11 sept. 2015

LE TRAIN INDIEN EST POREUX, DONC VIVANT

Dans la moiteur d’une nuit
(photo issue de https://frompondywithlove.wordpress.com)
Allongé sur la couchette, synchrone avec le rythme du train, la chaleur ayant baissé dans la nuit, j’apprécie la densité du voyage. Tout l’inverse de l’avion. Dans les airs, le mouvement est masqué, on ne perçoit que le bruit des moteurs, les secousses aléatoires et l’icône qui bouge sur l’écran. Ici, il est en direct, vivant. Toute la différence entre le playback et le live ! Le paysage n’est pas une fiction, un documentaire projeté pour distraire, il est immédiatement perceptible.
Dans l’avion, tout le monde demeure à sa place. Pas de cris, pas de paroles plus hautes les unes que les autres. Chacun mesure ses propos. Là-haut, tout est feutré, artificiel. Le trajet doit être accouché sans douleur, l’alcool servant de péridurale. Surtout pas de vagues, pas d’exclamations, pas d’émotions. Rien que du temps qui s’écoule.
Ici, dans le compartiment du train, rien de tel : les heurts de la vie sont constants, chocs des odeurs et du bruit. Je m’y sens profondément incarné, et l’Inde n’est pas une abstraction lointaine et distante. Je subis une transfusion de l’énergie foisonnante de ce pays, je suis opéré à chaud, sans anesthésie.
Dans l’avion, les fenêtres sont des hublots hermétiques. Nous sommes trop loin du monde des hommes pour pouvoir y vivre : le dehors est dangereux et impur, froid et létal, dénué d’oxygène, chargé de rayonnements nocifs. Aucune molécule ne doit ni rentrer, ni sortir. Nous sommes dans un espace que nous ne pouvons que traverser et en aucun cas habiter. La peau de l’avion devient la nôtre, une nouvelle peau protectrice, dont les fenêtres sont tout sauf des pores. Nous sommes isolés, protégés, coupés de nos racines, pris en charge et infantilisés.
Le train indien, lui, n’est pas une peau qui isole, mais une peau qui relie : rien n’est opaque, les parois sont poreuses, l’organisme métallique respire, tout pousse à l’échange. Même moite, l’air entre et sort régulièrement, les grilles sont des liens, les gares de vrais lieux. Sans cesse, on monte, descend, mange, boit, bouge, dort, parle, crie. Ce n’est plus un objet dans lequel on se déplace, mais une ville que l’on habite.

9 sept. 2015

« UN HOMME POLITIQUE DOIT ARRIVER AU POUVOIR PRÉPARÉ »

Pierre Mendès-France expose sa vision de ce que devrait être un homme politique (2)
Suite des extraits de l’intervention de Pierre-Mendès France dans Radioscopie de Jacques Chancel le 27 novembre 1973
« L'homme politique n'a pas le droit de méconnaître un certain nombre de vérités de fond. (…) Il faut que l'homme qui a des responsabilités politiques ne néglige jamais de réfléchir profondément aux problèmes qu'il a à traiter, avec le concours de ceux, s'il ne les connaît pas suffisamment, de ceux qui les connaissent ou les ont approfondis plus que lui. La conciliation de la science, de la connaissance des choses, de l'approfondissement des problèmes d'une part, et de la volonté de réaliser d'autre part, c'est cela en définitive la responsabilité de l'homme politique. 
 « Question : Un homme politique au pouvoir n'a pas le temps de la réflexion. Il a trop de responsabilités. Vous en ce moment, vous pouvez réfléchir.
Réponse : C'est pourquoi il doit toujours travailler quand il n'est pas au pouvoir. Il doit arriver au pouvoir préparé. Dire : "Eh bien quand j'y serai, je verrai. Il sera toujours temps de décider. Il sera toujours temps de déterminer." Cela, c'est une erreur. (…) Pendant la guerre, j'étais de ceux qui réfléchissaient beaucoup, qui étudiaient, qui travaillaient, qui écrivaient sur la politique qu'il faudrait faire en France à la libération. Et puis il y avait des gens qui disaient : "On verra. On ne sait pas comment cela se fera. On ne sait pas quand, quel sera le degré des ruines, quelle sera l'étendue de la pénurie alimentaire, ou du ralentissement industriel. Il sera toujours temps. On verra.". Je crois que c'est une erreur. Je crois qu'il fallait à l'avance se mettre en état d'agir dans les meilleures conditions possibles. Et dans un certain nombre de pays où cela s'est fait, on en a vraiment profité. Dans les pays où on l'a négligé, on a fait beaucoup d'erreurs. »

7 sept. 2015

« EN DÉMOCRATIE, RIEN N'EST PLUS IMPORTANT QUE LA VÉRITÉ »

