspiré cette série d’articles sur l’écosystème de notre corps, présente alors l’acupuncture abdominale découverte en 1972 par le Docteur Bo Zhiyun, à Canton. Il est convaincu du rôle central du cordon ombilical, autour duquel s’est développé l’embryon, rôle central qui perdurerait ce même une fois le cordon coupé.
Plus étonnant grâce à un traitement par acupuncture abdominale, il arrive à traiter la dépression. Je pique le ventre, et mes soucis s’en vont, en quelque sorte. Troublant, non ?
Et pourtant, le plus troublant reste à venir…
(à suivre)

29 avr. 2014

A QUAND UNE PSYCHANALYSE GASTRIQUE ?

L’écosystème de notre corps (5)
Un cerveau entérique qui pilote la digestion, un cerveau central qui, déchargé de cette tâche essentielle mais locale, gère le complexe. Je digère en bas, je pense en haut. Entre les deux, un nerf vague relie les deux pour transmettre ce qui doit l’être.
Belle vision simpliste et mécanique du fonctionnement de notre corps… mais éloignée de la réalité…
D’abord parce que l’interaction entre les deux ne se fait pas que par le biais des voies dites normales.
Par exemple, la sérotonine qui est produite par le cerveau entérique pour piloter le processus de la digestion est aussi un des neurotransmetteurs utilisés par notre cortex. Aussi quand nos neurones intestinaux en produisent en excès, et qu’une partie vient se perdre dans notre sang, un peu de cette sérotonine vient influencer nos émotions : sans en être conscients, nous vivons sous l’influence de notre ventre.
Nous voilà donc avoir réellement la peur au ventre ! Comme quoi, nos mots ont anticipé ce que nous ne venons que de comprendre. Si les messages transmis par notre cerveau entérique n’atteignent pas notre conscience, ils agissent sur notre capacité à voir le monde : notre ventre contribue à notre inconscient. A quand une psychanalyse gastrique ?
Nous découvrons de plus en plus que le ventre et la tête partagent bon nombre de maladies. Ainsi la maladie de Parkinson et la dépression pourraient apparaître d’abord dans le cerveau intestinal. Pourra-t-on demain les diagnostiquer préventivement simplement en prélevant un morceau d’intestin ? Ce serait un double bénéfice : savoir plus tôt, et sans avoir à faire une biopsie dangereuse du cerveau.
Le ventre, une fenêtre ouverte sur le cerveau, sur les maladies psychiatriques ?...
(à suivre)

28 avr. 2014

LE FEU EST LE PROPRE DE L’HOMME

L’écosystème de notre corps (4)
Un intestin sur pattes, avec des yeux et des oreilles… et donc doté d’un cerveau plus important que le cerveau originel, l’intestinal, pour gérer un système devenu complexe à déplacer et protéger, le tout pour accroître les chances de survie, et donc digérer. Voilà en quelque sorte un résumé brutal, et donc schématique, de ce qu’est un animal, et donc l’homme au moment de son apparition.
Alors que s’est-il passé qui nous a permis de nous doter d’un cortex tellement élaboré que nous nous trouvons capables de penser notre monde, écrire des poèmes… et faire la guerre à nos congénères au nom de possessions, le tout bien éloignée de la seule logique de survie et de digestion ?
Le feu. Nouvelle surprise énoncé au détour de ce documentaire : ce serait le feu qui a permis de décupler la performance de nos processus digestifs, et donc de libérer une quantité d’énergie devenue brutalement disponible.
En effet, cuire un aliment avant de l’ingérer, c’est le pré-digérer. L’homme avec l’invention du feu s’est donc trouvé doté d’un surplus d’énergie et de cellules – notamment nerveuses – capables de se développer pour d’autres finalités. Travailler moins en gagnant plus, en quelque sorte.
Nouveau résumé donc brutal : l’homme est devenu homme parce qu’il est un tube digestif plus performant grâce à l’invention du feu. Amusant, non ?
Au fur et à mesure, notre cerveau qui n’était qu’au service de son ancêtre originel, a pris son indépendance : le voilà devenu tellement développé que nous en sommes venus à oublier le cerveau intestinal, et la liaison qui demeure entre les deux.
Car oui, aujourd’hui encore, notre ventre contribue à nos pensées…
(à suivre)

25 avr. 2014

SO LONG, SO FAR...

Un jour peut-être…
STILL IN MY MIND
La vie continue, jour après jour,
Tu me hantes et m’habites.
Moi dans les rues de Paris,
You in the streets of India.
Tu es réel, mais loin,
Je suis réel, mais ici,
Si virtuels, l’un pour l’autre.
You are still in my mind.
Tant de baisers au travers les airs,
Fresh and unfresh,
Lancés dans les deux sens,
From India to France,
De France en Inde.
La vie continue, les jours sont mois.
Ta peau m’a touché,
Tes dents m’ont mordu,
Ton sourire m’a brisé,
Our hearts have been moved.
Tu es réel, mais loin
Je suis réel, mais ici,
Si virtuels, l’un pour l’autre.
You are still in my mind