4 déc. 2015

FLASH BACK

Plaisir d’enfant
A Calcutta, à l’extrémité du Maïdan, la version locale et aplatie de Central Park, la reine Victoria trône. Déesse coloniale, elle surveille la foule des promeneurs, des sportifs, et des chevaux. Est-ce à cause de sa stature imposante et austère, que le calme règne ici ? L’effervescence et le désordre indiens s’effacent-ils à sa vue ?
Je m’engage dans une allée pour rejoindre un chemin de terre qui serpente entre des bosquets. Là, tapie dans l’ombre, à moitié cachée par une branche qui s’incline sur elle, dort une poupée de chiffon. Innocente, érodée par les pluies qu’elle a dû endurer, elle git. A qui a-t-elle bien pu appartenir ? Où est l’enfant qui l’a perdue ? 
Je viens de retrouver un doudou perdu. Pour un peu, je sucerais bien mon pouce, assis par terre, en la berçant dans mes bras. Et pourquoi pas après tout ? 
Je me laisse glisser sur le sol et pose ma main délicatement sur elle. Attention à ne pas appuyer : le coton est tellement usé que mes doigts passeraient au travers. Presque transparent. Sous ce voile, elle est nue. Si douce, si fragile. 
Je la prends, la dépose sur mes genoux et m’appuie contre le tronc d'un arbre voisin. L’endroit est calme et paisible, suffisamment reculé pour que les passants ne s’y aventurent pas. C’est d’ailleurs sans doute pour cela que la poupée est encore là. Je la caresse lentement, et ferme les yeux. 
Plaisir mélancolique et inattendu de retrouver des bribes de mon enfance.

2 déc. 2015

COMMENT COMPRENDRE ?

Ce n’est pas si simple…
Une question amusante me hante parfois : comment avons-nous pu comprendre que les enfants naissaient parce que nous avions fait l’amour ? Ce qui est évident pour nous aujourd’hui, ne l’est pas tant que cela. Mettez-vous un instant dans la peau d’un homme ou d’une femme au temps de la préhistoire : vous faites l’amour avec un ou une partenaire. Puis vous vaquez à vos occupations quotidiennes : un peu de chasse, un peu de bois pour le feu, quelques silex à tailler, une ou deux peintures rupestres. Les jours passent. Un jour, disons deux mois plus tard, vous voyez votre ventre ou celui de votre partenaire grossir. Et là, vous allez vous dire : « Mince, je n’aurai pas dû faire l’amour, il y a deux mois. Cela va faire encore une bouche de plus à nourrir. » ? Vraiment ? Pas si simple de relier deux évènements aussi distants et différents. Pourquoi l’un serait-il à l’origine de l’autre ?
Pourtant un jour, ce fut le cas : un jour, un homme ou une femme a fait le lien. Comment ? Mystère de la compréhension.
Autre pensée qui m’est chère et que j’emprunte à Ludwig Wittgenstein, philosophe clé du début du siècle précédent : « La vache mâche du fourrage, et sa bouse sert ensuite d’engrais à la rose, donc la rose a des dents dans la gueule de l'animal. Il ne serait pas absurde de le dire, car on ne sait pas de prime abord où chercher les dents de la rose. » (1). J’aime cette « démonstration » qui allie humour et raisonnement déviant : puisque la rose s’est nourrie grâce au fourrage, c’est bien qu’elle doit avoir des dents cachées, non ?
Autre raisonnement, toujours tiré de Wittgenstein : « Suppose qu'au lieu de dire à quelqu'un : “Apporte-moi le balai !”, tu lui dises : “Apporte-moi le manche du balai avec la brosse qui y est fixée !”. La réponse n’est-elle pas : “C'est le balai que tu veux ? Pourquoi donc t’exprimes-tu si bizarrement ?“ Comprendra-t-il mieux la phrase sous la forme plus analysée ? » (1).
Allez donc comprendre comment nous comprenons, avec tout cela !
(1) Recherches Philosophiques 1953

30 nov. 2015

ET LA SUITE ?

