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9 mai 2012

ET ARRIVA UN NOUVEL ANIMAL

Le monde animal bouge, collabore… et communique (7) 
Voilà quelques dizaines de milliers d’années, pas grand chose au regard des quinze milliards écoulées depuis le Big-Bang, un nouvel animal a émergé, fruit du bricolage vivant. Un physique banal, ou du moins rien d’exceptionnel, rien pour en faire un athlète de la création, pas un de ces géants de l’ère des dinosaures.
Quand il est apparu, l’univers était devenu fort de son incertitude, de ses emboîtements et de ses émergences. On en était bien loin de l’état simple et primitif de la matière. Sous les empires conjugués de la loi de l’entropie qui ne cesse d’accroître l’incertitude, du chaos qui, tout en créant des systèmes structurellement stables, fait diverger les moindres décalages, de l’auto-organisation des cellules vivantes qui accélèrent les ajustements, et du monde animal qui progressivement a appris les langages et les représentations, le monde était infiniment complexe et imprévisible.
Ce nouvel habitant de la Terre allait porter un cran plus loin cette capacité animale à agir ensemble, à inventer et à construire. Avec lui, le langage deviendrait des mots, les représentations des symboles et des images dont il allait habiller les murs de ses habitations. Un matin, il en viendrait à entendre des voix intérieures, à se tourner en lui-même, à penser et se penser, et à vouloir comprendre ce monde qui s’était inventé bien avant lui.
Au bout de sa route, il allait transformer en profondeur la Terre qui l’avait vu naître, restructurant la nature et l’enchâssant dans des constructions de métal, de pierre et de verre. Il allait aussi se doter progressivement de structures collectives de plus en plus sophistiquées qui, emboîtant ses cellules familiales d’origines, seraient d’abord géographiques et tribales, pour devenir très récemment économiques et industrielles.
Alors cet animal, qui ne se reconnaissait plus dans ses congénères et se pensait comme une espèce à part, allait inventer l’art du management, cet art qui se voulait diriger ce monde collectif dans lequel la plupart vivaient.
Mais finalement comment comprendre l’art du management sans l’inscrire dans ce grand continuum qui l’unit au Big-Bang ?

2 mai 2012

NOUS SOMMES DES DOIGTS POUR LES FOURMIS

Le monde animal bouge, collabore… et communique (5) : Réagir à ce que l’on ne comprend pas
Dans Les Fourmis, le célèbre livre de Bernard Werber, nous vivons le monde au travers des yeux des fourmis, et apprenons que, pour elles, nous sommes des doigts. C’est en effet grâce à ces extrémités de nos mains que les fourmis nous connaissent le plus souvent. Mais comment à partir d’une information aussi incomplète, pourraient-elles se faire une idée, ne serait-ce qu’approchante, de qui nous sommes ? Impossible. C’est d’ailleurs la réponse qu’apporte Bernard Werber dans son livre.
Mettons-nous maintenant dans la peau, – si je puis dire… –, d’un des microorganismes qui nous habitent. Comment pourrait-il bien nous appeler ? Quelle expérience a-t-il de la cohabitation avec ce corps qui l’englobe ? S’il est conscient de quelque chose, – si tant est que le terme de conscience est un sens dans ce cas… –, cela ne peut être que des cellules qui l’environnent, ses alter-ego en quelque sorte.
Or, si jamais ces fourmis ou ces microorganismes nous importunent, nous allons chercher à les neutraliser, voire les détruire, à coup d’insecticides ou d’antibiotiques.
Voilà alors leur vie qui va s’arrêter brutalement, et pour une raison qui, au sens strict du mot, les dépasse : comment une fourmi qui, au mieux, a repéré les principales propriétés des « doigts » pourrait en inférer les dangers d’un insecticide. La quantité d’informations qu’elle détient, et sa capacité cognitive de traitement, même collectivement au niveau de la fourmilière, sont très certainement insuffisantes. Que dire alors du « pauvre » virus qui se trouve confronter à un antibiotique…
Et pourtant, on voit se développer des insectes résistants aux insecticides, et des virus résistants aux antibiotiques. Est-ce à dire que des races de surdoués auraient réussi à décrypter nos attaques, à les analyser et à trouver la parade ?
Non bien sûr ! C’est, une fois de plus, une des propriétés de l’évolution, et de la dérive naturelle telle que développée par Francesco Varela : à force de bricoler, et de se modifier aléatoirement, les solutions émergent et se répandent.
Pourquoi de tels développements sur l’incapacité des fourmis et des microorganismes à théoriser ce qui leur arrive, et sur l’émergence, pourtant, aléatoire de solution ? Parce que je crois que ceci s’applique aussi à nous, humains : nous comprenons beaucoup moins que nous le croyons ce qui nous arrive, nous définissons les choses par ce que nous en voyons ou percevons, et nous trouvons beaucoup plus souvent que nous ne l’imaginons les solutions par hasard.
J’aurai l’occasion de revenir plus tard sur ces points, mais, pour l’instant, je n’en ai pas fini avec les animaux…
(à suivre)

26 avr. 2012

QUE COMPREND-ON DE CE À QUOI ON PARTICIPE ?

