14 oct. 2013

QUAND FRANCE-INTER REPARLE DES FOURMIS DE FEU ET DE LEURS RADEAUX

Étrange télescopage
Étonnante coïncidence, au moment précis où mon nouveau livre, Les Radeaux de feu, est sur le point d’être disponible dans les librairies – ce devrait être le cas dans une semaine –, voilà Jean-Claude Ameisen qui rediffuse ce samedi 5 octobre, l’émission diffusée la première fois le 28 mai 2011, intitulée « Les gardiennes des arbres » ou l’histoire des fourmis.
Or c’est en écoutant cette émission, il y a donc plus de deux ans, que j’ai eu connaissance des fourmis de feu, et de leur capacité à construire des radeaux vivants pour survivre aux inondations. Individuellement, elles ne peuvent rien face aux flots ; collectivement, elles sont insubmersibles.
Un an plus tard, quand j’ai commencé l’écriture de mon livre sur le management par émergence et la prééminence des phénomènes collectifs, j’ai décidé de placer cette histoire des radeaux des fourmis de feu au cœur de mon récit. Elle en est même devenue un peu le fil conducteur, et rapidement le titre, sous une forme plus compacte, à savoir Les Radeaux de feu, plutôt que Les Radeaux des Fourmis de Feu.
La photo qui en illustre la couverture est issue des travaux du spécialiste des fourmis de feu, David L. Hu qui m’a très aimablement autorisé à l’utiliser. Or c’est bien de lui dont s’est inspiré Jean-Claude Ameisen pour son émission. En témoigne, l’article qu’il cite en référence : « Mlot NJ, Tovey CA, Hu DL. Fire ants self-assemble into waterproof rafts to survivefloods. Proceedings of the National Academy of Sciences USA »
Décidément, selon l’expression populaire, le monde est petit ! A moins qu’un phénomène qui me dépasse soit le grand orchestrateur de ces télescopages. Qui sait ?
Je vais laisser là ces spéculations, et dès demain, commencer à vous présenter en détail l’odyssée des Radeaux de feu, et pourquoi je l’ai sous-titrée : Les Décideurs sont morts, Vive les Dirigeants !

11 oct. 2013

SEULE LA MAGIE EST RÉELLE

Rencontres indiennes (3)
L’Inde est un pays magique. Il suffit de s’y promener pour en être persuadé. Vous en doutez ? Vous croyez que, comme chez nous, tout doit y être logique, rectiligne et rationnel…
Voilà trois témoignages piochés au hasard de mes promenades indiennes.
Tout d’abord, observez comme cette statue de Jésus a été capable de courber cet arbre. Aucun truquage. La photo est représentative de la réalité. Elle a été prise à Old Goa, cette cité construite en leur temps par les Espagnols, quand Goa était un de leurs comptoirs.
Avez déjà rencontré chez nous une telle prouesse ? En Inde, même les végétaux s’inclinent devant la puissance divine. Peut-être que prochainement, cet arbre fera une génuflexion complète…

Regardez ensuite cet enfant qui marche devant le Taj Mahal, la merveilleuse sépulture faite de marbre blanc. Voyez comme il est grand, et comme sa silhouette, loin d’être écrasée par l’immensité de l’arrière-plan, domine le monument.
En Inde, les enfants savent se jouer de la mort. La vie leur est suffisamment âpre et difficile, pour qu’ils sentent grandis devant elle…

Et que dire du mage qui psalmodie devant les eaux du Gange ? Nous sommes ici à Bénarès, ville magique s’il en est. Lali Baba – c’est son nom – en appelle à des puissances pour qui, ni le temps, ni l’espace, ne comptent.
Vision fantomatique. Sa blancheur habille la nuit, et sa voix lancinante la déchire. 

