14 oct. 2015

LA NAISSANCE DU DEUXIÈME CERVEAU

Décider sans savoir pourquoi (2)
Pourquoi, ultérieurement, notre cerveau principal s’est-il développé ? Pourquoi progressivement des neurones sont-ils nés loin des tubes digestifs ? 
Pour améliorer la capacité de l’organisme vivant à se nourrir : non plus seulement digérer ce qui se trouve à proximité de la paroi externe, mais être capable de se déplacer pour chercher de la nourriture, d’entendre et voir pour trouver, de toucher pour saisir, de sentir et goûter pour trier. Et comme celui qui se nourrit peut aussi être la proie d’un autre, ces cinq sens servent aussi à se défendre pour survivre. Ainsi, notre deuxième cerveau est né pour accroître les chances de durer et se développer : manger sans l’être.
Ce cerveau, petit à petit, a grossi et pris place dans une boîte crânienne : de cette position de vigie centrale, il a contrôlé les organes moteurs et assuré le pilotage d’un organisme sans cesse plus complexe, un intestin sur pattes, avec des yeux et des oreilles, doté d’un cerveau plus important que le cerveau originel.
La puissance mentale grâce à l’invention du « cuire »
Que s’est-il passé ensuite ? Comment nous retrouvons-nous capables de penser à autre chose que manger ou nous défendre ? Comment a pu naître un cortex nous permettant de penser, écrire des poèmes, inventer les mathématiques ou décider de faire la guerre gratuite à nos congénères ?
C’est l’invention du feu qui fut le déclencheur : il a décuplé la performance de nos processus digestifs, et libéré une quantité d’énergie la rendant disponible pour autre chose. En effet, cuire un aliment avant de l’ingérer, c’est le prédigérer. L’homme avec l’invention du feu s’est trouvé doté d’un surplus d’énergie et de cellules nerveuses capables de développer d’autres finalités : travailler moins en gagnant plus, en quelque sorte. 
Nouveau résumé : l’homme est devenu homme parce qu’il est un tube digestif qui a su cuire. Notre cerveau qui n’était qu’une excroissance de son ancêtre originel, a pris son indépendance, et s’est tellement développé que nous en sommes venus à oublier le cerveau intestinal. Classique meurtre du père !
(à suivre)

12 oct. 2015

LE CERVEAU INTESTINAL EST LE PREMIER

Décider sans savoir pourquoi (1)
Nous sommes persuadés d’être aux commandes de notre corps. Est-ce si sûr ? De quoi sommes-nous vraiment conscients ? De nous vraiment ? Oui et non. Nous ne sommes conscients que de ce que nous percevons de nous-mêmes, c’est-à-dire la pointe de l’iceberg. Haruki Murakami y a mis toute sa poésie pour l’expliquer : « L'homme est comme un immeuble : dans les étages, il y a sa vie, et au premier sous-sol, les débris de sa mémoire. Au second sous-sol, ce sont des amas épars, les arcanes de l'âme dont il faut déchiffrer les énigmes. La plupart des écrivains s'arrêtent au premier sous-sol, mais c'est en entrant dans le second que l'on peut essayer de retrouver la trame d'un récit. Tout se joue là. » (1)
Vous êtes surpris ? C’est un des apports essentiel des neurosciences, ce nouveau tissu de connaissances qui se construit depuis les années 80. 
Commençons par l’histoire de notre cerveau intestinal.
Notre intestin est tapissé d’une centaine de millions de neurones, soit près du double du cerveau d’un rat : c’est une intelligence décentralisée qui permet un traitement rapide du processus clé et complexe de la digestion, ce sans solliciter notre cerveau principal. Les deux cerveaux sont-ils totalement indépendants ? Non, car ils sont réunis par un nerf au joli nom, le nerf vague, dont le rôle reste encore imprécis : il assure une forme de synchronicité entre les deux, sans entraver l’autonomie de chacun.
Nous avons donc un cerveau dans notre intestin. Étrange sensation, non ? Mais il serait encore plus exact de dire que nous étions un intestin intelligent qui s’est progressivement doté d’un cortex pour mieux survivre. Encore plus étrange, non ? C’est pourtant bien dans cet ordre que la vie a déroulé le ruban de son évolution.
Tout a commencé au début par la digestion : savoir se nourrir du dehors, c’est-à-dire arriver à capter ce qui peut être transformé en énergie, tout en se protégeant de ce qui peut détruire. Je digère donc je vis. Si le propre de l’homme est le rire, celui de la vie est la digestion, c’est-à-dire la capacité à manger l’autre. Et ce n’est pas facile : comment trier dynamiquement dans le bain qui entoure ce qui est bon, et rejeter le reste ? Petit à petit, au fur et à mesure du développement, les cellules primaires ont donné naissance à un système digestif : des neurones sont venus tapisser les parois et l’intelligence est née. Voilà l’origine des neurones : savoir digérer. Aussi notre cerveau entérique – appellation scientifique du cerveau intestinal – est-il celui qui a précédé l’autre.
(1) Conférence à l'université de Kyoto, le 6 mai 2013
(à suivre)

9 oct. 2015

ENFIN !