Le tsunami des technologies numériques (4)
Tout s’accélère. Qui aurait pu croire, encore récemment, que les processus de fabrication pourraient être remis en cause par des objets ne coûtant que quelques milliers d’euros ? Pourtant, plus personne aujourd’hui ne se risque à anticiper jusqu’où iront les conséquences du développement des imprimantes 3D. 
Ne vous laissez pas tromper par leur nom : elles n’ont rien à voir avec les imprimantes que nous connaissons tous. Elles s’apparentent davantage à des machines-outils personnelles, capables de produire localement toutes sortes d’objets. Comment ? C’est de plus en plus facile : vous cherchez sur internet le plan qui correspond à l’objet dont vous avez besoin, vous versez un peu de poudre de plastique ou d’un autre matériau, ceci en fonction des caractéristiques visées, et un peu plus tard, l’objet est là.
Que peut-on d’ores et déjà faire avec ? Par exemple, une pièce introuvable pour réparer une machine en panne, des objets de décoration personnalisés, une prothèse, une arme, et même la construction d’une maison à partir de briques de base. Les limites sont sans cesse repoussées : amélioration des imprimantes 3D, utilisation de nouveaux matériaux, abaissement des coûts, accélération des procédés, etc.
Quelles sont les limites de cette révolution qui commence ? Impossible de les définir. Va-t-elle remettre en cause une grande partie des processus de production ? Peut-être. Certains disent déjà : certainement. 
Son développement se couple avec celui d’ateliers de production communautaires, les « Fablabs » (contraction de « Fabrication laboratory » ou « Laboratoire de fabrication ») : chacun pourra demain y produire la pièce dont il a besoin sans avoir à investir dans une machine sophistiquée dont il n’a pas l’usage permanent. Un autre exemple de l’économie de partage dans laquelle nous entrons : logiciels libres ouverts, covoiturage, échange d’appartements, financement participatif ou crowdfunding, etc. 
Et les grandes entreprises s‘y intéressent aussi. Témoin, les annonces que viennent de faire les constructeurs aéronautiques : de General Electric à Safran, en passant par Rolls Royce, Boeing ou Airbus, tous commencent à intégrer l’impression 3D dans leurs processus de production. 
Autre univers en plein bouleversement : la santé. Elle est le nouveau graal dans lequel investissent des entreprises comme Google, Apple ou Facebook : objets connectés qui permettent en temps réel tant d’optimiser l’exercice quotidien, que d’assurer le suivi de patients à risque ; recherche sur l’allongement de la durée de la vie ; homme augmenté qui fait fondre les frontières entre humanité et robotique. Certains vont jusqu’à prédire que soit l’homme sera augmenté, soit il sera dépassé par ses propres créations. Les Hal 9000 de l’Odyssée de l’espace, robots d’Isaac Asimov, ou plus récemment Real Humans de la série suédoise arrivent. Imaginez aussi les conséquences d’une durée de la vie allant jusqu’à cent cinquante ans : explosion de la population humaine, cohabitation de trois générations supplémentaires. Difficile alors de débattre d’une retraite à soixante ou soixante-cinq ans !
Le changement ne fait que commencer…