Dans quelques instants, pris par la tourmente de ce qui s’est saisi de moi, je plongerai dans le Gange…

10 oct. 2013

LA MONTÉE EN PUISSANCE DES TSUNAMIS ÉCONOMIQUES

Partout, tout de suite…
Business Insider a publié le 17 septembre dernier un graphe qui montre la vitesse des développements actuels (cliquer sur le graphe ci-joint pour l'agrandir).
Quelques données issues de ce graphe :
- Au bout de 4 ans, les PC ont atteint 100 millions d’utilisateurs,
- Dans le même laps de temps, l’iPod d’Apple a lui atteint environ 500 millions d’utilisateurs,
- Il n’a fallu que 3 ans à Facebook pour dépasser le milliard,
- En 18 mois, la plateforme IOS d’Apple (celle qui équipe les iPhone et les iPad) en est déjà à plus de 500 millions, et Android au milliard (1)
Impressionnante démonstration de la mondialisation et de la focalisation.
La planète vibre de plus en plus de façon synchrone, et ce qui nait là, se propage de plus en plus vite.
Nous sommes décidément bien entrés dans ce que j’appelle le Neuromonde, ce monde où, sous l’effet des connexions multiples et de la croissance de la population humaine, nous sommes tous pris dans les mailles des actions des autres.
Ces tsunamis économiques mettent en tension toutes les organisations :
- Les entreprises, car la brutalité des vagues balaient celles qui les ont manquées (2),
- Les États, car ils sont ébranlés par la puissance des monopoles qui se créent
- Les individus, car ils ne sont que fétus de paille dans ces gigantesques « radeaux de feu » (3)

(1) en 18 mois, le PC n’en était qu’à moins de 10 millions, l’iPod à 100 millions, et Facebook à 300 millions
(2) Ainsi après Nokia, Blackberry est en train de disparaître
(3) Je reprends ici la métaphore que je développe dans mon nouveau livre et que j’aurai l’occasion d’expliciter dans les jours qui viennent.

9 oct. 2013

NOUS SOMMES EN TRAIN DE MOURIR DE NOS PEURS

Pourquoi laisser le futur aux autres ?
A quoi pouvait bien penser un Européen découvrant dans les années cinquante les tours de New York et l’effervescence qui y régnait ?
Probablement une étrange sensation de différences et de nouveautés, comme celle de la découverte d’un enfant qui a grandi et a échappé à ses parents. Car si cette Amérique était surprenante et nouvelle, elle était bien née des immigrants qui avaient quitté l’Europe plus d’une centaine d’années avant pour la plupart.
Un Européen pouvait donc se sentir plus stimulé que remis en cause : après tout, ce dynamisme venait de la vieille Europe…
En août, lorsque je me suis retrouvé à Singapour, ce sont d’abord ces pensées qui m’ont habitées : je me suis senti cet Européen arrivant à New York. Conviction d’être au cœur d’un nouveau monde naissant…
Mais ce monde n’est plus seulement le fruit d’immigrants issus d’Europe ou d’Amérique du Nord, mais d’une hybridation entre eux (1), et ceux venus de l’Asie. Immense télescopage de races, de cultures, de religions…
De là, naît une énergie d’où surgissent les Tour Eiffel et les Empire State Building de demain. Le paquebot flottant du Marina Bay Sands avec ses 2500 chambres et ses jardins suspendus signe l’envol de Singapour…
Aussi, impossible de voir Singapour comme l’enfant de l’Europe. Nous y participons, mais il nous dépasse. Pour reprendre l’image de la ruche, nous ne sommes qu’un des éléments de la diversité génétique locale.
Une question me hantait déjà avant ce voyage, mais a depuis pris plus d’acuité : pourquoi donc ici ces télescopages créent-t-ils autant d’inventions et de créativités, alors qu’en Europe, et singulièrement en France, ils créent surtout des peurs ? Pourquoi pensons-nous que le progrès est dans la fermeture, et l’érection de barrières protectrices ?
Singapour est-elle dynamique parce qu’elle n’a rien à perdre, et qu’elle profite de sa situation au cœur de l’Asie ?  Peut-être au début, mais cela ne tient plus vraiment quand on voit le niveau de sophistication déjà atteint : elle est devant nous (2) et continue d’accélérer…
Nous pouvons continuer à nous plaindre, et à rêver d’un passé révolu. Mais la question n’est plus de défendre des acquis historiques, elle est de ne pas accumuler plus de retard. Sinon l’écart qui n’est pour l’instant que limité et local, deviendra fossé.
Voulons-nous nous réveiller comme étant l’Inde du milieu du vingt-et-unième siècle ? Car à manquer la révolution actuelle, c’est bien ce qui pourrait nous arriver…
Ne sommes-nous pas largement responsables de notre mal-être actuel ? La dépression qui nous habite chaque jour davantage, et qui nourrit, chaque jour davantage, nos peurs et nos regrets, n’est-elle pas évitable ? Pourquoi donc nous penser au passé, à partir d’où nous venons, et non pas aussi à partir de ce que nous pourrions devenir ?
Nous avons nous aussi la possibilité de construire en tirant parti des différences qui nous habitent. Voyons ceux qui ne sont pas nés ici et qui nous ont rejoints, comme autant de sources de nouvelles richesses.
Nous pouvons, nous aussi, inventer un nouveau Paris, et ne pas le transformer en musée. Avons-nous envie de devenir le prochain Angkor ?
Mais pour cela, il faudrait qu’un projet politique positif et ambitieux soit érigé. On ne répondra pas aux peurs propagées par les extrêmes en étant frileux et défensifs.
Malheureusement, pour l’instant, rien de tel ne semble émerger…

