Agir conformément à l'incertitude
Nous cherchons trop souvent à mathématiser le monde et croyons que l'on peut y trouver la réponse à l'incertitude qui nous entoure. Il n'en est rien :
« Interrogé un jour sur les conséquences de la Révolution Française, Winston Churchill répondit qu'il était bien trop tôt pour se prononcer. Nassim Nicholas Taleb donne, lui, l'information suivante : « Au cours des cinquante ans qui viennent de s'écouler, les dix jours les plus extrêmes sur les marchés financiers représentent la moitié des bénéfices. Dix jours sur cinquante ans. Et pendant ce temps, nous nous noyons dans les bavardages. »1
Quand je pose la question aux différents dirigeants que je côtoie, pas un ne conteste que l'incertitude est omniprésente et se développe. Mais bon nombre sont « schizophrènes » : quand ils pensent et réfléchissent, ils acceptent l'incertitude ; quand ils agissent, ils font comme si l'on pouvait prévoir à moyen terme, voire au-delà.
Ainsi parfois, toutes les questions laissées en suspens lors de la constitution du plan stratégique, tous les aléas discutés lors de la constitution du scénario retenu sont vite oubliés, et les données chiffrées, qui n'étaient que des cadrages, se retrouvent reprises dans les documents budgétaires, et deviennent paroles d'évangile. Ou encore, pris par la pression de la rentabilité, on coupe toutes les actions qui ne sont pas en liaison avec des objectifs précis, identifiés et chiffrés, amputant d'autant la capacité à faire face aux aléas et imprévus…
Sommes-nous donc condamnés à cette schizophrénie ou peut-on faire le vide de quelques mauvaises habitudes ? (…)
Si un bagagiste ramasse en moyenne N bagages par heure, combien deux bagagistes en ramasseront-ils ? 2N ?
Oui, si l'on applique brutalement le calcul mathématique. C'est ce que l'on fait classiquement. Non, si l'on tient compte de ce que les hommes ne sont pas des objets théoriques dont on peut négliger le comportement.
Pourquoi considérer qu'ils ne peuvent pas se mettre à discuter ensemble ou, à l'inverse, profiter chacun de l'expertise de l'autre pour accroître leur rendement individuel ? Les hommes ne sont pas des objets que l'on peut additionner ou multiplier. Faut-il s'en plaindre ? »2
(1) Nassim Nicholas Taleb, Le Cygne Noir, p.354
(2) Extrait des Mers de l'incertitude p.100 et 103
2 commentaires:
Il me souvient un excellent professeur de physique (classe de seconde).
Lors de l'établissement d'un graphe aussi simple que celui de la fonction linéaire représentant l'élongation d'un ressort selon la force appliquée, ce professeur nous obligeait à illustrer le domaine de validité de la fonction en hachurant le graphe de tous côtés.
L'omission valait un zéro, même si tout le reste du devoir était exact.
Dans le même style, et avec la même punition, les résultats des calculs devaient comporter, au grand maximum trois chiffres significatifs: la règle à calcul était amplement suffisante! Par contre, un erreur sur l'ordre de grandeur (puissance de dix) entrainait immédiatement une note nulle.
Aujourd'hui, il est devenu facile de faire, sur nos écrans, des dessins d'objets dotés de tolérances et de finesses extrêmes (par exemple une piste de circuit imprimé de 0.01mm), mais la réalité au moment de la fabrication nous ramène vite sur terre.
Encore s'agit-il là de processus physiques, de travail sur des grandeurs mesurables avec des instruments de plus en plus précis.
Dans le domaine de la vie des entreprises les "matériaux de base"(...) sont plus mous, les domaines de validités plus flous, et les instruments de mesure...;
raison(s) de plus nous engageant à nous méfier des plans virtuels et surtout de leurs projections dans la vraie vie!
Richard
Il serait effectivement judicieux de reprendre ce qu'exigeait ce professeur de physique en s'obligeant à faire apparaître les limites de validité d'un calcul.
Je pense notamment à tous les résultats de sondages comme à toutes les prévisions...
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