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8 oct. 2012

AVEC LA CONFIANCE, ON REMPLACE L’INCERTITUDE DU FUTUR PAR UNE ASSURANCE INTÉRIEURE

La confiance réduit la complexité de l’environnement, et libère les énergies
J’ai déjà eu l’occasion à plusieurs reprises d’aborder le thème de la confiance sur ce blog, que ce soit en liaison avec celui de la confrontation1 – on ne peut se confronter ensemble que si un climat confiance existe, sinon la confrontation tourne rapidement au conflit –, ou en me faisant l’écho des travaux d’Yves Algan qui a montré le lien entre croissance et confiance, et a mis l’accent sur le déficit de confiance existant en France.2
Le 17 mars 2010, toujours dans le cadre du cours de Pierre Rosanvallon au Collège de France, Louis Quéré, sociologue, directeur de recherche au Centre d’Étude des mouvements sociaux, a fait une intervention sur ce thème qui s’articule très directement avec mes propos.3
Après y avoir montré les limites de l’approche de la confiance, tant dans les sondages (comment peut-on évaluer un degré de confiance au travers de questions, alors que le mot lui-même recouvre tellement de notions différentes et complexes ?) que dans le cadre de l’approche rationnelle de la théorie des jeux (confusion entre volonté de coopération et confiance, liaison obligatoire entre confiance et existence d’une relation avec un individu donné et une situation donnée), il reprend synthétiquement les approches développées par Georg Simmel dans la Philosophie de l’argent, sur les quatre niveaux de confiance vis-à-vis de la monnaie :
- La confiance dans les institutions qui garantissent les monnaies,
- La confiance dans l’aptitude du système économique de pouvoir remplacer la valeur d’une monnaie contre une contrepartie physique,
- La confiance dans la capacité à trouver réellement des personnes qui accepteront de réaliser ces transactions (principe de vraisemblance),
- La confiance en une personne qui se traduit dans un crédit commercial.
Les deux derniers niveaux font intervenir des personnes physiques, alors que les deux premiers ont trait à des personnes morales, des systèmes ou des institutions.
Dans le troisième niveau, ceci se rapproche d’une capacité d’extrapolation : sur la base de nos connaissances, nous pensons qu’il est vraisemblable, et donc probable que ceci ait lieu. C’est la confiance du paysan quand il sème des graines dans son champ : son expérience lui montre qu’il devrait l’année prochaine avoir une récolte. C’est aussi l’expertise d’un producteur qui prévoit que tel bien devrait être vendu une fois qu’il sera fabriqué et mis en vente.
Ce type de confiance est une inférence à partir du passé, une croyance fondée sur une induction. C’est directement lié avec le mode de fonctionnement de notre cerveau qui, précisément, fonctionne en anticipant constamment le futur à partir de notre connaissance du passé.4
Dans le quatrième niveau, intervient un acte de foi : on croît en quelqu’un. Alors que nous n’avons pas tous les éléments, nous portons un jugement positif par rapport au futur, et sur la capacité de l’autre à tenir ses engagements. Il y a une forme d’abandon à la vision que nous avons de l’autre.
La confiance est alors une situation intermédiaire entre la connaissance absolue et l’ignorance complète : celui qui sait tout n’a pas besoin de faire confiance ; celui qui ne sait rien, ne peut pas faire confiance.
Louis Quéré insiste sur le caractère à la fois risqué et libérateur de ce quatrième niveau :
- Risqué, car on n’a pas toutes les assurances, on devient dépendant de l’autre, et on s’en remet à lui, au moins partiellement,
- Libérateur, car cet abandon évite de s’épuiser dans la multiplication des garanties et dans une recherche de contrôle5 impossible en milieu incertain. Renonçant à en savoir plus, et à avoir plus de garanties, la confiance réduit la complexité de l’environnement. On remplace l’incertitude du futur par une assurance intérieure.
Ce dernier point est très précisément le propos qu’avait développé Yves Algan, et que j’ai aussi repris à de multiples reprises : le management dans l’incertitude suppose le lâcher-prise, et ce dernier impose la confiance en les autres et en ses propres intuitions.