Si près, si loin…
Encore un peu plus de deux mois à attendre… 
L’attente peut sembler courte au regard des années passées à rêver d’une suite qui ne venait pas, mais il n’en est rien : c’est dans les derniers moments, quand on sent venir la fin du manque, que le temps s’écoule le plus lentement. Les jours se font mois, les heures années, les minutes siècles et les secondes millénaires…
Heureusement dans ma maison en Provence, j’ai pour compagnon Yoda qui, avec sa sagesse légendaire, m’aide à endurer l’insupportable. Doucement il me murmure à l’oreille de lâcher-prise, de sentir la force couler en moi, de ne pas lutter contre le courant de la vie. Mais rien n’y fait. Il est vrai que je suis perdu dans les brumes parisiennes, bien loin donc de ses conseils.
Enfin, un jour prochain, le 18 décembre 2015, retentira la musique magique avec ses mots partant vers l’infini : « A long time ago, in a galaxy far, far away… » et toute la salle applaudira… comme il se doit.

7 oct. 2015

LE KITSCH, LA GRANDE MARCHE EN AVANT ET LA GAUCHE…

L’insoutenable nécessité de réfléchir
Il y a plus de trente ans, Milan Kundera, dans l’Insoutenable légèreté de l’être, donnait sa vision cynique de la politique et notamment de celle de gauche. Une vision noire nourrie dans le sang et la douleur du printemps de Prague et de l’invasion de son pays par l’URSS qui s’ensuivit.
Relire ses propos et passer un peu de temps à s’en imprégner me semblent une œuvre utile en ces temps troublés où tant de propos rapides sont assenés sur ce qui serait ou pas de gauche, et où l’on aime frapper d’anathème les intellectuels qui sortent du rang pour réfléchir un peu…
Le Kitsch comme refus de l’imperfection de la Création, et donc de l’homme
« Derrière toutes les croyances européennes, qu'elles soient religieuses ou politiques, il y a le premier chapitre de la Genèse, d'où il découle que le monde a été créé comme il fallait qu'il fut, que l'être est bon et que c'est donc une bonne chose de procréer. Appelons cette croyance fondamentale accord catégorique de l'être. (…)
L'instant de la défécation est la preuve quotidienne du caractère inacceptable de la Création. De deux choses l'une : ou bien la merde est acceptable, ou bien la manière dont on nous a créés est inadmissible. Il s'ensuit que l'accord catégorique de l'être a pour idéal esthétique un monde où la merde est niée et où chacun se comporte comme si elle n'existait pas. Cet idéal esthétique s'appelle le kitsch. (…) 
Le kitsch exclut de son champ de vision tout ce que l'existence humaine a d'essentiellement inacceptable. »
La politique repose sur des représentations, et la gauche sur celle de la Grande Marche en avant
« Mais quel est le fondement de l'être ? Dieu ? L'humanité ? La lutte ? L'amour ? La femme ?
Il y a là-dessus toutes sortes d'opinions, si bien qu'il y a toutes sortes de kitsch : le kitsch catholique, protestant, juif, communiste, fasciste, démocratique, féministe, européen, américain, national, international.
Depuis la Révolution française une moitié de l'Europe s'intitule la gauche et l'autre moitié a reçu l'appellation de droite. Il est pratiquement impossible de définir l'une ou l'autre de ces notions par des principes théoriques quelconques sur lesquels elles s'appuieraient. Ça n'a rien de surprenant : les mouvements politiques ne reposent pas sur des attitudes rationnelles mais sur des représentations, des images, des mots, des archétypes dont l'ensemble constituent tel ou tel kitsch politique.
L'idée de la Grande Marche, dont Franz aime à s'enivrer, est le kitsch politique qui unit les gens de gauche de tous les temps et de toutes les tendances. La Grande Marche, c'est ce superbe cheminement en avant, le cheminement vers la fraternité, l'égalité, la justice, le bonheur, et plus loin encore, malgré tous les obstacles, car il faut qu'il y ait des obstacles pour que la marche puisse être la Grande Marche.
La dictature du prolétariat ou la démocratie ? Le refus de la société de consommation ou l'augmentation de la production ? La guillotine ou l'abolition de la peine de mort ? Ça n'a pas d'importance. Ce qui fait d'un homme de gauche un homme de gauche ce n'est pas telle ou telle théorie, mais sa capacité à intégrer n'importe quelle théorie dans le kitsch de la Grande Marche. »
La fin de la Grande Marche ?
« Franz eut l'impression que la Grande Marche touchait à sa fin. Les frontières du silence se resserraient sur l'Europe, et l'espace où s'accomplissait la Grande Marche n'était plus qu'une petite estrade au centre de la planète. Les foules qui se pressaient jadis au pied de l'estrade avaient depuis longtemps détourné la tête, et la Grande Marche continuait dans la solitude et sans spectateurs. (…) 
Oui, songeait Franz, la Grande Marche continue, malgré l'indifférence du monde, mais elle devient nerveuse, fébrile, hier contre l'occupation américaine au Vietnam, aujourd'hui contre l'occupation vietnamienne au Cambodge, hier pour Israël, aujourd'hui pour les Palestiniens, hier pour Cuba, demain contre Cuba, et toujours contre l'Amérique, chaque fois contre les massacres et chaque fois pour soutenir d'autres massacres, l'Europe défile et pour pouvoir suivre le rythme des évènements sans en manquer un seul, son pas s'accélère de plus en plus, si bien que la Grande Marche est un cortège de gens pressés défilant au galop, et la scène rétrécit de plus en plus, jusqu'au jour où elle ne sera qu'un point sans dimensions. »