27 nov. 2015

LIBRES ET SAUVAGES

Histoire de chiens
Chez nous, les chiens sont rangés, parqués, lissés. Pas des hommes bien sûr, mais plus vraiment des bêtes. Tellement loin des loups. Ils font partie de la famille, partent en vacances avec nous ou dans une colonie estivale, ont leurs produits diététiques et cosmétiques, leurs cliniques vétérinaires. Ils sont ordonnés. Pas de pagaille, pas d’aléas. Ils ne vont chercher la balle que si nous leur lançons, et ne la ramène qu’à celui qui l’a envoyée. Il ne manquerait plus qu’ils prennent l’initiative. Il n’y a que dans le sketch de Raymond Devos que le chien est le maître. Mais il faut dire qu’il parle. Alors…
Bref, nos chiens sont pris en charge. Et il y a une chose qu’ils ne font pas, c’est être ensemble : ai-je déjà vu un groupe de chiens sillonner les rues d’une quelconque ville ? Comme une bande de copains partis en goguette. Non. Ou dans un parc, un chien demander à son maître d’aller jouer un moment avec un camarade rencontré opinément ? Non plus. Snoopy, à part Charlie Brown et ses amis, n’a pour compagnon qu’un oiseau. Nos chiens vivent séparément les uns des autres, chacun dans sa niche, chacun avec son propriétaire.
A Darjeeling, c’est l’inverse. Aucun chien ne vit avec un humain. Il est avec les siens. Le jour, ils se tiennent cois, car ils savent qu’une pierre peut être lancée contre eux à tout moment. Aussi paressent-ils sur les toits des maisons, ou dans des terrains vagues, attendant sagement la nuit. Dès qu’il est passé onze heures du soir, plus aucune âme humaine n’est à l’extérieur. Alors la ville devient canine. En bandes rivales, ils sillonnent les rues à toute vitesse en aboyant. Chacune son territoire, et si jamais l’une s’aventure sur celui d’une autre, la bataille fait rage. Un remake de West side story version Himalaya.
Ce partage de la ville suivant l’heure de la journée est-il le fruit d’un pacte entre les hommes et les chiens ? Mais si tel est le cas, qui a pu mener la négociation, côté chien ? Ont-ils un chef de meute qu’ils auraient mandaté pour discuter avec les autorités locales ? Ont-ils fait valoir leur tranquillité diurne pour obtenir toute liberté la nuit ? Mais, pourquoi alors aboient-ils la nuit ? Pour rappeler aux hommes leur possession nocturne ? Pour se venger des pierres reçues dans la journée ? Allez savoir…
La nuit, debout contre la fenêtre, j’observe leurs folles cavalcades. Je me sens courant avec mes congénères, libre et puissant. Je suis sauvage, solidaire uniquement avec les miens, méfiant avec les autres. Jamais, je ne pourrais être chien en France. Jamais, je ne marcherai tenu en laisse. Jamais, je ne suivrai docilement les pas d’un qui ne serait pas mon égal. Jamais, je ne ramènerai une balle qui m’aurait été lancée. Jamais, je ne me ferai acheter par une gamelle toujours remplie ou par une niche douillette et confortable. Jamais quiconque ne décidera pour moi.

25 nov. 2015

LA RÉVOLUTION COMMENCE

Le tsunami des technologies numériques (3)
Voici quelques exemples tirés d’une liste qui ne cesse de s’allonger :
- Uber rapproche clients à la recherche d’une voiture et conducteurs disponibles. Créée en 2009, elle se diffuse dans tous les pays, révolutionnant l’offre de taxis. Elle devrait prochainement aussi acheminer les livraisons des courses effectuées en ligne.
- L’économie de partage se développe en rendant accessible des ressources disponibles et sous-exploitées. Ceci provoque une chute rapide et importante des coûts pour les clients. 
- La robotique conduit à une remise en cause profonde de l’emploi dans tous les domaines, tant industriels que de services. Si, dans un premier temps, ceci permet des relocalisations à cause de l’abaissement de la part de la valeur ajoutée consacrée au travail, l’impact à terme sur l’emploi devrait être massif dans tous les pays. 
- Le développement des cours diffusés en ligne, les MOOC, est une réalité qui transforme déjà l’éducation en Inde, en y permettant une diffusion rapide des connaissances. Plus largement, c’est tout le système éducatif mondial qui est en train de muter. Nous allons vers une hybridation entre des cours in situ et d’autres via Internet, une application du « click and mortar » à l’enseignement : avoir les élèves et les professeurs physiquement présents dans le même lieu, au même moment, ne sera plus toujours nécessaire.  Ou pour emprunter une métaphore, nous quittons le théâtre classique avec sa triple unité d’action, de temps, et de lieu, pour un nouveau paradigme abordant tous les sujets, tout au long de la vie et de façon collaborative entre des individus multilocalisés. 
- La capacité de mener des diagnostics à distance, couplée avec l’existence d’objets connectés assurant un monitoring continu des patients à risque, transforme la relation malade et médecin, ainsi que celle de la prévention, et demain probablement tout le système de santé.
- Le nombre des start-ups se focalisant sur le secteur bancaire croît très rapidement, donnant naissance à un ensemble dénommé « Fintech » qui s’attaque à tous les domaines du secteur : prêt, paiement en ligne, financement de projet, transactions boursières, placements… Rien ne leur échappe. A terme, la possibilité de faire des rapprochements complexes et instantanés entre une multitude d’acteurs pourrait même supprimer le recours systématique à la monnaie pour dénouer des transactions.
Pour ceux qui douteraient de l’accélération en cours, voilà quelques données simples :
- Lancé en 1981, en quatre ans, le PC (« Personal Computer ») d’IBM a atteint 100 millions d’utilisateurs. Lancé en 2001, dans le même laps de temps, l’iPod d’Apple en était à environ 500 millions.
- En dix-huit mois, les logiciels d’exploitation pour téléphones portables d’Apple (IOS) et Google (Android) ont atteint respectivement plus de 500 millions et un milliard d’utilisateurs, alors que, dans le même délai, le PC n’en était qu’à moins de 10 millions, l’iPod à 100 millions, et Facebook à 300 millions.
(à suivre)