Le monde animal bouge, collabore… et communique (4) : Sans microorganismes, pas de À la recherche du temps perdu !
Étonnant contraste entre la petitesse de la fourmi et la puissance de tout ce que collectivement elles peuvent réaliser. Dans mon article « La fourmi est petite, mais la fourmilière est grande », je présentais plusieurs de leurs prouesses les plus spectaculaires : la capacité de construire des ponts vivants pour franchir un obstacle, la fabrication d’un radeau étanche protégeant la reine et permettant de survivre aux inondations, l’invention de l’agriculture ou de l’élevage, trouver le plus court chemin entre deux points, optimiser la circulation… J’y évoquais aussi les performances des abeilles qui ne sont pas en reste en matière de prouesses collectives.
Le monde animal est ainsi peuplé d’espèces qui, faibles individuellement, sont fortes grâce à des propriétés qui émergent collectivement, c’est-à-dire des propriétés qui n’existent pas au niveau d’un individu, mais qui ne se manifestent qu’au niveau du groupe : une fourmi seule ne pourrait ni trouver le plus court chemin, ni résister à une inondation, ni faire de l’élevage de puceron ; une abeille seule serait de même incapable de trouver les meilleures fleurs…
Fascinante puissance du groupe.
Mais au fait, est-ce que chaque individu est conscient de ces propriétés émergentes ? Ou formulé autrement, une fourmi ou une abeille comprennent-elles ce qu’elles font et pourquoi elles le font ? Quand une fourmi s’associe à ses voisines pour créer un radeau et permettre à la fourmilière de devenir insubmersible, sait-elle ce qu’elle fait et pourquoi elle le fait ? Ou quand une autre de ses congénères se livre à la culture de champignons, est-elle consciente de participer à créer une nourriture indispensable à la survie future ? Et quand d’autres viennent au secours de nymphes pour faire partir des prédateurs, ont-elles en tête le nectar que cette même nymphe pourra donner en retour ?
Difficile de répondre à une telle question, non ?
Probablement un peu, sinon comment imaginer que chacune pourrait se prêter efficacement à sa tâche. Mais probablement pas complètement, car on ne voit pas bien comment la complexité de l’ensemble irait se loger dans la petitesse d’une seule. Une forme d’intelligence distribuée, en réseau : j’agis avec juste les informations nécessaires à mon action, mais sans savoir les buts finaux de mon action, buts qui me dépassent.
Sautons à un tout autre aspect de ce monde animal, et de ses emboîtements, à celui de ces multitudes d’organismes vivants qui habitent chacun de nous. Ils sont des millions de milliards à se promener sur nous et en nous. Infinité de la vie, de ses cohabitations et de ses articulations.
Chacun de ces microorganismes vit à son rythme, suit sa propre logique, subit les influences de ce qui l’entoure et contribue sans le savoir à la dynamique d’ensemble. Parmi ce troupeau invisible, certains nous sont nuisibles, d’autres au contraire sont nécessaires au bon fonctionnement de notre corps, contribuant à sa survie.
Repensons alors à la scène fameuse de Marcel Proust trempant sa madeleine et se retrouvant brutalement replongé dans son enfance à Combray chez sa tante Léonie. L’écriture de cette scène n’a été possible que grâce à l’existence de ces microorganismes qui habitaient le corps de Marcel Proust. D’une certaine façon, on se trouve à nouveau devant une propriété émergence : pas de microorganismes, pas de À la recherche du temps perdu.
Mais cette fois l’émergence est lointaine, et non pas de proximité comme avec les fourmis et les abeilles de tout à l’heure. Et plus de doute à avoir : ces microorganismes ne peuvent pas même imaginer ce à quoi ils contribuent. Soyons rassurés, leurs descendants ne vont pas venir demander leur part des droits d’auteurs !
(à suivre)

24 avr. 2012

HARO SUR LES MOUSTIQUES !

Le monde animal bouge, collabore… et communique (3)
Il était immobile, plaqué sur le plafond de la chambre à regarder, de façon obsessionnelle, ma veine qui palpitait. Persuadé que je dormais, n’en pouvant plus d’attendre, il se décida à plonger.
C’est ainsi que commença un des mes plus violents combats nocturnes : la lutte infernale et sans cesse renouvelée contre le moustique. Pendant de longues minutes, tout vola dans la pièce : je lançai tour à tour mes baskets, une serviette de bain qui passait par là, un pantalon, mes mains… et pour finir, un tee-shirt qui, sans raison particulière, atteint, lui, son but. Le moustique finit ainsi, venant accompagner les tâches gagnées dans la journée.
Épuisé par cette lutte, je m’assis sur mon lit et me posai alors cette question simple : pourquoi ce moustique voulait-il me piquer, et plus généralement, pourquoi les moustiques veulent-ils piquer les humains ?
Est-ce pour nous empêcher de dormir ? Pour assouvir une vengeance lointaine et oubliée, une forme de vendetta ?
Ou est-ce le fruit d’une analyse comparative scientifiquement menée, un test qui aurait démontré aux moustiques que, dans la grande bataille de la survie, le sang humain était la meilleure nourriture ?
Je rêvais d’une assemblée de moustiques, un conseil supérieur de leur espèce, qui aurait supervisé cette étude. Des milliers et des milliers de tests, une infinité de peaux piquées, des myriades d’éprouvettes remplies des prélèvements, des générations de moustiques mises à l’épreuve, un grand plan de formation pour améliorer le piqué et la vitesse de succion… Tout cela pour aboutir logiquement, rationnellement et efficacement à cette guerre des moustiques contre le repos des humains.
Évidemment cela ne s’est pas passé comme cela.
Comment les moustiques en sont-ils donc arrivés à devenir ces vampires nocturnes ? Comme toujours par hasard…
Tout avait effectivement commencé, il y a longtemps, très longtemps même : le lointain ancêtre du moustique était un insecte qui, comme bon nombre d’autres, avait développé un appendice effilé pour absorber un liquide, une sorte de paille si vous voulez. Pratique pour survivre et boire rapidement.
Un jour, l’un d’eux est parti en promenade, et s’est posé sur la peau d’un animal à sang chaud. Or cette peau, pour assurer la régulation de température et les échanges avec l’extérieur, était poreuse. Notre moustique préhistorique, perdant l’équilibre, a logé son appendice très effilé dans l’orifice. Une fois à l’intérieur, il a trouvé un liquide riche et nourrissant : du sang. Il a trouvé cela tellement bon qu’il en est devenu complètement accro, et qu’il a fait partager l’aubaine à ses congénères.
Et voilà…
(à suivre)

23 avr. 2012

À GAUCHE OU À DROITE ?

