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21 août 2012

TU NE POUSSERAS PLUS À L’ANOREXIE

BEST OF (13 février 2012)
Un autre des commandements de la « Table de la loi » de l’incertitude
Extrait des Mers de l’incertitude
Quand on évalue, on mesure la productivité. Classiquement, on met en regard les dépenses allouées et les résultats obtenus. On se pose ensuite la question de l’efficacité, et notamment celle de la diminution des coûts en supprimant ceux qui sont les moins productifs.
Ceci présente deux risques majeurs qui, l’un comme l’autre, peuvent emmener l’entreprise sur la mauvaise pente.
D’abord la mort comme résultat ultime de la règle magique des 80/20 : quoi que j’observe, je vais constater que 80 % du résultat est obtenu avec 20 % des efforts faits, et si l’on zoome sur les efforts les moins efficaces, on constate que les derniers 5 % ont un impact très faible1. Alors, arrive la question inévitable : pourquoi l’entreprise ne supprime-t-elle pas ces efforts qui ne sont pas rentables ? Imaginons maintenant que l’entreprise, suite à cette étude, arrête effectivement ces efforts. Un an plus tard, la même étude est menée, et identifie à nouveau 5 % d’efforts « inefficaces », car la loi des 80/20 continue à s’appliquer. Que fait-on ? Coupe-t-on aussi ces efforts-là ? Si oui, il n’y a aucune raison que cela s’arrête, et, on va par étapes vers le système le plus productif, le seul qui ne consomme aucune ressource inefficacement, en fait celui qui ne consomme plus du tout de ressources : la mort. C’est ce que l’on appelle aussi le « syndrome du wagon de queue » : quoi que l’on fasse, il y en aura toujours un… même si on enlève celui qui l’est actuellement. Oui, bien sûr, je simplifie et je caricature. Mais, au cours de mes vingt ans de pratique de consultant, j’ai croisé bon nombre d’entreprises qui, ayant suivi des démarches successives simplistes de productivité, avaient entamé très fortement leur processus vital et leur capacité à se développer.
Ensuite, la rigidité comme résultat de la cure d’amaigrissement : par construction, une approche classique de mesure de la productivité ne peut prendre en compte que ce qui est déjà identifié. Elle va considérer comme non productif tout ce qui ne peut pas être relié à un bénéfice connu. Or, en milieu incertain, comme je l’ai indiqué à plusieurs reprises, la survie à long terme d’une entreprise va dépendre de l’existence de ressources disponibles, de redondances et d’un flou dans les systèmes.
Aussi l’application brutale et sans discernement d’une démarche de productivité va conduire à supprimer tout ce flou et rendre l’entreprise cassante : elle est tellement tendue qu’elle ne pourra plus s’adapter. Tout est mis en ordre, il n’y a plus de désordre, et donc plus de capacité à s’adapter à un changement de l’écosystème dans lequel vit l’entreprise. Ainsi ceci peut conduire à l’anorexie, anorexie qui est une maladie, et non pas le témoin d’une performance future : l’anorexie conduit au temps de dinosaures, ces méga-entreprises vulnérables au moindre changement climatique.

7 août 2012

QUI ARRÊTERA L’HÉMORRAGIE FINANCIÈRE DES PME AU PROFIT DE LA DISTRIBUTION, DES BANQUES ET DES GRANDES ENTREPRISES ?

