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26 avr. 2010

PLUS DE CHAOS, PLUS DE CYGNES NOIRS…

Le nuage de cendres n'est pas un accident sans lendemain

Retour sur le nuage de cendres islandais. Non pas par un quelconque acharnement, mais parce que je le crois très emblématique de plusieurs points clés de notre mode actuel.
Dans mon billet de la semaine dernière1, j'avais abordé le danger de se fier plus à la modélisation mathématique qu'à l'observation de ce qui se passe réellement.

Pourquoi d'abord cette approche par la modélisation ne peut pas fonctionner pour prévoir ce qui va se passer ? Parce que des phénomènes comme la propagation des particules suivent des lois de type chaotiques, et que, dans ce cas, la moindre erreur dans la connaissance des conditions initiales rend impossible l'élaboration de prévisions fiables2. Or il est impossible déjà de connaître précisément les émissions du volcan, alors comment pourrait-on les connaître exactement ?

Ce qui vient de se passer avec le nuage de cendres est très représentatif de la plupart des phénomènes qui sous-tendent la vie et l'évolution de notre monde. En effet, ils suivent pour la plupart des lois de type chaotique. Il est donc illusoire d'imaginer pouvoir modéliser leur évolution : comme nous ne pourrons jamais tout connaître exactement, nous devons accepter l'incertitude, et nous centrer plus sur l'observation que la prévision.

Ensuite ce nuage est un bel exemple de « cygne noir » 3, c'est-à-dire un événement hautement improbable et à effet majeur. Un volcan qui se réveille au cœur de l'Islande, loin de nous apparemment… et voilà l'Europe comme paralysée. Nous sommes devenus tellement connectés les uns les autres, notre monde est devenu tellement un Neuromonde4, nous sommes forts et en même temps tellement dépendants de la toile d'araignée de nos interrelations que tout problème se propage immédiatement.

Auparavant un cygne noir n'avait d'effet que localement, mais ce n'est plus le cas. Nous devons nous habituer à la multiplication des cygnes noirs, non pas parce qu'il va s'en produire davantage, mais parce que leur effet sera sensible pour tout un chacun. Avant nous n'étions sensibles qu'à ceux qui se produisaient dans notre voisinage immédiat. Maintenant nous sommes soumis aux effets de tous qui se produisent, quelque soit l'endroit où ils apparaissent, ou presque.

Plus la vie se développe, plus l'incertitude s'accroît : il est urgent que nous le comprenions et que nous adaptions en conséquence notre façon de penser et d'agir…



(1) Voir « Où sont les particules du nuage de cendres ? »
(2) Voir mes articles liés au Chaos
(3) Cette expression provient du livre de Nassim Nicholas Taieb. J'ai parlé de ce livre dans un billet de décembre 2008 « Résonances entre dérive naturelle, cygne noir et crise actuelle… »
(4) Voir mes articles sur le Neuromonde




23 avr. 2010

RÊVER, ESSAYER ET APPRENDRE

______ Éditorial du vendredi ________________________________________________________________

Rappel du patchwork de la semaine :
- Lundi : Jean-Louis Murat chante les yeux fermés, se protégeant de la foule pour chanter comme dans une bulle. Et pourtant progressivement la communication s'installe, la fusion est réelle. Certaines barrières réunissent autant qu'elles limitent…
- Mardi : Un héro sans passé, un autre qui n'existe que dans sa prolongation, Astérix et Largo Winch n'ont pas de projets pour le futur et se dressent tout deux au présent pour refuser l'inacceptable. 
- Mercredi : Comme notre présent n'est qu'un des possibles qui pouvaient exister, notre futur est plus libre que nous le pensons. Et si nous en profitions pour nous demander où nous voulons vraiment être ?
- Jeudi : Face à une situation nouvelle, faut-il s'appuyer sur son expertise et une modélisation mathématique, ou modestement observer ce qui se passe ? Pour la gestion des conséquences du nuage de cendres, on aurait probablement mieux fait de procéder plus tôt à des relevés réels…

Comment se construire en étant constamment plongé dans la mêlée ? Ne faut-il pas, comme Jean-Louis Murat, se mettre, au moins pour un moment, en retrait pour exister par soi-même et réfléchir ?
Peut-on lutter efficacement contre les injustices si l'on est préoccupé de son futur personnel ? Ne faut-il pas, comme Astérix ou Largo Winch, se lancer dans le combat sans vision de ce que l'on construit ?
Si nous sommes largement là par hasard, pourquoi l'accepter ? Ne faut-il pas penser notre futur collectif à partir de ce que nous voudrions qu'il soit ?
Comment comprendre l'inattendu en se réfugiant dans des modélisations hasardeuses ? Ne faut-il pas, pour aller vers ce futur rêvé, expérimenter, essayer et apprendre ?

