19 févr. 2009

LA MORT EST LE SYSTÈME LE PLUS PRODUCTIF

Si l'on cherche à minimiser au maximum les dépenses, le plus simple est de tout arrêter ! Mais est-ce bien ce que l'on veut in fine ?

Imaginons une démarche de productivité centrée sur le système commercial et qui a pour but de diminuer les coûts en supprimant ceux qui sont les moins productifs.

L'analyse commence classiquement par l'analyse des ventes par clients. On les classe ensuite en fonction du niveau atteint, et on tombe sur la règle quasi immuable des 80/20 : 80% des ventes sont réalisées avec 20% des clients.

Alors, ensuite, souvent, on s'intéresse aux clients les moins « importants » et l'on constate que les 5% derniers ne représentent qu'une part très faible des ventes (en règle générale, nettement moins de 1%). On met en regard le coût commercial, et on constate qu'ils ne sont pas rentables, c'est-à-dire que le coût est disproportionné par rapport aux ventes.

Alors on décide de les abandonner et de se concentrer sur les 95% de clients restants. Parfois, le même raisonnement est poussé plus loin et on va se concentrer sur 90, voire 80% des clients les plus « importants ».

6 mois plus tard, on mène la même étude et on obtient le même résultat : la « règle des 80/20 » s'applique toujours et les derniers clients représentent encore une part très faible des ventes. Que fait-on ? On se concentre à nouveau sur les 95% les plus importants, les 90%, les 80 % ?

Si on fait cela, on pourra ensuite refaire le calcul, et on retrouvera ces 80/20… C'est sans fin.

En effet le monde n'est pas structuré sous la forme de courbe gaussienne, mais selon une logique fractale : si je zoome à l'intérieur d'un sous-ensemble, la loi de distribution reste la même (voir sur ce point le développement très clair fait par Nassim Nicholas Taleb dans le Cygne Noir chapitre 15 « La courbe en cloche, cette grande escroquerie intellectuelle »).

Donc si l'on poursuit la logique de la productivité par la suppression des coûts les moins efficaces, on va par étapes vers le système le plus productif, le seul qui ne consomme aucune ressource inefficacement, en fait celui ne consomme plus de tout de ressources : la mort.

Oui, bien sûr, je simplifie et je caricature ! Mais dans mes 20 ans de pratique de consultant, j'ai croisé bon nombre d'entreprises qui, ayant suivi des démarches successives de productivité, avait entamé très fortement leur processus vital et leur capacité à se développer.

Que faut-il faire alors ?

Il ne s'agit pas de « jeter aux orties » toute approche de productivité et de réflexion sur l'adéquation entre moyens et résultats. Mais il faut la pondérer, avant tout décision, au travers de quelques questions « simples » :

  • Pourquoi fait-on aussi peu de chiffres d'affaires avec ces clients ? Que sait-on de ces clients ? Quelle énergie a-t-on consacré dans les 3 dernières années à développer ces ventes ? Si oui, quels ont été les résultats ? Si non, pourquoi n'a-t-on rien tenté ?
  • Y-a-t-il une valeur cachée, « inconsciente » dans cette relation commerciale ? Est-ce que le potentiel de ce client est réellement connu ou l'apprécie-t-on uniquement à partir de ce que l'on connait de ce client ? Ou autrement dit, est-il comme un iceberg dont on ignore en fait l'essentiel : achats chez les concurrents, produits/services substituables ? Ou peut-il servir de tests pour de nouveaux produits ? A-t-il un rôle de prescripteur ?…
  • Est-ce que l'on propose la bonne offre à ces clients ? Peut-on reconcevoir l'offre pour ces clients et diminuer drastiquement les coûts ? Peut-on sous-traiter la commercialisation ? Simplifier le produit ? Construire des offres packagées ?...

En fait, selon mon expérience, sauf exceptions, il n'a pas de clients non rentables, mais seulement des offres inadaptées !

11 commentaires:

Davy a dit…

Effectivement, avec des raisonnements extrêmes, on arrive à des conclusions extrêmes. Le bons sens est soi-disant la chose la mieux répartie au monde, mais alors pourquoi personne ne s'en sert ? Peut-être pour assurer le gagne-pain des consultants ?