5 oct. 2015

AVEC LA MÉMOIRE ET L’HISTOIRE INDIVIDUELLE, TOUT SE COMPLIQUE

Pourquoi l’incertitude s’accroît continûment et de façon accélérée (4)
Un double mécanisme sous-tend sa capacité à décider et à choisir : l’apprentissage et la mémoire. Grâce à son cerveau, il est capable d’accumuler de l’expérience, de se souvenir, et de modifier l’utilisation de ses fonctions motrices en fonction des résultats obtenus dans le passé. Monsieur Pavlov avec sa célèbre souris a montré comment l’expérience vécue pouvait influer sur le comportement futur.
Le monde subit ainsi une nouvelle accélération dans l’accroissement de l’incertitude : il est peuplé de créatures qui, dynamiquement, font des choix, partent à gauche ou à droite, butent ou non sur une pierre, et ce non seulement en fonction de leur environnement immédiat et présent, mais en fonction des accidents qu’ils ont vécus. Plus un tigre saura chasser efficacement, plus son comportement deviendra audacieux : les comportements sont les fruits de leur histoire.
Cette différentiation s’accroît progressivement au fur et à mesure du développement des capacités cérébrales : plus le monde avance, plus les animaux sont intelligents et imprévisibles dans leurs comportements. 
Donc une triple montée en puissance de l’incertitude : 
- Par la motricité, les mouvements sont plus rapides : le rythme de la propagation des interactions est plus élevé,
- Par la décision, les directions prises sont plus complexes : l’adaptation et l’évolution se font en continu, et non plus seulement au moment de la reproduction, 
- Par la mémoire, les décisions sont différenciées : progressivement, au fur et à mesure de l’évolution et de la croissance des fonctions cognitives, l’histoire devient individuelle et l’action aussi.

2 oct. 2015

ÊTRE ET AVOIR ÉTÉ

Survivre en Corse
Pas toujours facile de survivre en Corse : les paysages ont beau être superbes, le ciel le plus souvent bleu et le climat clément, les années font leur œuvre et minent tout un chacun.
Regardez donc cette tour et voyez comme elle est sur le point de s’effondrer. Longtemps, elle a été une vigie tout au Nord du Cap Corse. Combien de guerriers se sont terrés des heures durant, pour guetter l’arrivée possible d’un assaillant ? Des milliers peut-être… Mais pierre après pierre, aujourd’hui elle se défait. Puzzle construit à rebours. Bientôt d’elle, il ne restera que le souvenir propagé par les contes des anciens…
Comment croire que ce modeste amas de pierres fut autrefois une chapelle ? Pourtant, pendant des décennies, juchée au sommet d’une montagne, elle a accueilli les prières des bergers. De sacré, il ne reste plus rien. Elle n’est plus qu’une ruine anonyme que quasiment plus personne ne visite. Ce n’est qu’au détour d’une conversation dans un bar du village voisin, que j’ai appris son origine…
Enfin, que dire de cette dernière ? Pas grand chose à part qu’elle se cache au sein du maquis corse. Difficile de la trouver. A-t-elle honte de son délabrement actuel ? Est-ce qu’elle s’est glissée, petit à petit, à l’abri de la végétation pour que plus personne ne l’aperçoive ? J’aime à penser qu’elle a cette sorte de pudeur. Qui aime finir en pleine lumière et montrer, aux yeux de tous, sa déliquescence présente ? L’âme corse a trop d’orgueil pour un tel abaissement…
(Photos prises en août 2015 au nord du Cap Corse, au dessus de Tralonca, et sur la route allant à Morosaglia)