(3) Elle est accessible en ligne sur le site du Collège de France
(4) Voir mes articles sur les travaux de Stanislas Dehaene sur le cerveau statisticien (articles du 3 au 13 septembre dernier)
(5) Louis Quéré cite le propos de Lénine : « La confiance, c’est bien. Le contrôle, c’est mieux. »

10 avr. 2012

LA SCHIZOPHRÉNIE DES DIRIGEANTS : PRÉDATION OU COOPÉRATION ?

Comment prôner le contraire de ce que l’on fait et est ?
Aller plus vite que le concurrent, sortir le meilleur produit, mieux protéger ses innovations contre les agressions de la compétition, savoir débaucher un cadre clé pour se renforcer et en même temps affaiblir l’autre… L’art du management est peuplé de ces histoires guerrières où il s’agit de se battre contre le reste du monde et d’en ressortir gagnant.
Le dirigeant, lui-même, pour arriver au sommet, a dû écarter bien des prétendants. Souvent, il lui a fallu « tuer » certains qui étaient entrés dans l’entreprise en même temps que lui, des alter ego, des « frères » devenus gênants et encombrants. Peu de place est laissée à la coopération et à l’entraide dans la conquête du pouvoir.
D’ailleurs, se sont développés ces dernières années des liens entre les écoles de management, et les écoles militaires. On voit ainsi de futurs managers s’initier au combat rapproché et aux différentes techniques guerrières. (1)
Bref, la plupart des dirigeants ont été dressés à être des prédateurs pour leur entreprise et pour eux-mêmes.
Or simultanément, se développe un discours en faveur de la coopération, de l’échange et de la confiance dans les entreprises. Le monde est devenu trop complexe, trop changeant, trop incertain pour que la performance repose l’individualisme. On en appelle à l’esprit du rugby, du pack, du collectif, versus l’esprit du football, du génie individuel, de l’égoïsme.
Ces dirigeants prédateurs se retrouvent ainsi à donner des leçons à l’attention de leurs collaborateurs pour mieux travailler ensemble, savoir tirer parti des énergies collectives, partager les informations et ne pas les accaparer.
Dangereuse schizophrénie qui décrédibilise leurs discours et leurs actes, et devrait, pour ceux qui ont gardé l’âme de leurs débuts, les amener à réfléchir…
Comment en effet recommander le contraire de ce que l’on fait soi-même ? Comment imaginer que l’entreprise deviendra un lieu de l’échange et de l’épanouissement si le modèle donné au sommet est celui du mercenariat et de l’individualisme ?
Ces situations de « déchirés » ne sont jamais durables. Repensez donc à Chimène qui, dans le Cid, aime Rodrigue qui vient de tuer son père. L’histoire finit mal…

