Prévision quand tu me tiens…
Été 1978, à Paris
Avant de lancer une restructuration majeure de la sidérurgie, pour asseoir ses décisions, le gouvernement français fait réaliser une étude sur le marché de l’acier à cinq ans. Celle-ci l’estime à 21 millions de tonnes. La CGT la conteste en prévoyant, elle, un marché à 30 millions de tonnes. Le journal Le Monde, dans un élan de sagesse, tranche, lui, au milieu.
En 1983, la demande annuelle n’est que d’environ 17 millions de tonnes…
Ainsi le plus proche – les prévisions officielles –, s’est trompé de 25 %, erreur sur une donnée supposée prévisible et non sujette à des spéculations : la demande en acier n’est ni une donnée virtuelle, ni cotée dans une quelconque bourse, ni le fruit d’arbitrages faits dans des salles obscures. Elle est le résultat de la demande réelle d’un pays.
12 août 1981, aux États-Unis
Le tout-puissant IBM annonce fièrement au monde entier le lancement de son nouveau petit ordinateur, le PC.
Le tout-puissant IBM annonce fièrement au monde entier le lancement de son nouveau petit ordinateur, le PC.
Personne ne fait attention à la petite société qui lui fournit le système d’exploitation, un obscur Microsoft. Tous les yeux sont rivés avec admiration sur la seule nouvelle importante : IBM et son PC.
7 septembre 1998, dans un garage en Californie
Dans un garage de Menlo Park, Larry Page et Sergey Brin, deux étudiants de Stanford, lancent Google Inc. : fort d’un soutien financier d’un million de dollars, ils vont pouvoir donner une autre dimension à leur moteur de recherche inventé deux ans plus tôt.
Ce dans l’indifférence de Microsoft : pourquoi se préoccuper d’une telle start-up alors que la vraie préoccupation vient de la montée en puissance potentielle du système d’exploitation Linux, ou du navigateur Mozilla ?
Entre août 2007 et septembre 2008, à New York et un peu partout (1)
En août 2007, Wall Street s’effondre emmenant l’ensemble des bourses mondiales dans sa chute. Mais, pour la plupart des économistes et experts, il n’y a pas de raison de s’inquiéter :
« Je pense que la croissance mondiale peut résister entre 4 % et 5 % pour l’an prochain, grâce à la croissance des pays émergents et au rôle des banques centrales. L’autre scénario, qui n’est pas le mien, est celui d’une récession américaine. (…) L’effet de cette crise me paraît modéré en Europe. » (Président du Conseil d’analyse économique, novembre 2007)
« La croissance du produit intérieur brut (PIB) de ses pays membres passera de 2 % au dernier trimestre 2007 à 1,9 % au premier trimestre 2008, avant d’amorcer une remontée pour atteindre 2,5 % au premier trimestre 2009. Ainsi la croissance des pays de l’Organisation ne devrait pas être trop touchée par la hausse des matières premières et la crise des « subprimes ». Le ralentissement de l’économie mondiale sera à son maximum au premier trimestre 2008. » (OCDE, prévisions semestrielles, décembre 2007)
« Avec les interventions des banques centrales, mi-2008, la crise et les désordres du marché monétaires devraient finalement s’estomper. (…) Aux États-Unis, l’embellie arrivera certainement mi-2008. En Europe la reprise prendra sans doute quelques mois de plus. En tout cas, il n’aura pas de krach cette année ! » (Deutsche Bank, janvier 2008)
Au cours du premier trimestre 2008, la crise s’aggrave, mais non, il n’y a toujours pas de raison de s’inquiéter :
« L’économie américaine connaîtra une légère récession en 2008, en raison des effets de synergie entre les cycles de l’immobilier et des marchés financiers, avant de ne se redresser que progressivement en 2009. » (FMI, avril 2008)
« Il n’y a pas de deuxième vague : les pertes supplémentaires qu’annoncent les banques sont la conséquence mécanique de l’évolution des marchés. On est dans un cycle normal de provisionnement des risques, sans danger cette fois de contagion à d’autres secteurs du crédit bancaire. » (Banque de France, juin 2008)
Le 7 septembre 2008, Freddie Mac et Fannie Mae sont mis sous tutelle gouvernementale, et le 16 septembre, la faillite de Lehman Brothers ébranle le système financier mondial.
Quelques histoires parmi d’autres qui illustrent que rien n’arrive jamais comme prévu. Trop d’aléas, trop d’interactions entre tous les acteurs, trop d’incertitudes technologiques et réglementaires…
(1) Toutes les citations proviennent d’articles parus dans le journal Le Monde