7 oct. 2015

LE KITSCH, LA GRANDE MARCHE EN AVANT ET LA GAUCHE…

L’insoutenable nécessité de réfléchir
Il y a plus de trente ans, Milan Kundera, dans l’Insoutenable légèreté de l’être, donnait sa vision cynique de la politique et notamment de celle de gauche. Une vision noire nourrie dans le sang et la douleur du printemps de Prague et de l’invasion de son pays par l’URSS qui s’ensuivit.
Relire ses propos et passer un peu de temps à s’en imprégner me semblent une œuvre utile en ces temps troublés où tant de propos rapides sont assenés sur ce qui serait ou pas de gauche, et où l’on aime frapper d’anathème les intellectuels qui sortent du rang pour réfléchir un peu…
Le Kitsch comme refus de l’imperfection de la Création, et donc de l’homme
« Derrière toutes les croyances européennes, qu'elles soient religieuses ou politiques, il y a le premier chapitre de la Genèse, d'où il découle que le monde a été créé comme il fallait qu'il fut, que l'être est bon et que c'est donc une bonne chose de procréer. Appelons cette croyance fondamentale accord catégorique de l'être. (…)
L'instant de la défécation est la preuve quotidienne du caractère inacceptable de la Création. De deux choses l'une : ou bien la merde est acceptable, ou bien la manière dont on nous a créés est inadmissible. Il s'ensuit que l'accord catégorique de l'être a pour idéal esthétique un monde où la merde est niée et où chacun se comporte comme si elle n'existait pas. Cet idéal esthétique s'appelle le kitsch. (…) 
Le kitsch exclut de son champ de vision tout ce que l'existence humaine a d'essentiellement inacceptable. »
La politique repose sur des représentations, et la gauche sur celle de la Grande Marche en avant
« Mais quel est le fondement de l'être ? Dieu ? L'humanité ? La lutte ? L'amour ? La femme ?
Il y a là-dessus toutes sortes d'opinions, si bien qu'il y a toutes sortes de kitsch : le kitsch catholique, protestant, juif, communiste, fasciste, démocratique, féministe, européen, américain, national, international.
Depuis la Révolution française une moitié de l'Europe s'intitule la gauche et l'autre moitié a reçu l'appellation de droite. Il est pratiquement impossible de définir l'une ou l'autre de ces notions par des principes théoriques quelconques sur lesquels elles s'appuieraient. Ça n'a rien de surprenant : les mouvements politiques ne reposent pas sur des attitudes rationnelles mais sur des représentations, des images, des mots, des archétypes dont l'ensemble constituent tel ou tel kitsch politique.
L'idée de la Grande Marche, dont Franz aime à s'enivrer, est le kitsch politique qui unit les gens de gauche de tous les temps et de toutes les tendances. La Grande Marche, c'est ce superbe cheminement en avant, le cheminement vers la fraternité, l'égalité, la justice, le bonheur, et plus loin encore, malgré tous les obstacles, car il faut qu'il y ait des obstacles pour que la marche puisse être la Grande Marche.
La dictature du prolétariat ou la démocratie ? Le refus de la société de consommation ou l'augmentation de la production ? La guillotine ou l'abolition de la peine de mort ? Ça n'a pas d'importance. Ce qui fait d'un homme de gauche un homme de gauche ce n'est pas telle ou telle théorie, mais sa capacité à intégrer n'importe quelle théorie dans le kitsch de la Grande Marche. »
La fin de la Grande Marche ?
« Franz eut l'impression que la Grande Marche touchait à sa fin. Les frontières du silence se resserraient sur l'Europe, et l'espace où s'accomplissait la Grande Marche n'était plus qu'une petite estrade au centre de la planète. Les foules qui se pressaient jadis au pied de l'estrade avaient depuis longtemps détourné la tête, et la Grande Marche continuait dans la solitude et sans spectateurs. (…) 
Oui, songeait Franz, la Grande Marche continue, malgré l'indifférence du monde, mais elle devient nerveuse, fébrile, hier contre l'occupation américaine au Vietnam, aujourd'hui contre l'occupation vietnamienne au Cambodge, hier pour Israël, aujourd'hui pour les Palestiniens, hier pour Cuba, demain contre Cuba, et toujours contre l'Amérique, chaque fois contre les massacres et chaque fois pour soutenir d'autres massacres, l'Europe défile et pour pouvoir suivre le rythme des évènements sans en manquer un seul, son pas s'accélère de plus en plus, si bien que la Grande Marche est un cortège de gens pressés défilant au galop, et la scène rétrécit de plus en plus, jusqu'au jour où elle ne sera qu'un point sans dimensions. »

