26 mai 2014

ANALYSER SANS A PRIORI

Big Data (4)
Un indice de suivi de l’évolution des prix qui s’appuie sur ce qui est disponible sur le web, un scoring des clients qui tient compte du comportement observé réel, des publicités qui s’affichent en fonction de ce que l’on a fait la veille ou la semaine dernière, un classement des pages web qui est le résultat direct de la navigation de tout un chacun, bienvenu dans le calcul par émergence du Big Data !
Autre exemple d’émergence « spontanée » d’un indicateur, celui de l’information sur l’apparition de la grippe : Google a montré que, si l’on observe les recherches faites par les internautes, on dispose d’une estimation quasiment en temps réel de la propagation. Il y a en effet une corrélation directe entre le nombre d’internautes qui posent des questions sur la grippe, et l’intensité du phénomène épidémique (voir Google Suivi de la grippe).
Ceci vient en écho et nourrit mes développements sur l’importance de l’émergence, tel que je l’ai fait dans mon dernier livre, les Radeaux de feu.
Autre intérêt de ces modes de calcul par émergence, c’est qu’ils ne partent d’aucun a priori, d’aucune vision préalable du monde et des lois qui le régissent : ce sont les comportements eux-mêmes qui sont observés, et c’est d’eux que découlent les analyses. Donc moins de risques d’erreurs, ce surtout en cas de rupture et d’apparition d’une nouvelle logique.
J’ai encore le souvenir de cet opérateur de télécommunications qui refusait de comprendre au milieu des années 90, que la téléphonie mobile pouvait intéresser des clients résidentiels. Sa vision lui disait que le marché était professionnel, et aucun de ses systèmes de mesure et de calcul n’était tourné vers le grand public…
Plus les visions s’auto-élaborent à partir du réel, et moins nous avons de chances de nous tromper.
Mais cette capacité de l’approche Big Data à remplacer l’expertise pointue par la largesse du recueil des données, me rappelle une autre approche, celle que l’on appelle l’intelligence collective ou la sagesse des foules…
(à suivre)

23 mai 2014

SCULPTURES D’EAU

Histoire d’eau (4)
Parfois l’eau est paysage et participe à l’architecture du lieu. Elle se fait alors contour et dessin.
A Udaipur, elle est l’écrin du Lake Palace dont elle reflète les lumières.
Dans les montagnes du Nord de la Thaïlande, c’est la jungle qui se mire dans la piscine de l’hôtel Phu Chaisai.
Encore un peu plus au Nord, les eaux du Méking apportent le repos et le calme à l’hôtel Rai Saeng …

22 mai 2014

APPRENDRE EN OBSERVANT EN TEMPS RÉEL

Big Data (3)
Nous vivons donc aux temps de l’explosion de la quantité des informations et de la capacité de traitement et de navigation au sein de cette marée montante.
En quoi ceci peut-il donner naissance à un nouveau monde ?
En mai 2012, The Economist a consacré un article sur le lien entre Big Data et les banques, « Crunching the numbers ». Quelques exemples tirés de cet article :
Lutte contre la fraude : La première utilisation est celle d’identifier la fraude et de repérer en temps réel un client indélicat. Avec le développement des micro-paiements, du commerce en ligne et de la mondialisation des transactions, cette application est de plus en plus complexe.
Scoring en vue d’attribuer des prêts : créée par un ancien de Google, ZestFinance a développé une nouvelle approche intégrant un très grand nombre de données, lui permettant d’accorder des prêts à des clients rejetés par tous les prêteurs classiques.
Analyse des comportements d’achats pour affiner des offres : si un client a l’habitude de déjeuner souvent dans des restaurants italiens, pourquoi ne pas lui envoyer par sms en fin de matinée des propositions de trattorias voisines ?
Tout ceci pose évidemment de nombreuses questions dans le domaine de la protection de nos données et du secret bancaire…
Dernièrement, Gilles Martin, dans un article publié sur son blog, intitulé « Le progrès par le désordre et l’approximation », insiste sur un autre type de conséquence, celle d’avoir un autre rapport à l’exactitude, et de pouvoir accepter le flou comme outil.
Citant les travaux récents de Viktor Mayer-Schönberger et Kenneth Cukier, dans leur ouvrage « Big Data : a revolution that will transform how we live, work and think », il indique : « C’est pourquoi  certains pensent que le monde de la mesure, de la précision de la mesure, qui a permis les progrès au XIXème siècle, va être remplacé par le monde des volumes et de l’approximation, des données en désordre,  un monde de la datafication. »
Un des exemples qu’il cite est celui de la détermination de l’indice des prix : plutôt que de relever le prix de quelques produits choisis a priori, pourquoi ne pas s’appuyer sur les millions de prix accessibles en ligne via le web ? Les deux chercheurs ont montré que cette méthode rendue possible par l’utilisation d’un logiciel capable d’aller pêcher ces prix et de les analyser, aboutit à un meilleur suivi des phénomènes inflationnistes et déflationnistes. Ceci a débouché sur un projet du MIT, « PriceStats » qui fournit en temps réel un nouvel indice disponible en temps réel.
Et si donc tout ceci nous ramenait au thème de l’émergence ?
(à suivre)

