Les tribus animales (1)
Vertige
sans cesse renouvelé des poupées russes du vivant où tout est subtilement
intriqué l’un dans l’autre, l’un avec l’autre : les emboîtements se
chevauchent, s’interpénètrent et se recouvrent, les échanges sont multiples et
sont constants. Les limites ne se contentent pas de définir les systèmes
qu’elles cernent, elles permettent la naissance des systèmes de rang supérieur.
Difficile de savoir où l’un commence, et l’autre finit.
Yongey
Mingyour Rinpotché dans le Bonheur de la
méditation, écrit : « Ma main n’est
pas mon moi, mais elle est à moi. Bien, mais elle est faite d’une paume et de
doigts, elle a une face supérieure et une face inférieure, et chacun de ces
éléments peut être décomposé en d’autres éléments comme les ongles, la peau,
les os, etc. Lequel de ces éléments peut être appelé « ma main » ? »
Dans
les animaux qui vivent de longues années, la naissance et la mort des cellules
est incessante : les cellules épidermiques sont recyclés toutes les deux
semaines les globules rouges ne durent que quatre mois… Ainsi tout animal n’est
jamais le même, et à la fin de sa vie, aucune des cellules qui le composent
n’était là à sa naissance.
La
multiplicité des emboîtements à l’intérieur d’un animal et la constance du
renouvellement sont un changement de degré, mais non pas une rupture par
rapport au végétal : tout ceci se trouvait déjà au temps du végétal, un animal
est juste un système globalement plus sophistiqué, et constitué de beaucoup
plus de sous-systèmes et de réseaux enchevêtrés, qui évoluent continûment.
La
rupture vient d’ailleurs, d’un nouveau type d’emboîtement, généré par une
nouvelle propriété : l’animal acquiert progressivement une capacité étrange qui
va littéralement révolutionner la conception des poupées russes du monde.
Jusqu’à
présent, pour qu’une nouvelle propriété émerge et transforme une collection en
un emboîtement, il fallait que ses constituants soient physiquement soudés. La
colle initiale était faite par le cocktail des forces nucléaire, électromagnétique
et gravitationnelle. La vie végétale avait apporté la colle chimique, les
cellules étant reliées par ses membranes qui, à la fois, les délimitaient et
les réunissaient, et au travers desquelles se faisaient les échanges.
Voilà
qu’avec les animaux, naît la colle sociale…
(à suivre)