24 juin 2015

LA CONFRONTATION EST LA SŒUR DE LA CONFIANCE

Pouvoir s'ouvrir aux autres et au monde
À la confiance, il est nécessaire d’adjoindre sa sœur, la confrontation, c’est-à-dire la mise en commun et en débat des interprétations et des points de vue, internes comme externes.
Pourquoi ? Parce que tout est trop mouvant, trop complexe, trop multiforme pour être compris par un individu isolé ; parce que chacun d’entre nous est trop prisonnier de son expertise, de son passé, de l’endroit où il se trouve, pour avoir une vue complète et absolue ; parce que l’objectivité n’est pas de ce monde, que tout est contextuel, que seules les interprétations existent, et les faits restent cachés et obscurs ; parce que, sans confrontation avec le dehors, l’entreprise se sent, petit à petit, invulnérable, dérive, et se réveille, un jour, tel un dinosaure, déconnectée de son marché, de ses clients et de ses concurrents.
Qu’est-ce donc que la confrontation ? Elle est le chemin étroit entre nos deux tendances naturelles, qui sont le conflit et l’évitement. Mus par nos réflexes inconscients, ceux qui viennent des tréfonds de la jungle que nous avons quittée il n’y a pas si longtemps, nous voyons d’abord un point de vue différent, comme une menace et une remise en cause : si nous nous sentons suffisamment forts, nous chercherons le conflit, pensant le gagner ; si c’est le sentiment d’infériorité qui domine, comme une gazelle face à un lion, nous fuirons.
La confrontation est une troisième voie : elle est ouverture aux autres, mise en débat de ses convictions et ses interprétations, recherche des hypothèses implicites, souvent inconscientes, qui ont conduit chacun, à sa vision du monde, et à recommander telle solution, plutôt que telle autre. Le but de la confrontation est d’ajuster les interprétations, de construire une conviction collective, de prendre ensemble une décision, et de définir les modalités d’actions.
Finalement, c’est l’absence de confrontation qui est un signal d’alerte, car, pour tout projet complexe, il n’est pas normal que tout le monde soit spontanément d’accord. Cela signifie soit que l’analyse a été trop superficielle, soit que certaines parties prenantes ont évité la discussion. Quand un projet avance trop vite, quand aucun arbitrage n’est nécessaire, c’est qu’une partie du champ de contraintes n’a pas été pris en compte. On constate alors a posteriori les dégâts : l’objectif n’est pas atteint, ou les délais ne sont pas respectés, ou les coûts ont dérapé… ou les trois.

22 juin 2015

SAVOIR NE PAS S'ÉPUISER DANS LA DURÉE

Faire facile et simple pour durer
Pour tenir dans la durée et ne pas s'effondrer face aux obstacles, il faut trouver le geste naturel et facile, identifier les solutions les plus simples pour bâtir sur elles, ne pas faire de l'effort une valeur, mais juste une nécessité parfois incontournable, et savoir prendre son temps.

19 juin 2015

PUZZLE

Enfants
Au cours de mes voyages, j’ai toujours aimé saisir des instantanés d’enfants.
Rencontres aléatoires et fortuites, au hasard de mes déambulations. 
Aucun de ces enfants ne se ressemble. Chacun a son histoire, sa culture. Aucun ne vient du même village, ni souvent du même pays.
Mais rapprochés ainsi, ils se répondent en écho. Toujours en groupe, ils sont. Une complicité joyeuse les anime, et les bras, volontiers, s’entremêlent.

Rien que pour le plaisir du souvenir et de leurs sourires,  ci-joint un kaléidoscope…

17 juin 2015

CHERCHER LA FACILITÉ EST NÉCESSAIRE, ET CE N’EST PAS SIMPLE !