12 mars 2012

IL N’EST PAS NORMAL D’ÊTRE SPONTANÉMENT D’ACCORD ENSEMBLE

Se confronter continûment - Le management par émergence (8)
Arrive maintenant le cinquième, et avant-dernier point nécessaire à une émergence efficace : la confrontation.
Thème central de mes deux livres, tant Neuromanagement que les Mers de l’incertitude, la confrontation est le préalable au bon fonctionnement de toutes les structures collectives, et surtout dans le monde de l’incertitude.
Pourquoi est-elle ce préalable indispensable ?
Parce que tout est trop mouvant, trop complexe, trop multiforme pour être compris par un individu isolé,
Parce que chacun d’entre nous est trop prisonnier de son expertise, de son passé, de l’endroit où il se trouve, pour avoir une vue complète et absolue,
Parce que l’objectivité n’est pas de ce monde, parce que tout est contextuel, parce que seules les interprétations existent, et que les faits restent cachés et obscurs.
Parce que, si une entreprise réussit dans ce qu’elle entreprend, elle va, faute de se confronter au dehors, se sentir petit à petit invulnérable, dériver, et se réveiller, un jour, déconnectée de son marché, de ses clients et de ses concurrents.
Qu’est-ce que la confrontation ?
La confrontation est le chemin étroit entre nos deux tendances naturelles, qui sont le conflit et l’évitement. Elle est cette attitude d’ouverture aux autres, qu’ils soient membres de l’entreprise ou à l’extérieur, la mise en débat de ses convictions et ses interprétations.
Elle est la recherche de ses propres hypothèses implicites, souvent inconscientes, qui nous conduisent à notre vision du monde, et à recommander telle solution, plutôt que telle autre.
Quelles sont les conditions d’une confrontation réussie ?
Elles sont au nombre de cinq, et chacune est nécessaire :
  1. Un travail personnel pour asseoir ses propres convictions, et être capable d’expliciter le raisonnement qui les a structurées,
  2. Une confrontation sur l’analyse et les raisonnements, jamais sur les conclusions,
  3. La compréhension du rôle des autres et le respect dans leur professionnalisme,
  4. La connaissance de l’objectif commun visé, de cette mer située à l’horizon, et des actions à mener pour s’en rapprocher,
  5.  La confiance en soi-même, en les autres et dans l’entreprise.
Pour aller plus en avant ce sujet de la confrontation, vous pouvez lire les nombreux articles que je lui ai consacrés sur ce blog, ainsi bien sûr que mes deux livres.
En conclusion, voici un extrait de ce que j’écrivais dans les Mers de l’incertitude :
« Finalement, c’est l’absence de confrontation qui n’est pas un bon signe : pour tout projet complexe, il n’est pas normal que tout le monde soit d’accord sans confrontation. Cela signifie soit que l’analyse a été trop superficielle, soit que certaines parties prenantes ont évité la discussion. Quand un projet avance trop vite, quand aucun arbitrage n’est nécessaire, c’est souvent qu’une partie du champ de contraintes n’a pas été pris en compte. On constate alors a posteriori les dégâts : l’objectif n’est pas atteint, ou les délais ne sont pas respectés, ou les coûts ont dérapé… ou les trois.
Plus il y aura de confrontation, meilleures seront la qualité des analyses et la performance des actions. La confrontation n’apporte pas de la rigidité, car elle est un processus dynamique d’ajustement. Elle va apporter le liant qui permet les relations et les fluidifie. C’est elle qui va construire le langage commun, la culture de l’entreprise. Si les dinosaures s‘étaient un peu plus confrontés à la réalité de leur monde et à son évolution, ils seraient probablement encore là ! »