21 mai 2014

LES MAGICIENS DE LA BIBLIOTHÈQUE DE BABEL CONTEMPORAINE

Big Data (2)
Commençons par ce que nous expérimentons chaque jour : l’indexation du contenu du web fait par Google. Nous sommes tellement habitués à nous en servir que nous n’y prêtons plus guère attention.
Pourtant, prenez conscience de la puissance informatique nécessaire pour, quasiment en temps réel :
- Indexer tout nouveau contenu mis en ligne, et non pas seulement son titre, mais bien la totalité de l’information présente,
- Garder en mémoire combien de fois ce contenu a été vu,
- Établir un classement de la fréquentation des pages web,
- Face à une demande quelconque, parcourir l’ensemble des informations archivées, et proposer en quelques secondes, les réponses les plus pertinentes, ce bien sûr en tenant compte des recherches précédentes effectuées par le demandeur.
Étonnant, non ? Je reste émerveillé de l’efficacité cachée, probablement mon côté enfant…
Impressionnante capacité à manipuler des quantités considérables de données pour en extraire dynamiquement une réponse, ce dans un délai de plus en plus court. Ce d’autant plus que la quantité de ces données croît de manière exponentielle :
- L’ancien PDG de Google, Éric Schmidt, estimait en 2010 que nous produisions tous les deux jours autant d’informations qu’entre le début de la culture humaine et 2003,
- Dans son article introductif au numéro d’avril 2014 de la revue la Jaune et la Rouge, consacré au Big Data, Jean-Pierre Dardayrol indiquait que chaque semaine en 2014 la quantité d’information produite dans le monde est bien supérieure à celle produite depuis l’invention de l’écriture jusqu’en l’an 2000,
- Selon un rapport publié en 2012, IDC prévoyait que d’ici 8 ans, la masse des données serait multipliée par un facteur cinquante
Je repense à une nouvelle de Jorge Luis Borges qui m’a toujours donné le vertige, celle de la Bibliothèque de Babel. Dans cette bibliothèque, se trouvent tous les livres de quatre-cent dix pages, avec quarante lignes par pages, susceptibles d’avoir été ou d’être écrits, dans le passé comme dans le futur. Ils sont répartis sur une quasi infinité d’étagères, dans une quasi infinité d’alvéoles, et des bibliothécaires s’y promènent, prenant en main, de temps en temps, un livre et s’extasiant quand ils tombent sur une phrase qui a un sens. Car, bien sûr, dans cet océan des combinaisons, trouver déjà une phrase qui en a un, est un tour de force.
Avec le Big Data, le cauchemar disparaît, les bibliothécaires se font magiciens, et d’un geste sûr et immédiat, savent saisir instantanément le bon livre dans le dédale contemporain et foisonnant des informations du monde.
(à suivre)

20 mai 2014

BIG DATA, UN CHANGEMENT DE PARADIGME OU UNE MODE PASSAGÈRE ?