Dur, dur de faire "facile"
« La grande stratégie est sans coup d’éclat, la grande victoire ne se voit pas. (...) Méditer la poussée des plantes : ni volontarisme, ni passivité ; mais, en secondant dans le processus de poussée, on tire parti des propensions à l’œuvre et les porte à leur plein régime. » (1)
L’action ne doit pas seulement être locale et cohérente avec la stratégie, elle doit aussi être efficace, c’est-à-dire tirer parti des situations, et s’inscrire dans la durée, ce qui suppose de chercher la facilité.
Je conçois que, pour nos esprits habitués à la pensée occidentale, parler de facilité peut sembler une provocation et un contresens : comment vouloir viser la facilité dans un monde incertain ? Mais si nous opposons facilité et incertitude, c’est parce que nous nous méprenons sur la notion de facilité, et que, pour nous, elle veut dire souvent paresse ou passivité, au mieux absence de volonté et d’effort. Nous sommes persuadés que chercher la facilité est facile…
Ce que nous aimons, forts de notre culture, c’est la transpiration et la difficulté : le manager méritant est celui qui part à l’escalade d’une montagne, si possible enneigée et escarpée, c’est le premier de cordée, celui qui apprécie se trouver en avant et aller à l’assaut des obstacles. Mais s’il part pied au plancher, au maximum de ses capacités, à l’assaut d’une falaise, comment fera-t-il quand des aléas et des difficultés imprévues surviendront ? S’il part à contre-courant ou à la limite de ce qu’il peut entreprendre, si, dès le départ, il n’a pas privilégié ce qui était le plus naturel, comment fera-t-il face à la nouveauté, au problème qui surgit sans qu’il l’attende ? Et si c’est toute l’entreprise qui est ainsi aux taquets, à la limite de ce qu’elle peut faire, comment réagira-t-elle face à une attaque non planifiée d’un concurrent, au retard d’un lancement d’un produit critique ou à la perte d’un client majeur ?
(1) François Jullien, Conférence sur l’efficacité
(extrait des Radeaux de feu)

15 juin 2015

LA CULTURE EST UN CIMENT QUI ÉMERGE LENTEMENT

Grandir sans changer
La culture naît d’un compost, et c’est ce qui fera de l’assemblage hétérogène d’hommes et de femmes d’origines et d’âge différents, une collectivité : ce compost en crée un autre. C’est elle qui permettra au groupe d’acquérir des propriétés nouvelles.
A titre d’exemple, j’aime bien ce que relate Kevin Kelly dans Out of Control. Imaginez le jeu suivant : prenez un groupe de personnes et demandez-leur de se mettre en cercle. Sur votre ordre, chacun doit plier ses jambes et s’asseoir sur les genoux de son prédécesseur. Si le groupe est soudé et synchrone, si chacun a confiance dans l’autre, le groupe devient une chaise collective autoporteuse. Si un seul manque, tout s’effondre. Une sorte de radeau de feu simplissime et primaire. Ainsi que Kelly l’écrit : « Toutes les causes sont des résultats, comme tous les genoux sont des sièges. Contrairement au sens commun, toutes les existences dépendent de l’existence consensuelle de toutes les autres. »
La culture est le point de référence qui permet des émergences synchrones, ces nouvelles propriétés circulaires. Impossible de savoir qui est à l’origine du résultat obtenu, car chacun en est la cause et la conséquence, le commencement et la fin. Comme dans les vols d’étourneaux, pas besoin de contrôleur central pour avoir la puissance du groupe et la capacité à prendre des initiatives individuelles. Simplement, c’est au dirigeant de faire en sorte que cette culture existe et soit vivante.
Alors, si l’entreprise grandit et se transforme sans changer, si les matriochkas stratégiques apportent une référence stable et permanente, si ceci se transforme en une culture diffusée et partagée, les individus feront société, des performances collectives insoupçonnées et imprévues naîtront, et des mouvements autonomes, émergeront la puissance, la souplesse et la résilience. Tel un fleuve, elle captera les eaux tout autour d’elles, fera des autres ses affluents, sortira de son lit s’il le faut, fera peut-être un méandre de plus ou de moins, sera chaque jour plus forte, et toujours se jettera dans sa mer, précisément au même endroit.

12 juin 2015

LIGNES DE VIE

Jeux de lignes
Les lignes sont des structures imprécises. Elles autorisent ou interdisent, se forment et déforment, ondulent ou rigidifient.
Elles sont aiguillages et mouvements. Vers la gauche ou la droite, c’est selon. Tel un train fou, nous suivons leur chemin. A quand la collision ?
Elles sont aussi empilements, pierres posées les unes sur les autres. Le temps a fait son œuvre, les bords se sont érodées, les pluies ont entaillé celle-là, préservé celle-ci.
Elles sont tissées ou non, horizontales ou verticales, colonnes ou grillages.
Nous vivons dans ces toiles d’araignées qui nous entravent ou capturent nos proies, c’est selon.
Ainsi vont nos vies : nous marchons sur le fil de ces lignes …

10 juin 2015

COMMENT L'ORÉAL CONSTRUIT UNE STRATÉGIE RÉSILIENTE EN UNIVERS INCERTAIN

Les Matriochkas d’une stratégie résiliente
Comment L'Oréal construit une stratégie stable et se renforce, tout en menant des actions immédiates changeantes et tirant parti de l'incertitude