Pierre Mendès-France expose sa vision de ce que devrait être un homme politique (1)
Le 27 novembre 1973, Jacques Chancel recevait Pierre Mendès-France dans le cadre de son émission Radioscopie sur France Inter. Grâce à une rediffusion faite début août, je l’ai découverte. Occasion de voir que les propos tenus par Pierre Mendès-France restent plus que d’actualité. En voici quelques extraits :
« Un homme politique a le devoir, surtout dans une démocratie, de dire à tous ceux qu'ils l'écoutent, ce qu'il pense, pour contribuer à ce qu'ils prennent la décision puisque, par hypothèse on est dans une démocratie (…) L'hypothèse de la démocratie, c'est que le peuple doit juger lui-même. Mais pour juger lui-même, il faut qu'il ait entendu le pour et le contre des opinions qui s'opposent. Et par conséquent il faut que chacun lui ait parlé franchement. Si ceux qui viennent s'exprimer devant lui jouent de démagogie, d'habileté, fardent la vérité pour favoriser leur propre carrière, ils ne fournissent pas à l'opinion publique les moyens de se former une opinion valable, et par conséquent ils fourvoient l'opinion publique. Et si, par hypothèse  c'est le pays lui-même qui doit décider, il décide sur des cartes biseautées. Par conséquent en démocratie, rien n'est plus important que la vérité. »
« Ce qui reste critiquable, c'est le cas dans lequel l'intérêt d'un parti passe au-dessus de l'intérêt général, dans lequel les dirigeants d'un parti au moment de prendre une décision au lieu de répondre essentiellement, par priorité, à l'intérêt de la nation ont fait prévaloir l'intérêt de leur formation politique, parce qu'il y avait des élections prochaines ou parce qu'il y avait je ne sais quelle manœuvre parlementaire à l'horizon. C'est cela que j'ai critiqué, pas l'existence d'un parti. »
« Un gouvernement se constitue non pas pour donner des portefeuilles, non pas pour favoriser telle ou telle opération à l'horizon, mais pour faire aboutir une réforme, une transformation, une amélioration qu'on estime indispensable dans l'intérêt du pays, et c'est cela qui doit déterminer des alliances. »

(à suivre)

4 sept. 2015

RÊVERIE PARISIENNE

Promenade nocturne
Marche automatique dans les rues de Paris. Le Marais abandonné, mes pas m’amènent mécaniquement aux bords de la Seine. Pas de bouquinistes à cette heure-là. Leurs boîtes sont fermées, et cachent leurs secrets. 
Songeur, je suis le cours de l’eau. Me voilà au Pont des Arts. Je m’appuie au parapet pour la regarder couler. Jamais, sa surface n’est au repos, toujours elle vibre. Les lumières s’y brisent et se fragmentent. Chaos sans logique, aucun repère à suivre. Quand un projecteur éclaire un mur, l’éclat est lisse et habille la paroi de sa couche. Mais sur l’eau, rien de tel. La lumière ne l’habille pas, elle y est détruite, désagrégée. Le flot se joue des photons, et les renvoie de toutes parts. Billard à mille bandes.
Il n’y a pas que la lumière qui peut rebondir ainsi, les pierres aussi. Je me souviens des ricochets que j’aimais faire enfant. Je passais des heures à lancer des galets, et les regarder prendre appui sur ce qui aurait dû les absorber. Comment léviter au lieu d’être avalé ? Les pierres se font yogis, et savent s’abstraire de la loi de la pesanteur. 
Saisir les opportunités, se nourrir des énergies latentes, repartir sans cesse, et se servir des autres pour ricocher sur eux. S’imprégner de ce que l’on vient de toucher, non pas pour s’y attacher, mais pour avoir l’énergie de s’en extraire.

2 sept. 2015

BACK IN LIVE

Quelques explications
Comme promis après de longs mois, durant lesquels j’ai rediffusé des papiers déjà publiés sur mon blog, retour au live !
J’ai profité de ce break pour écrire un nouveau livre qui structure ma vision sur pourquoi il devient urgent de refonder nos organisations collectives françaises, et comment je pense qu’il faudrait s’y prendre. Avec une conviction : si nous manquons les prochaines élections présidentielles pour enclencher cette refondation, la France est en grand danger de décrocher, ou pour reprendre une expression devenue à la mode d’être « ubérisée » …
Les modalités et le timing de la sortie de ce livre ne sont pas encore arrêtés, je n’en dirai donc pas plus pour l’instant. Mais dès que ce sera possible, je me servirai de mon blog pour expliquer son contenu et en diffuser quelques extraits.
D’ici là, je vais m’en tenir à un rythme de trois billets par semaine, le lundi, le mercredi et le vendredi : ceux du lundi et du mercredi seront liés à certaines de mes lectures récentes, en liaison soit avec le management des entreprises, soit avec la situation politique. Ceux du vendredi, comme à mon habitude, seront consacrés à des instantanés courts issus de mes voyages, de rencontres, de chansons écoutées, etc.
N’hésitez surtout pas à réagir, commenter ou compléter. Ce blog est aussi le vôtre !