6 mars 2012

LA RECONQUÊTE DU « PRODUIRE EN FRANCE » NE VIENDRA PAS D’UN ÉTAT INDUSTRIEL ET MAGIQUEMENT STRATÉGIQUE

Au temps de l’incertitude, la reconstruction de l’industrie française sera longue, décentralisée... et européenne !
Voilà donc trouvée la recette à la désindustrialisation française : le retour de la politique industrielle et l’impulsion par l’État d’une politique de filières.
Que nous disent les chantres politiques de cette renaissance tout gaullienne ?
En résumant :
  • Au centre, la puissance intellectuelle et visionnaire du système public qui va défricher le futur pour trouver là où il faut aller.
  • Puis sous l’impulsion de ce centre enfin retrouvé, toutes les PME de France et de Navarre se réuniront sous les ailes protectrices et devenues bienveillantes des grandes entreprises françaises, pour partir à la conquête du monde entier.
  • Et le tour sera joué : dans quelques années, que dis-je dans quelques mois - pourquoi en effet ne pas être ambitieux dans la concrétisation de cette volonté… -, les emplois industriels refleuriront, l’innovation viendra arroser les terres arides de nos zones industrielles, et notre balance des paiements se dressera fièrement.
Certes, quel beau conte de fées… Mais, probablement à cause d’une vision trop empreinte d’un scepticisme suranné, qui devrait être dépassé par ces vagues d’enthousiasme, j’ai dû mal à me laisser emporté par cet élan, et ce pour trois raisons :
1. Comment imaginer que dans le monde de l’incertitude, la solution puisse venir d’une recentralisation des décisions ?
Mon expérience personnelle, ma pratique auprès de dirigeants d’entreprises, mes recherches personnelles et les réactions recueillies suite à la publication de mon livre, les Mers de l’incertitude, et à mes conférences, m’amènent à beaucoup plus de modestie en la matière. Je crois que la performance tient de plus en plus à la mise en place de processus conduisant à des émergences efficaces, et de moins en moins à la concentration de la prise de décisions, fussent-elles faites par les meilleurs cerveaux du monde.
2. Comment, compte-tenu de l’historique, croire à la capacité de l’État français de concevoir des plans par filière réellement efficaces ?
J’ai encore le souvenir des plans industriels lancés en 1981, suite à l’élection de François Mitterrand. Étant alors chargé de mission à la Délégation à l’Aménagement du Territoire et à l’Action Régionale (DATAR), j’ai été pour celle-ci le correspondant du Ministère de l’industrie pour l’élaboration et le suivi de tous ces plans. Quel fiasco ! Tout l’argent déversé l’a été en pure perte, que ce soit pour le plan machine-outil, textile ou un autre. Les succès de l’État industriel ne l’ont été que dans le cadre d’investissements majeurs comme l’aviation civile, la filière nucléaire ou le TGV. Cela n’a absolument pas empêché l’écart avec l’Allemagne, l’Italie ou même la Grande Bretagne de se creuser, et à notre balance des paiements de s’effondrer.
3. Comment croire que la performance viendra d’une relation contrainte entre grandes entreprises et PME ?
Les grandes entreprises ne poursuivent pas dans des stratégies nationales, mais mondiales. Ceci est vrai pour toutes les entreprises, qu’elles soient françaises, allemandes, italiennes ou britanniques. Si Volkswagen s’appuie sur un tissu d’entreprises moyennes allemandes, si elle maintient des emplois industriels en Allemagne, ce n’est pas au nom d’un nationalisme germanique, mais à cause d’un réalisme économique : le climat social, la confiance qui existe entre les individus et les organismes, la qualité des formation, le principe du transfert de propriété au paiement et non à la livraison, tout cela amène à la performance d’un système global. Si l’on cherche à contraindre une entreprise française à faire ce qui n’est pas souhaitable pour elle, soit, si l’entreprise est suffisamment indépendante de l’État, on ne l’obtiendra pas, soit, si elle ne peut pas dire non, on entravera son développement futur. Loin de construire la performance à venir de la France, on la détruira.
Je ne crois donc pas à ces recettes magiques, tirées d’une réalité qui n’a jamais existé.
Aussi si, oui, il faut se battre pour développer le « Produire en France »,  il ne faut pas le faire avec ces recettes éculées, inefficaces et dangereuses.
Pourquoi ne pas développer un label France ? C’est une idée à tenter, à condition d’y intégrer la notion de niveau, permettant d’aller du « Assembler en France » au « Tout en France », en passant par le « Fabriqué en France » (voir « Label France : et si Bayrou avait raison »).
Mais ce n’est pas le plus important. Ce sont sur les fondamentaux du développement de nos entreprises qu’il faut agir. J’en vois personnellement deux :
-        En priorité, nous devons réapprendre à nous faire confiance, ce qui suppose de revoir notre mode d’éducation, en passant du travail individuel au travail en groupe, et en cassant notre culte de la hiérarchie et du statut. (voir « Veut-on attendre que la France devienne le Tiers-monde de l’Europe ? »)
-        Il est urgent aussi de revoir le mode de transfert de propriété pour qu’il n’ait plus lieu à la livraison, mais au paiement. Comme cela, les PME ne financeront plus la distribution et les grandes entreprises. Cette modification reviendrait à augmenter la trésorerie des PME de probablement nettement plus de 100 Milliards d’euros ! (voir « Qui arrêtera l'hémorragie financière des PME ? »)
Enfin, pourquoi ne pas doter l’État d’une vraie agence de conseil indépendante, construite à partir l’Agence pour les Participations de l’État et des experts mis en place pour la gestion du grand emprunt ? Je connais bon nombre d’anciens associés de cabinet de conseil, qui, après une carrière réussie dans le privé, seraient prêts à mettre leur expertise au service de l’État. Cette agence pourrait être indépendante des lobbies, éclairer les choix publics, et aider les entreprises moyennes dans leurs réflexions et leurs choix… mais sans les contraindre, ni les définir.
Bien sûr tout ceci ne va transformer la France par un coup de baguette magique, et redresser instantanément notre balance des paiements. Mais qui peut croire que notre handicap structurel peut être comblé en peu de temps ? C’est une action de fonds qu’il faut entreprendre. Le reste n’est que tour de prestidigitation, baliverne, et poursuite de nos erreurs passées…