5 oct. 2015

AVEC LA MÉMOIRE ET L’HISTOIRE INDIVIDUELLE, TOUT SE COMPLIQUE

Pourquoi l’incertitude s’accroît continûment et de façon accélérée (4)
Un double mécanisme sous-tend sa capacité à décider et à choisir : l’apprentissage et la mémoire. Grâce à son cerveau, il est capable d’accumuler de l’expérience, de se souvenir, et de modifier l’utilisation de ses fonctions motrices en fonction des résultats obtenus dans le passé. Monsieur Pavlov avec sa célèbre souris a montré comment l’expérience vécue pouvait influer sur le comportement futur.
Le monde subit ainsi une nouvelle accélération dans l’accroissement de l’incertitude : il est peuplé de créatures qui, dynamiquement, font des choix, partent à gauche ou à droite, butent ou non sur une pierre, et ce non seulement en fonction de leur environnement immédiat et présent, mais en fonction des accidents qu’ils ont vécus. Plus un tigre saura chasser efficacement, plus son comportement deviendra audacieux : les comportements sont les fruits de leur histoire.
Cette différentiation s’accroît progressivement au fur et à mesure du développement des capacités cérébrales : plus le monde avance, plus les animaux sont intelligents et imprévisibles dans leurs comportements. 
Donc une triple montée en puissance de l’incertitude : 
- Par la motricité, les mouvements sont plus rapides : le rythme de la propagation des interactions est plus élevé,
- Par la décision, les directions prises sont plus complexes : l’adaptation et l’évolution se font en continu, et non plus seulement au moment de la reproduction, 
- Par la mémoire, les décisions sont différenciées : progressivement, au fur et à mesure de l’évolution et de la croissance des fonctions cognitives, l’histoire devient individuelle et l’action aussi.

2 oct. 2015

ÊTRE ET AVOIR ÉTÉ

Survivre en Corse
Pas toujours facile de survivre en Corse : les paysages ont beau être superbes, le ciel le plus souvent bleu et le climat clément, les années font leur œuvre et minent tout un chacun.
Regardez donc cette tour et voyez comme elle est sur le point de s’effondrer. Longtemps, elle a été une vigie tout au Nord du Cap Corse. Combien de guerriers se sont terrés des heures durant, pour guetter l’arrivée possible d’un assaillant ? Des milliers peut-être… Mais pierre après pierre, aujourd’hui elle se défait. Puzzle construit à rebours. Bientôt d’elle, il ne restera que le souvenir propagé par les contes des anciens…
Comment croire que ce modeste amas de pierres fut autrefois une chapelle ? Pourtant, pendant des décennies, juchée au sommet d’une montagne, elle a accueilli les prières des bergers. De sacré, il ne reste plus rien. Elle n’est plus qu’une ruine anonyme que quasiment plus personne ne visite. Ce n’est qu’au détour d’une conversation dans un bar du village voisin, que j’ai appris son origine…
Enfin, que dire de cette dernière ? Pas grand chose à part qu’elle se cache au sein du maquis corse. Difficile de la trouver. A-t-elle honte de son délabrement actuel ? Est-ce qu’elle s’est glissée, petit à petit, à l’abri de la végétation pour que plus personne ne l’aperçoive ? J’aime à penser qu’elle a cette sorte de pudeur. Qui aime finir en pleine lumière et montrer, aux yeux de tous, sa déliquescence présente ? L’âme corse a trop d’orgueil pour un tel abaissement…
(Photos prises en août 2015 au nord du Cap Corse, au dessus de Tralonca, et sur la route allant à Morosaglia)

