Un fait est toujours lié à un ou des référentiels explicites ou implicites
Ludwig Wittgenstein dans Recherches Philosophiques, après avoir longuement expliqué pourquoi il est difficile d’être certain de quoi que ce soit et que rien n’est indépendant de celui qui fait l’observation et de celui qui la reçoit, conclut en écrivant : « Il serait étrange de dire : « La hauteur du mont Blanc dépend de la manière dont on le gravit. » ».
Ouf ! Il y aurait donc des faits absolus et certains… comme la hauteur du Mont Blanc qui est de 4807 m ou la date de la bataille de Marignan qui est 1515. Certes, certes…
Mais ne voilà-t-il pas que des géomètres expert nous annoncent une nouvelle hauteur de 4810,90 m. Il grandirait, car la glace y serait plus épaisse(1). Tiens, il y avait donc un élément de contexte oublié, un agencement, celui de la présence de la glace et donc de la variation possible de son épaisseur.
Donc une fois, la hauteur de la glace fixée, plus de problèmes ? Oui, mais quand on parle de 4807 m, il s’agit de 4807 m par rapport à quoi ? Par rapport au niveau de la mer. Donc si le niveau de la mer monte ou baisse, le Mont Blanc va être plus ou moins haut. Pourtant le Mont Blanc reste le même. Il n’y est pour rien si la mer monte ou descend – ou si peu ! –, donc le fait « Mont Blanc » reste le même fait. Par contre sa hauteur change, car une hauteur n’a aucun sens dans l’absolu. Elle doit toujours se mesurer par rapport à quelque chose. Donc, quand on dit que la hauteur du Mont Blanc est de 4807 m, on sous-entend par rapport au niveau de la mer.
Il y a une autre hypothèse qui est elle explicite : c’est l’unité de mesure, le mètre. Heureusement car en miles, le nombre qui exprime la hauteur du Mont Blanc est différent. Et pourtant le Mont Blanc n’est pas plus petit pour les anglais que pour les français ou les italiens…
Pour la bataille de Marignan, il y a aussi une référence, celle de la date de la naissance de Jésus Christ : la bataille a eu lieu en 1515 après Jésus Christ. Là encore comme pour la référence au niveau de la mer, elle est évidente pour tout le monde, donc on ne pense pas à la préciser. Oui, mais si nous nous rendions compte que Jésus Christ était né un an plus tard – il suffirait qu’il soit né avec une semaine de retard… –, alors on devrait dire Marignan 1514. Perturbant, non ? Même les dates ne sont plus des faits absolus…
Heureusement, il nous reste quelques certitudes intangibles comme 4+4 = 8.
Eh non, car 4+4 peut aussi être égal à 13… en base 5. Car derrière toute addition, il y a une référence implicite : le calcul est fait en base 10, c’est-à-dire que tout nombre s’exprime comme décomposé selon les puissances de 10 (ABC=Ax102+ Bx101+ Cx100…). Si maintenant j’exprime un nombre en base 5, la façon de l’écrire change et 8 devient 13 (= 1x5 + 3x50).
Tout cela est bien compliqué, surtout si l’on n’a pas fait beaucoup de mathématiques… c’est-à-dire si l’on ne maitrise pas le référentiel implicite.
Un peu désespérant, cette plongée dans les faits : plus j’avance, plus les faits m’échappent. Trier entre faits et opinions(2), ne pas analyser un fait hors de son contexte(3), et maintenant connaître les référentiels explicites et implicites.
Est-ce tout, cette fois ? Mais, peut-on parler d’un fait sans l’inscrire dans le temps, c’est-à-dire le mouvement ?
(à suivre)
(2) Voir « Merci de ne pas confondre les faits et les opinions »
(3) Voir « Les faits bruts n’existent pas ! »
4 commentaires:
1515 MARIGNAN ? Rien n’est moins sûr
J’aime bien votre article et j’ai envie d’y rajouter un brin de complication.
En fait, il n’y a jamais eu d’année 0 et l’on attribue, à l’année de naissance du Christ, l’année 1. Cela vient du fait que les calendriers sont considérés comme un système de comptage, qui commence donc à 1, au lieu d'un système de mesure, qui commencerait à 0. C’est la raison pour laquelle les astronomes définissent une année 0 qui correspond à l’année -1 des historiens.
La bataille de Marignan s’est donc déroulée 1514 années après la naissance du Christ, que l’on note 1514 après JC, qui correspond à l’année 1515 de notre calendrier.
Mais au fait de quel calendrier ?
Le calendrier que nous utilisons est le calendrier Grégorien mis en place en 1582. Il fait suite au calendrier Julien qui enregistrait un retard de 10 jours sur l’année solaire du fait d’une mauvaise distribution des années bissextiles. C’est ainsi que lors de l’instauration du calendrier Grégorien, le jeudi 4 octobre 1582 fut suivi du vendredi 15 octobre pour compenser ce décalage accumulé au fil des siècles. (Les accouchements ayant eu lieu dans la nuit du jeudi 4 octobre au vendredi 15 octobre sont donc les plus longs jamais enregistrés !!)
Mais alors qu’en est-il de la bataille de Marignan dont on nous dit dans tous les livres d’histoire qu’elle a eu lieu les 13 et 14 septembre 1515 ? Quel est le référentiel utilisé ?
En fait, le calendrier Grégorien n’est jamais utilisé de façon rétroactive aux évènements antérieurs au 15 octobre 1582. La bataille de Marignan s’est donc déroulée les 13 et 14 septembre 1515 du calendrier Julien c'est-à-dire les 23 et 24 septembre 1515 du calendrier Grégorien, c'est-à-dire en 1514 après JC !!!!!
Bon je vais m’arrêter là et ne pas rajouter la problématique qu’introduisent les historiens en attribuant en fait l’année de naissance du Christ à -4 avant lui-même (sourire).
Philippe MULARSKI
http://blogdedaf.blogspot.com/
Merci pour cet ajout !
Il va falloir d'urgence que je sois plus précis dans ma façon de dater mes articles...
Avec tout mon respect, je dois avouer que votre article me laisse circonspect. En effet, le paradigme d'incertitude est inhérent à toute observation conçue en tant que système (relation projetée par le sujet observateur sur l'objet observé), d'où la précision nécessaire d'observation systémique. Ce principe d'incertitude, antérieur à Wittgenstein (cf C. Bernard) est repris dans toute la littérature systémique (Bertanlaffy, JL Le Moigne, E. Morin, etc): la hauteur du Mt Blanc ou la date de Marignan n'ont qu'un rapport très lointain, me semble-t-il, avec l'objet évoqué : mais chacun est libre de l'observer à sa guise pour en analyser son reflet ...
jacques
Effectivement l'incertitude est inhérente à toute observation. Elle est même inhérente au développement de notre monde, et singulièrement de la vie (elle est un des moteurs de la vie).
Le propos de ce billet était autre. Il était simplement d'alerter sur l'existence constante de référentiels cachés derrière tout énoncé, même les plus simples.
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