(Extrait de l'interview de Robert Branche, par Vincent Neymon, sur Radio Notre Dame au cours de l'émission Grand Témoin)

8 juin 2015

TOUJOURS VISER LE MÊME POINT FIXE

Se renforcer en avançant toujours dans la même direction
Qu’il pleuve ou qu’il vente, que l’on modifie ses berges ou que l’on mette en place de nouveaux pompages, tout fleuve continue son cours imperturbablement jusqu’à la mer. Indifférent, ou presque à tout ce qui l’entoure, au fur et à mesure de sa progression, il se renforce.
Comme dans la théorie des mathématiques du chaos, la mer se comporte comme un attracteur qui attire à lui l’eau qui tombe tout autour : peu importe l’incertitude en amont, tout converge vers elle. Le couple fleuve-mer est un système structurellement stable, la mer est un point fixe pour le fleuve. Telle est la logique qui régit notre monde : derrière les aléas immédiats, au-delà des méandres et des hésitations, les structures fondamentales restent inchangées.
Il en est de même pour une entreprise : pour se renforcer tout au long de sa progression, elle doit viser un point fixe, une mer, et allier stabilité et adaptation aux événements et au terrain. Elle a commencé par hasard, intuition et volonté, mais un jour se pose la question du choix : comment trouver cette mer qui sera son point fixe, et fera d’elle un fleuve, celui dont les autres seront les affluents ?
Première question : de tels points fixes existent-ils ? Oui, car les processus chaotiques qui régissent notre monde, le rendent structurellement stable : la physique est toujours faite des mêmes solides, l’énergie est toujours là, et nos écosystèmes sociaux s’articulent toujours autour de la communication, la beauté, l’alimentation ou la sexualité. Ce sont ces déterminants que les entreprises doivent viser, ce sont parmi eux qu’elles doivent choisir leur mer.
Ainsi, quand vous demandez à L’Oréal de définir sa stratégie, il répond la beauté. De même Nestlé avec la nutrition et la santé, Saint-Gobain avec l’habitat, ou Air Liquide avec la gestion des gaz. Quand Steve Jobs explique pourquoi il a choisi le marché de la musique, il dit que c’est un besoin permanent et constant : pas d’inquiétude à avoir, il sera là encore demain. Quant à Google, il ne se définit pas comme le spécialiste des moteurs de recherche sur Internet, ni même comme visant à favoriser l’usage d’Internet. Non, en 2009, son PDG, Éric Schmidt disait : « Nous avons une mission et une stratégie, et la mission est…, vous savez, d’organiser l’information du monde. Et la stratégie est de le faire à travers l’innovation. »