Le monde animal bouge, collabore… et communique (2)
La gazelle était là, tranquille. Fatiguée par une longue journée passée à sillonner la savane, repue de toutes les herbes glanées de-ci de-là, elle pensait goûter d’un repos bien mérité au bord de sa poche d’eau favorite. Mais ce ne fut pas le cas. Elle sentit très vite le danger. D’abord un craquement dans le lointain, puis cette odeur qu’elle avait, depuis son enfance, appris à reconnaître. Elle se figea, sachant un lion tapi derrière le buisson qui jouxtait les arbres.
Elle savait qu’elle n’avait qu’une chance pour lui échapper : la fuite et la course. Heureusement, forte de son dernier chrono – elle venait de réaliser une pointe à 104 km/h, nouveau record des gazelles de la savane locale –, elle était sûre de pouvoir échapper à n’importe quel lion.
Bien, mais il s’agissait de ne pas trébucher, ni de se retrouver prise en tenaille entre plusieurs lions. Et surtout pas un guépard, son ennemi juré, le seul à pouvoir la rattraper.
Alors devait-elle partir à gauche ou à droite ?
Elle n’eut pas le temps de finir sa réflexion, car le lion jaillit brutalement. Sans réfléchir, elle partit vers la droite, et, telle une fusée, disparut dans les herbes de la savane. Le lion eut beau faire de son mieux, il ne la rattrapa pas. Pas grave se dit-il, je me ferai la suivante…
Ainsi va le monde animal. Rien n’est certain, rien n’est gagné d’avance. Quand un lion surgit, la gazelle s’en va… mais impossible de savoir si elle partira à gauche ou à droite, et pas moyen de prévoir de façon certaine l’issue du combat…
(à suivre)

19 avr. 2012

SI PETITE FOURMI !

Le monde animal bouge, collabore… et communique (1)
A proprement parler, nous regardons de haut les fourmis. Il faut dire, ou écrire en l’occurrence, qu’elles sont si petites par rapport à nous. Même pas la taille d’un de nos doigts, le plus souvent plus petites qu’un de nos ongles. Donc de leur cerveau, inutile d’en attendre grand-chose, il est si petit que nous l’imaginons insignifiant. A peine la place pour un tout petit réseau neuronal.
Avec un chien ou un chat, on peut avoir un semblant de communication. Avec un cheval, un singe ou un dauphin, aussi. Mais avec une fourmi ? Impossible de la regarder les yeux dans les yeux ; inutile de lui lancer une balle, elle ne la ramènera pas ; même à votre retour de vacances après une longue absence, n’espérez pas être accueilli par des sauts de fourmis ou des cris de joie.
Par contre, laissez tomber un peu de nourriture par terre et vous allez les voir accourir. Ou plutôt, vous allez d’abord en voir une, puis dix, puis cent, puis vous ne pourrez plus les compter.
Pourtant ces fourmis que nous méprisons, dès qu’elles sont en groupe, elles font des prouesses et elles ont largement conquis le monde. Impossible de marcher en un quelconque endroit du globe sans tomber sur une de leurs colonies.
Le record en terme de taille semble être détenu par la Formica yessensis, une espèce de fourmi des bois, qui a construit une colonie de 45 000 nids sur 1 250 hectares à Hokkaidō (Japon), abritant plus d’un million de reines et 306 millions d’ouvrières.
Bref à cause du monde animal, notre univers littéralement fourmille de vie qui va dans tous les sens. Avec la matière inerte, on avait l’entropie et le chaos, avec le végétal l’auto-organisation et la dérive naturelle. Le voilà avec le monde animal prit comme de folie : danserait-il la Saint-Guy au rythme du mouvement brownien de toutes ces espèces qui s’y sont répandues ?
(à suivre)

18 avr. 2012

LA VIE DÉRIVE NATURELLEMENT

La vie végétale bricole comme elle peut… (5)
Comment évolue donc le monde ? Comment est-on passé de ce moment « simple » du big-bang où tout était en un quasi-point, en un seul état et une seule force, à ce monde si complexe du végétal, et demain au monde animal, et bientôt à l’homme ?
Faut-il absolument un architecte qui en aurait défini les règles et le piloterait ? Mais comment une telle vision serait-elle compatible avec la loi de l’incertitude, et le principe de son accélération ? Aurait-il lui une connaissance infiniment précise qui ferait que, malgré les lois du chaos, les évolutions lui seraient prévisibles ?
Tout ceci n’emporte pas ma conviction, et sans préjuger de l’existence ou non d’un architecte, je ne le vois pas ayant un rôle prédictif de ce qui est en train de se passer. Surtout que nous pouvons très bien avoir une explication plausible de l’évolution sans une telle hypothèse.
Je vais reprendre ici en la résumant l’approche développée par François Varela, approche qui constitue une forme d’actualisation de la théorie de Darwin, et qu’il appelle la dérive naturelle.
En simplifiant la vision développée par Darwin, elle reposait sur l’affirmation suivante : un être vivant passe d’un état A à un état B parce, dans cet état B, il est mieux adapté que dans A au milieu dans lequel il vit.
Cette affirmation pose deux problèmes majeurs :
-        Le milieu dans lequel il vit n’est pas un point fixe ou un référent immuable : ce milieu évolue lui-même, et c’est donc d’une co-évolution qu’il s’agit. Tout bouge en même temps.
-        On ne peut pas définir intrinsèquement qu’un état est mieux adapté qu’un autre : vu le nombre de variables mises en jeu, toute préférence est contingente et fonction de la grille de critères choisis, ainsi que de la pondération.
Les « possibles » sont en beaucoup trop grand nombre pour pouvoir être comparés entre eux, et la notion d’optimisation absolue n’a pas grand sens. Tout est emmêlé et il n’y a pas de juge de paix capable de définir la meilleure évolution : trop de variables, trop d’interdépendances, trop de boucles retour. Si l’évolution procédait ainsi, elle n’aurait jamais commencé !
Non, l’optimisation est plus modeste, elle est contextuelle et locale : une évolution se produit non pas parce qu’elle est optimale, mais simplement parce qu’elle est acceptable, parce qu’elle apporte une solution possible.
Ainsi la logique de l’évolution est peu précise et floue, elle tâtonne et dérive d’écueils en écueils. Elle n’est certaine qu’a posteriori, car a priori rien ne s’imposait vraiment. Disons que la vie « joue au tennis » : comme au tennis, les règles de l’évolution ne définissent pas à quelle hauteur il faut précisément lancer la balle, ni à quel endroit elle doit exactement rebondir. Elles se contentent de mettre un filet, de dessiner des lignes et, laissent la vie jouer avec.
Cette recherche de solution acceptable se produit au sein de chaque composante du monde. Au plus profond de la matière inerte comme vivante, se poursuit une course en avant de déséquilibre en déséquilibre : chaque unité, quelle que soit sa taille et sa nature, a autour d’elle un champ de possibles qui est la résultante des contraintes qui lui sont appliquées. Ces contraintes proviennent des lois qui régissent l’univers, et aussi des conséquences des mouvements des autres unités qui l’entoure, la compose et l’emboîte.
Chaque unité bricole donc avec ses voisines, et cahin-caha le monde avance.
Comme tout végétal est constitué d’une multitude de sous-systèmes emboîtés, et que chacun de ces sous-systèmes n’est ni seul, ni simple, les interférences entre tous les logiques auto-organisatrices dessinent un bricolage dynamique d’une complexité défiant toute modélisation. On ne peut que constater l’évolution, et en aucun cas la prévoir : Francesco Varela parle de solution « satisficing », c’est-à-dire instantanément satisfaisante.
Mais cette « satisfaction » n’est que provisoire et dynamique. L’évolution est permanente, et pour prendre une autre image, le monde fait du vélo en permanence : si jamais il s’arrêtait de bouger, il tomberait.
Telle semble bien être la logique apportée par la vie, telle est sa contribution décisive à l’accélération de l’incertitude : elle transforme les encastrements des poupées russes de la matière inerte, en un flux mouvant et changeant d’interactions emboîtées.

