18 déc. 2015

UN CIMETIÈRE MARIN EN GASPÉSIE

A Cap Chat
Étrange cimetière découvert au hasard de mes pérégrinations en Gaspésie.
Sur un de ses côtés, la mer avec en contrepoint des bateaux qui, arrachés au flot, surélevés par des cales, sont autant de cadavres en attente d’une résurrection à venir… peut-être.
De l’autre, juché en haut d’un talus, une église surveille la dernière demeure de ceux qui ont dû jadis hanter ses bancs. 
En haut, un ciel chargé de gris qui, sans menacer d’un orage imminent, s’est habillé de la tristesse qui sied aux lieux.
En bas, une pelouse dont la qualité relève de celle d’un parcours de golf, à imaginer un joueur macabre qui jouerait de tombe en tombe.
Un peu partout des verticales peuplées de croix, d’anges et de statues qui miment les absents enfouis dans le sol. 
Il ne manque que des bancs pour permettre au passant de s’abandonner à la beauté mélancolique dégagée par l’ensemble… 
(Cap Chat, Québec, août 2014)

Mon blog va passer en pause jusqu'à début janvier. 
Intermède dû aux fêtes de fin d'année et aussi à la préparation de la parution de mon nouveau livre qui est programmée pour janvier. 
Je vous donnerai plus de détails sur son contenu en début d'année prochaine !

16 déc. 2015

L’ARROSEUR ARROSÉ

Quand une entreprise ne sait plus ce qu'elle fait…
Pour faire face à des concurrents à bas coût, la Direction Générale d’une compagnie aérienne a lancé un vaste plan de réduction des dépenses dans l’ensemble de l’entreprise. Une équipe ad-hoc est constituée.
Sont notamment revues toutes les dépenses dans l’aéroport principal. Un audit met en évidence que le nombre de personnes affectées à la réception des bagages est excessif, le calcul reposant sur le nombre total de bagages traités par jour. La décision de diminuer le nombre de bagagistes est prise et est rapidement mise en œuvre.
En parallèle, une autre partie de cette grande entreprise qui a en charge de développer les ventes en Asie, et singulièrement au Japon, décide de promouvoir dans ce même aéroport une logique de hub : des correspondances très rapides vont permettre à des voyageurs venant du Japon de transiter efficacement et repartir vers une destination quelconque en Europe. Le temps de correspondance visé est de 30 minutes.
Or les vols depuis le Japon sont effectués dans des Boeing 747 et l’arrivée de ces vols a lieu à l’heure de pointe de l’aéroport : il y a donc à ce moment-là un très grand nombre de bagages à traiter. Aussi, compte tenu de la diminution du nombre de bagagistes, le temps moyen pour traiter un bagage monte à 45 minutes : en effet, le calcul d’optimisation fait pour la réduction des coûts a raisonné en moyenne journalière et n’a pas tenu compte de l’effet de pointe.
Ainsi la juxtaposition des deux décisions, optimisation du traitement des bagages et mise en place du hub, a fait que la plupart des voyageurs venant du Japon repartaient vers leurs destinations finales sans leurs bagages !
Le coût direct lié au traitement de tous les bagages en retard (intervention manuelle hors processus, frais d’acheminement jusqu’au client final incluant des taxis, indemnités,…) a été nettement supérieur à l’économie faite par la réduction du nombre de bagagistes : une estimation rapide de ce surcoût l’a évalué à dix fois l’économie initiale.
Et ce sans parler des dégâts faits à l’image de la compagnie auprès des clients mécontents, dégâts toujours difficilement chiffrables : l’incident a été tellement important que l’entreprise a failli être déréférencée par toutes les agences de voyages japonaises.
 (Extrait du livre Neuromanagement)

