Moments de calme (2010)
Que fait donc cette poupée qui gît, abandonnée, dans une des sentes qui sillonnent les à-côtés du Maiden, ce grand parc au cœur de Calcutta ?
A-t-elle été perdue par un enfant ? Mais pourquoi ? Pris par les turbulences d’une course effrénée, l’a-t-il laissée choir sans s’en rendre compte ? La pleure-t-il depuis lors, ne sachant où elle se trouve ?
Ou est-elle une de ces poupées maléfiques, que l’on torture pour faire souffrir ses ennemis ? Un vaudou indien en est-il le propriétaire ? L’a-t-il jetée là, volontairement, pour soumettre sa victime aux assauts aléatoires de la chaleur, de la pluie et du vent ?
Je la regarde longuement. Puis, dans le doute, jugeant plus prudent de ne pas prendre parti, je me contente de prendre cette photo, et rebrousse chemin, discrètement, laissant glisser mes pas avec le moins de bruit possible. Je ne passe pas à proximité. Surtout pas…
A Calcutta, les arbres ne se contentent pas de meubler les parcs, ou d’abriter les poupées abandonnées, ils partent aussi à l’assaut des façades des immeubles.
Soyons clairs, il ne s’agit pas comme chez nous, d’arbres domestiqués qui grandissent dans des pots amenés à cet effet, ou sur des terrasses où ils miment des jardins perdus.
Non, ils sont sauvages, et s’insinuent dans les anfractuosités des pierres, telle des lierres. Sont-ils là pour consolider des murs qui, sans eux, s’effondreraient, ou mangent-ils le peu de liant qui a survécu au déroulement du temps ?
Sont-ce des cadeaux empoisonnés laissés par les Britanniques, qui, furieux d’avoir dû abandonner leur capitale impériale, ont tenus à miner de l’intérieur, ce qui venait de les rejeter ? Sont-ce une version occidentale de la lutte non-violente qui avait si bien réussi aux Indiens ?
Y a-t-il un parallèle à faire entre eux et la poupée qui dort à quelques kilomètres de là ?
Au Sud de Calcutta, se trouve une immense réserve de 10 000 km2 où se mêlent la terre et l’eau, les Sunderbans. C’est une mangrove, c’est-à-dire un écosystème de marais maritime dans lequel se développent des arbres qui vivent dans cet univers où le sel est omniprésent.
Ils y déploient des racines qui sont comme des jambes sur lesquelles ils semblent se déplacer. Mais est-ce une illusion, ou se sont-ils figés le temps de notre passage ? Posent-ils pour éviter d’être flous dans le crépitement des appareils de photographie, qui se déchaînent tout autour de moi ?
A l’instar des jouets de Toy Story, ne sont-ils animés que pour ceux qui les comprennent, et les acceptent tels qu’ils sont ? Vont-ils dans un instant, pour les habitants des Sunderbans, reprendre leur ballet ?
J’aimerais pouvoir sauter du bateau, quitter le club des touristes, et aller me cacher dans la forêt voisine. Mais ce serait sans compter sur les tigres qui guettent ceux qui viendraient s’y aventurer.
Alors comme pour la poupée du parc Maiden, comme pour les arbres qui habillent les façades, je ne dis rien, et me laisse glisser doucement dans l’eau du marais.