19 févr. 2024

MOUVEMENT

Un chemin possible,

Étroit, ondulant, séduisant.

Une piste ocre vers un ailleurs.

Un inconnu aujourd’hui lointain.

 

De chaque côté, le vide.

Ne pas trembler, ne pas faillir.

Pour ne pas tomber.

Et survivre un peu plus.

 

Demain, je verrai bien.

Demain, j’aurai avancé.

Demain, je serai là-bas.

Là où je ne suis pas.

 

Pas encore…

 

(inspiré par le site de Pai Canyon où ont été prises ces photos)

16 févr. 2024

VIRAGES

À gauche, à droite.

Sans cesse.

L’un après l’autre.

Sans fin.

 

Où est la raison,

Où est le sens,

De cet enchaînement,

De ce désordre.

 

À gauche, à droite.

Sans cesse.

L’un après l’autre.

Sans fin.

 

Né par hasard et pour rien,

Échappé d’une rambarde,

Sauvé d’un coup de volant,

Je reste sans direction.

 

À gauche, à droite.

Sans cesse.

L’un après l’autre.

Sans fin.

 

Avance, continue,

Laisse le sens émerger.

Approche-toi des autres.

Eux, ils savent.

 

Peut-être…

 

(inspiré par la route entre Chiangmai et Pai : 80 km et 762 virages)

12 févr. 2024

Double Tsunami

24 décembre 2004,

Un mur d’eau balaie tout.

Plus de cinq mille morts en Thaïlande.

Sur la plage de Patong,

Hôtels, restaurants, bars

Tous détruits.

 

De longues années,

Pour panser les plaies,

Reconstruire,

Revivre.

 

Janvier 2020,

Une pandémie s’abat.

Plus de trente mille morts en Thaïlande.

Sur la plage de Patong,

Hôtels, restaurants, bars

Tous fermés.

Pendant trois ans.

 

Aujourd’hui,

Tout reprend.

Mais tout ce que j’ai connu a disparu.

10 févr. 2024

Patong beach

Debout, verticaux, inertes.

Seuls, leurs bras bougent.

Un peu.

Aucun ne nage.

À quoi bon ?

 

Ne leur manquent que des verres.

Quelques toasts aussi peut-être.

Un barman sûrement.

Incomplétude.

Manque.

 

Les bières sont loin.

La mer à quitter,

La sable à traverser,

L’échoppe à atteindre.

A quoi bon ?

 

Je les regarde.

Perplexe.

Je les traverse,

M’écarte d’eux,

Et nage au loin.

Musique (Thaïlande)


Musique

Gauche ou droite,

S’arrêter ou avancer,

Comment savoir ?

 

Néglige le flux,

Ferme les yeux,

Crois aux sons.

 

La musique dit le vrai,

La musique montre la voie,

La musique est là pour toi.

 

Trouve une chaise,

Assieds-toi comme tu peux,

Oublie le reste.

 

Music

Left or right,

Stop or go,

How to know?

 

Forget the flow,

Close your eyes,

Trust your ears.

 

Music tells you the truth,

Music shows you the way,

Music is there for you.

 

Find a chair,

Sit where you can,

Enjoy the moment.

7 févr. 2024

Pai (Thailande)

Faux-semblants et dissemblances,

Regard de dupes, tromperies.

Pai, tu te caches derrière des touristes anonymes.

Tes rues se sont remplies d’hôtels, de restaurants et bars.

Tes street food n’ont plus le goût du passé.

Je marche à la recherche de ce que j’ai perdu.

 

Et pourtant quand le jour se tait,

Quand l’alcool remplit mon verre,

Quand je glisse dans un bar obscur,

Quand l’odeur d’une herbe prohibée,

Quand le son d’un rock éraillé me heurtent,

Quand autour de moi, les sacs à dos sont de retour,

Je te retrouve.


Allongé plus qu’assis, 

Ta main fouille ma nuque,

La musique enivre nos corps.

Prélude à ce qui adviendra.

Dans un moment,

Dans plusieurs.

Savoir attendre,

Laisser mijoter,

Cuire et recuire.

Ta main, tes doigts, ta bouche.

Et la musique.

Encore et encore.

11 mars 2022

TATOUAGE

Je marche maintenant dans une ville inconnue. Depuis combien de temps ? Je ne sais pas, mais certainement depuis longtemps. Pourquoi ? Pour trouver un nouveau corps à tatouer. Je tourne en rond. Les murs sont gris, ternes, les rues étroites, sombres. Et vides. Je suis seul. Aucun bruit, aucun mouvement autour de moi. Un peu de vent, c’est tout. Chaud, désagréable, chargé de poussière. 
J’ai soif. À droite, justement, l’enseigne d’un bar luit faiblement. Je jette un coup d’œil à l’intérieur : glauque, quelques tables, un petit comptoir dans un recoin. Je n’aperçois personne. Trop soif. Je pousse la porte. 
Aussitôt une musique de rock se déchaîne, un éclairage au néon s’allume, quelques danseurs se déhanchent sur une petite piste. Je m’approche du barman qui, sans un mot, me tend une bière. Je la saisis et me tourne vers la salle. Que des hommes. Une ambiance sexe, la plupart sont torse nu. 
Vais-je trouver ici celui que je cherche ? Ce soir, je le veux captif, rebelle, révolté. Je le veux criant, se débattant, se refusant. En vain, car il sera solidement attaché sur un lit. 
Écrire dans sa peau ne sera pas intellectuel, mais physique : mes mots pénétreront son corps. Littéralement. Au sens propre. 
D’abord, avant de commencer, lentement, je pincerai sa chair, la soulèverai et la relâcherai. Puis je recommencerai, encore et encore. Comme certains joueurs de tennis font rebondir la balle avant de servir, je ferai rebondir sa peau avant de la tatouer. 
Puis avec mon stylet, je le violerai en franchissant la résistance de son derme pour entrer en lui. Le glissement ne sera pas une caresse, mais une griffure. L’encre sera rouge, le sperme ensanglanté de mon sexe scriptural. 
Envie de provoquer une douleur vraie et non plus superficielle. Envie de le faire souffrir. Envie de l’entendre gémir. Envie de le soumettre à ma volonté sadique. 
Mon stylet sera un fouet, le rouge son sang. Je le frapperai régulièrement et méthodiquement. Jusqu’à plus soif. Jusqu’à ne plus avoir la moindre énergie. Jusqu’à ne plus tenir debout.

