19 déc. 2014

SANS VIE

Abandonné
Couché, abandonné, je meurs.
Où sont les bras qui m’ont tenu, 
Les souffles qui m’ont réchauffé,
Les cœurs contre qui j’ai battu ?
Plus que l’ombre et la boue,
Le froid et le silence, 
La tristesse et la solitude.
La vie m’entoure, mais ne me regarde pas,
Le soleil brille, mais plus pour moi,
La Terre tourne, mais je ne bouge plus.
Couché, abandonné, je meurs

(photo prise à Calcutta en août 2010)

18 déc. 2014

SAVOIR PRENDRE LE POULS DE L’ENTREPRISE QUE L’ON DIRIGE

Reinventing organizations (19)
Finalement mon propos n’est pas en contradiction avec celui de Frédéric Laloux, loin de là. Simplement, lui, vient l’enrichir et le compléter avec l’idée que l’organisation est vivante et poursuit son propre but qu’il s’agit de révéler.
Simplement, et c’est un des points essentiels de mon livre, savoir révéler ce but, cette mer, ce point fixe, est difficile et compliqué.
Un peu plus loin dans les Radeaux de feu, j’écrivais que la mer était l’ADN de l’entreprise : 
« Tout être vivant naît, grandit et se reproduit. Jamais, il ne s’arrête. Jamais il ne change, mais toujours il se transforme. Au cœur de chaque cellule, se trouve l’ADN, la clé qui accompagne cette évolution et donne cohésion et identité à l’ensemble. Toute entreprise naît, grandit, et se multiplie. Jamais, elle ne s’arrête. Jamais, elle ne change, toujours, elle se transforme…à une condition : que chaque partie et sous partie, que chacun de ses membres aient en tête la mer visée, et que toujours, il veuille s’en rapprocher. La mer est l’ADN de l’entreprise. »
Je tournais donc déjà autour de l’idée de l’entreprise comme un organisme vivant.
Dans mon premier livre, Neuromanagement, j’allais même jusqu’à la doter d’un inconscient. Dans la conclusion, j’y écrivais : 
« Finalement diriger suppose de comprendre une réalité paradoxale : d’une part que la rationalité apparente n’est qu’un leurre, puisque les phénomènes cachés sont prépondérants ; d’autre part que la prise en compte du réel et la volonté collective sont nécessaires pour la survie. Si le dirigeant arrive à cet équilibre, il pourra se centrer sur le nouveau, l’imprévu, l’interprétation du complexe, les signaux faibles, le réexamen des systèmes, la reconfiguration de l’entreprise… 
Quel profil alors pour ce dirigeant ? Je crois qu’il y a deux écueils à éviter : 
- le guru mystique qui confond inconscient –– et irrationnel, qui n’est préoccupé que des approches interprétatives, qui ne s’intéresse ni aux systèmes opérationnels, ni à la mesure de la performance économique, 
- le rationnel mécanicien qui pense que le réel n’est que ce qu’il voit, que les équations mathématiques peuvent être des photographies fiables, qu’une bonne analyse conduit à une solution unique. » 
Pas grand chose à redire. Et j’ai comme envie de finir ma série sur le livre de Frédéric Laloux par ce rappel !
(Demain un nouveau billet autour d’une photographie, puis un best of pendant deux semaines où je reprendrai mes écrits préférés au rythme de 3 par semaine. Retour en live le 5 janvier )

