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18 sept. 2012

LA CONVERGENCE EST LOIN D’ÊTRE TERMINÉE…

Déplacer les inégalités ou les éradiquer (2)
À l’occasion du suivi des cours de Pierre Rosanvallon au Collège de France, je viens de découvrir une conférence faite, le 23 février 2011, sur « la Mondialisation de l’inégalité » par François Bourguignon, ancien Premier Vice-Président de la Banque Mondiale et actuel Directeur de l’École d’Économie de Paris.
Dans celle-ci, en s’appuyant sur une étude considérablement plus approfondie et étayée que la mienne, il confirme la convergence dont je parlais hier : il l’observe aussi à partir des années 90, et, la remettant en perspective grâce à une série statistique remontant aux années 1800, montre qu’elle est un retournement récent et extrêmement rapide. Selon ses estimations, le rattrapage aurait déjà ramené les pays émergents à la situation prévalant il y a un siècle.
Pour ce faire, il s’appuie non pas seulement sur le revenu brut moyen, mais le pondère par la parité de pouvoir d’achat, qui tient compte du coût de la vie dans un pays donné.
A quoi attribue-t-il ce retournement ? Essentiellement à un découplage apparu récemment entre les taux de croissance des pays de l’OCDE et des pays en voie de développement. Il constate en effet à partir des années 2000, un écart constant et d’environ 5 à 6 % entre les deux taux de croissance. Ceci rejoint très exactement aussi mon analyse.
Une remarque : pour mesurer les inégalités, il est effectivement pertinent de pondérer les écarts en tenant compte des parités de pouvoirs d’achat, mais cela masque une partie des effets de transfert entre pays.
En effet, pour apprécier la dynamique concurrentielle entre pays, c’est bien le revenu brut qui est pertinent : un Indien reste actuellement presque 30 fois moins cher qu’un ouvrier occidental, un Chinois 9 fois et un Brésilien 4 fois. Pour évaluer plus finement la situation concurrentielle, il ne faudrait pas redresser ces données par la parité de pouvoir d’achat, mais en tenant compte du niveau de qualification, des équipements des usines, des savoir-faire…
Plus la produit est sophistiqué, plus ce redressement sera réel… du moins pour un temps : il suffit de voir les performances des usines mécaniques chinoises ou des entreprises de software indiennes pour comprendre que ces coefficients correcteurs tendent rapidement vers zéro.
Je maintiens donc que je ne vois pas comment nous éviterons une baisse relative de notre niveau de vie, et ce durablement. En effet, l’effet de convergence se poursuivra au moins pendant dix à vingt ans, temps nécessaire pour finir le rattrapage.
Est-ce possible de supporter une telle évolution ? Oui, vu le niveau de richesse de nos pays, mais à une condition : que nous fassions porter cette baisse relative sur les plus favorisés, et que nous veillions à ne pas laisser se creuser les écarts.
(à suivre)

