Il n’y a pas de présent… (texte écrit cet été dans un avion entre Paris et Bangkok)
A nouveau entre-deux, parti, ailleurs, perdu quelque part entre ce futur que j’ai rêvé – même si je clame que l’on ne doit pas prévoir ce qui va advenir, comment résister à l’inévitable projection ? – et ce passé rapproché, celui qui était encore mon présent, il y a si peu.
Souvenir de ce texte sur le présent impossible, sur l’absurdité de vouloir se centrer sur lui, ou même penser ce qui n’a pas d’existence, encore moins que du sable qui s’échapperait entre mes mains. Le sable, lui au moins, il a un grain que je peux tenir entre deux doigts. Quel était ce texte déjà qui parlait de cette tranche de temps, un morceau de notre passé immédiat et un autre de notre futur rapproché, cette tranche qui était notre présent, celui que nous pouvions toucher, manipuler, un pont glissant entre passé et présent ? Un texte de Bergson, je crois. Impossible de compulser mes archives, suspendu comme je suis dans les airs. Mes livres sont loin de moi, inaccessibles.
Tranche de présent donc, un bout de mon passé, un bout de mon futur, tous deux dans l’immédiat, ce que je quitte sans cesse, ce que je rattrape sans cesse. Cette tranche glisse dans les airs, elle est coupée du reste de ma vie, elle est sans attaches.
Un autre souvenir me revient, un autre texte, celui d’une nouvelle sur le temps et sa non-continuité. A nouveau impossible d’être sûr de l’auteur. Probablement Borges, mais pas certain à cent pour cent… Un chercheur a mis au point une machine à se déplacer dans le temps et veut l’essayer avec son meilleur ami. Celui-ci au début refuse, invoquant Dieu, parlant d’un crime contre l’ordre des choses. Finalement, il accepte, la machine est mise en route, et une fois le saut effectué, ils se retrouvent tous deux dans le noir absolu. Un vide absolu, plutôt, car la notion même d’absence de couleur serait abusive. Ils cherchent à comprendre ce qui s’est passé. Petit à petit, ils ont de plus en plus de mal à se déplacer. Au dernier moment, – mais la notion de moment n’a pas grand sens alors –, juste avant de s’immobiliser complètement, le savant comprend que le temps n’est pas un continuum, et qu’ils se sont arrêtés entre deux particules du temps. S’ils ont continué à bouger, ce n’est qu’à cause d’une forme d’inertie temporelle : emportés par leur mouvement, ils ne se sont pas arrêtés immédiatement. Existent-ils ensuite ? Peut-on exister entre deux particules du temps ? Peut-on être géographiquement localisés, sans l’être temporellement ?
N’est-ce pas le même risque que je cours dans cet avion ? Suis-je encore vivant dans cet ailleurs dans les airs ? Ne suis-je pas, avec tous ceux qui m’accompagnent, tombé entre deux particules du monde ?
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