31 mai 2010

LANGAGE, INTERPRÉTATION, COMMUNICATION ET DÉCISION

Comment passe-t-on de l'observation à la compréhension et à la décision ?

Je poursuis la présentation de la première partie de mon livre avec des extraits sur les langages qui sont d'abord le moyen par lequel nous structurons notre pensée, avant d'être celui par lequel nous tentons de communiquer, puis sur la décision.

« Le premier langage est celui de notre langue et de ses mots. Mais ce n'est pas le seul qui peuple notre cerveau : les mathématiques ou le jeu d'échecs sont aussi des langages. Là où le profane ne voit que des assemblages de lettres, de chiffres et de symboles, le mathématicien lit le problème et architecture des solutions ; là où le débutant ne voit que des pièces juxtaposées sur un échiquier, le joueur averti voit des configurations avec lesquels il va construire des stratégies.
Ainsi, avec nos langages, nous lisons la situation présente et l'enrichissons de notre expérience tirée de notre passé. De tout ceci, naissent nos interprétations, mélanges du passé recomposé, du présent perçu et du futur imaginé, toutes intimement liées à chaque individu car elles reposent d'abord sur l'histoire personnelle (tant dans sa partie réellement vécue que dans tout l'imaginaire associé), sur les déformations de la mémoire et sur l'analyse de la situation présente, sans parler de la perception que chacun peut avoir du futur. On n'est donc pas près de pouvoir modéliser et prévoir des interprétations individuelles !

Qu'en est-il de la communication entre individus ? Pour faire court, communiquer est un objectif impossible ! Vous êtes surpris par ma formulation, vous pensez que j'exagère… Je ne crois vraiment pas. Quand vous voulez exprimer quelque chose, quoi que ce soit, vous employez des mots qui correspondent, pour vous, au sens que vous voulez donner. Pour cela, vous vous référez à votre mémoire et à la compréhension que vous avez de ce que vous voulez dire. Celui qui reçoit votre message, l'interprète, lui, à partir de son histoire, son expérience et l'ensemble de ses ressorts émotionnels propres. Les deux sont, sauf en cas d'histoire commune longue et dense, structurellement différents. Comment arrivons-nous alors à communiquer ? Par l'existence d'usages et de règles collectives qui ont construit progressivement des sens communs. Par des ajustements progressifs et aussi beaucoup grâce à la communication non verbale : celle-ci ne passe plus par les mots, mais sollicite essentiellement les neurones miroirs qui nous permettent de « lire l'autre »

(…) Supposons d'abord que nous sommes face au cas le plus simple : je suis seul à décider. Dans ce cas limite et un peu théorique, nous savons donc répondre à la question « qui décide ? ». La réponse est moi. Certes, mais comme nous l'avons vu précédemment, ma décision va reposer sur une interprétation, interprétation fonction de ma mémoire, de mon histoire et de ma perception de la situation. Comme je ne peux pas penser en dehors de mes propres langages, je ne peux pas être conscient des présupposés qu'ils induisent. En ce sens, je ne peux donc pas vraiment comprendre comment je décide.

De plus, comme ma mémoire et mon histoire se recomposent sans cesse, mon identité change continûment et de façon imprévisible : je ne peux pas savoir qui je serai vraiment demain, du moins pas assez précisément pour en déduire ce que je déciderai. Ainsi ce « moi » qui décide est-il constamment en évolution : je ne sais plus vraiment qui j'étais car ma mémoire fluctue, je ne sais pas vraiment qui je serai car cela dépendra ce qui va m'arriver. »1


(1) Extraits des Mers de l'incertitude p.40-41et 44-45

4 commentaires:

Anonyme a dit…

bonjour, je crois que le mot comprendre est différent du mot interpréter.la divergence ou la confusion entre ces deux fonction peut entraîner des malentendus d'une part(incompréhensions) et des jugements (interprétations)d'autre part.

Robert Branche a dit…

Tout à fait les deux mots ne sont pas synonymes, mais, je les crois directement liés l'un à l'autre.
L'interprétation est le fait de chercher un sens à partir d'éléments d'information. Ceci passe par l'application d'un langage - au sens large, c'est-à-dire non pas nécessairement des mots -.
A partir de cette interprétation, on aboutit donc à un sens, cad à une compréhension.
Celle-ci n'est donc pas absolue, mais dépendante à la fois de ce que l'on observe, et du langage appliqué.
Il y a donc un lien direct entre "interpréter" et "comprendre"... sauf à supposer qu'il y aurait un sens absolu, une compréhension "idéale", ce que je ne crois pas...

Anonyme a dit…

de mon point de vue l'interprétation est une phase préliminaire de la compréhension(l'acquis).certes tout être vivant communique d'une façon ou d'une autre avec ses semblables sur la base d'un langage spécifique commun.ce langage n'est que le fruit d'un commun accord sur interprétations ou explications de certains phénomènes.Ce processus est une chaîne évolutive qui commence par: phénomène-interprétation-compréhension-communication.

Robert Branche a dit…

non précisément le langage et les interprétations ne sont pas seulement un enjeu en matière de communication, mais aussi de pensée individuelle : nous pensons au travers et avec nos langages... et seulement ensuite nous communiquons avec.