14 déc. 2015

TOUT DÉPEND DE L’OBSERVATEUR

Radar ou jeu ?
Voilà un objet simple et sans discussion possible : ce qui se trouve sur la photo à gauche est un radar qui cherche à dissuader les voitures de dépasser la vitesse limite.
Oui bien sûr…
Et pourtant…
Hier soir, je marchais sur une petite route dans un commune de banlieue. Il était environ 22 heures et quasiment aucune voiture ne passait.
D’un seul coup, j’aperçus sur ma gauche un groupe d’adolescents.
L’un se détacha du groupe et se mit à courir sur la route sous les encouragements de ses camarades. 24 afficha le radar. Applaudissements. Un autre se mit à courir : 25 cette fois. Cris de joie.
Le radar n’était plus un objet pour les voitures mais un jeu qui mesurait leurs vitesses respectives et leur permettait d’essayer de se surpasser !
Comme quoi une interaction entre l’objet et l’observateur est toujours possible…
Comme quoi le réel n'existe pas a priori, mais peut émerger de l’interaction avec nous…
Je venais de retrouver là incidemment, au détour de cette route de banlieue, face à cette situation banale, le cœur de la réflexion de Francisco Varela (*) sur la relation entre observé et observateur : il est faux de penser que nous pouvons nous représenter un monde indépendant de nous ; nous le faisons émerger – nous l’enactons selon sa terminologie – au moment même de notre observation.
Pour la voiture, l’objet est un radar de surveillance. Pour les enfants, c’est un jeu…
(*) Voir notamment "L’Inscription Corporelle de l’esprit" de Francisco Varela, Evan Thompson et Eleanor Rosch (Seuil 1993)

11 déc. 2015

RÊVERIE

Faire le vide
S’asseoir et regarder.
Ou plutôt non, s’asseoir pour ne pas regarder. 
Juste être là, sans penser, ou du moins en essayant de ne pas penser. Juste ressentir ce qui est devant, de l’eau, des plantes, du bleu, du vert, du blanc. Mais non il n’y a ni eau, ni plantes, ni bleu, ni vert, ni blanc. Rien que de la matière brute.
Ou plutôt non, s’asseoir et ne pas regarder.
Il n’y a pas de « pour ». Être assis sans raison et sans but. Oublier le passé et le futur. Sortir du temps et n’être que dans un présent sans trajectoire. Sans histoire, sans préjugé, sans finalité. Ne plus rien savoir.
Ou plutôt non, ne pas être assis.
Il n’y a pas de banc et je n’ai pas de corps. La frontière entre le dehors et le dedans n’existe pas pour les molécules qui me transpercent. N’être plus qu’une portion du tout. Un morceau qui se trompe en se pensant.
(Rêverie vécue au Domaine Pine Grove dans le Nord du Québec en août 2014)