31 août 2015

SEULE LA MAGIE EST RÉELLE

Au pays de la magie
L’Inde est un pays magique. Il suffit de s’y promener pour en être persuadé. Vous en doutez ? Vous croyez que, comme chez nous, tout doit y être logique, rectiligne et rationnel…
Observez comme cette statue de Jésus est capable à Goa de courber cet arbre. Avez-vous déjà rencontré chez nous une telle prouesse ? En Inde, même les végétaux s’inclinent devant la puissance divine. Peut-être que prochainement, cet arbre fera une génuflexion complète.
Regardez cet enfant qui marche devant le Taj Mahal, la merveilleuse sépulture faite de marbre blanc. Voyez comme il est grand, et comme sa silhouette, loin d’être écrasée par l’immensité de l’arrière-plan, domine le monument. En Inde, les enfants savent se jouer de la mort. La vie leur est suffisamment âpre et difficile, pour qu’ils se sentent grandis devant elle.
Et que dire du mage qui psalmodie devant les eaux du Gange ? Nous sommes ici à Bénarès, ville magique s’il en est. Lali Baba – c’est son nom – en appelle à des puissances pour qui, ni le temps, ni l’espace, ne comptent. Vision fantomatique. Sa blancheur habille la nuit, et sa voix lancinante la déchire. 
Dans quelques instants, pris par la tourmente de ce qui s’est saisi de moi, je plongerai dans le Gange…

27 août 2015

BOMBAY INSOLITE

Un double-docker, des jeans et des serpents...

Déjà je ne m'attendais pas à rencontrer un authentique bus anglais dans les rues de Bombay, mais encore moins à le voir être utilisé comme une arme terroriste. Dans un remake au ralenti de l'attaque des tours du World Trade Center, il vise manifestement la gare centrale.
Que faire ? Intervenir, oui mais comment ? Et personne n'a l'air de voir l'imminence de la catastrophe...


Est-ce une nouvelle publicité pour une marque de jean ? Levis a-t-il voulu changer de dimension, et trouve-t-il les laveries des spots précédents, trop étriquées ?
Mais je ne vois aucune caméra alentour. Aucun top model non plus.
Juste des indiens accroupis qui frottent sans relâche des piles de linge, sans cesse renouvelées...


L'imaginaire du cinéma transforme parfois les habitants des bidonvilles en vedette de jeux télévisés, magie d'un "Slumdog millionaire". Mais la réalité est plus sinistre, et le futur de ceux qui s'y trouvent est moins glamour.
Dans le noir presque absolu qui y règne, des câbles, tels des serpents venimeux, courent sur les murs. Aucun fakir n'est là pour les dresser. Le seul chant que l'on y entend, est celui de la démarche lourde des porteurs d'eau. Même les enfants semblent être absents.
Pourtant à quelques minutes de là, trônent la fameuse Indian Gate, et le Taj Mahal Palace...

(Les trois photos ont été prises à Bombay en juillet 2012)

24 août 2015

DRÔLE DE RENCONTRES

Télescopages indiens

Les rues indiennes sont l'occasion de rencontres multiples, inattendues, issues du capharnaüm des télescopages multiples qui s'y produisent.

Parfois c'est un singe qui, juché sur un toit, affirme sa supériorité. Conscient d'être le roi de l'eau, celui qui décide qui va boire ou dépérir, celui qui donnera la vie ou la mort, imperturbable à ce qui l'entoure, il s'abreuve.

Un peu plus loin, ce sont des oiseaux, comme issus d'un film d'Hitchcock, qui ont pris possession des lieux. Les uns guettent les passants, qui se font furtifs et accélèrent leur pas,  craignant de devenir à leur tour, victimes. Les autres mangent, et se repaissent de cette offrande des hommes.

Et les terrasses des palaces ne sont pas en reste. Ce ne sont ni des businessmen affairés que l'on y rencontre, ni des couples improvisés qui y balbutient en se découvrant mutuellement,  ni des touristes qui s'y ressourcent avant de repartir vers de nouvelles découvertes.
Non, c'est un brouillard d'insecticide qui squatte la terrasse ! J'imagine la tête des clients qui, tout à l'heure, occuperont ces chaises, si jamais je leur montrais cette photo. Comment rester sereinement à deviser, sans craindre quelque retombée néfaste pour sa propre santé ?