17 avr. 2012

LE PRINCIPE DE L’ACCÉLÉRATION DE L’INCERTITUDE

La vie végétale bricole comme elle peut… (4)
Le vivant est-il né pour accélérer les battements de l’incertitude ?
Je n’ai aucun élément pour le démontrer, mais je suis prêt à parier que c’est le cas… surtout quand l’observe que cette incertitude va continuer à accélérer avec l’apparition du monde animal, puis des humains, et plus récemment avec le Neuromonde.
Prenons-le donc comme le principe de l’accélération de l’incertitude que j’énoncerais ainsi : non seulement tout système isolé évolue spontanément en augmentant le nombre de ses possibles et devient d’instant en instant moins prévisible, mais la vitesse de l’augmentation du nombre de ses possibles est croissante.
Retournons au tout début de notre univers, juste après le big-bang. Que se passe-t-il alors ? Non seulement la loi de l’entropie, mais aussi la multiplication du nombre de corps en interaction. Un seul ou quasiment à l’instant initial, puis les particules, et etc.
Or Henri Poincaré a démontré dès le début du XXe siècle, que l’équation dynamique d’un système à trois corps était déjà insoluble. Plus le nombre de corps est grand, plus dans toute portion de l’espace, j’en trouverai plus de trois. Ainsi, l’accroissement exponentiel du nombre de corps en interaction vient non seulement accroître l’incertitude, mais le faire de plus en plus vite.
J’avais donc omis ce point essentiel quand j’ai reformulé la loi de l’entropie (1) : même avant le vivant, non seulement l’incertitude s’accroissait, mais cela arrivait de plus en plus vite. Le nombre d’états qui composent l’univers non seulement s’accroît, mais la vitesse d’accroissement aussi.
Que s’est-il passé alors ?
Est-ce que cette vitesse arrivait à une asymptote dans la matière inerte ? Est-ce que cette accélération continue devait nécessairement conduire à des interactions dynamiques, à l’homéostasie, et donc à la vie ? Est-ce que la naissance du vivant était inéluctable ?
Je crois que le mot inéluctable n’est pas le bon. En effet, rien n’est jamais ni inéluctable, ni écrit à l’avance : comme je l’ai indiqué précédemment dans « Le champ des possibles n’existe pas », l’univers ne fait que définir ce qui ne peut pas advenir, pas l’inverse.
Donc ce que l’on peut dire, c’est que l’apparition du vivant est logique, car c’est une façon pertinente d’accélérer la croissance de l’incertitude : tout se passe dans des intervalles de temps plus court.
Est-ce qu’il aurait pu ou pourrait exister d’autres façons pertinentes de l’accélérer ? Peut-être, et même probablement oui. Est-ce qu’elles existent quelque part dans l’univers ? Peut-être, et même probablement…
Mais comme je ne suis inclus que dans la réalité de ce monde et du vivant, je vais me centrer sur celle-ci…
(à suivre)