23 nov. 2015

TOUT EST MAINTENANT EN PLACE

Le tsunami des technologies numériques (2)
Pour que tout puisse être bouleversé, il fallait la conjonction de plusieurs conditions maintenant réunies :
- Chacun, ou presque, a sur lui, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, un terminal connecté à haut débit, géolocalisé, et doté d’un écran de qualité,
- Le coût d’utilisation est bas,
- La puce du terminal certifie l’identité de son détenteur et permet des transactions financières,
- La génération Y qui a grandi avec Internet et sait intuitivement s’en servir, est montée en puissance,
- La masse des données peut être traitée dynamiquement pour en extraire des connaissances et des informations structurées.
Cette conjonction ouvre le champ à des innovations qui dynamitent les entreprises existantes.
C’est bien le propos de Steve Blank dans un dossier récent publié par Compass :
« With two billion broadband Internet users and billions of smartphones now entering circulation, the necessary tools and infrastructure are in place for the Information Age to burst into full bloom, moving beyond the confines of just the technology world to transform all aspects of society. » 
 « If the traditional Industrial Era approach to decreasing costs and the traditional approach to increasing revenue have both reached a point of diminishing returns, what then is the solution? The answer is disruptive innovation; achieved through the creation of new Information Era products and services. » (1)
(1) The Global Startup Ecosystem Ranking 2015, Steve Blank, Compass, Juillet 2015
(à suivre)

20 nov. 2015

A DEUX ENTRE-DEUX

Perdus
Au dernier étage du Seven Seventeen, un modeste hôtel tenu par un couple de tibétains, cocktail mélangeant des objets religieux, des dorures inutiles, des pièces dépouillées, et des éclairages au néon. 
A droite et à gauche, vue en plongée sur Darjeeling. Des rues étroites sillonnées de piétons et de chiens s’évitant les uns les autres, et parcourant des pentes abruptes. Des maisons qui s’accrochent tant bien que mal les unes aux autres pour ne pas dévaler la pente.
Devant, le brouillard est tel que le regard ne porte qu’à quelques centaines de mètres, et que les sommets de l’Himalaya sont gommés. Une mer cotonneuse, parsemée de quelques toits. L’absence de perspective est reposante, confortable comme une couette.
Je suis un nouveau-né, emmailloté de coton, sans horizon ni visuel, ni temporel, ni sentimental. Je ne vois qu’à quelques mètres, aveugle dans une ville inconnue. Je ne prévois plus rien, car le temps n’est que répétition. Blotti dans les bras qui me quitteront dans quelques jours, je suis dans un cocon parfait. L’ouate m’enveloppe et me protège. 
Parfois, la brume se fracture, et les montagnes apparaissent. Étaient-elles là avant ou viennent-elles de naître ? Les voir, c’est avoir envie de se déplacer, d’aller vers elles, de les escalader. Ensuite, quand la brume revient, les avoir vues, c’est ressentir une absence, s’escrimer à les deviner, et vouloir percer le mur d’eau qui nous en sépare. Le vide devient manque.
Parfois, nous parlons l’un et l’autre de ce que nous ferons après. Lui de son retour à Calcutta, moi de mes projets de livres. La magie disparaît, et le temps coule de cette brèche. Nous émergeons et rêvons inutilement d’une impossible relation. Sa peau me devient moins douce, son sourire moins enchanteur, et ses mots moins mélodieux.
Heureusement ces fractures dévastatrices ne sont que rares et provisoires. Rapidement, nous oublions les montagnes et l’illusion de notre union. 
Délicieusement, nous nous noyons dans cet entre-deux…