30 sept. 2015

PARTIR À DROITE OU À GAUCHE

Pourquoi l’incertitude s’accroît continûment et de façon accélérée (3)
Si vous passez dans une forêt et notez consciencieusement où se trouve chaque arbre, vous les retrouverez le lendemain exactement au même endroit ; si vous revenez un an plus tard, sauf cas rare d’incendie ou de passage d’un bucheron mal attentionné, ils auront un peu grandi, mais leurs localisations seront inchangées. Faites la même chose avec une fourmi, et je vous défie de la retrouver même une heure après : vous aurez beau l’avoir identifiée avec un petit nœud rouge autour de son cou, il vous sera quasiment impossible de savoir où elle est ; au mieux, si vous avez longuement observé la colonie à laquelle elle appartient, et noté tous les parcours habituels ainsi que la localisation de la fourmilière, vous pourrez faire une cartographie des endroits où elle peut se trouver, en y associant une probabilité. Fini les certitudes !
Car l’animal, par rapport au végétal, a une mauvaise habitude : il bouge, et ce sans prévenir et sans que l’on puisse savoir dans quelle direction et à quelle vitesse. Le végétal pousse – et vite quand c’est un bambou ! -, mais ne se déracine pas pour partir en promenade. Commode pour le retrouver. L’animal, lui, n’a pas de racine : il ne se nourrit pas de la terre sur laquelle il marche, mais de végétaux qu’il arrache ou d’autres animaux qu’il ingère. Et d’un peu d’eau aussi. 
Plus l’évolution du monde se déroule, plus l’animal est sophistiqué et moins il est possible de savoir ce qu’il va faire : essayez de prévoir la trajectoire d’un singe quand il saute d’une branche à une autre. Ses choix ne dépendent plus seulement des habitudes de son espèce, mais de son histoire personnelle. (1)
(1) « Ils sont capables de choisir des configurations apparaissant en un point donné de cette trajectoire et, en se fondant sur leurs histoires personnelles, de les soumettre à des plans en d’autres points de la trajectoire. » (Gérald Edelman, Biologie de la conscience)
(à suivre)