9 déc. 2015

TOUT FAIT EST LIÉ À UN OU DES RÉFÉRENTIELS EXPLICITES OU IMPLICITES

Où sont les faits ? (2)
Ludwig Wittgenstein dans Recherches Philosophiques, après avoir longuement expliqué pourquoi il est difficile d’être certain de quoi que ce soit et que rien n’est indépendant ni de celui qui fait l’observation, ni de celui qui la reçoit, conclut en écrivant : « Il serait étrange de dire : « La hauteur du mont Blanc dépend de la manière dont on le gravit. » ».
Ouf ! Il y aurait donc des faits absolus et certains, comme la hauteur du Mont Blanc qui est de 4807 m ou la date de la bataille de Marignan qui est 1515. Certes, certes…
Manque de chance, la hauteur du Mont Blanc n’est pas constante : en 2007, elle est de 4810,90 m ; en 2009 de 4810,45 ; en 2013, elle descend à 4810,02… et en 2015, la voilà qui n’est plus qu’à 4808,73 m. 
D’où viennent ses variations ? De l’épaisseur de la glace et de la quantité de neige qui le recouvre. Tiens, il y avait donc un élément de contexte oublié, celui de la présence de la glace et de la neige, et donc de la variation possible de leurs épaisseurs. 
Donc une fois, celles-ci connues, plus de problèmes ? Oui et non, car quand on parle de 4807 ou 4808 m, il s’agit d’une hauteur par rapport au niveau de la mer. Donc si le niveau de la mer monte ou baisse, le Mont Blanc va être plus ou moins haut. Pourtant le Mont Blanc reste le même, et si le fait « Mont Blanc » reste le même fait, sa hauteur change, car une hauteur n’a aucun sens dans l’absolu : elle doit toujours se mesurer par rapport à quelque chose, et, quand on dit que la hauteur du Mont Blanc est de 4807 m, on sous-entend par rapport au niveau de la mer. 
Il y a une autre hypothèse qui est elle explicite : c’est l’unité de mesure, le mètre. En miles, le nombre qui exprime la hauteur du Mont Blanc est beaucoup plus petit, et pourtant il n’a pas changé pour les Anglais…
Pour la bataille de Marignan, il y a aussi une référence, celle de la date de la naissance de Jésus-Christ : la bataille a eu lieu en 1515 après Jésus Christ. Là encore comme pour la référence au niveau de la mer, elle est évidente pour tout le monde, donc on ne pense pas à la préciser. Oui, mais si nous nous rendions compte que Jésus-Christ était né un an plus tard – il suffirait qu’il soit né avec une semaine de retard… –, alors on devrait dire Marignan 1514. Perturbant, non ? Même les dates ne sont pas des faits absolus…
Heureusement, il nous reste quelques certitudes intangibles comme 4+4 = 8. 
Eh non, car 4+4 peut aussi être égal à 13… en base 5 : derrière toute addition, il y a la référence implicite que le calcul est fait en base 10, c’est-à-dire que tout nombre s’exprime comme décomposé selon les puissances de 10 (ABC=Ax102+ Bx101+ Cx100…). Si j’exprime un nombre en base 5, la façon de l’écrire change, et 8 devient 13 (= 1x5 + 3x50). Tout cela est bien compliqué, surtout si l’on n’a pas fait beaucoup de mathématiques… c’est-à-dire si l’on ne maitrise pas le référentiel implicite.
Un peu désespérant, cette plongée dans les faits : on ne peut les analyser ni hors de leurs contextes, ni sans connaître leurs référentiels explicites et implicites. 
Pour paraphraser une chanson célèbre de Patrick Juvet, nous pourrions tous chanter : « Où sont les faits ? »

7 déc. 2015

TOUT FAIT EST DÉPENDANT DE SON CONTEXTE

Où sont les faits ? (1)
 « Sony vient de lancer un nouveau téléviseur ultra-plat. »
Levant la tête du dossier que j’étais en train de lire, je regardai le consultant qui venait de faire irruption dans mon bureau.
« Oui, et d’où tiens-tu cette information ?
- Je viens de le lire dans les Échos.
- Dans ce cas, la prochaine fois, dis-moi « je viens de lire dans les Échos que Sony lancerait un nouveau téléviseur », et non pas « Sony vient de lancer ». Ce n’est pas pareil. Et maintenant, va te renseigner pour savoir si l’information des Échos est exacte. »
Vous me trouvez trop pointilleux ? Peut-être et pourtant ce n’est pas la même information, le même « fait ». Quelle est la différence entre les deux expressions ? La définition du contexte dans lequel s’inscrit l’information, ici en l’occurrence un journal.
Dans son livre, Le spectateur émancipé, Jacques Rancière reprend le commentaire de Roland Barthes sur la photographie d'un jeune homme menotté (cf. photo jointe). Cette photo est celle de Lewis Payne, condamné à mort en 1865 pour tentative d'assassinat du secrétaire d'État américain. Il y est menotté dans la prison, peu de temps avant son exécution. 
Comment lire cette photo sans savoir de qui il s’agit, car avec ou sans ces éléments de contexte, elle n’est pas là-même : sans, on peut voir un jeune homme, au look plutôt contemporain, sombre et romantique ; avec, c’est celle d’un homme depuis longtemps disparu, pris au moment où il défiait la mort.
Un fait est indissociable de son contexte… ou plus exactement en est dépendant : le même « fait » mis dans un contexte différent, n’est plus le même fait. Un fait doit donc être défini non pas indépendamment du cadre dans lequel il existe, mais avec ce cadre. Ou autrement dit, sortir un fait de son contexte est dangereux, car le fait cesse d’en être un.
Dans son Abécédaire, à la lettre D comme Désir, Gilles Deleuze dit : « Vous parlez abstraitement du désir, car vous extrayez un objet supposé être l’objet de votre désir. (…) Je ne désire pas une femme, je désire aussi un paysage qui est enveloppé dans une femme. (…)  Elle ne désire pas telle robe, tel chemisier dans l’abstrait. Elle le désire dans tout un contexte, qui est un contexte de vie, qu’elle va organiser. (…) Je ne désire jamais quelque chose tout seul, je ne désire pas non plus un ensemble, je désire dans un ensemble. (…)  Il n’y a pas de désir qui ne coule dans un agencement. (…) Désirer, c’est construire un agencement. » (voir la vidéo ci-dessous)
Il en est des faits comme du désir, ils deviennent abstraits si on les extrait de leur contexte, si on ne les considère pas dans leur agencement.
Ciel, mais alors, les faits bruts n’existent pas !
(à suivre)