18 nov. 2015

RIEN N’A ENCORE COMMENCÉ OU PRESQUE

Le tsunami des technologies numériques (1)
Si, nageant de bonne heure, le 26 décembre 2004, dans la baie de Phuket, vous trouvez que la mer pourrait être plus calme, vous feriez bien de ne pas trop vous plaindre, car le clapotis actuel n’est rien à côté de la vague qui bientôt balayera tout : oui, il ne sert à rien de s’inquiéter pour quelques ondulations, quand un tsunami arrive. 
Face aux conséquences des vannes ouvertes de la mondialisation, les politiques enchaînent plans de relance sur plans de réduction des déficits publics. Mais sans réels succès. En eux-mêmes, ils pestent contre leur inefficacité, mais bientôt ils auront l’occasion d’avoir une vraie peur, car les perturbations actuelles ne sont rien à côté du tsunami technologique en train d’arriver.
Cette comparaison entre ce qui s’est passé sur la plage de Phuket ce lendemain de Noël 2004 et notre situation actuelle est violente, mais elle est à la hauteur de la puissance de ce qui va déferler : rien n’a commencé, et l’impact de la transformation induite par les technologies numériques n’a pas eu lieu.
Pourquoi donc ? Parce que, pour que tout puisse être bouleversé, il fallait la conjonction de plusieurs conditions maintenant réunies…
(à suivre)

16 nov. 2015

MADE IN FRANCE ?

Made in world (2)
Avant, il était facile de faire le lien entre un produit et son producteur : au temps de l’artisanat, il était du village à côté ; avec l’industrie, il venait au début de la ville voisine, puis du pays où l’on habitait, ensuite de l’ensemble des pays voisins. Le lointain était rare et exotique, les origines toujours identifiables, les relations claires. Maintenant avec l’intrication des processus de production, la notion d’origine se dilue, et identifier par qui et où a été élaboré un produit est complexe.
Au cœur de ce processus mondialisé, se trouvent des méga-entreprises. Constituant les artères principales des réseaux, elles fonctionnent comme un tout, et sont capables de tirer parti des pays où elles s’implantent, sans en être dépendantes. Quasiment devenues hors sol, elles surfent dans les réseaux mondiaux qu’elles animent et structurent pour maximiser leur profit. Leur puissance financière est telle qu’elles peuvent rivaliser avec des pays, même parmi les plus grands.
Est-ce à dire que le « made in France » n’a plus grand sens ? Oui en partie, sauf pour des produits très basiques, car, le plus souvent, les biens sont « made in World ». Redévelopper des emplois de production en France ne peut se faire à coup de raisonnements simplistes, et certainement pas en déconnectant notre pays du reste du monde : le développement est une affaire d’échanges et de respiration. La question n’est pas de rapatrier telle ou telle production, mais de voir comment faire de la France un des nœuds importants des réseaux mondiaux, et mieux la connecter aux autres pour bénéficier de l’énergie collective.

9 nov. 2015

AU TEMPS DES ENTREPRISES GLOBALES

Made in world (1)
Fin de journée à Bangalore, au cœur de l’Inde du Sud : l’équipe qui travaille sur le développement d’un nouveau logiciel vibre comme une ruche. À l’autre bout de la planète, la Silicon Valley dort : dans quelques heures, une autre équipe y prendra le relais. Entre les deux, dans une tour de la Défense, la supervision veille à la bonne articulation du travail collectif.
Développée initialement pour le marché allemand, la nouvelle ligne de produits coiffants de cette entreprise de cosmétiques s’est propagée comme une déferlante dans tous les pays. Amortissement mondial des dépenses de mise au point des formules et des coûts de conception du packaging et du film publicitaire, adaptation par les équipes locales aux spécificités culturelles, voilà la recette du succès.
Deux anecdotes choisies parmi la myriade des histoires qui, quotidiennement, se déroulent dans les entreprises. Car, plus celles-ci se sont développées, plus leurs réseaux sont devenus mondiaux. Difficile de savoir aujourd’hui où un objet a été produit. Bien sûr, on peut se contenter d’identifier à quel endroit et par quelle entreprise il a été assemblé. Mais d’où viennent ses composants ? Et les machines-outils qui ont permis son élaboration ? Et les équipes de recherche-développement ? Et ceux qui ont eu l’idée de la communication ? Chaque produit, chaque service, chaque transaction fait intervenir un nombre croissant de sous-produits, sous-services, sous-transactions.
(à suivre)