16 avr. 2012

LA VIE ACCÉLÈRE L’HORLOGE DE L’IMPRÉVISIBILITÉ

La vie végétale bricole comme elle peut… (3)
Comment caractériser la vie, et quelles sont ses caractéristiques essentielles qui la différencient de la matière inerte ?
Pour faire simple, je dirai… qu’elle est vivante ! C’est-à-dire parce qu’elle peut s’adapter dynamiquement et rapidement aux conditions du milieu dans lequel elle est plongée, et parce qu’elle peut se reproduire. Adaptation et reproduction.
L’adaptation implique qu’une cellule vivante ne reste littéralement jamais en place. Elle n’est que flux et changement. A la différence d’un morceau de matière inerte, un corps vivant ne peut être ni pensé, ni compris, immobile et figé. Il est en perpétuelle transformation. Il est dynamiquement identique à lui-même, c’est-à-dire aux règles qui le définissent, mais si vous l’arrêtez, il cesse précisément d’être vivant, pour redevenir matière inerte.
La reproduction n’est pas non plus un facteur de stabilité, car elle n’est pas une photocopie de ce qui préexistait. Au contraire, chaque « enfant » hérite des codes génétiques de son ou ses « parents », mais avec toujours une subtile différence. Or qui dit « subtile différence », dit de potentielles macro-divergences, grâce aux effets du chaos. Il y a de cela cinq ans, j’ai planté devant ma maison en Provence, cent quarante nouveaux chênes, possible truffière future. Depuis des mois et des années ont passé. Une goutte d’eau dans l’épaisseur du temps de l’univers, une virgule imperceptible, et pourtant ils sont déjà ces cent quarante petits arbres si différents. Les uns ont à peine grandi, quand d’autres mesurent nettement plus d’un mètre. Aujourd’hui, je sais lesquels ont le plus profité, mais comment aurais-je pu le savoir au départ ?
Ainsi va la vie. Grâce à elle, l’univers a acquis un nouveau niveau d’incertitude : elle se manifeste dans une échelle de temps qui n’a plus rien n’avoir avec celle de la matière inerte. L’incertitude du vivant bat plus vite, l’horloge de l’imprévisibilité vient de considérablement accélérer.
(à suivre)

12 avr. 2012

LA VIE MALAXE SANS CESSE LA MATIÈRE

La vie végétale bricole comme elle peut… (2)
Intéressons-nous à une molécule d’eau, un morceau de calcaire ou une montagne. Ils sont incontestablement dans un état beaucoup plus complexe que la matière au moment du big-bang : la molécule d’eau est un assemblage sophistiqué de particules élémentaires et elle est en interaction constante avec tout ce qui l’entoure, sous les contraintes des quatre grandes forces de la nature. Si j’arrive à zoomer à l’intérieur de cette molécule, je vais apercevoir le mouvement chaotique et quantique des particules. Quant au calcaire, sa composition est beaucoup plus complexe, et celle de la montagne fait, elle, intervenir un grand nombre de molécules. Dans tous les cas, derrière la stabilité apparente, il y a un mouvement interne, largement imprévisible.
Enfin, si je les observe sur une très longue période, disons quelques millions d’années, plus rien n’est stable, ni prévisible. Le calcaire va se transformer, la montagne s’effondrer, et l’eau s’être évaporée ou avoir été associée à d’autres molécules. Multiplicité des états possibles tant présents à l’intérieur de la matière, que futurs, et donc imprévisibilité et incertitude.
Mais si je les regarde à mon échelle de temps et d’espace, ils me semblent terriblement prévisibles et je peux modéliser ce qu’ils vont devenir. Notons quand même que si la molécule d’eau est partie prenante d’un nuage, les perturbations sont beaucoup plus rapides et incertaines. Il suffit de voir l’imprécision de la météorologie pour s’en persuader. Mais le plus souvent, nous percevons le monde inerte comme prévisible.
Avec la vie, le mouvement change de rythme : la cellule échange sans cesse avec son environnement, et les perturbations qui se faisaient avant souvent sur des périodes longues, sont cette fois accélérées. Voilà à cause de la vie, le nombre d’états possibles dans un délai de temps donné, au sens d’accessibles, considérablement augmenté.
La vie apporte par son nouvel ordre, l’auto-organisation, une explosion de l’incertitude. Elle assure en quelque sorte l’émergence au niveau macroscopique de l’instabilité qui n’était jusqu’alors qu’au niveau macroscopique. Avant la vie, il fallait descendre jusqu’aux particules élémentaires, pour ne pas savoir exactement où elles se trouvaient, ni quel était leur niveau d’énergie réel. En dehors de ces échelons cachés dans la profondeur de la matière, le reste semblait prévisible, car si les processus d’évolution étaient chaotiques, ils étaient le plus souvent lents.
Avec la vie, rien de tel : tout change constamment et continûment. La vie malaxe la matière sans cesse, et de façon imprévisible. Allez donc prévoir la forme d’un chêne, ou quelle sera sa taille dans cinq ans, à partir de la taille d’un gland et de la nature du sol où il est planté…
Le vivant comme la matière inerte suit bien les lois de l’entropie et du chaos : accroissement de l’incertitude et sensibilité extrême à tout changement des conditions initiales. 
(à suivre)

11 avr. 2012

MÊME LES CHÊNES NE NAISSENT PAS ÉGAUX

La vie végétale bricole comme elle peut… (1)
Assis sur la terrasse de ma maison en Provence, tout en tapant ces lignes sur le clavier de mon ordinateur, je regarde ces chênes qui commencent à se dessiner au milieu des lignes des lavandes. Certains ont largement dépassé le mètre de haut, alors que d’autres n’émergent pas et restent cachés par les lavandes voisines.
Pourtant, ils ont tous été plantés en même temps, voilà environ cinq ans, proviennent tous du même producteur – ils sont sensés produire des truffes dans quelques années –, et se trouvent sur le même type de sol.
Mais voilà, rien n’est jamais si simple avec le vivant : un peu plus d’eau ici, un peu moins de minéraux là, un rien d’ombre portée par un arbre voisin, peut-être quelques vers trop souvent de passage, sans parler de toutes les herbes sauvages venant se semer et se reproduire au hasard du vent.
Et voilà donc plus de cent chênes que l'on pourrait croire égaux, mais qui ne le sont pas vraiment, et ce en quelques années. Ainsi va le monde végétal, il diverge, bifurque, s’amuse à se rendre imprévisible…
(à suivre)