22 avr. 2010

OÙ SONT LES PARTICULES DU NUAGE DE CENDRES ?

Qui est le plus fiable : celui qui prévoit ou celui qui constate ?

Un jour, à l'occasion d'une réunion que j'organisais pour une grande banque, j'ai trouvé la porte de la salle prévue fermée. J'ai alors appelé l'accueil qui détenait les clés pour qu'il vienne l'ouvrir. « Vous vous trompez, la salle est ouverte, fut la réponse que l'on me donna au téléphone. » 
En effet, la personne avait, devant elle, le registre précisant les salles ouvertes et les salles fermées. Or sur ce registre, ma salle était ouverte, donc il ne pouvait pas y avoir de problèmes. Il m'a fallu alors de longues minutes pour la convaincre que mon information était forcément meilleure que la sienne, puisque moi, je me trouvais face à la porte. Pour elle, son interprétation était forcément la bonne : elle était la spécialiste et je n'étais que de passage…

Pourquoi vous parler de cette anecdote qui date d'une vingtaine d'années et qui fut sans conséquences sérieuses ? Parce qu'elle m'est revenue à l'occasion du nuage de cendres volcaniques.
En effet, le dialogue – ou plutôt l'absence de dialogue – qui a eu lieu entre ceux qui avaient réellement volé dans le ciel français, et ceux qui, assis dans leur bureau, avaient devant eux le résultat de leurs modélisations mathématiques était du même acabit.
Fort de la puissance de leurs ordinateurs, des années d'expertise de la météorologie française et de leur intelligence collective, les spécialistes savaient qu'il était dangereux de faire voler des avions, et pour tout dire suicidaire. Pour eux, inutile d'aller voir ce qui se passait réellement dans le ciel, puisqu'ils savaient : la porte était ouverte puisque c'était écrit sur le registre. 
Ayant envoyé plusieurs avions dans les airs, n'ayant au retour mesuré aucune anomalie et ne trouvant même pas de particules, les compagnies aériennes constataient qu'il n'était pas dangereux de faire voler des avions. Pour elles, qu'importait ce que prévoyait les modèles, puisqu'elles voyaient qu'il n'y avait pas de particule : la porte était fermée puisqu'elles se trouvaient devant.

Tout ceci ne serait qu'une anecdote si, cette fois, les conséquences n'étaient pas si importantes : ciel aérien complètement bloqué ; perte des compagnies aériennes et, plus largement, de tout l'industrie du tourisme ; désorganisation des entreprises dépendantes du fret aérien ; de nombreuses personnes bloquées un peu partout dans le monde, dont certaines sans ressources pour faire face aux dépenses occasionnées… Excellent timing au moment où la reprise européenne était déjà plutôt atone…
On voit les dégâts d'une approche partant de l'expertise pour faire face à l'imprévu. Quand on se retrouve face à une situation inconnue et sans précédent, il est toujours dangereux de faire confiance à l'expertise passée et à la modélisation mathématique. Il est beaucoup plus efficace d'être modeste et sans a priori, et d'observer attentivement ce qui se passe. Comment se fait-il qu'il ait fallu tant de jours pour avoir des relevés réels des particules dans l'air ? Pourquoi ce sont des compagnies privées qui ont été les premières à faire des mesures ? Elles y avaient un intérêt direct – leur survie est en jeu -, mais pourquoi les pouvoirs publics se sont satisfaits des seules prévisions théoriques ?
Il ne s'agissait bien sûr pas de risquer la vie de pilotes – et a fortiori de passagers –, mais n'avons-nous pas de ballon-sonde et d'avions sans pilote – les drones ? Certes nous pouvions perdre quelques-uns de nos précieux drones, mais, vu le coût collectif du blocage aérien, cela aurait été rentable.

Mais il est vrai que l'on va me rétorquer que les drones sont déjà mobilisés pour la guerre en Irak et Afghanistan, et que le terrorisme d'Al-Qaïda est beaucoup plus dangereux que le terrorisme de la mathématisation du monde. Désolé, je retire tout ce que je viens d'écrire…


PS : Pour finir, on a inventé les corridors. Je suppose que l'on a construit tout autour des filets antiparticules, à moins qu'il suffise d'inscrire « interdit aux particules », les particules venant d'Islande étant probablement éduquées et disciplinées. Je propose que l'on garde collectivement en mémoire cette brillante percée conceptuelle, c'est une candidate pour un best of en fin d'année….