Enfin, la solution ne pourra pas être seulement franco-française. Elle va nécessairement passer par la construction d’une réelle Europe fédérale. Pouvons-nous le faire dans la dilution qu’est devenue la communauté européenne, ou faut-il repasser par un noyau autour duquel viendront ensuite s’agglomérer les autres ? Par réalisme, j’opterais plutôt pour la seconde.
Comme ces transformations seront longues et difficiles, Il faut commencer maintenant. Souvenir d’une anecdote attribuée au Maréchal Lyautey. Un jour où il visitait un village marocain, il s’étonnait qu’il n’y ait aucune ombre sur la place centrale.
« Il faudrait au moins dix ans pour qu’un arbre donne une ombre significative, lui dit le chef du village.
- Raison de plus pour le planter tout de suite, fut sa réponse. »
Plantons donc immédiatement les nouveaux arbres de la confiance en France, transformant notre droit, dotons nous une agence réellement indépendante, et allons vers le fédéralisme, il y a urgence !

27 févr. 2012

VEUT-ON ATTENDRE QUE LA FRANCE DEVIENNE LE TIERS-MONDE DE L’EUROPE ?

La mal français est notre déficit de confiance issu de notre culte de la hiérarchie et du statut
La lecture du dernier livre de Yann Algan, cosigné avec Pierre Cahuc et André Zylberberg, La Fabrique de la défiance, devrait être prescrit à tous les candidats à l’élection présidentielle, et les apôtres du « Produire en France ». Dans ce livre, Yann Algan met l’accent, à nouveau (1), sur les dégâts causés par le manque de confiance en France, et le relie à notre culte de la hiérarchie et du statut.
Citons-en d’abord quelques extraits :
« Un Français sur cinq est insatisfait de sa vie, ce qui est dix fois plus qu’au Danemark, trois fois plus qu’en Hollande et en Belgique, deux fois plus qu’en Italie ou en Angleterre, ou encore une fois et demie plus que nos voisins allemands. Seuls les habitants des pays de l’Est et les Portugais sont plus insatisfaits. (…) En fait, les Français considèrent les inégalités comme inacceptables, car ils ont de bonnes raisons de penser qu’elles sont illégitimes ; elles proviendraient de passe-droits, de collusions d’intérêts entre les puissants, d’une reproduction sociale particulièrement forte à l’école. Ont-ils tort ? Ils ont en tout cas le sentiment que la richesse est associée au statut plus qu’au fruit du travail : 45% pensent que travailler dur n’apporte pas nécessairement le succès, contre 23% aux États-Unis. En France, on n’aime pas les riches parce qu’on considère plus souvent qu’ailleurs qu’ils le sont non grâce à leur talent ou à leur travail, mais bien grâce à leurs connivences, le plus souvent liées à leur origine sociale. »
« En France, l’enseignant professe le plus souvent au tableau ; les élèves, assis en rang, écoutent et prennent des notes. L’enseignant, vers lequel toutes les attentions sont censées converger, doit être écouté en silence. La communication entre élèves est un parasite. (…) Éduqués dans une école où nous apprenons surtout à obéir aux ordres et très peu à coopérer, nous avons besoin d’une structure envahissante pour réaliser des tâches collectives. C’est notre déficit de confiance, produit par le système scolaire, qui nous condamne à travailler dans des entreprises où nous nous sentons opprimés par des chefs omniprésents. »
« « Virtuellement tout échange commercial contient une part de confiance, comme toute transaction qui s’inscrit dans la durée. On peut vraisemblablement soutenir qu’une grande part du retard de développement économique d’une société est due à l’absence de confiance réciproque entre ses citoyens. » (Kenneth Arrow, « Gifts and exchanges », Philosophy and public affairs)  (…) Ce constat n’est pas surprenant, car la confiance favorise l’efficacité des entreprises. (…) Ils sont plus réactifs, mieux à même de s’adapter à l’environnement et d’innover. Ils facilitent l’adoption de méthodes efficaces : décentralisation des décisions, organisation horizontale des relations de travail, travail en équipe, valorisation de l’esprit d’initiative et d’innovation. »
Parallèlement à la publication de ce livre, sont mises en ligne sur le site de Sciences Po, des séries de tableaux statistiques permettant à tout un chacun de prolonger sa propre réflexion.
J’en ai extrait ceux qui me semblent les plus significatifs, et que je joins en illustration à cet article.
Qu’y voit-on ?