BEST OF (30 janvier 2012)
Tant que le transfert de propriété aura lieu à la livraison, et non pas au paiement, nous n’aurons pas d’entreprises moyennes
En octobre 2011, dans un article intitulé Faut-il que les PME financent les grandes entreprises ?, je faisais part de mon scepticisme sur les plans en faveur des PME, ayant l’impression depuis trente ans d’entendre la même ritournelle. Pourquoi celle-là serait-elle la bonne ?
J’insistais aussi sur ce qui me semblait la réelle origine du problème, à savoir le crédit inter-entreprises, et en le reliant aux modalités du transfert de propriété. Les commentaires provoqués et diverses discussions m’amènent à revenir dessus et à préciser mon propos.
Tout d’abord, rappelons nous que le problème français n’est pas d’abord la création d’entreprises et le manque de petites entreprises, mais son déficit en entreprises moyennes. Pourquoi ce déficit est-il source d’un manque de compétitivité très importante ? Je vois trois raisons essentielles :
-        Les entreprises moyennes sont celles qui sont capables d’avoir des positions de leadership au plan mondial. La démonstration en est faite par l’Allemagne, dont les performances de la balance commerciale reposent largement sur son tissu d’entreprises moyennes.
-        Elles sont à même de mieux structurer l’innovation et d’assurer comme une courroie de transmission entre petites et grandes entreprises.
-        Le déficit en entreprises moyennes empêche le bon renouvellement des grandes entreprises françaises, et freine la respiration de notre économie. En effet, aucune entreprise ne peut devenir « grande » sans passer par la case « moyenne » !
Voilà donc pourquoi la priorité devrait être donnée au développement d’entreprises moyennes.
De ce point de vue, les mesures en faveur des PME que vient d’annoncer François Hollande et qui modulent l’impôt en fonction de la taille, en donnant la priorité aux plus petites, passent à côté du sujet…
Pourquoi maintenant le crédit inter-entreprises, et les modalités du transfert de propriété sont-ils l’origine du problème.
Je rappelle que :
-        Dans le droit latin, le transfert est effectué à la livraison. L’acheteur n’est donc pas juridiquement contraint à le payer, avant de le transformer ou le revendre. Le délai de paiement est issu du rapport de forces entre l’acheteur et le fournisseur. Aussi dès que l’acheteur est une grande entreprise, le rapport de forces lui étant favorable, le délai de paiement se rallonge.
-        Dans le droit anglo-saxon, le transfert de propriété n’est pas effectué à la livraison, mais au paiement. Aussi, si une entreprise veut transformer un bien en l’intégrant dans son processus de production, ou le revendre à un client, elle ne peut le faire qu'après l’avoir effectivement payé. D’où le développement du paiement comptant, ou quasi comptant.
Au vu de l’allongement des délais de paiement, on a en France cherché à compenser ceci d’abord par l’institution d’une clause de réserve de propriété, puis par une loi d’août 2008 disant qu’aucun délai de paiement ne doit être supérieur à 45 ou 60 jours.
Mais, tout ceci reste de portée limitée, car comme c’est à la PME de, soit imposer la présence d’une clause de réserve de propriété dans le contrat, soit de se retourner contre son client en cas de retard de paiement, elle ne le fait que si le rapport de force lui est favorable… c’est-à-dire jamais ou presque.
Quelles sont les conséquences de ces délais de paiement ?
Calculons l’effet de 30 jours supplémentaires. Tout délai supplémentaire d’un mois représente un besoin de trésorerie de un douzième du chiffre d’affaires, soit environ 8%. Pour une entreprise en croissance rapide, disons une croissance de 30%, ce mois supplémentaire représente plus de 10% du chiffre d’affaires de l’année passée. Pour financer ce besoin en trésorerie, le dirigeant va devoir se retourner vers sa banque, pour avoir un prêt court terme. Pour cela, la banque lui demandera des garanties personnelles, et le taux annuel sera supérieur à 5%, et souvent proche de 10%.
Donc 30 jours supplémentaires se traduisent pour une PME en forte croissance dans un surcoût de l’ordre de 1%. Comme l’écart avec les entreprises allemandes est souvent de 60 jours de délai de paiement, le surcoût est de 2%. Toute PME en croissance rapide doit donc consacrer souvent 2% de son chiffre d’affaires de l’année passée, juste pour financer son besoin de trésorerie. Il lui faut donc des niveaux de profit exceptionnels pour pouvoir grandir et financer tout le reste !
Il y a plus. Comme la banque demande des garanties personnelles, le dirigeant ne pourra plus les apporter dès que la taille de son entreprise deviendra plus grande, car son patrimoine, sauf exception, sera trop petit face au besoin de financement. Ceci bloque donc le développement au-delà d'une certaine taille. Faudrait-il que les banques ne demandent plus de telles garanties, et ne financent qu’au vu du projet ? Au moment où l’on veut diminuer les risques pris par les banques et que l’on veut limiter leurs activités spéculatives, je ne suis pas certain que ce soit la meilleure voie.
Ne serait-il pas plus simple de modifier notre droit, et nous aligner sur le droit allemand, en faisant que la règle soit le transfert de propriété au paiement.
Mais il est vrai que tout ceci mettrait à mal toute la grande distribution et bon nombre de grandes entreprises...
Alors arrêtons de nous lamenter sur le manque d’entreprises moyennes, notre déficit commercial et la dégradation de l’emploi.
A moins que les élections à venir soient l’occasion de traiter les problèmes, et non plus les symptômes…

25 avr. 2012

PARRAINER UNE ENTREPRISE ET PAS SEULEMENT UNE VACHE

Une façon de concrètement aider à la relance du produire en France
Un couple d’éleveurs situé dans le Mercantour a inventé le parrainage de ses vaches, un moyen pour eux de financer le développement de leur exploitation, en évitant de passer sous les fourches caudines du système bancaire.
Quel est l’intérêt pour les 36 particuliers qui ont déjà investi dans cette exploitation ?
D’abord la rentabilité, puisque le placement financier leur est rémunéré à hauteur de 10%, sans frais, ni condition de souscription. Une contrainte toutefois, les remboursements se font en lait, yaourts, faisselles, tommes de vache ou crottins de chèvre.
Ensuite, et peut-être surtout, la participation à la revitalisation de l’économie montagnarde, et d’être associé à la vie de cette exploitation originale : une fois par an, un repas réunit tous les parrains à la ferme. On peut aussi prendre des nouvelles de "sa" vache, et choisir de parrainer Auréole plutôt que Sariette, Odette ou Violette.
Voilà un bel exemple de mobilisation en faveur du développement local et du produire en France.
Ne pourrait-on pas s’en inspirer pour redynamiser réellement et concrètement le produire en France ? Pourquoi ne pas parrainer ici une machine-outil, un palettiseur ou une nouvelle fourgonnette, là l’agrandissement d’un atelier, le financement d’un développement commercial ou d’une campagne marketing ?
Pourquoi ce qui est vrai pour une vache ne le serait pas pour une entreprise ?
Ce serait finalement développer ce qui commence à exister autour des start-up via les différents clubs de business angels, en direction du développement d’entreprises existantes.
Une façon aussi de faire que l’idée d’un label France lancée par François Bayrou à l’occasion des élections, ne tombe pas dans les oubliettes de l’histoire…


10 avr. 2012

LA SCHIZOPHRÉNIE DES DIRIGEANTS : PRÉDATION OU COOPÉRATION ?

