Patchwork issu de La méthode 6. Éthique d'Edgar Morin
Le vivant se nourrit de la mort
« Ainsi en est-il des écosystèmes qui « vivent la mort ». Ainsi en est-il de nous autres animaux, mammifères, primates, humains, qui vivons par régénération permanente de nos cellules et molécules à partir de leur mort et de leur destruction. Ainsi en est-il de nos sociétés qui se régénèrent en éduquant les générations nouvelles tandis que meurent les anciennes. « Vivre de mort, mourir de vie », avait énoncé Héraclite. »
« Le vie lutte cruellement contre la cruauté du monde et résiste avec cruauté à sa propre cruauté. Tout vivant tue et mange du vivant. Le cycle nourricier des écosystèmes (cycle trophique) est en même temps un cycle de mort pour les animaux et végétaux dévorés. La régulation écologique se paie par des hécatombes. La cruauté est le prix à payer pour la grande solidarité de la biosphère. La Nature est à la fois mère et marâtre. Tout vivant lutte contre la mort en intégrant la mort pour se régénérer (mort des cellules dans les organismes individuels remplacées par des cellules neuves, mort des vieillards dans les sociétés remplacés par les nouvelles générations). »
Qu'est-ce comprendre ?
« Nous sommes totalement responsables de nos paroles, de nos écrits, de nos actions, mais nous ne sommes pas responsables de leur interprétation ni de leurs conséquences. »
« Les idées nous manipulent plus que nous les manipulons. La possession par l'idée nous rend incompréhensifs de ceux qui sont possédés par d'autres idées que les nôtres et de ceux qui ne sont pas possédés par nos idées. »
« Comprendre, c'est comprendre les motivations intérieures, c'est situer dans le contexte et le complexe. Comprendre, ce n'est pas tout expliquer. La connaissance complexe reconnaît toujours un résidu inexplicable. Comprendre, ce n'est pas tout comprendre, c'est aussi reconnaître qu'il y a de l'incompréhensible. »
« Comprendre n'est pas innocenter, ni s'abstenir de juger, ni s'abstenir d'agir, c'est reconnaître que les auteurs de forfaits ou d'infamies sont aussi des êtres humains. N'oublions jamais le message de Robert Antelme : les SS veulent nous retrancher de l'espèce humaine, ils ne le pourront pas, mais nous-mêmes ne pouvons (ne devons) les retrancher de l'espèce humaine. »
« Conditionner le pardon au repentir, c'est perdre le sens profond du pardon qui est un pari sur l'humain. (…) Mais la confiance elle-même peut vaincre la méfiance. C'est pourquoi le pardon, acte de confiance en la nature humaine, est un pari. »
L'incertitude fait que l'on ne fait jamais réellement ce que l'on avait voulu
« Ainsi l'agir humain devient catastrophiquement imprévisible. « On déclenche des processus dont l'issue est imprévisible, de sorte que l'incertitude (…) devient la caractéristique essentielle des affaires humaines. » (Hannah Arendt) (…) Nulle action n'est donc assurée d'œuvrer dans le sens de son intention. »
« Les scientifiques partagent avec les autres citoyens une autre cause d'aveuglement éthique : c'est l'ignorance de l'écologie de l'action ; celle-ci, rappelons-le, enseigne que toute action humaine, dès qu'elle est entreprise, échappe à son initiateur et entre dans un jeu d'interactions multiples qui la détournent de son but et parfois lui donnent une destination contraire à son intention. Ceci est vrai en général pour les actions politiques, ceci est vrai aussi pour les actions scientifiques. »
« L'utopisme banal ignore les impossibilités. Le réalisme banal ignore les possibilités. Comme nous l'avons vu, le réalisme banal ignore que le réel est travaillé par des forces souterraines, au départ invisibles, qui tendent à la transformer. Il ignore l'incertitude du réel. (…) Le vrai réalisme se fonde sur l'incertitude du réel. (…) Comprendre l'incertitude du réel, savoir qu'il y a du possible encore invisible dans le réel. »
Le développement de l'incertitude en appelle à la reliance
« Plus nous sommes autonomes, plus nous devons assumer l'incertitude et l'inquiétude, plus nous avons besoin de reliance. Plus nous prenons conscience que nous sommes perdus dans l'univers et que nous sommes engagés dans une aventure inconnue, plus nous avons besoin d'être reliés à nos frères et sœurs de l'humanité. »
« Au niveau de la plus haute complexité humaine, la reliance ne peut être qu'amour. (…) L'humanité n'a pas souffert seulement d'insuffisance d'amour. Elle a produit des outrances d'amour qui se sont précipitées sur les dieux, les idoles et les idées, et sont revenus sur les humains, transmutées en intolérance et terreur. »
« Le plus difficile en période trouble n'est pas de faire son devoir, mais de le connaître. » (Rivarol)
« Les fragments d'humanité sont désormais en interdépendance, mais l'interdépendance ne crée pas la solidarité ; ils sont en communications, mais les communications techniques ou mercantiles ne créent pas la compréhension ; l'accumulation des informations ne crée pas la connaissance, et l'accumulation des connaissances ne crée pas la compréhension. »
« La pensée complexe est la pensée qui relie. L'éthique complexe est l'éthique de la reliance. La mission éthique peut se concentrer en un terme « relier ». Il faut, pour tous et pour chacun, pour la survie de l'humanité, reconnaître la nécessité de relier :
- Se relier aux nôtres,
- Se relier aux autres,
- Se relier à la Terre-Patrie »
1 commentaire:
La citation n'est pas de Rivarol, et elle est inexacte.
« Dans les crises politiques, le plus difficile pour un honnête homme n’est pas de faire son devoir, mais de le connaître. »
Louis de Bonald, « Pensées politiques », in : Œuvres complètes, t. III, Paris, Migne, 1859, col. 1392-1393.
Vérifiable ici (sur deux pages) :
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k23498r/f700.image
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k23498r/f701.image
Cordialement,
Philippe GUIDAL
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