Dans le premier groupe de questions, l’accent est mis sur le déficit en France en matière de confiance collective : nous sommes les avant-derniers en matière de travail en groupe derrière l’Irlande (quatre fois moins de travail en groupe que les Américains, deux fois que les Danois, 50% de moins que les Allemands), et de satisfaction vis-à-vis de la démocratie, cette fois derrière le Portugal (plus de deux fois moins que les Danois, les Finlandais ou les Suisses, 25% moins que les Allemands et la moyenne des Européens). Et pour la confiance dans les autres et la confiance dans la justice, seuls deux pays font pire que nous, le Portugal, et respectivement la Grèce ou l’Espagne.


Les deux autres groupes de questions ont trait au monde du travail et de l’entreprise. Je vous laisse parcourir ces données en détail, et me contenterais de mettre l’accent sur :
-        Les problèmes vis-à-vis de la hiérarchie et des relations internes à l’entreprise : les salariés français se sentent sans influence sur ce qui se passe dans les entreprises, et ne perçoivent pas de collaboration avec leur hiérarchie (deux fois moins qu’en Europe du Nord, 40% de moins qu’en Allemagne). Avec le Portugal, nous sommes les « rois » en matière de distance sociale.
-        Ceci se traduit malheureusement logiquement par une moindre coopération (nous sommes là les derniers de la classe), plus de stress (à nouveau les derniers en Europe) et une moindre satisfaction au travail (seule, l’Espagne est derrière nous).
Comment face à une telle situation, s’étonner que la production en France décline ? En effet, si nous nous ne nous faisons plus confiance,  pourquoi ferions-nous confiance aux produits français ? Et surtout, comment produire en France serait-il rentable, si les relations au travail sont à ce point dégradées ?
Comme je l’ai déjà écrit à plusieurs reprises, dans le monde de l’incertitude, la performance économique des entreprises ne dépend pas d’abord du niveau de rémunération des salariés, mais de l’efficacité de l’organisation du travail et de l’engagement individuel et collectif. Une entreprise pour être efficace doit décentraliser son mode de management, développer une culture commune alliant compréhension de l’objectif visé, confrontation locale et prise d’initiative. La solution passe par le partage, l’engagement, et la responsabilité.
Il est urgent que nous prenions conscience que le mal français est enraciné dans ce déficit de confiance, lui-même issu de notre mode d’éducation et de l’organisation pyramidale de notre société. Faute de cela, tous les discours actuels ne seront que des incantations sans lendemain.
Les discours tenus actuellement ne sont pas pour me rassurer : affirmer que l’on veut renforcer l’autorité des maîtres et le respect de la hiérarchie va à contresens ; accroître le nombre des enseignants sans rebâtir l’école autour du travail collectif et non pas individuel ne sert à rien ; croire que l’on va réindustrialiser la France en relançant une politique industrielle centralisée est aller contre la décentralisation ; diminuer les charges salariales sans améliorer l’efficacité du travail est absurde ; ne pas voir que multiplier des referendum sans confiance collective est jouer à l’apprenti-sorcier…
Prenons garde à ne pas nous réveiller quand il sera trop tard. Continuons encore un peu, laissons des analyses aussi pertinentes que celles de Yann Algan ne faire que remplir des étagères, et nous serons le Tiers-monde de l’Europe.
Ou faut-il espérer que le salut ne vienne d’une Europe fédérale dans laquelle la France serait dirigée de l’extérieur…
(1) Voir son livre précédent « La société de défiance »


22 avr. 2011

COMMENT VIVRE LA COMPLEXITÉ SANS CONFIANCE ?

En France, nous nous méfions les uns des autres

En conclusion de ces quatre articles sur l'appréhension et la confiance, je reprends un article que j'avais diffusé en mars 2010.

Dans cette conférence tenue en décembre 2009 à l'École Normale Supérieure, Yann Algan, professeur à Sciences Po, montre que : 
  • En France, nous avons un déficit de confiance tant vis-à-vis de nos institutions que de nos concitoyens : par exemple, nous sommes parmi les pays qui ont la plus forte défiance vis-à-vis de leur justice. Ou encore, une français sur cinq fait confiance spontanément à quelqu'un qui ne connait pas versus trois sur quatre dans les pays d'Europe du Nord
  • Il y a un lien direct entre le niveau de confiance dans un pays et la performance économique : par exemple, plus le degré de confiance est élevé, plus le pourcentage d'investissement l'est aussi, ce qui « est d'autant plus fondamental dans nos économies d'innovation ». Ou encore, moins il y a de confiance, moins il est facile de créer une entreprise, car plus les contrôles sont tatillons et multiples…
Un peu plus de quinze minutes à écouter… et à méditer

21 avr. 2011

BON NOMBRE DE DIRIGEANTS FONT-ILS FAUSSE ROUTE ?