Comment prôner le contraire de ce que l’on fait et est ?
Aller plus vite que le concurrent, sortir le meilleur produit, mieux protéger ses innovations contre les agressions de la compétition, savoir débaucher un cadre clé pour se renforcer et en même temps affaiblir l’autre… L’art du management est peuplé de ces histoires guerrières où il s’agit de se battre contre le reste du monde et d’en ressortir gagnant.
Le dirigeant, lui-même, pour arriver au sommet, a dû écarter bien des prétendants. Souvent, il lui a fallu « tuer » certains qui étaient entrés dans l’entreprise en même temps que lui, des alter ego, des « frères » devenus gênants et encombrants. Peu de place est laissée à la coopération et à l’entraide dans la conquête du pouvoir.
D’ailleurs, se sont développés ces dernières années des liens entre les écoles de management, et les écoles militaires. On voit ainsi de futurs managers s’initier au combat rapproché et aux différentes techniques guerrières. (1)
Bref, la plupart des dirigeants ont été dressés à être des prédateurs pour leur entreprise et pour eux-mêmes.
Or simultanément, se développe un discours en faveur de la coopération, de l’échange et de la confiance dans les entreprises. Le monde est devenu trop complexe, trop changeant, trop incertain pour que la performance repose l’individualisme. On en appelle à l’esprit du rugby, du pack, du collectif, versus l’esprit du football, du génie individuel, de l’égoïsme.
Ces dirigeants prédateurs se retrouvent ainsi à donner des leçons à l’attention de leurs collaborateurs pour mieux travailler ensemble, savoir tirer parti des énergies collectives, partager les informations et ne pas les accaparer.
Dangereuse schizophrénie qui décrédibilise leurs discours et leurs actes, et devrait, pour ceux qui ont gardé l’âme de leurs débuts, les amener à réfléchir…
Comment en effet recommander le contraire de ce que l’on fait soi-même ? Comment imaginer que l’entreprise deviendra un lieu de l’échange et de l’épanouissement si le modèle donné au sommet est celui du mercenariat et de l’individualisme ?
Ces situations de « déchirés » ne sont jamais durables. Repensez donc à Chimène qui, dans le Cid, aime Rodrigue qui vient de tuer son père. L’histoire finit mal…

21 mars 2012

COMMENT PASSER AU MANAGEMENT PAR ÉMERGENCE

Le management par émergence – Synthèse 2
Impossible d’entrer ici en détail dans la mise en œuvre effective du management par émergence. Je vais me centrer sur les trois erreurs majeures à éviter, puis donner ensuite des lignes principales d’action.
1. Les trois erreurs à éviter
• Ne pas confondre changement et transformation
Contrairement à l’idée reçue, je suis convaincu que moins on change, mieux on se porte : la performance est dans la constance et la permanence, qui, seules, peuvent permettre de construire un avantage concurrentiel durable et réel. En effet l’excès de réactivité conduit au zapping et à la destruction de valeur.
La transformation est, elle, une adaptation lente et continue. Elle est respectueuse du temps et de l’histoire, ne crée pas de ruptures. Elle forme et déforme, comme le flux d’un fleuve.
• Ne pas avoir un plan d’ensemble rigide et défini
Comme tout est incertain, et que l’objectif est de manager par émergence, nul ne peut prétendre connaître seul ce qui doit être fait, et tout dessin précis serait contre-productif.
Il ne faut surtout pas concevoir l’organisation comme un jardin à la française, avec de grandes perspectives uniformes, mais au contraire comme un jardin à l’anglaise.  Laissons les pas dessiner le chemin, et la solution finale émerger.
• Ne pas croire que le résultat sera obtenu rapidement
Ce ne sont pas seulement des organigrammes qu’il faut redéfinir, des métiers redécouper, des sociétés fusionner. Ce sont surtout des habitudes et des comportements qu’il faut modifier.
Aussi, dans une grande entreprise, est-il illusoire de penser qu’une transformation réelle prendra moins de trois ans. En-deçà, on n’obtient que des résultats apparents et de surface.
2. Agir un peu, localement, patiemment
Comment donc transformer une entreprise, et lui permettre de mettre en œuvre les six points qui conditionnent une émergence efficace ?
Ma recommandation est de prendre le contre-pied des trois erreurs : ne rien changer, ne pas avoir de plan d’ensemble et prendre son temps. Étonnant, non ?
• Ne rien changer
Ne pas lancer une grande mobilisation générale, ni dire que le passé est révolu et que l’entreprise doit changer. N’entreprendre rien de spectaculaire, mais viser une transformation de l’intérieur, qui, au début, sera invisible et se propagera. Ce ne sera qu’in fine, que l’on fera constater que, oui, tous se sont transformés, et qu’en ce sens, tous ont changé, mais en profondeur.
• Pas de plan d’ensemble
Multiplier des chantiers locaux, sans lien entre eux, et les laisser se propager. C’est cette propagation qui les fera progressivement se rejoindre, et dessinera, au bout de quelques mois ou années, un schéma d’ensemble, schéma qui n’aura pas été conçu a priori, mais aura émergé.
• Pas de précipitation
Savoir que les premiers résultats seront lents à obtenir, et que le processus prendra de l’énergie au fur et à mesure de sa diffusion, et de l’apparition de connexions entre les chantiers. La transformation aboutira progressivement à des résultats visibles, et le processus lancé continuera durablement à porter ses effets.
3. Faire comme on peut, partout et en même temps
Comment alors concrètement lancer ces chantiers ? Comme on peut ! Ou encore agir effectivement un peu, localement, patiemment, mais aussi partout en même temps et sur les six points.
Prenons l’exemple du premier point, à savoir le lien entre mer et action. La démarche est de repérer des lieux qui sont plus favorables : un manager local qui a une compréhension profonde et fine de la stratégie ; des équipes qui trouvent qu’elles mènent trop d’actions, sans comprendre à quoi elles servent; une nouvelle acquisition qu’il faut rattacher au reste de l’entreprise…
C’est ce même raisonnement qu’il faut suivre pour chaque thème : choisir la voie de la facilité, c’est-à-dire ce qui sera le plus naturel à cet endroit-là. L’objectif est que, d’une façon ou d’une autre, chacun participe, même modestement, à, au moins, un chantier.
Il n’y a pas de recette, car il n’y a pas, par construction, de plan type : c’est à chaque dirigeant, en fonction de l’histoire et de la culture de l’entreprise, de trouver comment agir. Ne pas oublier simplement de se doter d’une équipe qui sera une ressource pour chacun, diffusera progressivement ce qui est entrepris localement, et les reliera.
*
* *
Au terme de cette transformation, chacun dans l’entreprise sera dynamiquement relié à la mer visée et aux autres, aux aguets vis-à-vis de l’imprévu et en appui sur ses forces immédiates, riche de ses degrés de liberté et soucieux du bon rythme.
Alors, oui, la performance collective émergera, et l’incertitude sera réellement vécue comme source d’espoir et de vitalité créative.