17 sept. 2012

LA TRIPLE TRANSFORMATION DU MONDE : CONVERGENCE, GLOBALISATION ET CONNEXION

Déplacer les inégalités ou les éradiquer ? (1)
Au cours du 4ème trimestre de l’année dernière, j’ai écrit plusieurs articles portant sur la situation à laquelle nous faisons face (1). Mon propos essentiel était qu’il ne s’agissait pas d’une crise, mais d’une transformation en profondeur du monde : parler de crise, c’est laisser penser que les problèmes actuels sont graves, mais transitoires, et que l’objectif est de revenir à un passé perdu. Je crois qu’une telle vision est une erreur profonde, car demain ne pourra être comme hier, ce sous l’effet de trois forces qui s’entremêlent :
1. La convergence des niveaux de vie entre les grands pays :
Nos problèmes économiques ne sont ni nés en 2008, ni d’abord issus d’une crise financière, mais sont les effets de la convergence, amorcée à partir des années 90 : les écarts entre nos pays et les pays ex-émergents, aujourd’hui largement émergés (Chine, Inde et Brésil) se réduisent rapidement, le revenu brut moyen d’un habitant de nos pays occidentaux étant passé de 60 à 9 fois celui d’un Chinois, de 70 à 30 fois d’un Indien, de 8 à 4 fois d‘un Brésilien.
J’y écrivais notamment : « Prenez deux bassins ayant des niveaux d’eau très différents, séparés par des vannes, et approvisionnés par un cours d’eau. Commencez à ouvrir un peu les vannes : les niveaux vont alors se mettre à converger. Tant que la fuite est inférieure à l’apport d’eau, les écarts entre les niveaux se réduisent, mais le niveau le plus élevé ne baisse pas, au contraire. Ouvrons davantage les vannes. À un moment donné, la fuite devient supérieure à l’apport, et alors, le niveau le plus élevé baisse. Cette baisse durera tant que les niveaux ne seront pas identiques. 
C’est très exactement ce qui nous arrive. La mondialisation a rendu communicante nos économies, et a amorcé la convergence, d’abord lentement, puis de plus en plus vite à partir des années 2000. Grâce à l’endettement, nous avons masqué un temps cette baisse, mais cela ne peut plus durer. Comme nous sommes encore en 2011, trente fois plus riche qu’un Indien, neuf fois qu’un Chinois et quatre fois qu’un Brésilien, la convergence n’est pas terminée, et va s’étaler sur les dix à vingt ans à venir… sans compter les dettes qu’il va nous falloir rembourser. »
2. La globalisation du système économique et productif :
Le système économique et industriel passe de la juxtaposition d’entreprises et d’usines, à un réseau global de plus en plus complexe : les entreprises tissent des réseaux denses entre elles, et entre leurs différents lieux de production. Chaque produit, chaque service, chaque transaction fait intervenir un nombre croissant de sous-produits, sous-services, sous-transactions. Impossible de démêler les fils de ce qui est devenu une toile planétaire.
Cet entremêlement contribue à l’accroissement de l’incertitude, par la propagation du moindre aléa :
- Autrefois le monde était cloisonné, et les incertitudes restaient locales : ce qui se passait à Pékin, Johannesburg ou Bombay, n’était imprévu que pour les habitants de ces villes et de ces pays, car, vu la vitesse de propagation de son effet, les autres avaient le temps de s’y préparer.
- Maintenant la planète vibre de façon quasi synchrone, et ce qui se passe en un lieu, a des effets immédiatement de partout : nous sommes soumis à toutes les incertitudes. Un nuage de poussières issu d’un volcan islandais perturbe tout de suite une bonne partie de l’économie mondiale…
3. L’émergence d’une humanité d’individus connectés :
L’humanité passe d’une juxtaposition d’individus et d’appartenances, à un réseau global et de plus en plus complexe : sous l’effet cumulé de la croissance de la population, de la multiplication des transports et du développement d’internet, les relations entre les hommes se tissent finement. Les pensées et les actions rebondissent d’un bout de la planète à l’autre, des intelligences collectives apparaissent.
Comme Michel Serres l’a écrit dans le Temps des Crises, « le connectif remplace le collectif ». Dans une conférence tenue le 31 janvier 2011, il insistait sur les conséquences de a disparition d’individus spatialisés : « On est dans un nouvel espace topologique où on est tous voisins. Les nouvelles technologies n’ont pas raccourci les distances, il n’y a plus de distance du tout. (…) C’est l’adresse qui nous relie au politique. Donc ce ne peut plus être le même droit et la même politique, car ils étaient bâtis sur là où on habitait. (…) Nous habitons un nouvel espace, et comme il est nouveau, c’est un espace de non-droit. (…) Robin des bois : Robin vient de Robe, c’est l’homme de loi, l’homme de droit. Il habite la forêt de Sherwood qui est un espace de non-droit dont il construit le droit. Nous avons besoin de nouveaux Robins des bois. »
Un an s’est donc écoulé depuis lors, et rien ne m’amène à revoir mon propos. Au contraire, les malentendus me semblent perdurer…

21 mai 2012

ALLONS ZENFANTS DE L’APATHIE !