28 sept. 2015

LA VIE DÉRIVE AU HASARD DES POSSIBLES

Pourquoi l’incertitude s’accroît continûment et de façon accélérée (2)
Pourquoi telle évolution génétique plutôt que telle autre ? Pourquoi cette plante-ci naît-elle plutôt que celle-là ? Faut-il pour reprendre la terminologie de Darwin, y voir une meilleure adaptation au milieu dans lequel elle vit ? Oui et non. Oui, car si une évolution a perduré et s’est développée, c’est bien qu’elle est viable et a pu prendre le pas sur les autres. Non, car cela ne veut pas dire pour autant qu’elle était « la meilleure adaptation » : puisque toutes les espèces évoluent continûment et en même temps, et que le monde minéral lui-même est chaotique et incertain, il est impossible de définir ce qu’est « La meilleure adaptation ». Tout est trop mouvant : il n’y a pas de plan a priori, et aucune analyse du présent ne permet de prévoir quel chemin suivra l’évolution.
Ce qui advient n’est que l’expression d’un possible : la vie ne progresse pas dans le sens d’une amélioration mesurable, mais ne fait que dériver de possible en possible. Comme elle peut, elle trace son chemin cahin-caha. Impossible de savoir à l’avance les choix qui seront faits, car les interactions sont trop complexes : il n’y a pas d’explications sur le fait que la vie ait pris tel embranchement plutôt que tel autre ; elle l’a pris, c’est tout ce que l’on peut dire, et on ne peut faire que des constats a posteriori(1)
Une façon imagée de décrire le fonctionnement des lois de l’évolution est d’observer un match de tennis : le terrain est parfaitement défini, ainsi que la position du filet et toutes les règles du jeu. Ajoutez deux joueurs dont vous avez vu tous les matches précédents, et analysé les stratégies de jeu. Vos connaissances sont donc vastes et précises, et pourtant vous savez bien peu de ce qui va advenir : vous ne connaissez ni le score final, ni a fortiori comment et quand aura lieu tel ou tel échange. Il en est de même avec la vie : les règles sont précises et intangibles, les joueurs connus, et la partie totalement incertaine. 
Notons que la notion même de possible est vague. Souvent on l’associe à ce qui peut arriver, mais je préfère une autre approche : ce qui est possible est juste ce qui n’est pas interdit. Dans sa nouvelle de la Bibliothèque de Babylone, Jorge Luis Borges écrit : « Il suffit qu’un livre soit concevable pour qu’il existe. Ce qui est impossible est seul exclu. » (2)Et les bibliothécaires y cheminent d’alvéole en alvéole, ouvrant ce livre ou celui-là. Comme la vie qui vagabonde au hasard de ses rebonds : il y a à tout moment une infinité de mouvements qui ne sont pas interdits, et donc tous potentiellement possibles. Un seul sera choisi, et deviendra le réel. La vie n’a pas évolué parce qu’elle le devait, mais simplement parce qu’elle l’a fait. Finalement, « c’est le réel qui fait le possible, et non pas le possible qui devient réel ». (3)
(à suivre)
 (1) C’est ce que François Varela appelle la dérive naturelle : une évolution n’a pas lieu parce qu’elle est nécessaire, ni même souhaitable, elle se produit juste parce qu’elle satisfait au champ de contraintes à un instant t. Il parle de solution « satisficing », c’est-à-dire instantanément satisfaisante. Mais cette « satisfaction » n’est que provisoire et dynamique : l’évolution est permanente. Dès qu’une a eu lieu, le champ de possibles se transforme : seules perdurent les options compatibles avec la nouvelle avancée, enrichies des nouvelles ouvertures potentielles. (L’Inscription corporelle de l’esprit)
(2) Fictions
(3) Henri Bergson, Le Possible et le Réel

25 sept. 2015

RENCONTRES AVEC DES ROCHERS CORSES

Un peu de magie
Des rochers massifs habillent les pentes des montagnes corses. A leurs côtés, la végétation rampe, et se sait vulnérable. Que lui arriverait-il si l’un en venait à rouler sur elle ? Que pourrait-elle à part se coucher et subir…
Certains sont des sculptures, comme cette main tournée vers le ciel. Est-ce l’amorce d’une prière ? Ou au contraire, une tentative de se saisir d'une parcelle de Dieu ? Je m’assieds à proximité, guettant une réponse qui jamais ne viendra…
D’autres sont des empilements improbables. Qui a bien pu poser le rocher du dessus ? Comment est-il arrivé là alors que rien ne le domine ? Quelle est la poigne gigantesque qui s’en est saisi pour le déposer en équilibre ? Tout autour, je cherche en vain une explication …
Là le divin se fait explicite : il n’y a pas que dans la grotte de Lourdes que la vierge vient faire une apparition. Ici aussi, elle est là, porteuse de miracles. Elle se fait petite et modeste, mais chacun sait bien que sans elle, rien ne serait possible. Loin d’être écrasée par la masse rocheuse, c’est elle qui la soulève…
Telles sont les magies quotidiennes que l’on peut croiser dans les montagnes corses.
(Photos prises en août 2015 au dessus de Campo et Tralonca, et sur la plateau de Coscione)