20 mars 2012

COMMENT PERMETTRE L’ÉMERGENCE DE DÉCISIONS QUOTIDIENNES EFFICACES

Le management par émergence – Synthèse 1
Ces derniers jours, j’ai diffusé sur mon blog une série d’articles sur le management par émergence. Pour ceux qui n’ont pas pu lire cette série, et ceux qui veulent en avoir une vision plus synthétique, je reprends tous ces éléments en les condensant en deux articles. Aujourd’hui après un rappel rapide du pourquoi les dirigeants décident moins qu’ils ne croient, je dresse le tableau des six leviers de l’émergence efficace. Dans un deuxième article, je reviendrai sur la façon de passer effectivement au management par émergence.
LES DIRIGEANTS DÉCIDENT MOINS QU’ILS NE LE CROIENT
Tout dirigeant curieux qui se penche sur le processus de prise de décision, est pris d’un double vertige :
  • Vers l’intérieur de l’entreprise : partout, dans les bureaux, réunions, et coups de téléphone, des décisions sont prises quotidiennement sans qu’il ne le sache. L’entreprise, comme tout organisme vivant, respire et avance… et heureusement !
  • Vers lui-même : ses réelles motivations lui sont souvent inconnues. Les raisonnements qu’il construit ne le sont le plus souvent qu’a posteriori, pour expliquer ou justifier une décision qu’il a déjà prise.
Double vertige face à l’émergence de la décision qui naît, plus qu’elle n’est voulue…
Alors, faut-il laisser faire ? Évidemment non, car, spontanément, ces émergences, loin de construire une entreprise forte et résiliente, vont la désagréger aux hasards des initiatives prises.
Comment faire alors ?
D’abord, comme je l’expliquais dans mon précédent article « Réfléchir à partir du futur pour se diriger dans l’incertitude », en trouvant un point fixe à long terme, une « mer » qui fédérera durablement les efforts individuels. C’est en effet possible, car, derrière les mouvements erratiques, il existe des attracteurs qui, à l’instar des mers pour les fleuves, structurent les évolutions à long terme. A condition de penser à partir du futur, d’y repérer ce qui est accessible à l’entreprise, et d’identifier des actes immédiats pertinents.
Mais viser la bonne mer n’est que le préalable : comment permettre l’émergence de décisions quotidiennes efficaces ?
Avant d’en venir aux six leviers que j’ai identifiés, une précision : ce qui suit ne s’applique qu’aux entreprises qui, tout en étant ballottées par les vagues de l’incertitude, ne sont pas en train de sombrer à court terme. Elles disposent du temps et de l’énergie nécessaires pour entreprendre une action de fonds, action dont l’objectif est de précisément leur éviter de se retrouver un jour en situation d’urgence…