Refusons les pseudos potions magiques du « Produire en France »
Le 6 octobre dernier, le club des Ponts tenait une conférence « Produire en France : le déclin de l'industrie manufacturière en France : Une réalité ? Une fatalité ? ». Peu après, c’était le sujet central de la campagne présidentielle. Pour ceux qui douteraient du caractère précurseur des Ponts, quelle démonstration !
Se poser la question de l’emploi industriel en France est incontestablement pertinent : l’industrie n’y représente plus en 2009 que 19% du PIB, contre 20% aux USA, 21% en Grande Bretagne, 25% en Italie, 27% en Allemagne et au Japon1. Seuls, le Luxembourg et la Grèce font moins avec 12 et18%.
Aussi fini les querelles partisanes, soyons tous unis derrière le drapeau bleu-blanc-rouge, et, haro sur la Bastille asiatique, faisons tomber les têtes des aristocrates vendus à la mondialisation.
Mais avant de nous lancer tous ensemble dans cette reconquête, sommes-nous si sûrs de la potion magique concoctée ?
Les Panoramix en mal d’élection ont sensiblement la même recette : un tiers de politique industrielle, un tiers d’allégement du coût du travail, et un tiers de soutien aux PME.
Probablement à cause de mon inculture économique et politique, j’ai l’impression que cette potion n’est pas si magique, et que notre village gaulois n’a pas grand chose à en attendre :
-    Comment une planification centrale pourrait-elle être la réponse pertinente à la montée de l’incertitude ? Accoucherait-elle vraiment de stratégies meilleures que celles inventées par les entreprises ?
-    Puisque un Français moyen gagne en 2010, quatre fois plus qu’un Brésilien, neuf fois plus qu’un Chinois et vingt-sept fois plus qu’un Indien2, de combien faudrait-il baisser le coût salarial ? Et que pensez du fait que, selon l’OCDE, la France était en 2005 en tête en matière de productivité horaire du travail3, et, selon KPMG, en 2010, largement devant les États-Unis et l’Allemagne pour ses coûts d’exploitation4 ?
-    Quant à la politique d’aide en faveur des PME, comme on en parle à chaque élection, pourquoi cette fois serait la bonne ? Tant que le transfert de propriété se fera à la livraison, et non pas au paiement, le crédit inter-entreprises pompera leur trésorerie au profit de la distribution et des banques, rendant leur croissance quasiment impossible5.
Certains Panoramix rajoutent à leur potion, la volonté de détricoter les échanges internationaux, à coup de barrières douanières et autres retours en arrière. Mais essayez donc de séparer les molécules d’un gaz une fois qu’elles sont mélangées.6
Aussi arrêtons d’accepter ce nième galimatia de pseudo-solutions, et réveillons-nous en chantant : « Allons zenfants de l’apathie ! »

19 mars 2012

LA PLUS-VALUE NE SE DÉFINIT PLUS COMME DU « TRAVAIL NON PAYÉ » MAIS COMME DU « NON-TRAVAIL PAYÉ »