Pourquoi prôner la compétition si c’est le développement de la confiance qui est l’essentiel ?
Je peux finalement résumer l’essentiel de ce que j’ai écrit cette semaine en un mot : confiance(1). C’est la condition sine qua non pour que se développe donc :  
  • La capacité individuelle et collective à faire face à l’incertitude au sein de l’entreprise,
  • Un réseau entre l’entreprise, ses clients, ses fournisseurs et des partenaires institutionnels (syndicats, élus, organismes divers)
  •  Des confrontations compétitives positives entre l’entreprise et ses concurrents.
On s’attend donc à ce qu’elle soit l’obsession de tout manager qui, chaque matin, en se rasant, doit se répéter la litanie suivante : « Comment vais-je accroître la confiance dans mon entreprise ? », « Comment développer de nouvelles solidarités entre les équipes ? », « Comment renforcer la confiance des clients dans la performance de nos produits ? », «  Quel élu dois-je voir cette semaine pour faire le point des actions communes à lancer ? », « Comment ne pas nous laisser embarquer dans une guerre totale et sans fin avec tout notre environnement ? »…
Or malheureusement, il n’en est souvent rien, et le discours managérial reste celui du guerrier, de l’affrontement… et finalement du développement des peurs et des craintes : « Les commerciaux ne se défoncent pas assez, il faut que je pense à faire augmenter leur part variable. », « Nos laboratoires s’endorment, je vais lancer une compétition entre ceux qui sont en Asie et ceux qui sont en Europe. », « En faisant changer la réglementation, nous allons tuer tous les concurrents, et être enfin tranquilles. », « Diminuons de 10% le volume du produit par flacon, les clients n’y verront que du feu. »…
Comme un décalage, non ?
Si jamais, vous pensez que j’exagère sur les effets néfastes des tous les systèmes de management reposant sur les carottes à gagner et les primes, regardez donc cette animation : elle illustre avec brio les vérités cachés sur ce qui nous motive vraiment…



(1) Successivement : On ne peut pas comprendre si l’on s’est inquiété à l’avance, Comment comprendre et agir ensemble sans confiance ?, et Passer de la compétition à la « confrontation compétitive »

19 avr. 2011

COMMENT COMPRENDRE ET AGIR ENSEMBLE SANS CONFIANCE ?

J’ai peur de moi, de toi, de nous…
Quand on est face à une situation nouvelle, pour avoir une chance de comprendre ce qui se passe, c’est-à-dire l’appréhender, il ne faut pas l’avoir appréhendée, c’est-à-dire ne pas l’avoir envisagée avec crainte (voir mon article d’hier). Confiance en soi préalable indispensable. Comment en effet, sans confiance en soi, faire le vide, lâcher prise, et laisser venir ?
Plus l’incertitude se développe, plus ce besoin de confiance en soi est nécessaire. Or question incertitude, on est servi, non ? Il suffit malheureusement d’ouvrir un quelconque journal pour en avoir sa dose quotidienne. Je dois dire qu’en écrivant au cours de l’année 2009 mon livre, Les Mers de l’Incertitude, je n’imaginais pas que ce thème de l’incertitude serait à ce point d’actualité…
Donc mieux vaut avoir faire le plein de confiance en soi, et ce n’est pas facile.
Est-ce suffisant ? Non, car, sans confiance dans les autres, sans confiance dans les systèmes et les organisations, mon appréhension va partir du mauvais côté, c’est-à-dire de celui de la crainte et de la peur à l’avance. A nouveau, je vais être tétanisé de crainte : « Il ne sera jamais à la hauteur », « Tous des incapables ! », « On me ment », « S’ils étaient compétents, ce ne serait jamais arrivé. », …
Pas facile de lâcher prise, si on a toutes ces questions en tête ! Comment arriver à comprendre ce qui se passe si l’on est a priori persuadé de l’incompétence des autres ou des systèmes ? Et puis, à quoi bon réfléchir puisque l’on sait avant.
Passons maintenant aux entreprises. Si chacun appréhende ce qui va arriver - soit par déficit de confiance en lui, soit par déficit de confiance en les autres, son service, son usine ou son entreprise -, ce n’est pas gagné ! Peu de chance que l’entreprise parte du bon côté de l’appréhension.
Et comment construire alors une confrontation positive sans confiance ? Or comme je l’ai déjà écrit, la confrontation est un élément essentiel face à l'incertitude(1) :
-          Le monde est trop complexe et mouvant pour qu'un individu puisse à lui seul avoir une interprétation exacte d'une situation donnée.
-          L'ajustement créé par la multiplicité des confrontations permet de maintenir une cohésion au sein de l'entreprise sans la rigidifier.
Sans confiance, la confrontation tournera au conflit et au pugilat.
La confiance nécessaire doit donc être triple : confiance en soi et en ses capacités, confiance dans les autres et en leur professionnalisme, confiance dans l’organisation et dans la qualité de la mer visée.