LES SIX LEVIERS DE L’ÉMERGENCE EFFICACE
1. Relier mer visée et action individuelle : Être compris ici et maintenant
Dans le monde de l’incertitude, l’action centralisée est inefficace et trop peu réactive : la stratégie ne concerne pas que la Direction générale, et les autres ne sont pas que des exécutants.
Permettre l’émergence de décisions efficaces suppose l’articulation permanente entre stratégie et actions individuelles, ce qui implique que chacun la connaisse, et en quoi elle le concerne personnellement.
Si ceci peut paraître évident, c’est finalement bien mal mis en œuvre, car il ne suffit pas de diffuser un document présentant la stratégie pour que chacun comprenne de quoi on parle et en quoi il peut y contribuer. Informer n’est pas communiquer, parler être compris, ni dire être cru.
Et faut-il encore avoir des marges de manœuvre réelles, et un encadrement de proximité qui encourage à les saisir…
Alors chacun pourra se poser des questions simples : en quoi ce que je fais, est-il réellement utile et contribue à se rapprocher de notre mer ? Puis-je arrêter certaines choses, en commencer d’autres ?
2.  Allier inquiétude et optimisme : Retrouver l’énergie des caravanes du Far West
Je rencontre, le plus souvent, soit :
  • Des optimistes qui croient que le pire n’arrivera jamais, que le plus raisonnable est de s’organiser sur un scénario médian. Mais comment calculer la médiane en univers incertain ?
  • Des pessimistes qui, tétanisés par les périls dont ils se sentent entourés, construisent autour d’eux des lignes Maginot. Mais comment contenir les tsunamis de l’incertitude ? Je repense aussi aux officiers du fort du Désert des Tartares de Dino Buzzati. A quoi bon attendre ce qui n’arrive jamais ?
Je rencontre trop rarement des « paranoïaques optimistes », ce juste équilibre entre action résolue et préparation à ce qui peut survenir à tout moment. Ce n’est pas parce qu’ils ont imaginé le pire, qu’ils pensent qu’il va arriver ; ce n’est pas parce qu’ils avancent, qu’ils croient qu’il n’y a pas de danger.
Ainsi allaient les caravanes qui, parties à la conquête du Far West, traversaient des contrées hostiles. Fortes de la vision qui les habitaient, riches des provisions stockées dans leurs chariots, avares dans l’utilisation de leurs ressources, informées constamment par des éclaireurs envoyés en reconnaissance, entraînées aux combats susceptibles d’advenir, elles avançaient.
3. Rechercher la facilité : Évitons le triathlon si l’on ne sait pas nager
N’y a-t-il pas une contradiction à vouloir allier les caravanes du Far West à la facilité ? Pas du tout, mais à condition de ne pas faire de contresens sur la notion de facilité : elle ne veut dire ni paresse, ni inclination à fuir la difficulté, mais recherche de la pente naturelle et du plaisir.
François Jullien dans sa Conférence sur l’efficacité écrit : « La grande stratégie est sans coup d'éclat, la grande victoire ne se voit pas. (…) Méditer la poussée des plantes : en secondant dans le processus de poussée, on tire parti des propensions à l'œuvre et les porte à leur plein régime. »
C’est ainsi que l’entreprise doit avancer vers sa mer, en prenant appui sur ses savoir-faire, son histoire et ses hommes, sur les tendances de fonds de la situation actuelle, de la concurrence actuelle et potentielle.
Je vois trop de dirigeants qui se font les chantres de l’effort, de la transpiration, de montagnes à escalader… Pour eux, seule, la recherche de la difficulté semble noble. Mais si l’on part à contre-courant, si, dès le départ, on n’a pas privilégié ce qui est le plus naturel, comment faire face à l’imprévu, à la difficulté qui surgira sans qu’on l’attende ? A-t-on une chance de réussir un triathlon, si l’on ne sait pas nager ?
À l ‘inverse, si on aime ce que l’on fait, le plaisir éprouvé viendra démultiplier les capacités individuelles.
4. Lâcher prise : Ne pas tout définir, ne pas tout optimiser
Comme on ne peut pas intégrer ce que l’on ne connaît pas, si l’on ajuste exactement une entreprise à la vision actuelle que l’on a de la situation future, on la rendra cassante, et elle ne pourra pas faire face aux aléas à venir.