Le pire n’est pas sûr, mais il est devenu possible. Le meilleur est improbable, mais il n’est pas hors d’atteinte
Patchwork de « Les 7 péchés du capital » de Charles-Henri Filippi : Un essai d’un grand banquier qui dresse un tableau sans complaisance de la situation actuelle. Décapant, riche et à méditer… avant d’agir
La richesse vient de la variation de prix, et non plus de la création de valeur réelle
Le temps de la rareté primordiale du travail est désormais fini. Nous n’en mesurons immédiatement que la raison la plus apparente : celle de l’irruption dans le périmètre de la division internationale du travail et de l’échange de marché de milliards d’êtres humains qui créent aujourd’hui abondance et déflation salariales.
La part, dans la création de richesses, du bon vieux temps productif, qui se compte heure par heure, se réduit dramatiquement. La valeur de la marque bien conçue l’emporte sur la constitution et la distribution physique des objets. Le signe, transporté sur la toile, multiplie à l’infini la vente d’une idée talentueuse, peut-être conçue dans l’instant, et sans doute née elle-même de l’analyse numérique des achats et des envies d’une multitude de consommateurs.
Pris en tenaille être ce qui se vend sans devoir être fabriqué, et ce qui ne peut être fabriqué sans recours à des ressources dont la valeur augmente, le travail voit sa position s’affaisser progressivement. Mais plus définitivement encore, la société de marché financier, qui exprime la conquête de l’économie réelle par l’argent, fait de la richesse une résultante de la variation de prix dans l’échange plus que la création de valeur dans la production, du mouvement plus que de la matérialité. (…) Marx se retourne dans sa tombe : la plus-value ne se définit plus comme du « travail non payé » mais comme du « non-travail payé ».
Les élites sont coupées du reste des citoyens
Dans l’ère postmoderne, la classe qui naturellement dirige n’est pas celle qui construit l’ordre social, mais celle qui sait jouir de son absence. « Le rôle primordial de la culture est de substituer l’organisation au hasard », écrivait Claude Lévi-Strauss. On ne peut pas ne pas penser que la globalisation et la société de marché laissent prospérer le hasard, et ceux qui savent s’y mouvoir, au détriment de l’organisation et de ceux qu’elle doit protéger.
Si l’élite nouvelle a encore une nationalité qui peut susciter ses émotions et son attachement, sa citoyenneté ne définit plus son intérêt, désormais à la fois déterritorialisé et dématérialisé. Là où l’État existe encore pour l’homme ordinaire qui en attend tout, il est une contrainte de laquelle l’élite sait s’échapper, un passif auquel elle peut éviter de contribuer : l’élite en vient au minimum à marquer une certaine indifférence à la perspective du déclin national. (…) Les princes sont désormais sans peuples et les peuples sans identité.
Ce retour de balancier, qui revigore l’instinct prédateur au détriment de l’instinct artisan, est une conséquence directe de la péremption des concepts de l’économie politique décrite plus haute dans l’essai : de la marginalisation, dans l’échange, de l’objet au profit du prix et de sa variation ; du fossé progressivement creusé entre rationalité et utilité ; de l’érosion de la valeur travail qui structurait la société et fabriquait hiérarchie, interdépendance et lien social au sein de la collectivité.
Saurons-nous pacifiquement régler les dettes accumulées ?
Chaque année, les citoyens des États-Unis donnent, individuellement et spontanément, à leurs œuvres philanthropiques plus que la Chine ne produit d’excédent commercial avec sa machine industrielle : l’Occident n’est pas appauvri (pas encore, du moins) ; il est simplement devenu incapable – ou peu soucieux – d’ordonner politiquement et socialement sa propre prospérité. (…) Sur le plan social, (l’inégalité) n’est plus une opposition verticale, mais une division frontale dans la classe du dessous, entre les pauvres du monde émergent, que la mondialisation aide à progresser, et les petits du monde ancien, qui paraissent défendre privilèges et droits acquis.
Le monde émergent, s’il a déjà constitué sa créance, n’a pas encore réclamé son dû : notre dette croissante à son égard n’est rien d’autre qu’un droit de tirage inutilisé qu’il détient sur nous et dont il va maintenant vouloir faire usage. Le transfert massif de richesse qui s’annonce pourrait être conduit de manière pacifique dans une univers d’intelligence ordonnées et de ressources infinies : innovation, coopération et croissance feraient naître le rééquilibrage d’une répartition de la richesse nouvelle, certes inégale, mais qui ne toucherait pas nos acquis. La raréfaction des ressources et les désordres de l’intelligence collective font au contraire craindre que l’avancée des uns ne puisse se payer que d’un vrai recul des autres et ouvrir la voie à des rapports internationaux et des situations sociales nationales structurellement contentieux. L’Histoire est en train de rendre impossible l’ambition des philosophes de la liberté, pour qui le progrès de l’humanité passait à la fois par la destruction de l’inégalité entre les nations et le progrès de l’égalité dans un même peuple.