23 sept. 2015

LA VIE CRÉE DE L’INCERTITUDE

Pourquoi l’incertitude s’accroît continûment et de façon accélérée (1)
Si je lâche un objet, sa trajectoire est complexe à cause des interférences avec les autres objets, son mouvement étant régi par les équations liées aux forces nucléaire, électromagnétique et de la gravitation. Si c’est un système vivant que je lâche dans un nouveau milieu, il est aussi soumis à ces mêmes forces, mais en plus, il est capable de se transformer : il réagit et s’adapte dynamiquement à ce qui l’entoure. La vie malaxe sans cesse la matière, et tout se transforme constamment et inlassablement. 
Elle s’auto-organise : comment savoir précisément quelle sera dans un mois, un an, la forme de telle ou telle plante ? Comment, à partir d’un gland, prévoir la taille d’un chêne ? Comment anticiper les interactions multiples qui se produisent au sein d’une forêt ? Au cœur, il y a tellement de cellules vivantes qui échangent continûment avec ce qui les entoure, et ce selon les conditions climatiques.
Autre facteur d’accélération de l’accroissement de l’incertitude : la capacité des systèmes vivants à se reproduire. Car se reproduire, ce n’est pas photocopier, loin de là : chaque nouvelle génération hérite des codes génétiques de la précédente, mais toujours avec de subtiles différences, subtiles différences qui seront source de potentielles macro-divergences. 
(à suivre)

21 sept. 2015

LE LIEN AVEC LE DÉVELOPPEMENT DU DJIHADISME EN FRANCE

Dernière partie du patchwork consacré au rapport de Malek Boutih, Génération Radicale :
« Au vu de ces données, désigner les individus radicalisés comme des fous ou des marginaux serait une contre vérité. Dans son livre Le vrai visage des terroristes, Marc Sageman l’exprime très clairement : « l'idée que nous nous faisons du terroriste est en fait un cliché : celui du déshérité-révolté ayant grandi dans les faubourgs misérables du monde arabe et en proie à quelque désordre mental »
« Le djihadiste (…) ressemble davantage à un étudiant petit-bourgeois acculturé et frustré qu'à un damné de la terre ». »
 « Il faut comprendre que l’objectif de ce réseau social humain n’est pas destiné à recruter simplement les combattants. C’est toute une communauté humaine qu’ils cherchent aussi à structurer, certains faisant le djihad pacifique (propagande, finance, logistique) et d’autres étant ciblés pour basculer dans la dimension militaire ou terroriste. Ce type d’implantation privilégie bien entendu les milieux urbains et particulièrement les cités populaires, mais on peut aussi le retrouver à petite échelle dans des zones rurales comme ce fut le cas à Lunel dans l’Hérault. »
« A cet égard, prévenir la radicalisation, c’est s’attaquer aux enjeux de cohésion sociale et surtout redonner corps au pacte républicain. Les djihadistes, pétris de haines et de slogans réactionnaires, n’ont pas de projet émancipateur, nous pouvons donc leur opposer un contre-projet fondé sur le progrès, l’autonomie, l’émancipation, qui redonne tout son sens à la citoyenneté républicaine. C’est une nécessité car d’autres mouvements, y compris nationaux, pourraient prendre le relais du djihad et canaliser la volonté partagée par une grande partie de cette génération, de manière plus ou moins forte, de renverser un système qui ne tient pas ses promesses. »

18 sept. 2015

RENCONTRES AVEC DES VACHES CORSES

Vache sacrée et vache salée
Un point commun entre toutes les vaches corses que j’ai croisées cet été : leur calme, leur sérénité… et leur sportivité. Car même si cela n’apparaît sur les photos jointes, le plus souvent, elles arpentent les montagnes corses de l’arrière-pays.
Si je me suis arrêté sur ces deux-là, c’est en commençant par celle du bas, parce qu’elle semble se prendre pour ses congénères indiennes : elle me toise avec le regard déterminé et un rien méprisant des vaches sacrées. Bien ancrée, en plein milieu d’un sentier qui arpente le plateau Coscione, il n’est pas question qu’elle bouge. 
Est-elle en contact par Facebook, Twitter ou simplement SMS avec elles ? Ou alors, peut-être est-ce une vache indienne en vacances en Corse ? Attention à ce que la contagion ne commence pas. Car alors plus une vache n’acceptera de partir à l’escalade des pentes abruptes...
Tout au bout du Cap Corse, à proximité d’une petite église nommée Santa Maria, j’ai fait la connaissance des vaches des prés salés. Mais autant les agneaux du Mont Saint Michel font l’objet d’un marketing intensif, autant leurs homologues bovines et corses restent confidentielles. Peut-être une opportunité pour relancer l’économie locale ? D’autant qu’il y a à proximité une tour qui, sans pouvoir rivaliser avec la puissance de l’abbaye bénédictine, pourrait servir d’emblème à une marque à trouver.