30 sept. 2015

PARTIR À DROITE OU À GAUCHE

Pourquoi l’incertitude s’accroît continûment et de façon accélérée (3)
Si vous passez dans une forêt et notez consciencieusement où se trouve chaque arbre, vous les retrouverez le lendemain exactement au même endroit ; si vous revenez un an plus tard, sauf cas rare d’incendie ou de passage d’un bucheron mal attentionné, ils auront un peu grandi, mais leurs localisations seront inchangées. Faites la même chose avec une fourmi, et je vous défie de la retrouver même une heure après : vous aurez beau l’avoir identifiée avec un petit nœud rouge autour de son cou, il vous sera quasiment impossible de savoir où elle est ; au mieux, si vous avez longuement observé la colonie à laquelle elle appartient, et noté tous les parcours habituels ainsi que la localisation de la fourmilière, vous pourrez faire une cartographie des endroits où elle peut se trouver, en y associant une probabilité. Fini les certitudes !
Car l’animal, par rapport au végétal, a une mauvaise habitude : il bouge, et ce sans prévenir et sans que l’on puisse savoir dans quelle direction et à quelle vitesse. Le végétal pousse – et vite quand c’est un bambou ! -, mais ne se déracine pas pour partir en promenade. Commode pour le retrouver. L’animal, lui, n’a pas de racine : il ne se nourrit pas de la terre sur laquelle il marche, mais de végétaux qu’il arrache ou d’autres animaux qu’il ingère. Et d’un peu d’eau aussi. 
Plus l’évolution du monde se déroule, plus l’animal est sophistiqué et moins il est possible de savoir ce qu’il va faire : essayez de prévoir la trajectoire d’un singe quand il saute d’une branche à une autre. Ses choix ne dépendent plus seulement des habitudes de son espèce, mais de son histoire personnelle. (1)
(1) « Ils sont capables de choisir des configurations apparaissant en un point donné de cette trajectoire et, en se fondant sur leurs histoires personnelles, de les soumettre à des plans en d’autres points de la trajectoire. » (Gérald Edelman, Biologie de la conscience)
(à suivre)

28 sept. 2015

LA VIE DÉRIVE AU HASARD DES POSSIBLES

Pourquoi l’incertitude s’accroît continûment et de façon accélérée (2)
Pourquoi telle évolution génétique plutôt que telle autre ? Pourquoi cette plante-ci naît-elle plutôt que celle-là ? Faut-il pour reprendre la terminologie de Darwin, y voir une meilleure adaptation au milieu dans lequel elle vit ? Oui et non. Oui, car si une évolution a perduré et s’est développée, c’est bien qu’elle est viable et a pu prendre le pas sur les autres. Non, car cela ne veut pas dire pour autant qu’elle était « la meilleure adaptation » : puisque toutes les espèces évoluent continûment et en même temps, et que le monde minéral lui-même est chaotique et incertain, il est impossible de définir ce qu’est « La meilleure adaptation ». Tout est trop mouvant : il n’y a pas de plan a priori, et aucune analyse du présent ne permet de prévoir quel chemin suivra l’évolution.
Ce qui advient n’est que l’expression d’un possible : la vie ne progresse pas dans le sens d’une amélioration mesurable, mais ne fait que dériver de possible en possible. Comme elle peut, elle trace son chemin cahin-caha. Impossible de savoir à l’avance les choix qui seront faits, car les interactions sont trop complexes : il n’y a pas d’explications sur le fait que la vie ait pris tel embranchement plutôt que tel autre ; elle l’a pris, c’est tout ce que l’on peut dire, et on ne peut faire que des constats a posteriori(1)
Une façon imagée de décrire le fonctionnement des lois de l’évolution est d’observer un match de tennis : le terrain est parfaitement défini, ainsi que la position du filet et toutes les règles du jeu. Ajoutez deux joueurs dont vous avez vu tous les matches précédents, et analysé les stratégies de jeu. Vos connaissances sont donc vastes et précises, et pourtant vous savez bien peu de ce qui va advenir : vous ne connaissez ni le score final, ni a fortiori comment et quand aura lieu tel ou tel échange. Il en est de même avec la vie : les règles sont précises et intangibles, les joueurs connus, et la partie totalement incertaine. 
Notons que la notion même de possible est vague. Souvent on l’associe à ce qui peut arriver, mais je préfère une autre approche : ce qui est possible est juste ce qui n’est pas interdit. Dans sa nouvelle de la Bibliothèque de Babylone, Jorge Luis Borges écrit : « Il suffit qu’un livre soit concevable pour qu’il existe. Ce qui est impossible est seul exclu. » (2)Et les bibliothécaires y cheminent d’alvéole en alvéole, ouvrant ce livre ou celui-là. Comme la vie qui vagabonde au hasard de ses rebonds : il y a à tout moment une infinité de mouvements qui ne sont pas interdits, et donc tous potentiellement possibles. Un seul sera choisi, et deviendra le réel. La vie n’a pas évolué parce qu’elle le devait, mais simplement parce qu’elle l’a fait. Finalement, « c’est le réel qui fait le possible, et non pas le possible qui devient réel ». (3)
(à suivre)
 (1) C’est ce que François Varela appelle la dérive naturelle : une évolution n’a pas lieu parce qu’elle est nécessaire, ni même souhaitable, elle se produit juste parce qu’elle satisfait au champ de contraintes à un instant t. Il parle de solution « satisficing », c’est-à-dire instantanément satisfaisante. Mais cette « satisfaction » n’est que provisoire et dynamique : l’évolution est permanente. Dès qu’une a eu lieu, le champ de possibles se transforme : seules perdurent les options compatibles avec la nouvelle avancée, enrichies des nouvelles ouvertures potentielles. (L’Inscription corporelle de l’esprit)
(2) Fictions
(3) Henri Bergson, Le Possible et le Réel