Big Data (1)
Difficile d’ouvrir un journal traitant de l’économie et des entreprises sans rapidement tomber sur le mot « Big Data ». Est-ce un effet de mode, une sorte de nouvelle contagion informatique, un virus managérial ? Va-t-on voir ce buzz word s’effondrer comme a fait pschitt en son temps, le syndrome du « L’informatique ne passera pas la date du 1-1-2000 » ?
Non, je ne crois vraiment pas. Derrière ce mot quelque peu barbare, se cache – du moins je le pense – une transformation profonde de nos organisations et nos modes de fonctionnement, et probablement bien au-delà de ce que pensent les spécialistes du sujet ! Nous sommes à la veille d’un changement de paradigme…
Aussi ai-je décidé de consacrer une série de billets à ce sujet. Je ne prétends pas avoir une vue exhaustive du sujet, ni encore en maîtriser les conséquences. Prenez simplement ce que je vais écrire dans les jours qui viennent comme une première réflexion, largement à chaud. Peut-être est-ce l’embryon d’un futur livre à venir… Qui sait ?
Mais d’abord, pour ceux qui n’auraient pas encore croisé un quelconque article sur le Big Data, de quoi s’agit-il ?
Il s’agit tout simplement de la capacité de manipuler de plus en plus facilement de très grandes masses de données.
Un des exemples les plus courants est le moteur de recherche qui fait la fortune et le succès de Google : il sait parcourir en quelques secondes la jungle de tout ce qui existe sur Internet pour répondre à la plus fantaisiste des questions que vous vous posez. Et ceci en tenant compte de tout ce qui est constamment mis en ligne. Rien n’est figé, tout est dynamique.
Mais pourquoi donc est-ce si nouveau ?
(à suivre)

19 mai 2014

L’ACCEPTATION DE L’INCERTITUDE

Quarante ans déjà (3)
Février 2008, conseil de direction indépendant.
Un déjeuner avec un ami au cours duquel je parle des neurosciences, cet univers dans lequel je me suis plongé à titre personnel depuis dix-huit mois.
« Tu sais, ce qui est fascinant, c’est que nous ne sommes que des icebergs à nous-mêmes. Ce que nous appelons notre « Je » n’est que la partie émergée de notre identité. Et le plus étonnant que c’est la même chose dans les entreprises : l’essentiel de ce qui s’y déroule se passe sans que son Directeur Général le sache, ni ne le décide. »
En réponse à mes propos, il me fait prendre conscience que j’ai là le fil conducteur et la matière d’un livre. Huit mois plus tard, paraît mon premier livre : Neuromanagement, comment tirer parti des inconscients de l’entreprise…
Mai 2014, toujours conseil de direction indépendant.
Mon dernier livre, Les Radeaux de feu, est paru en octobre dernier.
Je sais aujourd’hui intimement que l’incertitude n’est pas d’abord un problème à résoudre, mais le produit de l’évolution de notre monde, que sans elle, aucune innovation, aucune création de valeur ne seraient possibles, et qu’elle est la meilleure et seule garante de nos libertés individuelles.
Je ressens aussi intimement que le collectif nous dépasse, qu’il est illusoire et dangereux de tout vouloir comprendre et maîtriser, et que l’on peut diriger en lâchant prise. Je suis fasciné par la puissance et le foisonnement des émergences qui m’habitent et m’environnent…
Quarante ans déjà…

16 mai 2014

MÉKONG…

Histoire d’eau (3)
Le Mékong est une eau vaste et tranquille… du moins ici entre Thaïlande et Laos.
Rien ne vient le perturber, très peu de bateaux, très peu de mouvements.
Juste lui, majestueusement immobile, immensément présent.
Quel que soit le moment de la journée, quelle que soit la lumière, quel que soit le ciel, il est là.
J’ai passé de longues heures, assis modestement sur ses côtés, veillant à ne pas réveiller ce géant qui dort. C’était plus prudent. On ne sait jamais…

15 mai 2014

LA PRISE DE CONSCIENCE DE L’INCERTITUDE

Quarante ans déjà (2)
Juin 1991, Partner chez Bossard Consultants
Je viens d’être chargé par un grand groupe français de lancer et conduire une démarche qualité dans l’ensemble de l’entreprise. Première réunion dans un de ses services, pour exposer la démarche et la première étape.
Rapidement, je suis interrompu. « Pourquoi devrions-nous vous croire ? C’est le troisième plan lancé en cinq ans. Les deux précédents ont avorté. Le vôtre ne durera que le temps du mandat du Président actuel. » Ils ont raison. Pourquoi me croire ? Il ne suffit pas de dire pour être cru, ni d’affirmer pour avoir raison.
Les bancs de l’École et les certitudes des équations sont décidemment bien loin…
Juillet 1999, Vice-Président chez Mercer Management Consulting
« Robert, je compte sur vous pour me dire si nous devons oui ou non, postuler pour une licence 3G, et quelle peut en être la rentabilité. »
Étrange et pourtant indispensable question : comment en effet dépenser près de dix milliards de francs sans savoir si cela en vaut la peine ? Mais comment aussi évaluer la rentabilité à dix ans, alors que les performances des téléphones 3G sont encore incertaines, qu’Internet n’en est qu’à ses balbutiements, et qu’il est impossible d’aller s’adresser à des clients qui ne comprendront même pas de quoi on leur parle ?
Bel exercice de construction stratégique en univers incertain. Accepter de se projeter dans un futur inconnu, tout en tissant les fils d’une pensée architecturée et défendable…