4 déc. 2015

FLASH BACK

Plaisir d’enfant
A Calcutta, à l’extrémité du Maïdan, la version locale et aplatie de Central Park, la reine Victoria trône. Déesse coloniale, elle surveille la foule des promeneurs, des sportifs, et des chevaux. Est-ce à cause de sa stature imposante et austère, que le calme règne ici ? L’effervescence et le désordre indiens s’effacent-ils à sa vue ?
Je m’engage dans une allée pour rejoindre un chemin de terre qui serpente entre des bosquets. Là, tapie dans l’ombre, à moitié cachée par une branche qui s’incline sur elle, dort une poupée de chiffon. Innocente, érodée par les pluies qu’elle a dû endurer, elle git. A qui a-t-elle bien pu appartenir ? Où est l’enfant qui l’a perdue ? 
Je viens de retrouver un doudou perdu. Pour un peu, je sucerais bien mon pouce, assis par terre, en la berçant dans mes bras. Et pourquoi pas après tout ? 
Je me laisse glisser sur le sol et pose ma main délicatement sur elle. Attention à ne pas appuyer : le coton est tellement usé que mes doigts passeraient au travers. Presque transparent. Sous ce voile, elle est nue. Si douce, si fragile. 
Je la prends, la dépose sur mes genoux et m’appuie contre le tronc d'un arbre voisin. L’endroit est calme et paisible, suffisamment reculé pour que les passants ne s’y aventurent pas. C’est d’ailleurs sans doute pour cela que la poupée est encore là. Je la caresse lentement, et ferme les yeux. 
Plaisir mélancolique et inattendu de retrouver des bribes de mon enfance.

2 déc. 2015

COMMENT COMPRENDRE ?