21 mai 2010

CONFIANCE, CONFIANCE, VOUS AVEZ DIT CONFIANCE ?

______ Éditorial du vendredi ________________________________________________________________

A partir ce cette semaine, les synthèses du vendredi seront faites sous la forme d'une vidéo courte. Une occasion de rendre ce blog plus vivant… du moins je l'espère !
N'hésitez pas à réagir et à me dire ce que vous en pensez

19 mai 2010

CONFRONTATION ET CONFIANCE, LE TANDEM DE L’INCERTITUDE

La peur n'est jamais bonne conseillère

J'ai déjà eu l'occasion à de multiples reprises de parler de la confrontation et de pourquoi je pensais qu'elle était un élément essentiel face à l'incertitude(1) :
- Le monde est trop complexe et mouvant pour qu'un individu puisse à lui seul avoir une interprétation exacte d'une situation donnée : grâce à la confrontation des différentes interprétations, une entreprise va pouvoir construire localement et dynamiquement des compréhensions plus complètes de ce qui se passe.
- L'ajustement créé par la multiplicité des confrontations permet de maintenir une cohésion au sein de l'entreprise sans la rigidifier : l'entreprise évite ainsi à la fois l'éclatement – chacun suit la dynamique locale sans maintenir l'articulation avec les autres – et la calcification – l'entreprise devient rigide et ne sait pas s'adapter aux évolutions.

Je rappelle que la confrontation n'est pas le conflit, et que quelques conditions sont requises pour qu'elle puisse se mettre en œuvre positivement :
- On ne se confronte pas sur les conclusions, mais sur l'analyse,
- On se connait mutuellement et on se respecte,
- On ne perd jamais de vue l'objectif commun

Une autre façon de formuler ces conditions est de dire qu'il faut que la confiance existe au sein de l'entreprise :
- Confiance en soi et en sa capacité à contribuer efficacement à l'avancée vers la mer commune : sans cette confiance en moi, je ne serai pas prêt à mettre mes convictions en débat et à écouter les autres interprétations.
- Confiance en les autres et en leur professionnalisme : sans cela, la confrontation tournera en un happening collectif où chacun cherchera à déstabiliser l'autre plutôt qu'à prendre en compte ses arguments.
- Confiance en la mer visée : elle est bien un attracteur stable dans le chaos de l'incertitude et l'entreprise est armée pour s'en rapprocher constamment.

Finalement, je crois que ce tandem « confrontation et confiance » est vraiment un élément clé pour le succès dans l'incertitude. C'est donc une des responsabilités essentielles de la Direction Générale de le promouvoir.

(1) Cliquer pour voir tous mes articles sur la confrontation. C'est aussi un thème important dans mon nouveau livre.
(2) Je mets volontairement deux photos issues de la série Docteur House. En effet, au-delà de son côté théâtral et caricaturalement agressif, House développe au sein de son équipe à la fois confrontation et confiance : chacun prend l'habitude d'exposer ses théories et n'a pas peur de la contradiction, il y a aussi entre tous une réelle confiance basée sur le respect du professionnalisme des autres ; enfin ils visent tous la même mer : trouver la solution de l'énigme médicale.