2 avr. 2012

LA LOI DE L’INCERTITUDE, LOI DE NOTRE MONDE

Emboîtements, émergences et incertitude (5)
Décidément la vision de Laplace est mise à mal par la science moderne. Mathématicien du XVIIIe siècle, il était persuadé que, pour une intelligence suffisamment vaste et complète, « rien ne serait incertain pour elle, et l’avenir comme le passé serait présent à ses yeux. » (1). Qu’il aille donc faire un tour dans la bibliothèque de Babel de l’Univers, où, non seulement, le nombre de livres est sans cesse croissant, mais aussi le rangement des livres sur les étagères perpétuellement modifié !
Henri Poincaré, dès le début du XXe siècle avait vu juste en affirmant que : « Lors même que les lois naturelles n’auraient plus de secret pour nous, nous ne pourrons connaître la situation initiale qu’approximativement. (…) La prédiction devient impossible et nous avons le phénomène fortuit. » (2)
Dommage que Henri Bergson n’ait pas eu l’occasion de connaître cette incertitude inhérente à la matière inerte. En effet, comme il en était resté à la vision laplacienne du monde, il était constamment « dérangé » dans ses réflexions par la soi-disant prévisibilité potentielle de cette matière inerte. Il avait donc constamment besoin de parler du vivant et de son imprévisibilité pour appuyer ses raisonnements. Comme il aurait été rassuré de savoir que dès les douze premiers milliards d’années de l’univers, le temps avait une flèche, et l’imprévisible non seulement régnait, mais grandissait !
Aussi est-il possible de dire à l’aube de l’apparition de la vie que déjà : « la création continue d’imprévisible nouveauté qui semble se poursuivre dans l’univers. (…) J’ai beau me représenter le détail de ce qui va m’arriver : combien ma représentation est pauvre, abstraite, schématique, en comparaison de l’événement qui se produit ! » (3)
Enfin plutôt que de dire que le monde évolue entre ordre et désordre, je dirais qu’il construit sans cesse un nombre croissant d’ordres possibles qui sont autant de réarrangements de la matière, et que celle-ci joue malicieusement en sautant de l’un à l’autre. Elle donne l’impression d’allier ordre et désordre, mais c’est surtout d’incertitude et d’imprévisibilité qu’il faudrait parler. C’est ce que j’appelle la loi de l’incertitude, loi qui, depuis l’aube du big-bang, a conduit la matière inerte à devenir un jeu complexe d’emboîtements, de relations et de dépendances.
(1) Pierre Simon de Laplace, Essai philosophique sur les probabilités
(2) Henri Poincaré, Sciences et méthodes
(3) Henri Bergson, Le possible et le réel

26 mars 2012

HISTOIRE DE BIG-BANG

Emboîtements, émergences et incertitude (1)
Il y a près de quinze milliards d’années, big et bang, big-bang, tout commence. Ou plutôt le temps et le monde dans lequel nous vivons, émergent, car nous sommes bien incapables de remonter plus loin. Parler d’avant n’aurait d’ailleurs pas vraiment de sens, puisque le temps naît alors. Il n’y a pas d’avant. Et comment, nous qui sommes immergés dans le temps, pourrions-nous penser une situation où il n’existe pas ?
Pourquoi le big-bang a-t-il lieu, et pourquoi y a-t-il un commencement à notre monde ? Question fascinante, et vertigineuse, sensation d’être littéralement dépassé par cette question qui relève plus d’une pensée religieuse, d’un acte de foi que d’une réflexion structurée. À part de dire comme je viens de l’écrire, que l’on ne peut rien en dire…
Henri Bergson, dans le Possible et le Réel, qualifie ce problème de pseudo-question. J’aime bien comme il ramasse si efficacement l’absurdité de la question par sa formulation : « L’idée d’une suppression de tout a juste autant d’existence que celle d’un carré rond ». Ou exprimé autrement comment moi qui suis incarné dans le monde, prisonnier de sa temporalité et de son existence, pourrais-je m’en extraire et penser « avant » le monde, c’est-à-dire en dehors de ce qui est moi ? Le propos de Ludwig Wittgenstein, « Ce dont on ne peut parler, il faut garder le silence », s’applique dans sa brutalité.
Bref, quitte à décevoir ceux qui sont dans la recherche métaphysique de l’origine du monde, laissons-les de côté et intéressons nous à ce qui se passe à partir du big-bang.
Faisons un arrêt sur image sur ce moment fondateur et un zoom sur les toutes premières minutes.
Initialement, tout est « simple » : aucun emboîtement, aucune différentiation et quasiment aucune distance. Toute la matière est concentrée en un point infinitésimal, et n’est composée que de particules élémentaires identiques, les quarks, soumises à une seule force, le tout à une température phénoménale de 1032 degrés Kelvin.
Immédiatement, les premiers emboîtements commencent, la course vers la complexité et la différentiation s’amorce. Tout d’abord, dix millionième de seconde après, alors que la température n’est « plus que » de dix milliards de degrés Kelvin, la force unique s’est scindée en quatre.
A quoi servent donc ces nouvelles forces ? Elles définissent comment les composants de la matière inerte du monde interagissent entre eux. Elles sont à la fois la « glu » et la « graisse » du monde, ce qui va lui donner sa cohésion et sa souplesse, ce qui va donner des solidités extrêmes à courte distance (la force nucléaire forte) comme des attirances lointaines (la gravitation). En quelque sorte, elles relient et repoussent, elles assemblent et opposent.
Grâce à elles, le jeu des poupées russes peut commencer, plus rien ne l’arrêtera : les relations de proximité « soudent » les particules, les quarks se combinent, pour donner naissance aux neutrons et aux protons ; puis les neutrons et les protons, trois minutes plus tard, s’associent à leur tour, et naissent l’hydrogène et l’hélium ; ensuite, bien plus tard, naîtront tous les composants de base, comme l’eau ou les chaînes carbonées.
Non seulement la matière se tisse et se complexifie, mais elle s’étend au fur et à mesure qu’elle se refroidit. Depuis le big-bang, l’univers est en perpétuelle expansion. Ce qui était immensément dense, se répand, les particules s’éloignent les unes des autres. Mais elles ne restent reliées entre elles, magie de la gravitation.
Le tissage de la matière a commencé, les emboîtements aussi, car rien ne disparaît, et tout se retrouve à l’intérieur de ce qui se crée : les quarks sont dans les neutrons ou les protons, les neutrons dans l’hydrogène ou l’hélium, l’hydrogène dans l’eau. Si nos yeux étaient des microscopes électroniques, nous serions pris d’un vertige vertical.
De fil en aiguille, de poupée russe en poupée russe, les galaxies, puis les étoiles et les planètes se forment. Ainsi va le monde de la matière inerte...
(à suivre)

