Les conséquences de l’incertitude globale – extraits des "Radeaux de
feu"
Les
effets du Coronavirus déferlent sur l’économie mondiale. Son origine vient de
la ville de Wuhan, une ville dont la plupart d’entre nous ne connaissait même
pas le nom… et en quelques semaines nous voilà tous emportés par un tsunami dont
la puissance ne cesse de s’accroître.
Me
revient en écho ce que j’ai écrit, il y a presque 10 ans, dans mon livre "Les
Radeaux de feu" :
« Chacun
se sent pris, comme emporté, par les vagues de l’incertitude. L’imprévu déferle
sans cesse, et les prévisions sont balayées, les unes après les autres.
L’horizon du court terme se rapproche, et bien peu de responsables économiques
se risqueraient à s’engager trop en avant.
Que se
passe-t-il ? Pourquoi, alors que l’incertitude est là depuis toujours, et bien
avant l’apparition de l’homme, le monde nous semble-t-il devenu brutalement
incertain ? (…) C’est parce que l’incertitude a depuis lors changé de nature :
elle n’est plus locale et contenue, elle est devenue globale et permanente.
Il y a
dix ou vingt ans, nous n’étions, chacun de nous, soumis qu’à l’incertitude de
ce qui était autour de nous, à portée de notre vue et notre toucher. Nous
savions que nous pouvions subir le décès imprévu d’un de nos proches, que le
ticket de loterie que nous venions d’acheter pouvait être gagnant ou pas, qu’un
client pouvait nous faire défaut, qu’une machine pouvait brutalement se casser,
qu’il était imprudent d’affirmer qu’il ferait beau demain, etc.
Par
contre, ce qui se passait dans le lointain, dans une autre ville, un autre
pays, un autre continent, cela ne nous concernait pas. Nous pouvions regarder
serein les informations, sans nous sentir impliqués, car cela n’avait pas de
conséquences directes sur notre vie quotidienne, sur notre famille, sur notre
emploi, sur notre entreprise, sur notre pays. Et si jamais des conséquences
étaient possibles, puisque la vitesse de propagation des effets était
suffisamment lente, nous avions le temps de mettre en place les actions
correctives nécessaires.
Aussi,
ce qui était lointain n’était pas incertain pour nous : il était prévisible,
parce que distant. Le monde était partitionné, cloisonné, et nous en avions
l’habitude. Nous étions protégés des incertitudes des autres. (…)
Trois
phénomènes majeurs ont changé la donne :
- La
croissance de la population humaine s’est brutalement accélérée : en moins de
quarante ans, nous venons de passer de quatre milliards d’hommes à sept
milliards, alors que nous n’étions qu’un milliard, il y a deux cents ans, et
deux cent cinquante millions, il y a mille ans. Demain, en 2050, nous serons
probablement neuf milliards. Nous sommes de plus en plus voisins, les uns des
autres.
-
L’impact de chacun de nous est démultiplié par tous les outils mis à notre
disposition : avant, nos outils ne prolongeaient nos bras que de la longueur
d’un morceau de bois – un marteau, une pelle, une pioche… Maintenant grâce aux
« objets-monde », il suffit de quelques hommes pour agir sur le monde tout
entier. Nous sommes pris dans les mailles de l’effet de nos propres actes, et
de ceux des autres : il y a de plus en plus une interaction dynamique entre
l’objet sur lequel nous agissons et nous-mêmes. Témoins les débats actuels sur
le climat et le réchauffement de la Terre, l’eau, la pollution, l’énergie…
- Avec
le déferlement des technologies de l’information, la partition du monde a volé
en éclat : grâce à l’informatique, aux télécommunications et à l’internet tout
se propage instantanément, et nous sommes directement et immédiatement exposés
à toutes les incertitudes. S’appuyant sur ces réseaux, les entreprises ont
globalisé leurs modalités d’actions, et bon nombre de produits sont le résultat
d’un processus de fabrication faisant intervenir plusieurs pays, et souvent
plusieurs continents.
Dès
lors, le nuage de cendres d’un volcan islandais ou la chute d’un opérateur
financier déferlent comme les vagues d’un tsunami bien réel : la planète vibre
de façon quasi synchrone, et il est illusoire de se croire protégé par ce qui
nous entoure. Aucune ligne Maginot ne peut résister aux déferlantes continues.
Nous voilà tous soumis à l’incertitude globale, et le monde devient
progressivement une grande toile réticulée qui nous prend dans ses filets :
comme la toile d’une araignée vibre à la moindre proie qui se prend dans ses
mailles, nous résonnons au moindre aléa.
Pour être plus clair, je
vais prendre une image simple : imaginez que vous jouez aux dés et que, si
jamais vous faites quinze fois de suite un « six », vous perdez tout ce que
vous avez. Si vous êtes seul à jouer, vous pouvez être détendu, car la
probabilité de la catastrophe est négligeable : vous n’avez qu’une chance sur
615 de perdre, soit une chance sur quatre-cent-soixante-dix milliards. Si maintenant
c’est l’ensemble de l’humanité qui joue, c’est-à-dire les sept milliards de
joueurs, et qu’il suffise que l’un quelconque fasse cette séquence pour que
vous perdiez tout, c’est une tout autre histoire, car vous avez maintenant une
chance sur soixante-sept de tout perdre. Vous allez devenir très nerveux. C’est
exactement ce qui se passe depuis peu : chacun de nous est soumis au jeu de
tous les autres. »