Alors, puisqu’il est impossible de tout optimiser, tout prévoir, tout planifier, lâchons prise, et acceptons de laisser le futur répondre à ce que l’on ne connaît pas aujourd’hui.
Je sais combien ceci va aux antipodes de la tendance actuelle, qui, cherchant à accroître la rentabilité immédiate, coupe ce qui ne sert apparemment à rien, et supprime ce qui n’est pas lié directement avec ce qui est planifié. Mais ne voit-on pas que l’on va vers l’anorexie managériale, des entreprises tellement amaigries qu’elles seront emportées par la première bourrasque ? 
Ce qu’il faut préserver, c’est une part de flou, c’est-à-dire des ressources en temps, argent et moyens techniques, non affectées pour pouvoir faire face à l’imprévu, et permettre des émergences créatives.
Est-ce à dire que l’on ne se préoccupe pas de l’allocation des ressources, et que l’on dépense sans compter ? Non, bien sûr.
Commençons par identifier les moyens requis pour tout ce qui est engagé et planifié, assurons-nous que l’on répond aux contraintes immédiates, puis, en fonction de la rentabilité, préservons le plus de flou possible, et diffusons le dans toute l’entreprise.
5. Se confronter continûment : Refuser d’être spontanément d’accord
Comme nous aimons le consensus ! Et pourtant quoi de plus inquiétant et anormal, si tout le monde est immédiatement d’accord.
Pourquoi ? Parce que tout est trop mouvant et complexe pour être compris par tous de la même façon ; parce que chacun est prisonnier de son expertise, de son passé, de l’endroit où il se trouve ; parce que l’entreprise risque à tout moment de se déconnecter de son marché, de ses clients et de ses concurrents. Si les dinosaures s‘étaient un peu plus confrontés à la réalité de leur monde, ils seraient probablement encore là !
Qu’est-ce que la confrontation ? Elle est le chemin étroit entre nos deux tendances naturelles, qui sont le conflit et l’évitement. Elle est cette attitude d’ouverture aux autres, qu’ils soient membres de l’entreprise ou à l’extérieur, cette mise en débat de nos convictions et nos interprétations. Elle est aussi la recherche de nos propres hypothèses implicites, souvent inconscientes, qui nous conduisent à notre vision du monde, et à recommander telle solution, plutôt que telle autre.
Il y a cinq conditions pour une confrontation réussie :
  • Avoir assis ses propres convictions, et être capable d’expliciter le raisonnement qui les a structurées,
  • Discuter des analyses, et non pas des conclusions,  
  • Comprendre le rôle des autres et respecter leur professionnalisme,
  • Connaître l’objectif commun visé,
  • Enfin et surtout avoir confiance en soi-même, en les autres et dans l’entreprise.
D’où une priorité pour un dirigeant : développer un climat de confiance, préalable nécessaire à la confrontation positive dans l’entreprise.
6. Twitter n’est pas gagner : Vive le paresse vertueuse
Si l’on n’y prête pas garde, les tourbillons de l’incertitude poussent à la précipitation, à la confusion entre vitesse et efficacité, et au passage brutal de l’idée à la réalisation, de la pensée à l’agir. Car, s’il suffisait de courir pour réussir, toutes les entreprises seraient efficaces, puisque je n’y vois plus que des gens qui courent…  
Avoir le bon rythme, c’est être un paresseux vertueux : ajuster dynamiquement la vitesse à ce que l’on fait, agir avec parcimonie et au bon moment.
J’emploie volontairement le mot provocateur de « paresseux », car il faut développer un esprit de résistance face à la violence de la folie collective : non, twitter n’est pas gagner ! Comment pourrait-on penser vite à long terme, et construire une stratégie pertinente entre deux avions ?
J’y accole immédiatement le mot de « vertueux », pour ne faire l’apologie de l’inaction et du laisser-faire : le lâcher-prise n’est pas le laisser-faire, il est tout le contraire.
Le lâcher-prise est l’attention portée aux courants en place, à ces moments où vouloir agir ne servirait à rien. Il est le refus de se laisser emporté par ce qui n’est qu’agitation inefficace, dispersion d’énergies, et bruit ambiant. Il est la volonté de se poser pour réfléchir, regarder et comprendre.
(à suivre)