Ceci dit, il m'arrive asssez fréquemment de semer des pièces de quelques centimes d'euro dans la rue, de sorte que des inconnus, n'ayant pas fourni le moindre effort spécifique, se voient gratifiés d'une sommme certes faible mais non nul.
De ce fait, ils ont réalisé une "transaction" qui leur apporte un profit "infini" (petite somme sur zéro effort = infini).

Le don n'a pas dans sens dans une société qui se débarasse des 20% les moins désirables. Et pourtant, telle la fleur de lotus qui pousse sur la vase, il peut naître du beau au milieu du laid.

Unknown a dit…

Les coûts fixes seraient-ils les pourfendeurs de cette belle histoire ?

Robert Branche a dit…

@Davy
Comme je suis lyonnais d'origine, comme il m'arrive encore de temps en temps de courir dans le parc de la tête d'or, comme le faire en moins de 15 mn n'est pas indispensable... je vais y chercher les pièces de qq centimes d'euros que vous y avez peut-être laissées ! :-)

Robert Branche a dit…

@Benjamin
Bonne question... mais est-on vraiment sûr qu'un cout fixe soit fixe et que les coûts variables soient variables ?... Tout ceci est souvent fait d'habitudes comptables que de vraies réflexions

Anonyme a dit…

Bonjour.

Effectivement c'est une question de coûts fixes versus coûts variables, ou plus précisément de coûts complets versus coûts incrémentaux.

Avant de décider de renoncer aux clients "non rentables" (ou fermer la filiale non rentable, cesser une ligne de produits...), il ne faut pas évaluer leur rentabilité en coûts complets (sinon, la fermeture ne fait que reporter les coûts de structure sur les autres clients). La question à se poser est : "quels coûts seront réellement impactés par ma décision ?".
Ce qui implique que ces coûts considérés soient :
_ d'une part futurs : il faut oublier le passé, sur lequel on ne peut plus rien_ sur ce sujet je peux vous donner de bons exemples si vous voulez_
_ d'autre part directement liés à la décision prise.

Robert Branche a dit…

@Guillaume Breton
Oui mais pas seulement.
La 1ère question à se poser est le niveau de connaissance que l'on a de ce client (notamment évalue-t-on correctement son potentiel ? A-t-on une compréhension de comment il utilise le produit et/ou service ? ...) et le degré d'adaptation de l'offre

Anonyme a dit…

Aucun paradoxe ici, et la morale de l'histoire n'est certainement pas le message tout mignon qu'il faut s'interesser a tous les clients.

Une entreprise s'interesse au profit total, pas a la rentabilite.

Oui, on peut etre plus rentable on se concentrant sur la partie la plus rentable des clients, mais dans ce cas on a un chiffre d'affaire plus petit et des benefices plus faibles.

Bref, la clef c'est la loi des rendements decroissants. Pas de quoi casser des briques ou repeindre pareto avec une couche de moraline.

Robert Branche a dit…

non ce n'est pas seulement la notion de "rendement croissant" (qui n'est pas tant que cela une vraie loi sinon les grandes entreprises gagnerait toujours) mais celle d'"iceberg client" : qu'est ce qui existe et qui n'est pas connu ? ....

Anonyme a dit…

La loi du rendement decroissant ne donne aucun avantage particulier aux grandes entreprises.

Matthieu a dit…

Bonjour, je ne suis pas dans le secteur commercial/produit/vente/client. Pourtant, dans mon domaine également se vérifie cette parabole: Pour produire moins cher, on produit avec moins d'agents en l'occurence. Avant-hier on produisait avec une équipe de quatre personnes. Hier c'était l'équipe n'en compte plus que trois. Aujourd'hui deux. Et demain?
Si je me souviens bien mes cours de physique... pour qu'un mécanisme fonctionne bien, il est indispensable qu'il y'ait "du jeu". Autrement dit, il faut qu'il y'a de la "moins productivité" par endroits.
La question est: à quel moment la mécanique va-t-elle se coincer, si l'on ne cesse de retirer des maillons de la chaîne?

Anonyme a dit…

Les bonnes vieilles pratiques de la mécanique ont été perdues : il faut du jeu et de la graisse sinon, tout grippe.