19 déc. 2011

LES “RÉVOLURGENCES” DE NOTRE MONDE

Emboîtements et émergences (3)
Depuis quinze milliards d’années, le monde joue aux poupées russes, aux emboîtements qui tissent la matière et la vie.
Qu’est-ce qui fait qu’un emboîtement en est un bien un, et pas seulement une collection d’éléments ? Quelle est la « glu » qui le cimente ?
Dans les Mers de l’incertitude, j’écrivais à ce sujet : « Qu’est-ce qui fait qu’une collection d’éléments n’est pas seulement une juxtaposition, mais crée un niveau ? C’est l’existence d’au moins une règle commune et nouvelle qui fait que c’est bien un niveau et non pas une collection d’éléments : une collection de stylos ne devient pas un niveau et reste un ensemble d’objets ; une collection de personnes devient un groupe et donc un niveau, si elles suivent des règles communes (des lois, des us et coutumes,…). C’est l’existence de ces règles qui lui apporte ses propriétés spécifiques. »
À ces règles communes, correspondent des propriétés nouvelles qui émergent. Ces propriétés n'existaient pas au niveau précédent, ni partiellement, ni même comme esquisse. Comment en effet dire que les propriétés d'un atome sont inscrites dans celles d'une particule, celle de l'oxygène dans un électron ou d'une chaîne carbonée dans le carbone ? Comment relier notre identité et notre conscience individuelle à partir de ce que nous comprenons des cellules qui nous composent ?
Ou comme l’écrivait Yongey Mingyour Rinpotché dans le Bonheur de la méditation, « Ma main n’est pas mon moi, mais elle est à moi. Bien, mais elle est faite d’une paume et de doigts, elle a une face supérieure et une face inférieure, et chacun de ces éléments peut être décomposé en d’autres éléments comme les ongles, la peau, les os, etc. Lequel de ces éléments peut être appelé « ma main » ? »
Ainsi ces propriétés émergentes, si elles sont rendues possibles par ce qui les composent, et lui sont indissolublement liées, sont à chaque fois une innovation profonde et révolutionnaire.
Oui, ces deux mots d'émergence et de révolution sont bien au cœur de l'élaboration de notre monde : émergence, car ce qui nait se produit sans être inscrit dans ce qui le précède; révolution, car chaque étape vient comme faire table rase de ce qui existait avant.
Ainsi est né notre monde, et ainsi il a continué. Le meccano a construit la matière inerte qui a, au moins sur notre planète, "inventé" la vie.
Émergences et révolutions perpétuelles, révolurgences si vous me permettez ce néologisme pour décrire ce couple inséparable.
(à suivre)

15 déc. 2011

TOUT S’EMBOÎTE… MAIS POURQUOI ?

Emboîtements et émergences (2)
Les quarks s’emboîtent dans des atomes qui composent les minéraux qui sont nécessaires aux cellules qui constituent chaque organisme vivant… Et ainsi va le jeu de la vie, du bricolage et de l’auto-organisation.
Chaque être vivant « respire » avec son environnement, échange, absorbe, rejette, se modifie… et s’articule avec ce qui l’entoure. Seul, il est limité, fragile et vulnérable. Associé à d’autres, il acquiert de nouvelles forces, de nouvelles propriétés. Il y perd de sa liberté, mais il gagne en résilience, en capacité à survivre dans les aléas qui l’entourent.
Souvent il s’associe avec ses alter egos, ceux qui lui ressemblent et sont issus de la même dérive biologique. C’est sa tribu, son groupe, sa niche. De la fourmi nait la fourmilière, de l’abeille la ruche1, et de l’homme l’humanité.
Il lui faut aussi collaborer avec les autres, trouver les bonnes symbioses, se changer et changer ses voisins pour accroître ses chances d’être là un peu plus longtemps. L’abeille et la fleur apprennent à se séduire mutuellement, les fourmis et leurs troupeaux s’apprivoisent, tous les écosystèmes bricolent ensemble.
Voilà bien la flèche du temps depuis le Big-Bang : la construction d’emboîtements de plus en plus complexes et imbriqués. Cela dure depuis près de quinze milliards d’années, et, sans cesse, de nouvelles poupées russes viennent entourer les précédentes.
Pourquoi donc ?
Comment répondre à une telle question ? Faut-il d’ailleurs toujours chercher des pourquoi ? Ou du moins, le sens des choses et de la vie sont-ils accessibles à nous qui ne sommes finalement qu’un morceau de ce tout en mouvement perpétuel ? Impossible de savoir…
Une remarque toutefois qui me semble potentiellement éclairante : ce sont les emboîtements qui ont permis l’émergence de nouvelles propriétés, propriétés qui n’étaient même pas embryonnaires à l’échelon inférieur.
Et si l’on suivait ce fil du couplage des emboîtements et des émergences…
(à suivre... la semaine prochaine...)

13 déc. 2011

POURQUOI LE MOUSTIQUE PIQUE-T-IL ?