6 mars 2012

LA RECONQUÊTE DU « PRODUIRE EN FRANCE » NE VIENDRA PAS D’UN ÉTAT INDUSTRIEL ET MAGIQUEMENT STRATÉGIQUE

Au temps de l’incertitude, la reconstruction de l’industrie française sera longue, décentralisée... et européenne !
Voilà donc trouvée la recette à la désindustrialisation française : le retour de la politique industrielle et l’impulsion par l’État d’une politique de filières.
Que nous disent les chantres politiques de cette renaissance tout gaullienne ?
En résumant :
  • Au centre, la puissance intellectuelle et visionnaire du système public qui va défricher le futur pour trouver là où il faut aller.
  • Puis sous l’impulsion de ce centre enfin retrouvé, toutes les PME de France et de Navarre se réuniront sous les ailes protectrices et devenues bienveillantes des grandes entreprises françaises, pour partir à la conquête du monde entier.
  • Et le tour sera joué : dans quelques années, que dis-je dans quelques mois - pourquoi en effet ne pas être ambitieux dans la concrétisation de cette volonté… -, les emplois industriels refleuriront, l’innovation viendra arroser les terres arides de nos zones industrielles, et notre balance des paiements se dressera fièrement.
Certes, quel beau conte de fées… Mais, probablement à cause d’une vision trop empreinte d’un scepticisme suranné, qui devrait être dépassé par ces vagues d’enthousiasme, j’ai dû mal à me laisser emporté par cet élan, et ce pour trois raisons :
1. Comment imaginer que dans le monde de l’incertitude, la solution puisse venir d’une recentralisation des décisions ?
Mon expérience personnelle, ma pratique auprès de dirigeants d’entreprises, mes recherches personnelles et les réactions recueillies suite à la publication de mon livre, les Mers de l’incertitude, et à mes conférences, m’amènent à beaucoup plus de modestie en la matière. Je crois que la performance tient de plus en plus à la mise en place de processus conduisant à des émergences efficaces, et de moins en moins à la concentration de la prise de décisions, fussent-elles faites par les meilleurs cerveaux du monde.
2. Comment, compte-tenu de l’historique, croire à la capacité de l’État français de concevoir des plans par filière réellement efficaces ?
J’ai encore le souvenir des plans industriels lancés en 1981, suite à l’élection de François Mitterrand. Étant alors chargé de mission à la Délégation à l’Aménagement du Territoire et à l’Action Régionale (DATAR), j’ai été pour celle-ci le correspondant du Ministère de l’industrie pour l’élaboration et le suivi de tous ces plans. Quel fiasco ! Tout l’argent déversé l’a été en pure perte, que ce soit pour le plan machine-outil, textile ou un autre. Les succès de l’État industriel ne l’ont été que dans le cadre d’investissements majeurs comme l’aviation civile, la filière nucléaire ou le TGV. Cela n’a absolument pas empêché l’écart avec l’Allemagne, l’Italie ou même la Grande Bretagne de se creuser, et à notre balance des paiements de s’effondrer.
3. Comment croire que la performance viendra d’une relation contrainte entre grandes entreprises et PME ?
Les grandes entreprises ne poursuivent pas dans des stratégies nationales, mais mondiales. Ceci est vrai pour toutes les entreprises, qu’elles soient françaises, allemandes, italiennes ou britanniques. Si Volkswagen s’appuie sur un tissu d’entreprises moyennes allemandes, si elle maintient des emplois industriels en Allemagne, ce n’est pas au nom d’un nationalisme germanique, mais à cause d’un réalisme économique : le climat social, la confiance qui existe entre les individus et les organismes, la qualité des formation, le principe du transfert de propriété au paiement et non à la livraison, tout cela amène à la performance d’un système global. Si l’on cherche à contraindre une entreprise française à faire ce qui n’est pas souhaitable pour elle, soit, si l’entreprise est suffisamment indépendante de l’État, on ne l’obtiendra pas, soit, si elle ne peut pas dire non, on entravera son développement futur. Loin de construire la performance à venir de la France, on la détruira.
Je ne crois donc pas à ces recettes magiques, tirées d’une réalité qui n’a jamais existé.
Aussi si, oui, il faut se battre pour développer le « Produire en France »,  il ne faut pas le faire avec ces recettes éculées, inefficaces et dangereuses.
Pourquoi ne pas développer un label France ? C’est une idée à tenter, à condition d’y intégrer la notion de niveau, permettant d’aller du « Assembler en France » au « Tout en France », en passant par le « Fabriqué en France » (voir « Label France : et si Bayrou avait raison »).
Mais ce n’est pas le plus important. Ce sont sur les fondamentaux du développement de nos entreprises qu’il faut agir. J’en vois personnellement deux :
-        En priorité, nous devons réapprendre à nous faire confiance, ce qui suppose de revoir notre mode d’éducation, en passant du travail individuel au travail en groupe, et en cassant notre culte de la hiérarchie et du statut. (voir « Veut-on attendre que la France devienne le Tiers-monde de l’Europe ? »)
-        Il est urgent aussi de revoir le mode de transfert de propriété pour qu’il n’ait plus lieu à la livraison, mais au paiement. Comme cela, les PME ne financeront plus la distribution et les grandes entreprises. Cette modification reviendrait à augmenter la trésorerie des PME de probablement nettement plus de 100 Milliards d’euros ! (voir « Qui arrêtera l'hémorragie financière des PME ? »)
Enfin, pourquoi ne pas doter l’État d’une vraie agence de conseil indépendante, construite à partir l’Agence pour les Participations de l’État et des experts mis en place pour la gestion du grand emprunt ? Je connais bon nombre d’anciens associés de cabinet de conseil, qui, après une carrière réussie dans le privé, seraient prêts à mettre leur expertise au service de l’État. Cette agence pourrait être indépendante des lobbies, éclairer les choix publics, et aider les entreprises moyennes dans leurs réflexions et leurs choix… mais sans les contraindre, ni les définir.
Bien sûr tout ceci ne va transformer la France par un coup de baguette magique, et redresser instantanément notre balance des paiements. Mais qui peut croire que notre handicap structurel peut être comblé en peu de temps ? C’est une action de fonds qu’il faut entreprendre. Le reste n’est que tour de prestidigitation, baliverne, et poursuite de nos erreurs passées…

Enfin, la solution ne pourra pas être seulement franco-française. Elle va nécessairement passer par la construction d’une réelle Europe fédérale. Pouvons-nous le faire dans la dilution qu’est devenue la communauté européenne, ou faut-il repasser par un noyau autour duquel viendront ensuite s’agglomérer les autres ? Par réalisme, j’opterais plutôt pour la seconde.
Comme ces transformations seront longues et difficiles, Il faut commencer maintenant. Souvenir d’une anecdote attribuée au Maréchal Lyautey. Un jour où il visitait un village marocain, il s’étonnait qu’il n’y ait aucune ombre sur la place centrale.
« Il faudrait au moins dix ans pour qu’un arbre donne une ombre significative, lui dit le chef du village.
- Raison de plus pour le planter tout de suite, fut sa réponse. »
Plantons donc immédiatement les nouveaux arbres de la confiance en France, transformant notre droit, dotons nous une agence réellement indépendante, et allons vers le fédéralisme, il y a urgence !