Ce n’est pas si simple…
Une question amusante me hante parfois : comment avons-nous pu comprendre que les enfants naissaient parce que nous avions fait l’amour ? Ce qui est évident pour nous aujourd’hui, ne l’est pas tant que cela. Mettez-vous un instant dans la peau d’un homme ou d’une femme au temps de la préhistoire : vous faites l’amour avec un ou une partenaire. Puis vous vaquez à vos occupations quotidiennes : un peu de chasse, un peu de bois pour le feu, quelques silex à tailler, une ou deux peintures rupestres. Les jours passent. Un jour, disons deux mois plus tard, vous voyez votre ventre ou celui de votre partenaire grossir. Et là, vous allez vous dire : « Mince, je n’aurai pas dû faire l’amour, il y a deux mois. Cela va faire encore une bouche de plus à nourrir. » ? Vraiment ? Pas si simple de relier deux évènements aussi distants et différents. Pourquoi l’un serait-il à l’origine de l’autre ?
Pourtant un jour, ce fut le cas : un jour, un homme ou une femme a fait le lien. Comment ? Mystère de la compréhension.
Autre pensée qui m’est chère et que j’emprunte à Ludwig Wittgenstein, philosophe clé du début du siècle précédent : « La vache mâche du fourrage, et sa bouse sert ensuite d’engrais à la rose, donc la rose a des dents dans la gueule de l'animal. Il ne serait pas absurde de le dire, car on ne sait pas de prime abord où chercher les dents de la rose. » (1). J’aime cette « démonstration » qui allie humour et raisonnement déviant : puisque la rose s’est nourrie grâce au fourrage, c’est bien qu’elle doit avoir des dents cachées, non ?
Autre raisonnement, toujours tiré de Wittgenstein : « Suppose qu'au lieu de dire à quelqu'un : “Apporte-moi le balai !”, tu lui dises : “Apporte-moi le manche du balai avec la brosse qui y est fixée !”. La réponse n’est-elle pas : “C'est le balai que tu veux ? Pourquoi donc t’exprimes-tu si bizarrement ?“ Comprendra-t-il mieux la phrase sous la forme plus analysée ? » (1).
Allez donc comprendre comment nous comprenons, avec tout cela !
(1) Recherches Philosophiques 1953

30 nov. 2015

ET LA SUITE ?

Le tsunami des technologies numériques (4)
Tout s’accélère. Qui aurait pu croire, encore récemment, que les processus de fabrication pourraient être remis en cause par des objets ne coûtant que quelques milliers d’euros ? Pourtant, plus personne aujourd’hui ne se risque à anticiper jusqu’où iront les conséquences du développement des imprimantes 3D. 
Ne vous laissez pas tromper par leur nom : elles n’ont rien à voir avec les imprimantes que nous connaissons tous. Elles s’apparentent davantage à des machines-outils personnelles, capables de produire localement toutes sortes d’objets. Comment ? C’est de plus en plus facile : vous cherchez sur internet le plan qui correspond à l’objet dont vous avez besoin, vous versez un peu de poudre de plastique ou d’un autre matériau, ceci en fonction des caractéristiques visées, et un peu plus tard, l’objet est là.
Que peut-on d’ores et déjà faire avec ? Par exemple, une pièce introuvable pour réparer une machine en panne, des objets de décoration personnalisés, une prothèse, une arme, et même la construction d’une maison à partir de briques de base. Les limites sont sans cesse repoussées : amélioration des imprimantes 3D, utilisation de nouveaux matériaux, abaissement des coûts, accélération des procédés, etc.
Quelles sont les limites de cette révolution qui commence ? Impossible de les définir. Va-t-elle remettre en cause une grande partie des processus de production ? Peut-être. Certains disent déjà : certainement. 
Son développement se couple avec celui d’ateliers de production communautaires, les « Fablabs » (contraction de « Fabrication laboratory » ou « Laboratoire de fabrication ») : chacun pourra demain y produire la pièce dont il a besoin sans avoir à investir dans une machine sophistiquée dont il n’a pas l’usage permanent. Un autre exemple de l’économie de partage dans laquelle nous entrons : logiciels libres ouverts, covoiturage, échange d’appartements, financement participatif ou crowdfunding, etc. 
Et les grandes entreprises s‘y intéressent aussi. Témoin, les annonces que viennent de faire les constructeurs aéronautiques : de General Electric à Safran, en passant par Rolls Royce, Boeing ou Airbus, tous commencent à intégrer l’impression 3D dans leurs processus de production. 
Autre univers en plein bouleversement : la santé. Elle est le nouveau graal dans lequel investissent des entreprises comme Google, Apple ou Facebook : objets connectés qui permettent en temps réel tant d’optimiser l’exercice quotidien, que d’assurer le suivi de patients à risque ; recherche sur l’allongement de la durée de la vie ; homme augmenté qui fait fondre les frontières entre humanité et robotique. Certains vont jusqu’à prédire que soit l’homme sera augmenté, soit il sera dépassé par ses propres créations. Les Hal 9000 de l’Odyssée de l’espace, robots d’Isaac Asimov, ou plus récemment Real Humans de la série suédoise arrivent. Imaginez aussi les conséquences d’une durée de la vie allant jusqu’à cent cinquante ans : explosion de la population humaine, cohabitation de trois générations supplémentaires. Difficile alors de débattre d’une retraite à soixante ou soixante-cinq ans !
Le changement ne fait que commencer…