21 févr. 2012

ON NE CHANGE PAS L’ÉCONOMIE PAR INCANTATION

« On peut sauter comme un cabri en disant… »
Le 14 décembre 1965, lors d'un entretien avec Michel Droit, entre les deux tours de l'élection présidentielle, le général de Gaulle prononce sa célébrissime "petite phrase" : « On ne fait pas de politique autrement que sur des réalités. Bien entendu, on peut sauter sur sa chaise comme un cabri en disant l'Europe ! l'Europe ! l'Europe !... mais cela n'aboutit à rien et cela ne signifie rien. Je répète, il faut prendre les choses comme elles sont. »
Aujourd’hui presque cinquante ans plus tard, quand j’entends les différents candidats à l’élection présidentielle, parler de l’économie, de l’emploi et de la croissance, j’ai vraiment l’impression que l’histoire bégaie, et j’aimerais qu’un commentateur, paraphrasant le Général de Gaulle dise : « On ne fait pas de politique autrement que sur des réalités. Bien entendu, on peut sauter sur sa chaise comme un cabri en disant le coût du travail ! le coût du travail ! le coût du travail !, ou les PME ! les PME ! les PME !, ou encore produire en France ! produire en France ! produire en France !… mais cela n'aboutit à rien et cela ne signifie rien. Je répète, il faut prendre les choses comme elles sont. »
Alors qu’elles sont elles, et pourquoi sommes-nous dans la situation actuelle ? J’ai déjà eu l’occasion d’aborder la plupart de ses points dans différents articles, je ne vais donc ici reprendre que les points essentiels, et les compléter.
1. Le coût du travail
La performance des entreprises dépend certes du coût du travail, mais celui-ci dépend d’abord d’autres paramètres que celui de la rémunération des salariés et du temps de travail. Ce coût est d’abord fonction du niveau d’engagement individuel et collectif, de la formation et son adéquation à la mission confiée, de la compréhension de la stratégie suivie et de l’efficacité des prises d’initiatives.
Croire en 2012 que l’on va redévelopper l’économie française en abaissant la rémunération des salariés (directement ou via la diminution des charges), c’est ignorer qu’en moyenne un français gagne quatre fois plus qu’un Brésilien, neuf fois plus qu’un Chinois et vingt-sept fois plus qu’un Indien (voir Faire face à la convergence des économies mondiales), et surtout se croire encore au temps des usines taylorisées. Les entreprises occidentales n’ont plus grand chose avec celles des Temps modernes de Chaplin…
Nos hommes politiques pensent-ils réellement que l’Allemagne a plus d’emplois industriels, car le niveau de rémunération y serait plus bas ? Si c’est le cas, c’est franchement affligeant. Si ce n’est pas le cas, savent-ils que l’écart avec l’Allemagne est constant depuis 1980 et qu’il ne s’est pas aggravé (voir Le coût du travail n'explique pas l'écart avec l'Allemagne) ? Ont-ils vu que toutes les politiques menées en France que ce soit sous les présidences de Mitterrand, Chirac ou Sarkozy n’ont rien changé ? Que faut-il de plus pour leur démontrer que l’on ne s’attaque pas au vrai sujet ?
2. Les PME
Depuis 1979, chaque gouvernement a lancé une politique en faveur des PME, et qui est peu ou prou la même. Comme il se trouve que j’ai participé à la définition de celle élaborée en 1979 – j’était alors chargé de mission à la Délégation à la Petite et Moyenne Industrie – et que j’ai une bonne mémoire, je suis formel : on retrouve toujours les mêmes idées autour de la création d’entreprises, l’innovation, le financement, l’exportation, les marchés publics… (voir Faut-il que les PME financent les grandes entreprises ?)
Pourquoi donc l’application des mêmes incantations viendraient miraculeusement apporter cette fois la solution ?
Autre leitmotiv : notre déficit en entreprises de taille moyenne, notamment versus l’Allemagne. Ce constat a été fait là aussi dès les années 1970, et rien n’a changé.
Comment les hommes politiques ne voient pas que le problème de fonds en France n’est pas tant la création d’entreprises – qui, selon les années, est plus ou moins en avance ou en retard –, mais l’incapacité des petites entreprises à se développer, à grossir pour devenir d’abord moyennes, puis demain grandes ? Que c’est ce déficit qui est à l’origine du retard en innovation et à l’exportation ?
Comment imaginer que c’est en sautant comme un cabri pour dire aux grandes entreprises « Aidez-les ! Aidez-les ! Aidez-les ! », et aux banques : « Financez-les ! Financez-les ! Financez-les ! » que tout va être réglé ?
Comment ne voient-ils pas que c’est le crédit inter-entreprises qui pompe la trésorerie des PMI au profit de la distribution et des grandes entreprises, et les rend dépendantes du système financier ?
3. Produire en France
La diminution de l’emploi industriel en France est une réalité, mais elle ne s’est pas effectuée plus vite en France que dans les pays voisins. Cette évolution touche toute l’Europe,  ainsi que l’Amérique du Nord, et sensiblement à la même vitesse. Simplement en France, nous partons d’une situation plus basse que nos voisins, car l’emploi industriel y était historiquement moins développé.
Aussi cette diminution n’a rien à voir avec les 35 heures ou un handicap en matière de rémunération du travail versus nos pays voisins. Elle est le fruit d’un rééquilibrage du monde et du transfert des emplois moins qualifiés vers les pays maintenant émergés. (voir Nous n'éviterons pas la baisse de notre niveau de vie)