(1) Il suffit de marcher dans les rues de Singapour pour constater la densité de la population venue d’Europe ou d’Amérique du Nord.
(2) Le coût immobilier y est supérieur (plusieurs fois celui de Paris), les rues sont peuplées de voitures de luxe alors qu’une taxe de 50% leur est appliquée, l’écologie n’est pas une théorie mais une réalité

8 oct. 2013

IL Y A DES CHOIX QUI ENGAGENT POUR TOUTE LA VIE ET TOUT LE FUTUR...

Histoire de corail

« (Pour un corail), l'endroit où vous décidez de vous installer après avoir flotté dans l'eau en tant que larve, sera votre maison pour le reste de votre vie. En voilà une décision décisive pour la vie ! Est-ce que vous réalisez bien comme cela peut être ennuyeux ? Si mon voisin est un autre corail, j'aurai à le supporter comme voisin pour des années et des années... Et parce que je ne peux pas bouger, je devrai aussi endurer les poissons qui n'arrêtent pas de suçoter mes polypes. Et finalement, il y a une chose que la plupart des gens ne réalisent pas : puisque les coraux vivent des années, des décennies, potentiellement des siècles, voire davantage, nous avons à regarder le monde changer autour de nous. »

Ce beau texte n'est pas de moi, je l'ai seulement traduit. Il provient d'un endroit magique où j'ai passé une semaine cette été, le El Nido Resort à Miniloc, sur une petite île aux Philippines. Chaque matin, un texte était déposé dans ma chambre, toujours autour de la nature, de l'écologie et de la mer.

J'ai particulièrement aimé la poésie de celui-ci, d'autant plus qu'il venait en résonance avec un de mes thèmes favoris, l'absurdité de notre approche du temps. Quelle belle image que ce corail qui doit faire face, sa vie durant, avec les conséquences de son choix initial ! Une leçon d'anti-zapping en quelque sorte...

J'aime me rêver discutant avec eux. Longuement, je les ai regardés, mais impossible d'amorcer ne serait-ce que le début d'une communication. Je dois donc me contenter d'une discussion imaginaire...