5 juin 2015

LES DEUX FACES DE BÉNARÈS

Quand le territoire des hommes est celui de la nuit et de la fange…

Bénarès est une hydre à deux têtes, Jekyll et Hyde, deux mondes parallèles, juxtaposés et pourtant entremêlés, un côté lumineux, un côté obscur.
Au bord du Gange, c’est le pays des Dieux et de la lumière. Le soleil y est omniprésent et balaie la moindre marche, le moindre recoin. Aucun arbre, aucun abri pour s’en protéger, juste des berges en pierres, nues et sans artifice. Aucune ombre ne vient se déposer sur le serpent liquide. Rien pour se cacher de lui. Tel Caïn assujetti pour toujours au regard de Dieu, nous n’avons aucune chance de nous soustraire ici à celui du fleuve. Être au bord du Gange, c'est être entre les mains d’un géant, soumis à sa puissance et sa force.
Sa vigueur et son énergie, c’est avec calme qu’il les exprime. Son cours est lent et majestueux. Le long de son parcours, les rives se font respectueuses et silencieuses. Pas de cris, pas de voitures, pas de courses. Simplement des hommes, des femmes et des enfants qui marchent, prient, chantent, méditent, et, plus prosaïquement, se lavent ou lavent. Quelques animaux aussi, des buffles, des vaches et des chiens, s’y déplacent sans bruit. Sont-ils conscients de l’importance de ce qu’ils côtoient ?
A l’autre extrémité du monde, se trouve la rue. Elle serpente en hauteur, mimant sinistrement le cours du fleuve. Ici ce n’est plus de l’eau qui est charriée, mais des excréments. Ici, ce n’est plus la lumière qui règne, mais le noir éternel. Ici, ce n’est plus le pays des Dieux, mais celui des hommes. Étroite et sournoise, la rue se faufile en arrière-plan, comme si elle avait peur d'elle-même, coincée entre des maisons qui l'obstruent, encapuchonnée de toiles multiples, la protégeant de son ennemi, le jour. 
Elle est le règne du sale, de la cacophonie et des heurts. Des déchets de toutes sortes conchient le sol. La pluie, loin de la nettoyer, transforme le tout en un cloaque de boue innommable et répugnante. Les bruits qui résonnent et se télescopent, ne sont qu’accumulations de cris, de violences et de souffrances. Pour y avancer, les motos et les vélos se créent leur chemin, fendent la foule, taillent dans la jungle humaine et inhospitalière. Tel l'univers des hommes, celui de la fange. C'est là qu'ils vivent, travaillent et blasphèment.
Dans le noir de ce bourbier, les propos de Michel Serres prennent tout leur sens : « À l'imitation de certains animaux qui composent leur niche pour qu'elle demeure à eux, beaucoup d'hommes marquent et salissent, en les conchiant, les objets qui leur appartiennent pour qu'ils le deviennent. Cette origine stercoraire ou excrémentielle du droit de propriété me paraît une source culturelle de ce qu'on appelle, pollution, qui, loin de résulter, comme un accident, d'actes involontaires, révèle des intentions profondes et une motivation première. »
Régulièrement, ruptures dans cet égout vivant, des boyaux latéraux surgissent. Ils sont des voies qui descendent vers la lumière. Passerelles entre la noirceur des hommes et la beauté des Dieux, ils sont des appels à la conversion et à la foi. Pour rejoindre la vertu, il suffit de se laisser glisser. Il n’est besoin ni de lutter, ni de faire des efforts. Le salut n’est pas dans la douleur, mais dans la joie. Il est dans la compréhension que la nature des hommes est d’accepter de se soumettre à l’attraction des Dieux, et que le Gange, témoin infatigable de leur bonté infinie, attend tous ceux qui voudront s’y plonger.
Une fois ce paradis atteint, si la nostalgie vous assaille, si la fange quittée vous manque, si la chaleur animale vous fait défaut, alors il vous faudra escalader péniblement, marche après marche, le ghât, puis vous hisser dans le boyau, mètre après mètre. La lumière baissera petit à petit, jusqu’à s’éteindre, les bruits du monde vous envahiront progressivement, les odeurs vous nourriront. Vous ne serez plus soumis à la puissance des Dieux, mais à quel prix ? A celui d’accepter la plaie et la douleur des hommes.
Étrange métaphore que Bénarès, là où liberté rime avec bruit, nuit et violence, et soumission avec silence, lumière et calme. Il y est facile d’être croyant, et difficile d’être un homme. 

3 juin 2015

DANS L'INCERTITUDE, LE DÉFI N'EST PAS L'AGILITÉ, MAIS LA STABILITÉ !

Bouger en tous sens ne conduit nulle part
L’agilité est le mot à la mode du management contemporain. Mais, dans le Neuromonde incertain et tourbillonnant, est-ce, à la moindre brise, changer de cap plus vite que les autres ? Qui peut croire que la création de valeur naîtra de tels mouvements erratiques ?
Au contraire, la performance est dans la stabilité, et la capacité à maintenir son cap : arriver à construire dans la durée, sans être désarçonné par tout ce que l’on n’a pas pu prévoir. Tel un fleuve, modifier son cours en fonction des mouvements de terrain, du volume des pluies, des barrages imprévus, mais sans changer de destination.
Aussi si toutes les entreprises sont nées par hasard, intuition ou volonté, celles qui sont devenues des leaders mondiaux durables ont pris, à un moment, le temps de trouver leur mer : elles sont les fleuves qui attirent et structurent le cours des autres.
Ainsi L’Oréal ne cesse jamais de viser la beauté, reste centrée sur les cheveux, la peau et le parfum, développe des marques mondiales dédiées toujours aux mêmes circuits de distribution, tout en en allongeant sans cesse la liste, ne renonce pas à ses principes d’action, … avec au cœur, une réactivité extraordinaire, celle de l’énergie de la vie : les actes élaborent des produits, produits qui construisent des marques, marques qui rapprochent l’entreprise chaque jour un peu plus de sa mer.
L’entreprise est structurellement stable et changeante au quotidien : le chaos des initiatives apporte la résilience globale.
Attention enfin à s’être préparé au pire et organisé sur les scénarios les plus défavorables, car, dans les tourbillons du Neuromonde, seuls les paranoïaques optimistes survivent !
(extrait des Radeaux de feu)