Elle est aussi liée à notre difficulté historique à développer l’industrie en France, ce qui provient d’une part au déficit d’entreprises moyennes évoquées ci-dessus, d’autre part du déficit de confiance. Ce déficit de confiance, clairement montré par les différentes menées par Yann Algan, se corrèle  directement avec la croissance. (voir Construire une société de confiance...)
*
*     *
Alors que faut-il faire pour passer de l’incantation à l’action ?
Pour rester dans la limite d’un court article, et éviter de me disperser, je vais me centrer sur les quatre mesures qui me semblent essentielles.
1. Apprendre collectivement à ne plus dépenser plus que nous ne gagnons.
Certains en parlent – singulièrement François Bayrou –, mais aucun n’a, me semble-t-il, vraiment mesurer la portée de l’effort à faire : nous ne vivons pas un crise, mais un transformation, et nous devons nous préparer à ce monde qui émerge (voir Non, le futur n’est pas la reproduction du passé en pire).
Croire que la croissance va revenir rapidement et que le retour au temps passé est imaginable est un contresens (voir Est-il raisonnable de continuer à déraisonner en économie ?). C’est à un effort long vers un futur meilleur qu’il faut se préparer. Ceci suppose de le dire, de l’expliquer et de faire supporter l’essentiel des efforts aux plus favorisés, en arrêtant aussi les dépenses inutiles (voir Peut-on être élu en parlant vrai ? et Sortir du double dogme de la croissance à tous prix et de la compétition)
2. Revoir les règles juridiques du transfert de propriété, avec un transfert au paiement, et non à la livraison.
C’est la différence clé avec les pays anglo-saxons, et c’est ce point de droit qui est à l’origine des abus dans les délais de paiement. L’enjeu en matière de financement est un transfert de plus de cent de milliards au profit des petites entreprises industrielles, qui ne les rendra plus dépendantes des banques, et facilitera grandement leur croissance. (voir Qui arrêtera l’hémorragie financière des PME françaises ?)
Qui seront les perdants de ce transfert ? Massivement la grande distribution et le système bancaire, c’est-à-dire des emplois qui ne peuvent pas se délocaliser, et secondairement les grandes entreprises qui ne pourront plus se financer en partie sur le dos de leurs sous-traitants.
3. Créer un label allant de "Assembler en France" à "Tout en France"
J’ai déjà présenté en détail cette idée simple dans mon article « Label France : et si Bayrou avait raison ? ». Quelle est-elle ? Elle part d’un double principe :
-        Pour tout produit manufacturé, on peut facilement mesurer la part de valeur ajoutée faite en France, si l’on ne cherche pas l’exactitude à 1% près, et si l’on demande à tout producteur de l’indiquer sur ses factures (ainsi par un effet de cascade, on aurait la part finale).
-        On crée un label avec trois niveaux : "Assemblé en France" quand la part de valeur ajoutée est comprise entre 25 et 50%, "fabriqué en France" quand elle est entre 50 et 75%, et "Tout en France" si elle est de plus de 75%.
Quel sera l’impact d’un tel label ? Cela dépendra du point suivant, c’est-à-dire de notre capacité à reconstruire une confiance entre nous et en nous. Mais comprenons que le moindre déplacement en faveur d’un tel label, favoriserait effectivement l’emploi industriel en France, même s’il n’est que d’assemblage.
Rien n’empêcherait évidemment de promouvoir aussi un tel label au plan européen.
4. Reconstruire la confiance en France entre nous et vis-à-vis de nos institutions
C’est le point majeur et le plus difficile. Il suppose de remettre à plat notre façon de vivre ensemble dans les quartiers, dans les entreprises, et plus largement en France. Elle impose de ne pas procéder par opposition et exclusion, mais par confrontation et inclusion. Elle suppose aussi de comprendre que nous sommes riches de nos différences et de nos origines multiples.
Agir sur ce point mobilisera, comme l’indique bien notamment Yann Algan, les efforts de tous. En conclusion de son dernier livre écrit avec Pierre Cahuc et André Zylberberg, « la Fabrique de la défiance », il écrit : « La confiance peut se construire dès le plus jeune âge, à l’école, par un enseignement adapté ; elle peut se développer dans l’entreprise grâce aux méthodes de travail et au dialogue social. La transparence et l’exemplarité des pouvoirs publics, l’égalité face à l’État-providence, face à l’impôt, et la vitalité de la démocratie participative constituent aussi des éléments décisifs. (…) Faut-il tout changer ? Oui. Est-ce possible ? Oui. (…) La situation est urgente, tant la perception de la corruption a augmenté au cours du dernier quinquennat. (…) Il est impossible d’avoir confiance en autrui lorsque le manque d’exemplarité des dirigeants suscite l’incivisme. Rétablir la confiance dans nos dirigeants en faisant en sorte qu’ils soient le plus exemplaires possible est la première des nécessités. »
On ne peut mieux dire.
Ce n’est pas en sautant comme des cabris et en procédant par incantation, que les candidats à l’élection présidentielle se mettent en situation de réellement remettre la France sur les rails…