Ce texte qui porte pour titre " En attendant que le monde change " se termine par un appel auprès de l'humanité pour plus de respect pour le monde dans lequel elle vit :
« Après des décennies à regarder le monde changer autour de moi, j'ai à la fois le plaisir et la peine de voir le meilleur et le pire de l'espèce humaine. Certains détruisent ma maison juste pour attraper un poisson, quand d'autres ont placé de nouveaux coraux dans de solides étoiles blanches pour qu'ils puissent y grandir... Je déteste l'admettre, mais ma survie dépendra de ce que les humains décideront de faire. Je peux juste espérer que je serai inclus dans le futur qu'ils prévoient pour eux-mêmes. »

Étrangement, j'ai l'impression que bon nombre d'entre nous pourraient prononcer cette dernière phrase : « Nous détestons d'avoir à l'admettre, mais notre survie dépendra de ce que nous déciderons de faire. Nous sommes beaucoup à espérer à être inclus dans le futur que nous prévoyons tous pour nous-mêmes... »

7 oct. 2013

LA RÉSILIENCE DES ENTREPRISES ET DES SOCIÉTÉS NAÎT DES DIFFÉRENCES

Sans diversité, pas de performance globale... (4)

Résumons donc ce que nous avons appris du fonctionnement d'une ruche et de ce qui assure sa survie :
- C'est la diversité qui permet la réactivité et l'adaptabilité. Sans elle, pas de performance collective : l'esprit de la ruche n'acquiert de la puissance que si il naît d'abeilles dissemblables.
- Cette diversité pour être efficace ne peut pas venir de la variété des expériences et des accidents de la vie. Seule un patrimoine génétique varié permet à la colonie d'être performante :  la ruche est mieux construite, plus d'ouvrières naissent au bon moment, les réserves sont plus importants, la température est mieux régulée.

Résultat : seules les colonies ayant un patrimoine génétique divers, c'est-à-dire dont la reine n'a pas été inséminée par un seul mâle ont une chance de survivre.

Il est évidemment hasardeux de sauter directement des abeilles à miel aux organisations humaines et à nos sociétés. Mais pourquoi ce qui est vrai pour elles, ne le serait pas pour nous ? L'espèce humaine n'est pas née par rupture, mais par évolution. Elle est elle-même un construit du monde, et il y a fort à parier que ce qui est vrai pour les abeilles l'est aussi pour nous.

Aussi quelle erreur quand des dirigeants croient que la performance de l'entreprise viendra de la consanguinité ? Certes il peut être rassurant de s'entourer de camarades issus de la même école, et avec lesquels on a de nombreux points communs. Mais, comme pour les abeilles à miel, ce n'est vraiment pas la meilleure solution pour construire une entreprise résiliente...

Et quand je vois dans nos sociétés, et singulièrement en France, avoir peur de celui qui est différent, et croire que notre futur est dans l'enfermement et dans la fermeture, quel aveuglement !

La France ou l'Europe ne seront pas fortes en se protégeant de la diversité, mais au contraire, en relevant le défi d'une construction collective qui s'appuie sur les différences.

Et pour être efficaces, ces différences ne doivent pas être acquises, mais innées : celui qui n'est pas né ici vient nous apporter la richesse de ce que nous ne sommes pas...

4 oct. 2013

UN DOUBLE-DECKER, DES JEANS ET DES SERPENTS...

Rencontres indiennes (2)

Déjà je ne m'attendais pas à rencontrer un authentique bus anglais dans les rues de Bombay, mais encore moins à le voir être utilisé comme une arme terroriste. Dans un remake au ralenti de l'attaque des tours du World Trade Center, il vise manifestement la gare centrale.
Que faire ? Intervenir, oui mais comment ? Et personne n'a l'air de voir l'imminence de la catastrophe...


Est-ce une nouvelle publicité pour une marque de jean ? Levis a-t-il voulu changer de dimension, et trouve-t-il les laveries des spots précédents, trop étriquées ?
Mais je ne vois aucune caméra alentour. Aucun top model non plus.
Juste des indiens accroupis qui frottent sans relâche des piles de linge, sans cesse renouvelées...