17 déc. 2014

SAVOIR RÉVÉLER LA MER VISÉE

Reinventing organizations (18)
Donc si tout commence par hasard, il faudrait ensuite prendre le temps de créer une stratégie.
Avant de faire la synthèse avec les propos de Frédéric Laloux sur l’entreprise vivante qui agirait d’elle-même ou presque, reprenons ce que je disais dans mon livre sur l’élaboration d’une stratégie. 
Mon idée centrale est celle de la mer, c’est-à-dire de l’existence de points fixes qui sont la destination de l’entreprise, et qui attire le cours de son évolution. Malgré les aléas et les incertitudes des événements, comme un fleuve, l’entreprise avance toujours vers la même destination.
« Comme dans la théorie des mathématiques du chaos, la mer se comporte comme un attracteur qui attire à lui l’eau qui tombe tout autour : peu importe l’incertitude en amont, tout converge vers elle. Le couple fleuve-mer est un système structurellement stable, la mer est un point fixe pour le fleuve. Telle est la logique qui régit notre monde : derrière les aléas immédiats, au-delà des méandres et des hésitations, les structures fondamentales restent inchangées. Il en est de même pour une entreprise : pour se renforcer tout au long de sa progression, elle doit viser un point fixe, une mer, et allier stabilité et adaptation aux événements et au terrain. Elle a commencé par hasard, intuition et volonté, mais un jour se pose la question du choix : comment trouver cette mer qui sera son point fixe, et fera d’elle un fleuve, celui dont les autres seront les affluents ? »
Quel est le rôle du dirigeant ? Il n’est pas d’inventer la mer, mais de la révéler. Voilà ce que j’ai écrit :
« Tout commence par hasard et intuition, mais on grandit par choix : sans le choix d’une stratégie stable et durable, sans l’élagage qui découle de ce choix, sans le sacrifice de ce qui n’y contribue pas, on se disperse et jamais on ne se renforce. (…) Prendre le temps d’observer ce qui s’est passé, ne pas se perdre dans les détails, identifier cette mer qui nous a fait démarrer et commencer à réussir, puis élaguer, se focaliser, et ne plus en démordre, se faire l’apôtre et le prophète de cette vision. Telles sont les conditions requises pour devenir un fleuve. Pour trouver cette stratégie, il faut la révéler : que sommes-nous en train de faire ? Pourquoi réussissons-nous ? Cette capacité est rare et exceptionnelle : tous les bricolages faits dans des garages ne se transforment en des L’Oréal bis ; toutes les innovations involontaires ne donnent pas naissance à des multinationales et des leaders mondiaux dans leur secteur ; toutes les frustrations initiales ne font pas de ceux qui les subissent des milliardaires… »
(à suivre)

16 déc. 2014

COMMENCER PAR INSTINCT

Reinventing organizations (17)
Voilà donc le dirigeant qui serait privé d’un de ses attributs essentiels : construire une stratégie et la mettre en œuvre. N’est-ce pas aller trop loin ?
Pour répondre, je vais revenir à ce que j’ai développé dans mon dernier livre, Les Radeaux de feu, concernant la stratégie.
D’abord, rien ne se déroule comme prévu au démarrage, c’est-à-dire que les entreprises sont créées par une ou plusieurs personnes, et rapidement elles semblent leur échapper : la stratégie initiale – ou plutôt l’idée de départ, car ce n’était pas réellement une stratégie construite et sophistiquée – est vite abandonnée.
Le chapitre sur la naissance des entreprises, je l’avais appelé : « Commencer en attrapant le futur plus par instinct que par logique », et j’avais mise en exergue la citation suivante d’Alain Testart : 
« Il peut sembler que la roue ait été inventée pour faciliter le transport par traction. Mais les Incas ou les anciens Mexicains qui ne l’utilisaient que pour faire des jouets ne l’ont pas inventé à cette fin. (…) On invente en général, sans but, et le milieu social fait le reste ; c’est seulement a posteriori que l’on peut dire que le dispositif ou l’agencement nouveau a été inventé à telle ou telle fin. C’est pourquoi, plutôt qu’une explication du type : ceci a été inventé pour…, c’est une autre qu’il faut préférer : ceci a été inventé parce que… »
Un peu plus loin, je notais aussi que les processus d’innovation étaient rarement maîtrisés, et que bon nombre de produits majeurs – comme le Post-it de 3M ou le Walkman de Sony – étaient quasiment nés par hasard, ou, plus exactement, détournés de leur objet initial.
Je concluais ce passage par : « Ainsi l’émergence n’est-elle pas l’apanage des petites entreprises : elle est aussi le cas des grandes. Est-ce à dire donc qu’il ne sert à rien de réfléchir à long terme et de se fixer un objectif ? Réussit-on simplement quand on a de la chance ? Les entreprises qui gagnent sont-elles juste celles qui ont eu la présence d’esprit d’amplifier et mondialiser ce qui était né par hasard ? Je ne le crois pas… et même pas du tout. »
La lecture du livre de Frédéric Laloux m’amène à actualiser mon propos…
(à suivre)

15 déc. 2014

L’ENTREPRISE, UN ORGANISME VIVANT QUI A UNE STRATÉGIE « NATURELLE »