23 janv. 2012

LE COÛT DU TRAVAIL N’EXPLIQUE PAS L’ÉCART AVEC L’ALLEMAGNE

Depuis plus de 30 ans, l’emploi industriel en France est retard par rapport à l’Allemagne
Donc la messe est dite, l’emploi industriel quitterait la France parce que le coût du travail y est trop élevé.
C’est une étude de Rexecode qui vient de le réaffirmer. Dans la présentation résumée de cette étude, il est dit que : « Le coût de l’heure de travail a augmenté plus rapidement en France qu’en Allemagne. Il s’établit aujourd’hui au moins au niveau du coût allemand et plus probablement au-dessus. Si l'on tient compte des écarts de productivité (coûts salariaux unitaires), l'écart est de 14% en défaveur de la France. Il explique largement la divergence de compétitivité entre les deux pays. » (1) (la courbe ci-jointe est issue de cette étude)
Notons d’abord que les conclusions de cette étude ont fait l’objet de contestations immédiates. Les Échos attirait l’attention que l’écart annoncé sur le temps de travail ne se retrouvait pas dans les autres catégories de travailleurs(2). Le journal Le Monde indiquait, lui, que la méthode de calcul du temps de travail moyen avait changé en 2003, et que la baisse du temps de travail n’était, selon l’INSEE, que de 5,2%, et non pas 13,9%. (3)
Notons ensuite que, selon l’OCDE, la France était en 2005 en tête en matière de productivité horaire du travail(4), et, selon KPMG, en 2010, largement devant les États-Unis et l’Allemagne pour ses coûts d’exploitation(5).
Pas facile donc de démêler le vrai du faux… comme toujours quand on manie des grandeurs macroéconomiques, et forcément abstraites et sujettes à caution.
Essayons donc de les rapprocher de données suffisamment simples pour être incontestables, à savoir quelques macro-indicateurs donnés par la Banque mondiale, et pour éviter toute polémique sur le sens de leur variation, en les arrondissant à l’extrême (c’est-à-dire en ne tenant pas compte des variations de quelques %).
Regardons comment évolue la part de l’industrie dans le PIB de la France et de l’Allemagne : elle est respectivement de 19 et 27% en 2009, de 22 et 30% en 2001, 27 et 37% en 1991, et 31 et 40% en 1981. Ainsi si le poids de l’industrie est effectivement nettement plus faible en France qu’en Allemagne, l’écart existe depuis plus de 30 ans, et s’est plutôt réduit en valeur absolu (passant de 9/10% à 8%)(6).
Or dans la même période, le coût du travail entre les deux pays a fortement varié. Il suffit pour cela de jeter un coup d’œil à la courbe fournie par Rexecode.
Ceci montre bien que le problème – s’il y en a un –, se situe ailleurs.
Par ailleurs, je rappelle, comme je l’ai déjà indiqué à plusieurs reprises, que, en 2010, un Français moyen a un revenu d’environ quatre fois celui d’un Brésilien, neuf fois d’un Chinois et vingt-sept fois d’un Indien(7). Comment imaginer qu’un écart de 10% –  à supposer qu’il soit vrai –, explique les meilleures performances allemandes ?
Non, les explications sont à chercher ailleurs.
La baisse tendancielle est due à la convergence des économies entre nos pays et les pays émergés (ex-émergents) (voir mon article La crise n’est pas née en 2008, elle est l’expression du processus de convergence des économies)
Le décalage de la France versus l’Allemagne est lié :

(3) Débat sur le temps de travail effectif des salariés français, Le Monde du 14 janvier 2012