25 sept. 2015

RENCONTRES AVEC DES ROCHERS CORSES

Un peu de magie
Des rochers massifs habillent les pentes des montagnes corses. A leurs côtés, la végétation rampe, et se sait vulnérable. Que lui arriverait-il si l’un en venait à rouler sur elle ? Que pourrait-elle à part se coucher et subir…
Certains sont des sculptures, comme cette main tournée vers le ciel. Est-ce l’amorce d’une prière ? Ou au contraire, une tentative de se saisir d'une parcelle de Dieu ? Je m’assieds à proximité, guettant une réponse qui jamais ne viendra…
D’autres sont des empilements improbables. Qui a bien pu poser le rocher du dessus ? Comment est-il arrivé là alors que rien ne le domine ? Quelle est la poigne gigantesque qui s’en est saisi pour le déposer en équilibre ? Tout autour, je cherche en vain une explication …
Là le divin se fait explicite : il n’y a pas que dans la grotte de Lourdes que la vierge vient faire une apparition. Ici aussi, elle est là, porteuse de miracles. Elle se fait petite et modeste, mais chacun sait bien que sans elle, rien ne serait possible. Loin d’être écrasée par la masse rocheuse, c’est elle qui la soulève…
Telles sont les magies quotidiennes que l’on peut croiser dans les montagnes corses.
(Photos prises en août 2015 au dessus de Campo et Tralonca, et sur la plateau de Coscione)

23 sept. 2015

LA VIE CRÉE DE L’INCERTITUDE

Pourquoi l’incertitude s’accroît continûment et de façon accélérée (1)
Si je lâche un objet, sa trajectoire est complexe à cause des interférences avec les autres objets, son mouvement étant régi par les équations liées aux forces nucléaire, électromagnétique et de la gravitation. Si c’est un système vivant que je lâche dans un nouveau milieu, il est aussi soumis à ces mêmes forces, mais en plus, il est capable de se transformer : il réagit et s’adapte dynamiquement à ce qui l’entoure. La vie malaxe sans cesse la matière, et tout se transforme constamment et inlassablement. 
Elle s’auto-organise : comment savoir précisément quelle sera dans un mois, un an, la forme de telle ou telle plante ? Comment, à partir d’un gland, prévoir la taille d’un chêne ? Comment anticiper les interactions multiples qui se produisent au sein d’une forêt ? Au cœur, il y a tellement de cellules vivantes qui échangent continûment avec ce qui les entoure, et ce selon les conditions climatiques.
Autre facteur d’accélération de l’accroissement de l’incertitude : la capacité des systèmes vivants à se reproduire. Car se reproduire, ce n’est pas photocopier, loin de là : chaque nouvelle génération hérite des codes génétiques de la précédente, mais toujours avec de subtiles différences, subtiles différences qui seront source de potentielles macro-divergences. 
(à suivre)