Reinventing organizations (16)
Un des aspects les plus déroutants du livre de Frédéric Laloux est le regard qu’il porte sur la stratégie.
Classiquement la stratégie est pensée a priori – que ce soit par un petit nombre ou via un processus participatif impliquant largement l’encadrement de l’entreprise –, puis mise en œuvre. Pour cela, des moyens sont définis, des plans construits, les organisations éventuellement modifiées ou réadaptées. 
Bref on reconfigure l’entreprise en fonction de l’objectif à atteindre : l’organisation est un moyen au service de la stratégie.
Son approche est radicalement différente : selon lui, il ne s’agit pas d’imposer une stratégie à une entreprise, mais de comprendre celle qui est la sienne. Une entreprise est un organisme vivant, et comme tout être vivant, il évolue « naturellement » dans une direction donnée.
La citation de Margaret J. Wheatley and Myron Kellner-Rogers, qu’il a mis en exergue du paragraphe centrée sur ce sujet, est très significative de son mode d’approche : « La vie veut naître. La vie ne peut pas être arrêtée. Chaque fois que l’on essaie de la contenir, ou d’interférer avec son besoin fondamental d’émerger, on se crée des problèmes. S’associer avec la vie, travailler en cohérence avec son mouvement, suppose de prendre sérieusement en compte la direction de la vie. »
Ainsi selon lui, toute organisation a un but naturel qu’elle poursuit, un mouvement permanent de transformation, c’est ce qui est son moteur propre, ce qui la rend vivante. 
Diriger, ce ne serait donc pas imposer un but à une entreprise, mais trouver celui que naturellement elle poursuit, et l’aider à avancer plus vite et plus facilement.
Déroutant, non ?
(à suivre)

12 déc. 2014

DISPARUS

Avant…
Bouts de vêtements sur une patère,
Bribes de tissus verticales,
Odeur et humidité suantes en prime, 
Tâches sur l’ocre d’une paroi lisse.
Autre mur, un trou pour un plein,
Une flèche vers un passé révolu,
Vie disparue, vie ravagée,
Du blanc déchiré dans un ocre
Souvenirs télescopés en terre indienne,
Scories moites d'une marche de touriste,
Béance d'un salon de beauté disparu, 
Quelques mètres qui font fossé.

(Souvenir de Hampi en Inde – juillet 2012)

11 déc. 2014

TOUT CHANGER, C’EST POSSIBLE !

Reinventing organizations (15)
Développer l’auto-management, ne veut pas dire qu’il n’y a plus d’organisation, ni que toute structure dans l’entreprise a disparu. Non bien sûr, simplement elle repose sur des unités de base, très autonomes, et donc dotées de tout ce qu’il faut pour fonctionner. On n’est loin des structures pyramidales et hiérarchiques, et de grandes directions fonctionnelles qui préparent et jugent le travail exécuté par d’autres.
Deuxième erreur : croire que toute le monde est égal. Non, simplement les rôles et les fonctions ne sont pas définis a priori, ils émergent dynamiquement des situations, des évolutions et des savoir-faire individuels.
Troisième point soulevé très justement par Frédéric Laloux : le malentendu de l’ « empowerment ». Si une direction veut développer l’empowerment, cela veut dire qu’elle continue à se penser supérieure, qu’elle reste le centre du pouvoir, et que, dans un geste généreux, elle en transmet une partie à la base de l’entreprise.  Dans un système auto-organisé, rien de tel : inutile de se battre pour avoir du pouvoir, plus on l’a !
Dans son livre, Frédéric Laloux détaille aussi comment concrètement la vie d’une entreprise est changée. Le tableau ci-dessous fait la synthèse des transformations principales.



(à suivre)

