Dans la moiteur d’une nuit
(photo issue de https://frompondywithlove.wordpress.com) |
Dans l’avion, tout le monde demeure à sa place. Pas de cris, pas de paroles plus hautes les unes que les autres. Chacun mesure ses propos. Là-haut, tout est feutré, artificiel. Le trajet doit être accouché sans douleur, l’alcool servant de péridurale. Surtout pas de vagues, pas d’exclamations, pas d’émotions. Rien que du temps qui s’écoule.
Ici, dans le compartiment du train, rien de tel : les heurts de la vie sont constants, chocs des odeurs et du bruit. Je m’y sens profondément incarné, et l’Inde n’est pas une abstraction lointaine et distante. Je subis une transfusion de l’énergie foisonnante de ce pays, je suis opéré à chaud, sans anesthésie.
Dans l’avion, les fenêtres sont des hublots hermétiques. Nous sommes trop loin du monde des hommes pour pouvoir y vivre : le dehors est dangereux et impur, froid et létal, dénué d’oxygène, chargé de rayonnements nocifs. Aucune molécule ne doit ni rentrer, ni sortir. Nous sommes dans un espace que nous ne pouvons que traverser et en aucun cas habiter. La peau de l’avion devient la nôtre, une nouvelle peau protectrice, dont les fenêtres sont tout sauf des pores. Nous sommes isolés, protégés, coupés de nos racines, pris en charge et infantilisés.
Le train indien, lui, n’est pas une peau qui isole, mais une peau qui relie : rien n’est opaque, les parois sont poreuses, l’organisme métallique respire, tout pousse à l’échange. Même moite, l’air entre et sort régulièrement, les grilles sont des liens, les gares de vrais lieux. Sans cesse, on monte, descend, mange, boit, bouge, dort, parle, crie. Ce n’est plus un objet dans lequel on se déplace, mais une ville que l’on habite.