(Les deux premières photos ont été prises à Bombay en juillet 2012, la troisième est la terrasse de l'hôtel Imperial à Delhi en juillet 2008)

20 août 2015

ÉTRANGE CALCUTTA

Moments de calme (2010)
Que fait donc cette poupée qui gît, abandonnée, dans une des sentes qui sillonnent les à-côtés du Maiden, ce grand parc au cœur de Calcutta ?
A-t-elle été perdue par un enfant ? Mais pourquoi ? Pris par les turbulences d’une course effrénée, l’a-t-il laissée choir sans s’en rendre compte ? La pleure-t-il depuis lors, ne sachant où elle se trouve ?
Ou est-elle une de ces poupées maléfiques, que l’on torture pour faire souffrir ses ennemis ? Un vaudou indien en est-il le propriétaire ? L’a-t-il jetée là, volontairement, pour soumettre sa victime aux assauts aléatoires de la chaleur, de la pluie et du vent ?
Je la regarde longuement. Puis, dans le doute, jugeant plus prudent de ne pas prendre parti, je me contente de prendre cette photo, et rebrousse chemin, discrètement, laissant glisser mes pas avec le moins de bruit possible. Je ne passe pas à proximité. Surtout pas…
A Calcutta, les arbres ne se contentent pas de meubler les parcs, ou d’abriter les poupées abandonnées, ils partent aussi à l’assaut des façades des immeubles.
Soyons clairs, il ne s’agit pas comme chez nous, d’arbres domestiqués qui grandissent dans des pots amenés à cet effet, ou sur des terrasses où ils miment des jardins perdus.
Non, ils sont sauvages, et s’insinuent dans les anfractuosités des pierres, telle des lierres. Sont-ils là pour consolider des murs qui, sans eux, s’effondreraient, ou mangent-ils le peu de liant qui a survécu au déroulement du temps ?
Sont-ce des cadeaux empoisonnés laissés par les Britanniques, qui, furieux d’avoir dû abandonner leur capitale impériale, ont tenus à miner de l’intérieur, ce qui venait de les rejeter ? Sont-ce une version occidentale de la lutte non-violente qui avait si bien réussi aux Indiens ?
Y a-t-il un parallèle à faire entre eux et la poupée qui dort à quelques kilomètres de là ?
Au Sud de Calcutta, se trouve une immense réserve de 10 000 km2 où se mêlent la terre et l’eau, les Sunderbans. C’est une mangrove, c’est-à-dire un écosystème de marais maritime dans lequel se développent des arbres qui vivent dans cet univers où le sel est omniprésent.
Ils y déploient des racines qui sont comme des jambes sur lesquelles ils semblent se déplacer. Mais est-ce une illusion, ou se sont-ils figés le temps de notre passage ? Posent-ils pour éviter d’être flous dans le crépitement des appareils de photographie, qui se déchaînent tout autour de moi ?
A l’instar des jouets de Toy Story, ne sont-ils animés que pour ceux qui les comprennent, et les acceptent tels qu’ils sont ? Vont-ils dans un instant, pour les habitants des Sunderbans, reprendre leur ballet ?
J’aimerais pouvoir sauter du bateau, quitter le club des touristes, et aller me cacher dans la forêt voisine. Mais ce serait sans compter sur les tigres qui guettent ceux qui viendraient s’y aventurer.

Alors comme pour la poupée du parc Maiden, comme pour les arbres qui habillent les façades, je ne dis rien, et me laisse glisser doucement dans l’eau du marais.
(Sunderban Tiger Camp)

17 août 2015

TEA TIME

A Kurseong (2010)
A Kurseong, lové en leur cœur, se trouve l’hôtel Cochrane Place. Une vieille bâtisse avec de grandes chambres confortables, une allure de musée, habillée de bois et de meubles anciens. De ma fenêtre, si jamais les brumes se dispersent, les feuilles de thé se reproduisent à l’infini.
A côté de la salle de restaurant, un bar à cocktail propose une carte surprenante : ce ne sont que des cocktails de thé, mélangeant les saveurs et les rapprochements étonnants.
Mais à Kurseong, il n’y a pas que les humains qui apprécient le thé, les animaux aussi. Comme vous pouvez le voir sur ces photos que j’ai prises alors, pour les vaches et les chèvres, c’est aussi tea time ! Mais il est vrai qu’ils le mangent, et ne le dégustent pas infusé. Les anglais pourtant passés par ces terres, n’ont pas dû avoir le temps de leur inculquer les bonnes manières.
Autre surprise découverte entre l’hôtel et le centre de Kurseong : le Darjeeling Polytechnic. Ma chère école d’origine me poursuivrait-elle jusque dans ces brumes ?
Rapidement, je suis rassuré, ce n’est qu’une amusante coïncidence. Je peux donc continuer sans crainte ma douce déambulation dans les terres de l’Inde du Nord.

(Cochrane Place, 132 Pankhabari Road, Fatak, West Bengal, Kurseong 734203, Inde)