5 mars 2012

ON NE TRANSFORME PAS UN PAYS GRÂCE À LA MACROÉCONOMIE

Les candidats à l’élection présidentielle doivent quitter la mathématisation du monde, et rejoindre le réel s'ils veulent être crédibles et réellement changer les choses.
Tout le discours collectif est, sauf de rares exceptions, de nature macroéconomique : on ne parle que taux de croissance, PIB, taux d’inflation, taux de chômage, taux de création d’entreprises, taux de défaillance, pourcentage d’entreprises innovantes ou exportatrices, balance des paiements…
Or ce monde macroéconomique n’est qu’un monde fictionnel, une construction de l’esprit, une représentation du réel, une mathématisation des relations : je n’ai jamais croisé dans un café un taux de croissance, ni pris un verre avec un PIB, ni, au détour d’un carrefour, risqué d’écraser un pourcentage d’innovation quelconque, ou encore discuté avec une balance des paiements…
Le monde réel est celui des individus, de tous les êtres vivants et inanimés, de leurs relations et interrelations, de ces structures locales ou globales qui vont de la fourmilière à l’entreprise en passant par tous les écosystèmes et nos villes.
Ce monde qui est celui que nous habitons, celui qui nous rend heureux ou malheureux, autonomes ou dépendants, épanouis ou malades, a disparu du discours politique. Il n’est plus qu’une abstraction décrite par des chiffres, des statistiques et des moyennes.
De temps en temps, à l’occasion d’une crise, il émerge dans le débat public : là pour une émeute dans une banlieue, ici pour des salariés qui refusent la destruction de leur outil de travail, et ailleurs, ailleurs pour des familles ne pouvant plus se loger.
Et la vie continue... si l'on peut dire...
Mais ce construit théorique de la macroéconomie et des sciences dites sociales est de moins en moins représentatif de notre monde. Pour ceux qui en doutent, qu’ils se posent une question simple : si la macroéconomie et les sciences sociales étaient exactes, pourquoi aurions-nous des crises à répétition ? Est-ce que leur succession sans cesse renouvelée, voire même leur amplification, ne sont pas la meilleure démonstration de l’absurdité de cette mathématisation du monde ?
Cet envahissement du tout économique est récent, et a pris son essor essentiellement ces dernières années. Charles-Henri Filippi, dans son dernier livre, Les 7 péchés du capital, écrit très bien ces dangers. Il y insiste sur le danger de la « transformation de la rationalité » en une « aptitude à chiffrer toute chose. (…) La rationalité moderne par la simplicité même de sa définition, juge toutes les activités à la même aune : quel bien-être procurent-elles ? Au prix de quels moyens ? Le fait que tout devienne ainsi mesurable et comparable étend l’économique qui, de champ particulier des rapports sociaux, en devient l’interprète et la seule expression possible. »
Venant d’un banquier, encore à la tête de la filiale française d’HSBC, une des plus grandes banques mondiales, le propos prend tout son poids…
Cette « maladie » a envahi non seulement les structures politiques, mais aussi bon nombre de directions générales de grandes entreprises. C’est ce que j’ai été amené à dénoncer à de multiples reprises, et singulièrement dans mon livre, Les mers de l’incertitude : on ne peut pas diriger efficacement à coup de tableurs excel et de prévisions mathématiques !
Et rien ne change, bien au contraire. Je suis frappé comme tous les programmes et les discours des principaux candidats à l’élection présidentielle restent à ce niveau macroéconomique. Leur entourage n’est constitué que des théoriciens de l’entreprise et de l’économie. Se croyant comme des grands prêtres, ils me donnent l’impression de croire que l’on peut changer le monde par incantation (voir On ne change pas l’économie par incantation)
Parfois ces incantations vont dans le bon sens, comme par exemple l’appel de François Bayrou à plus de rigueur et à développer la production française, mais elles restent toujours théoriques et bien éloignées de la réalité de la vie. Comment concrètement François Bayrou veut-il procéder et quel lien concret avec la vie des entreprises ?
Quand comprendront-ils que la macroéconomie n’est ni un outil d’explication, ni un outil de pilotage, puisque la réalité se situe ailleurs, et qu’au mieux, elle ne fait que constater, a posteriori, les évolutions en agglomérant les données locales ?
Quand descendront-ils de leur piédestal pour se pencher sur des sujets concrets comme les délais de paiement et les modalités de transfert de propriété ?
Quand reparleront-ils du territoire réel dans lequel se déroule l’économie, de nos villes, nos banlieues et nos campagnes ?
Le Général de Gaulle, lors de son retour au pouvoir en 1958, ne s’était pas contenté de discours. Il avait lancé une politique nouvelle d’aménagement du territoire. Il avait agi concrètement et physiquement en modifiant la géographie de nos villes. Il avait lancé des actions industrielles structurantes.
En 2012, à l’ère de l’incertitude et de la globalisation, il serait illusoire et dangereux de vouloir copier à l’identique ce qui avait été fait plus de cinquante plus tôt. Notamment imaginer que c’est l’État central qui peut inventer une stratégie industrielle est une illusion.
Mais ce sont bien ces questions concrètes qu’il faut se poser, et auxquelles il faut apporter des réponses contemporaines : quelle nouvelle politique d’aménagement du territoire compte-tenu de la position de la France, de nos ressources et de la multiplicité des acteurs ? Quel rôle concret peut-jouer un État central et comment le mettre en œuvre ?