14 mai 2014

LE TEMPS DES CERTITUDES

Quarante ans déjà (1)
Septembre 1974, élève à l’École Polytechnique
Bien loin ce temps des mathématiques, de la physique et de toutes ces sciences dites dures. Un temps où je croyais encore – et où on me poussait à croire – que progrès et connaissance rimaient avec moins d’incertitude et plus de prévisibilité.
Mais il est vrai qu’il me suffisait alors de pousser la porte de l’École – ce que je faisais souvent –, ou de ne pas la rejoindre à temps – ce que je faisais aussi souvent ! – pour me retrouver dans les rues et les cafés du Quartier Latin.
Autant d’occasions de plonger de la vraie vie, ses heurts, ses chaos et toute l’énergie aléatoire qui l’habitent et la rendent passionnante…
Août 1983, chargé de mission à la Délégation à l’Aménagement du Territoire et à l’Action Régionale
Je profite du calme estival pour me plonger dans les dossiers de la dernière restructuration de la sidérurgie, conduite en 1978, et y lis que les experts gouvernementaux tablaient alors sur une production d’acier en France dans cinq ans, de vingt-et-un millions de tonnes, que la CGT prévoyait un marché à trente millions de tonnes, et que le journal Le Monde tranchait, lui, au milieu. Or j’ai entre les mains le résultat, et il est de dix-sept millions.
Ainsi le plus proche s’est trompé de près de vingt-cinq pour cent, ce sur une donnée supposée prévisible et non sujette à des spéculations : la demande en acier n’est ni une donnée virtuelle, ni cotée dans une quelconque bourse, ni le fruit d’arbitrages faits dans des salles obscures.

Première douche froide : comment continuer à croire que l’on peut mathématiser le monde ?...

13 mai 2014

ÊTRE LE PREMIER DES PILOTES DE SON CORPS, MAIS PAS LE SEUL

L’écosystème de notre corps (11)
Qui décide ?
Est-ce moi qui, consciemment, choisit de faire ceci ou cela ? Quelle est la portée de l’influence du cerveau intestinal qui pèse sur mes émotions et modifie ma perception du monde et des risques ?
Jusqu’à quel point les bactéries qui sont présentes dans mon microbiote intestinal peuvent-elles me faire mener des buts qui servent leurs intérêts, ce voire au préjudice de ma propre survie ? Puis-je être une sorte de véhicule passif de micro-organismes qui me manipuleraient ?
Très probablement pas… mais je suis certainement influencé. Je repense à ces scènes cauchemardesques des films Alien où les humains se transforment en simple véhicule d’êtres qui les détruisent. Rien à craindre de tel.
Je repense aussi au livre de Richard Dawkins, Le Gène égoïste, publié en 1976, où il soutient la thèse que ce sont les gènes qui manipulent le vivant et son évolution. Comme il est expliqué dans Wikipedia, « en décrivant les gènes comme étant « égoïstes », l'auteur n'entend pas par là (comme il l'affirme sans équivoque dans le livre) qu'ils sont munis d'une volonté ou d'une intention propre, mais que leurs effets peuvent être décrits comme si ils l'étaient. Sa thèse est que les gènes qui se sont imposés dans les populations sont ceux qui provoquent des effets qui servent leurs intérêts propres (c'est-à-dire de continuer à se reproduire), et pas forcément les intérêts de l'individu même. Cette vision des choses explique l'altruisme au niveau des individus dans la nature, en particulier dans le cercle familial : quand un individu se sacrifie pour protéger la vie d'un membre de sa famille, il agit dans l'intérêt de ses propres gènes. »
Finalement la réalité est très certainement plus complexe, et est le résultat de tendances naturelles et compétitives : des gènes qui cherchent à survivre et à se propager, des êtres vivants multiples qui cherchent à élaborer un écosystème plus favorables pour eux, un néocortex qui analyse sous influence et fait des choix, des chocs aléatoires et imprévisibles qui organisent des télescopages entre tous les acteurs et toutes les actions.
De cet écosystème global et chaotique, émergent des trajectoires individuelles dont nous croyons être à l’origine, alors que nous n’en sommes qu’un des participants.
Comprenons et admettons que notre corps est constamment pénétré par le monde dans lequel il baigne, et que, si nous en sommes le premier des pilotes, nous n’en sommes pas le seul.