10 déc. 2014

PARIER SUR L’INTELLIGENCE ET LA RESPONSABILITÉ

Reinventing organizations (14)
Revenons sur chacune des trois ruptures.
D’abord l’auto-management.
Pour simplifier l’idée, elle repose sur le constat suivant : puisque chaque membre d’une entreprise est un adulte, souvent à la tête d’une famille, doué du droit de vote, pourquoi ne pas lui faire confiance, et le traiter comme un enfant qu’il faut constamment surveiller et à qui l’on doit dire quoi faire et comment ?
Pourquoi ne pas parier sur l’intelligence individuelle et collective ? 
Car aucune situation n’est vraiment identique à une autre, le monde est trop incertain, les talents et les motivations trop divers pour que des chefs même éclairés puissent faire des choix plus pertinents que ceux vivent le réel et y sont physiquement confrontés.
Dès lors plus besoin d’encadrement, plus de distinction entre cols bleus et cols blancs, plus d’exécutants entourés de chefs et sous-chefs.
Un des exemples sur lequel Frédéric Laloux prend appui est l’entreprise Favi longtemps dirigée par Jean-François Zobrist. 
Dans un article diffusé le 13 décembre 2012,  « La confiance doit remplacer le contrôle », j’avais moi-même sur mon blog parlé du mode de management insolite de cette fonderie.
Cet exemple a lui seul montre que non seulement c’est possible, mais que cela aboutit à développer la résilience de l’entreprise, sa performance et son développement.
Et pourtant cela reste un cas bien isolé….
(à suivre)

9 déc. 2014

L’ENTREPRISE VIVANTE

Reinventing organizations (13)
A quoi correspond donc ce nouveau mode d’organisation ? A un système vivant, dont il s’agit de comprendre, accompagner et faciliter la vie propre.
Diriger cesse donc de décider, mais devient comprendre et faciliter : à l’image des parents, dont le rôle est de comprendre l’adulte qui est en potentiel au sein de leurs enfants, pour en faciliter l’émergence et le développement.
Telle est la métaphore centrale du livre Reinventing Organizations.
Ceci conduit à trois ruptures majeures :
- L’auto-management : plus besoin de hiérarchie, de chefs et sous-chefs, inutile non plus de chercher à tous prix le consensus. Le fonctionnement est horizontal et chaotique… comme la vie.
- Le tout : plus besoin de laisser sa vraie personnalité aux portes du bureau ou de l’usine, de nier la part féminine, de cacher les doutes, les intuitions ou les émotions. Chacun peut être pleinement lui-même.
- La finalité en mouvement : plus besoin de prévision ou de contrôle, mais de l’écoute et de la compréhension. L’important est de comprendre la finalité de l’organisation et de l’aider à l’atteindre.
Cette description peut sembler une utopie inaccessible et purement théorique. Mais non ! 
Au travers de plusieurs monographies et d’exemples multiples issus d’entreprises de tailles diverses et appartenant à tous les secteurs, Frédéric Laloux illustre son propos : les entreprises vivantes sont là, déjà parmi nous… même si elles sont encore en petit nombre.
(à suivre)

8 déc. 2014

LES NOUVEAUX PARADIGMES DE L’ORGANISATION VIVANTE

Reinventing organizations (12)
Nous arrivons donc au cœur du livre de Frédéric Laloux, avec la description de ce nouveau mode d’organisation émergent qui a été l’objet central de ses recherches. Je ne vais pas déflorer ici l’essentiel de son livre, mais juste continuez à en donner un patchwork pour donner un avant-goût, et je l’espère l’envie de vous y plonger à votre tour !
Il s’agit d’un mode curieux où l’organisation devient vivante, sait choisir son but, s’auto-organise, où les libertés individuelles sont maximum, où l’échange et la dynamique collective sont essentielles, où le rôle du leader mute complètement, jusqu’à peut-être un jour disparaître lorsque le système sera arrivé à maturité… Étrange monde, bien éloigné des organisations bureaucratiques et tayloriennes encore si présentes.
Tout d’abord à quel changement de paradigme personnel correspond donc ce nouveau mode de fonctionnement collectif :
- Ne plus s’identifier à son propre ego, et apprendre à minimiser le besoin de contrôle son environnement : prendre la vie comme elle vient, avec ses hauts et ses bas,
- Ne plus chercher ni la reconnaissance, ni le succès, mais simplement l’accomplissement personnel et la sensation de faire bien : viser le geste juste ici et maintenant
- Ne pas se fixer d’objectifs extérieurs, mais approfondir qui nous sommes profondément : s’appuyer sur sa vraie nature et sa force naturelle,
- Ne plus se penser distinct de ce qui nous entoure, ni séparer le monde en entités disjointes, mais penser globalement : ne pas séparer vie personnelle et professionnelle, ne pas séparer une entreprise de son écosystème et de ses concurrents
Tout ceci raisonne fortement avec la vision bouddhiste du monde. L’entreprise du XXIème siècle serait-elle une transposition managériale et organisationnelle du bouddhisme ? Pas complètement bien sûr, mais un peu oui…
(à suivre)