L'imaginaire du cinéma transforme parfois les habitants des bidonvilles en vedette de jeux télévisés, magie d'un "Slumdog millionaire". Mais la réalité est plus sinistre, et le futur de ceux qui s'y trouvent est moins glamour.
Dans le noir presque absolu qui y règne, des câbles, tels des serpents venimeux, courent sur les murs. Aucun fakir n'est là pour les dresser. Le seul chant que l'on y entend, est celui de la démarche lourde des porteurs d'eau. Même les enfants semblent être absents.
Pourtant à quelques minutes de là, trônent la fameuse Indian Gate, et le Taj Mahal Palace...

(Les trois photos ont été prises à Bombay en juillet 2012)

3 oct. 2013

SANS DIVERSITÉ GÉNÉTIQUE, PAS DE SURVIE COLLECTIVE

Sans diversité, pas de performance globale... (3)

La diversité est donc un élément essentiel pour garantir la performance collective : sans elle, pas de flexibilité, pas d'adaptation rapide à un changement dans l'environnement. Dans le processus qui, à partir de plusieurs, donne naissance à un nouvel être, doté de l'esprit de la ruche, le fait que ces plusieurs soient différents est important.
Mais donc, faut-il que cette diversité soit innée, c'est-à-dire que les abeilles soient génétiquement diverses, ou suffit-il qu'elle soit acquise, suite aux différences entre les expériences individuelles vécues ?  

Poursuivant son émission consacrée au rôle du renouvellement permanent de la diversité, Jean-Claude Ameisen relate les expériences qui se sont déroulées depuis les années 2000, et qui ont démontré que la différence génétique était essentielle.

L'expérience la plus frappante est celle menée par Heather Mattila et Thomas Seeley (1). Ils ont comparé l'évolution au moment critique de la naissance d'une nouvelle ruche : qu'advient-il si la colonie provient d'une reine ayant été inséminée par un seul mâle, versus une où elle a été inséminée par quinze mâles différents ?

La réponse est sans appel :
- Au bout de deux semaines, les colonies issus d'un patrimoine génétique plus divers ont construit un tiers de rayons de cire en plus, et les butineuses y ont collecté 40% de réserves supplémentaires,
- Au bout d'un mois, lorsque la floraison est maximum, le nombre des ouvrières des colonies génétiquement diverses est multiplié par trois, versus une augmentation de seulement 50% pour les autres,
- Fin août, une baisse de température provoque la disparition de la moitié des colonies génétiquement homogènes, alors que toutes les autres survivent.
- À la fin de l'hiver, toutes les colonies génétiquement homogènes ont disparu, alors qu'un quart des autres ont réussi à survivre et seront toujours en activité au printemps.


Ainsi l'évolution est sans pitié, et élimine ce qui est génétiquement homogène : c'est bien la diversité des gènes qui apporte la puissance à l'esprit de la ruche. Être confronté à des expériences diverses ne suffit pas : si l'on est initialement homogène, on ne sait pas en tirer parti... et l'on disparaît.

Et dire que d'aucuns dans nos sociétés ont peur de la diversité, et voudraient cloisonner le monde...

(à suivre)

(1) Genetic in Honey Bee Colonies Enhances Productivity and Fitness, Heather R. Mattila, Thomas D. Seeley, July 2007

2 oct. 2013

LA PERFORMANCE COLLECTIVE SUPPOSE DES DIFFÉRENCES

Sans diversité, pas de performance globale... (2)

Parmi les problèmes complexes que doit résoudre une ruche, il y a celui de la température : comment la maintenir dans une plage étroite qui, seule, garantit la survie de l'espèce. Ni trop chaud, ni trop froid.