La vie évolue au gré des heurs et malheurs, nés de rencontres aléatoires et imprévisibles…
Extrait des Mers de l’incertitude
Je déteste les moustiques. Probablement, vous aussi.
Souvenirs multiples d’été, où, parce que j’avais laissé la fenêtre ouverte alors que la lumière était allumée, les nuits ne furent qu’une longue suite de bourdonnements, de batailles sans fin au cours desquelles ma main maladroite et endormie essayait désespérément de mettre un terme à la vie de cet insecte. Les lendemains, je ne pouvais que mesurer l’étendue des dégâts au nombre des cloques rouges, et la démangeaison venait me rappeler le danger de la fenêtre ouverte…
Or ces moustiques, je ne les connaissais pas, ne leur avais rien fait. Alors pourquoi venaient-ils ainsi m’agresser ? Je connais bien sûr la réponse : s’ils me piquent, c’est pour se nourrir.
Mais vous êtes-vous déjà posé la question suivante : comment cela a-t-il commencé ? Pourquoi le moustique s’est-il mis à nous piquer ? Est-ce qu’un jour, il y a longtemps, très longtemps, les ancêtres des moustiques se sont réunis pour savoir comment assurer leur survie et améliorer leur nourriture quotidienne ? Auraient-ils alors mené une étude approfondie pour inventorier toutes les possibilités ? Parmi celles-ci, ont-ils identifié celle de venir piquer des animaux, dont nous, pour prélever du sang ? Ont-ils procédé méthodiquement à des tests, pour finalement conclure, que, oui, le sang était bien la meilleure option ? Ont-ils enfin formé tous leurs jeunes à l’art de piquer vite et bien ?
En un mot : le moustique pique-t-il parce que c’était la meilleure solution et que l’évolution a donc été orientée dans cette direction ?
Non, évidemment cela ne s’est pas passé comme cela.
Tout a effectivement commencé, il y a longtemps, très longtemps même : le lointain ancêtre du moustique était un insecte qui, comme bon nombre d’autres, avait développé un appendice effilé pour absorber un liquide, une sorte de paille si vous voulez. Pratique pour survivre et boire rapidement. Un jour, l’un d’eux s’est posé sur la peau d’un animal à sang chaud. Or cette peau, pour assurer la régulation de température et les échanges avec l’extérieur, était poreuse. Comme l’appendice était très effilé, il a pu pénétrer à l’intérieur et a trouvé un liquide riche et nourrissant : du sang. Il a trouvé cela tellement bon qu’il en est devenu complètement accro, et qu’il a fait partager l’aubaine à ses congénères.
Et voilà, comment une espèce est devenue une sorte de vampire nocturne : par le hasard de la rencontre d’un appendice créé pour boire un liquide et d’une peau perméable pour assurer la respiration. Cette rencontre fortuite a modifié le cours des deux espèces : la survie du moustique a été garantie, l’espèce s’est développée… et, dommage collatéral, la malaria s’est propagée.1
(1) J’ai librement développé et réinterprété cet exemple donné par Ian Stewart dans son livre Dieu joue-t-il aux dés ?

12 août 2011

SE CRÉER UN COMPOST MENTAL POUR POUVOIR INNOVER

Accepter de passer du temps pour rien… du moins apparemment ! (26 juin 2009)

Mon livre Neuromanagement est largement « né par hasard ». Qu'est-ce à dire ?
Bien sûr que son écriture à proprement dite a été un acte volontaire ! Mais sa naissance a été involontaire. Comment cela s'est-il passé ?


Tout a commencé par un dîner au cours duquel un ami m'a parlé des neurosciences : depuis qu'il était à la retraite, il avait assisté à des conférences en France et aux États-Unis, rencontré un bon nombre de chercheurs, lu leurs livres et avait amorcé une réflexion personnelle. A l'issue de cette discussion qui m'avait passionné, il m'a envoyé un mail avec les livres à lire en priorité (Damasio, Ledoux, Naccache et … Spinoza).
Je me suis alors plongé dans cette lecture sans autre raison que la curiosité. Au milieu de ce « chemin », ceci m'a rappelé la vision de la mémoire qui émane de « A la recherche du temps perdu » de Marcel Proust, une mémoire qui se compose et de recompose sans cesse. J'ai décidé alors de faire une pause et de relire Proust. Vraiment rien de logique donc. Une forme de promenade…

Fin 2007, j'avais fini cette plongée et, sans y prendre garde, cela avait été intégré dans mon activité professionnelle. En effet, je me suis mis, au début quasiment involontairement, à me servir des neurosciences comme une clé de lecture pour penser le management : comme un individu, l'entreprise est largement mue par ses processus inconscients et son efficacité repose sur le mariage entre processus conscients et inconscients.

Un jour de mi-février, au cours d'un déjeuner avec un responsable d'entreprise auquel je parlais de ceci à bâtons rompus, il m'a dit :
« Tu sais que tu as un livre.
- Non, ce sont juste des idées, lui répondis-je. »
En sortant du restaurant, je repensais à son propos. Et après tout ? Je suis allé dans un café et ai ouvert mon ordinateur. Une heure après, j'avais un plan. Une semaine après, cent pages. J'ai alors croisé un camarade d'école, ai appris qu'il avait monté une maison d'édition et était intéressé par mon livre potentiel. C'était parti !
A partir de là, je me suis organisé pour mener à bien ce projet.

Je crois que ce déroulement est assez représentatif de ce que peut être un processus d'innovation en univers incertain et aléatoire : se garder du temps non finalisé, c'est-à-dire du temps au cours duquel on va pouvoir faire des choses sans savoir pourquoi exactement et accumuler ainsi des informations et des expériences. Laisser tout ceci incuber dans un « compost mental » en le laissant se confronter à sa vie quotidienne. Il se produit alors une « fermentation mentale » qui va transformer cet amas en un « engrais intellectuel » qui va faire pousser de nouvelles idées.
Finalement l'innovation est le fruit d'une maturation largement inconsciente et d'une émergence…

20 juil. 2011

« NOUS AVONS BESOIN D’UN NOUVEL ÉTAT D’ESPRIT. LE MONDE CONVERGE »

Place à la dynamique des faits…
Trouver des faits sur l’évolution de la population mondiale, des niveaux de vie respectifs, des dynamiques sociales, etc. est une gageure… mais réfléchir sans, c’est à coup sûr, penser à partir de ses a priori. Notamment nous avons tendance à ne percevoir les changements que quand ils se sont produits.
Ainsi nous gardons trop souvent une image fausse des pays que nous appelions il n’y a longtemps encore en voie de développement, et que nous appelons maintenant émergents.
Dans sa conférence TED faite en 2009 , Hans Rosling nous montre, grâce à un fascinant logiciel de présentation, la déformation du monde, et la trajectoire relative des pays dit développés versus les autres, et singulièrement la Chine ou l’Inde.
A voir absolument et à méditer…