16 sept. 2015

NOTRE SOCIÉTÉ SE DÉSAGRÈGE

Génération Radicale (2)
Suite du patchwork tiré du rapport de Malek Boutih, Génération Radicale :
« Un dernier aspect de ce qui se joue dans le déficit de dialogue et d’expression, l’absence de confrontation entre les points de vue, doit être relevé. Les communautés virtuelles et réelles dans lesquelles les jeunes évoluent sont de plus en plus des communautés d’identité, de ressemblance ; or en évoluant dans ce type de milieu fermé et homogène on ne se confronte pas à l’altérité, on finit même par ignorer qu’un autre point de vue est possible. Les associations qui interviennent dans les établissements scolaires pour travailler sur les préjugés et tenter de les déconstruire en dialoguant avec les élèves témoignent que la méconnaissance est souvent à l’origine des stéréotypes. »
« En définitive, la crise politique est déterminante, y compris dans la persistance de nos difficultés sociales et économiques. Sans projet collectif puissant, notre pays est soumis aux forces centrifuges du monde, aux intérêts divergents de groupes et d’individus. De fait la France est affaiblie. Nos institutions sont de plus en plus contestées, l’action publique bloquée, la morale citoyenne reléguée derrière l’esprit de communauté, de territoire, voire les valeurs consuméristes. Dans un jeu de faux-semblant, les références nationales, nos symboles, notre drapeau sont de plus en plus présents, alors même qu’au cœur de la société ce qui nous unit s’étiole et se déchire. »
« La crise française est une vieille connaissance. On en parle depuis tellement longtemps que chacun a fini par se lasser et par s’adapter de gré ou de force aux nouvelles réalités qui s’imposent. La déstructuration sociale a atteint un stade critique, mais surtout une double fracture territoriale s’est produite ces dernières années. D’abord dans les zones rurales où la fin de l’État providence, la rationalisation des politiques publiques et la désindustrialisation ont rompu un continuum républicain. Avoir 20 ans dans certains territoires c’est se sentir enfermé et sans perspective ; pour les plus âgés c’est attendre son tour, celui où tout s’effondre, où plus rien n’est comme avant. L’autre fracture c’est celle des banlieues des pôles urbains. Comment douter de leur « explosivité » ? Misère aux portes des richesses, déstructuration des forces sociales traditionnelles, concentration des populations étrangères ou des « minorités visibles »… »
« Dans une société d’abondance en termes d’offre culturelle commerciale, les notions d’éducation populaire, d’accès à la culture et aux savoirs, de citoyenneté de proximité ont pu paraitre désuètes et onéreuses. Ces dernières années les politiques publiques n’ont cessé de se désengager du secteur associatif. Cette évolution s’est traduite sur le terrain par l’assèchement des subventions au profit d’une logique d’appels d’offres. Le caractère souple et amateur des associations s’est heurté à l’accumulation de règlements et de normes comptables contraignantes, tant et si bien que peu de jeunes souhaitent continuer l’aventure. Les meilleures volontés se brisent sur le « mur administratif » français. »
« Cette crise du milieu associatif jeune a un impact très fort sur les organisations politiques républicaines. Le monde associatif est le principal « réservoir » de futurs cadres politiques et les organisations de jeunesse des formations politiques manquent aujourd’hui de militants et de dirigeants portant les aspirations des nouvelles générations. Des sections jeunes en dépérissement c’est aussi, à terme, un assèchement du vivier des futurs cadres des partis et élus de la République. »
(à suivre)