 

(Extrait de mon livre Par hasard et pour rien)

 

7 mars 2022

BALLET DE MAINS

Sur le côté, un peu en retrait, dans un coin de verdure habillé de deux hamacs, un petit groupe a une conversation animée. Je m’approche. Étrange, aucun bruit. À la place, un ballet de mains. Des sourds-muets pratiquant le langage des signes. (…) 
Comment cela se passerait-il si un sourd-muet étranger arrivait et ne parlait pas leur langue ? Y a-t-il des traducteurs ? Probablement oui. Un ballet de mains supplémentaire. Embouteillage visuel. Difficile d’imaginer un assistant traducteur pour smartphone : il faudrait un logiciel capable d’analyser le mouvement des mains, de les interpréter, puis d’émettre un film donnant la traduction dans l’autre langage des signes. Pas réaliste. 
Ont-ils un accent en signant ? Pourquoi pas. Un accent californien, new-yorkais, texan, ou de l’Amérique profonde. Ou snob. Ou chantant. Ou 93, Neuilly, provençal en France. Faire un mouvement plus ou moins rapide, modifier l’inclinaison des doigts, ajouter un tremblement de la tête ou un balancement des hanches. 
Est-il possible de signer en verlan ? Difficile car, toujours selon mon iPhone, ce n’est pas un langage syllabique. 
Leur conversation s’anime, leurs gestes se font plus rapides. Est-ce leur façon d’élever la voix ? Peut-on couper la parole en signant ? A-t-on le droit de saisir les doigts de celui qui s’exprime, pour l’empêcher de continuer ? 
Quand plusieurs personnes parlent en même temps, la conversation se transforme en cacophonie. Ici, c’est une cacovision, car il est impossible de suivre tous les gestes qui se déroulent simultanément. Comment zapper suffisamment rapidement pour ne rien perdre de l’essentiel ? 
Leurs échanges silencieux sont plus que jamais chahutés. Certains se lèvent, et illustrent les mouvements de leurs doigts par celui de leurs corps. Des visages se tordent pour souligner ou compléter tel ou tel propos. Ils y mettent tellement d’énergie que j’ai peur qu’il se fasse une entorse de doigt. Risque-t-on un claquage musculaire en signant ? 
Que ferais-je si je ne pouvais plus ni entendre, ni parler ?

 

(Extrait de mon livre Par hasard et pour rien)

 

4 mars 2022

PORTES

En contrebas, l’eau de la Seine. Paisible écoulement, un rythme qui sied à un fleuve capitale qui se doit de faire la revue des façades et des ponts. Du haut du quai, je prête à peine attention à elle, et suis plus intrigué par le chapelet des portes massives et closes qui s’égrène à ma gauche. Qu’y a-t-il derrière ? 
Je repense à Bernie et à Malik. Tous deux en ont franchi une. 
Bernie, au début du film Tetro de Francis Ford Coppola, frappe à une porte derrière laquelle il espère retrouver Tetro, son frère chéri qui l’a abandonné. Ne t’inquiète pas, je serai toujours là pour toi, lui avait-il dit. Et pourtant il était parti, trahissant sa promesse. 
Malik, dans Un Prophète de Jacques Audiard, lui, n’a pas besoin de frapper : la porte de la prison lui est grand ouverte, et c’est contre sa volonté qu’il est projeté dans l’univers carcéral. Nous ne savons rien de son passé et le regardons se soumettre à la puissance de la loi qui s’est abattue sur lui. 
L’un a choisi de passer de l’autre côté, l’autre pas. L’un est dans un uniforme de marin blanc immaculé, vierge et naïf, l’autre en survêtement gris et sans illusion. L’un croyait savoir ce qu’il cherchait, l’autre ne cherchait rien. 
Pour tous les deux, rien ne se passera comme prévu : Bernie gagnera un nouveau père en perdant son frère, Malik deviendra caïd en trahissant celui qui l’avait initié. (…) 
Les portes de la vie sont plus subtiles : cachées, immatérielles, mais ne marquant pas moins un avant et un après, un retour en arrière difficile, voire impossible. 
Combien en ai-je déjà franchi ? Impossible à savoir. Par choix ? Non, je ne crois pas. Plutôt par facilité, en suivant la ligne de pente, sans rien décider, sans même les avoir cherchées. Juste parce qu’elles étaient là et moi aussi. Parce que non seulement elles ne m’offraient aucune résistance, mais que ne pas les franchir aurait supposé une décision et demandé un effort. 

 

(Extrait de mon livre Par hasard et pour rien)