Pour nous, animaux à sang chaud, nous avons notre propre système de régulation de la température, et nous sommes capables de nous adapter par nous-mêmes aux variations extérieures, du moins tant que celles-ci restent à l'intérieur de certaines limites. Nous sommes en quelque sorte "auto-climatisé".

Rien de tel avec les abeilles. Or il est vital de maintenir la zone centrale de la ruche, là où se trouvent les larves, le plus proche possible de 35° C. Alors les voilà qui ventilent si la température au sein de la ruche devient trop élevée, ou vont chercher de l'eau pour qu'elle s'évapore. Si jamais c'est l'inverse, et que le centre est trop froid, elles frissonnent pour produire de la chaleur. Comment ceci est-il possible ? Parce que les abeilles sont "programmées" pour agir ainsi : dès que la température dépasse une certaine valeur, elles ventilent ; dès qu'elle devient inférieure, elles frissonnent. Efficace et simple.

Certes, mais imaginez que toutes les abeilles réagissent exactement à la même température de déclenchement : d'un seul coup, toutes les ouvrières ventileront ou frissonneront, et la température variera brutalement et de façon trop importante. Par exemple, si elles ventilent toutes ensemble, la température va devenir rapidement trop basse. Alors toutes ensemble, elles vont se mettre à contracter leurs muscles pour élever la température. Et cette fois, elle redeviendra trop élevée... Ainsi la température oscillera sans cesse, et les ouvrières n'auront jamais de repos, ne pourront jamais rien faire d'autre, et mourront d'épuisement.

Ce n'est pas ce qui se passe, car, parce que toutes les abeilles ne sont pas identiques, elles n'ont pas exactement la même température de déclenchement : au départ, seules, quelques-unes vont intervenir. Si c'est suffisant, les autres n'interviendront pas. Si c'est insuffisant, le nombre d'abeilles intervenant augmentera progressivement. Et ainsi la température est efficacement régulée.

La performance collective vient des différences, et non pas des similitudes. Ou plus exactement, des variations autour d'un comportement commun.

Mais ceci vient-il d'un processus d'adaptation et d'apprentissage, ou est-ce génétique ?
Ou formulé autrement, la performance collective suppose-t-elle une hétérogénéité structurelle et initiale, ou peut-elle être issue d'individus initialement identiques, et qui ont appris à être complémentaires ?

(à suivre)

1 oct. 2013

LA PUISSANCE COLLECTIVE NAÎT-ELLE DES SIMILITUDES ?

Sans diversité, pas de performance globale...

Qu'est-ce qui ressemble plus à une abeille à miel que sa sœur voisine ? Impossible de les distinguer. Pour nous, elles ne sont que des clones, et la force de la ruche vient précisément de cette unicité : une seule mère, toutes sœurs, toutes identiques.
Aucun conflit potentiel, pas d'étranger à surveiller, chacune n'a qu'un seul et même objectif : contribuer à la puissance du groupe. De la petitesse de chacune prise isolément, grâce à la merveille du collectif, naît ce que l'on appelle "l'esprit de la ruche". C'est la similitude qui permet la puissance du pack...

C'est ce que l'on a longtemps pensé : une seule reine, un seul patrimoine génétique, une tribu de jumelles parfaites.
Mais en fait, il n'en est rien, car si les abeilles ont bien une seule mère, elles n'ont pas le même père : lors de son vol nuptial, la reine est fécondée par une vingtaine de mâles, ce qui garantit une diversité génétique.

Mais est-ce si important, ou n'est-ce pas plutôt une source de faiblesse ? Une ruche ne serait-elle pas d'autant plus puissante que les abeilles qui la composent sont plus identiques ?

C'est sur cette question que portait l'émission "Sur les épaules de Darwin" de Jean-Claude Ameisen, le 14 septembre dernier : quel est le rôle du renouvellement permanent de la diversité.
Et la réponse est décoiffante, et apporte comme un vent frais, au moment où tant de racismes latents et de peurs de la différence hantent nos sociétés...

(à suivre)