27 nov. 2015

LIBRES ET SAUVAGES

Histoire de chiens
Chez nous, les chiens sont rangés, parqués, lissés. Pas des hommes bien sûr, mais plus vraiment des bêtes. Tellement loin des loups. Ils font partie de la famille, partent en vacances avec nous ou dans une colonie estivale, ont leurs produits diététiques et cosmétiques, leurs cliniques vétérinaires. Ils sont ordonnés. Pas de pagaille, pas d’aléas. Ils ne vont chercher la balle que si nous leur lançons, et ne la ramène qu’à celui qui l’a envoyée. Il ne manquerait plus qu’ils prennent l’initiative. Il n’y a que dans le sketch de Raymond Devos que le chien est le maître. Mais il faut dire qu’il parle. Alors…
Bref, nos chiens sont pris en charge. Et il y a une chose qu’ils ne font pas, c’est être ensemble : ai-je déjà vu un groupe de chiens sillonner les rues d’une quelconque ville ? Comme une bande de copains partis en goguette. Non. Ou dans un parc, un chien demander à son maître d’aller jouer un moment avec un camarade rencontré opinément ? Non plus. Snoopy, à part Charlie Brown et ses amis, n’a pour compagnon qu’un oiseau. Nos chiens vivent séparément les uns des autres, chacun dans sa niche, chacun avec son propriétaire.
A Darjeeling, c’est l’inverse. Aucun chien ne vit avec un humain. Il est avec les siens. Le jour, ils se tiennent cois, car ils savent qu’une pierre peut être lancée contre eux à tout moment. Aussi paressent-ils sur les toits des maisons, ou dans des terrains vagues, attendant sagement la nuit. Dès qu’il est passé onze heures du soir, plus aucune âme humaine n’est à l’extérieur. Alors la ville devient canine. En bandes rivales, ils sillonnent les rues à toute vitesse en aboyant. Chacune son territoire, et si jamais l’une s’aventure sur celui d’une autre, la bataille fait rage. Un remake de West side story version Himalaya.
Ce partage de la ville suivant l’heure de la journée est-il le fruit d’un pacte entre les hommes et les chiens ? Mais si tel est le cas, qui a pu mener la négociation, côté chien ? Ont-ils un chef de meute qu’ils auraient mandaté pour discuter avec les autorités locales ? Ont-ils fait valoir leur tranquillité diurne pour obtenir toute liberté la nuit ? Mais, pourquoi alors aboient-ils la nuit ? Pour rappeler aux hommes leur possession nocturne ? Pour se venger des pierres reçues dans la journée ? Allez savoir…
La nuit, debout contre la fenêtre, j’observe leurs folles cavalcades. Je me sens courant avec mes congénères, libre et puissant. Je suis sauvage, solidaire uniquement avec les miens, méfiant avec les autres. Jamais, je ne pourrais être chien en France. Jamais, je ne marcherai tenu en laisse. Jamais, je ne suivrai docilement les pas d’un qui ne serait pas mon égal. Jamais, je ne ramènerai une balle qui m’aurait été lancée. Jamais, je ne me ferai acheter par une gamelle toujours remplie ou par une niche douillette et confortable. Jamais quiconque ne décidera pour moi.