The Great escape – patchwork (4)
Qu’en est-il de l’efficacité des aides internationales ? Concourent-elles réellement à la réduction des inégalités ?
En guise d’apéritif pour nourrir la réflexion, quelques observations sur le danger d’approcher la pauvreté par l’arithmétique car « réduire la pauvreté est beaucoup plus facile à atteindre par des calculs statistiques qu’en réalité ! » :
« Le grand économiste et statisticien indien, P. C. Mahalanobis décida de demander combien les personnes avaient dépensé en riz ou blé au cours des 30 derniers jours. Beaucoup d’autres pays, pensant que les répondants ne pouvaient pas se souvenir correctement au-delà de 7 jours, optèrent pour cette période plus courte. Un jour, l’enquête indienne passa à son tour à 7 jours, et comme prévu, les dépenses journalières augmentèrent. Cet obscur et technique changement statistique divisa la pauvreté par deux : 175 Millions d’Indiens cessèrent d’être pauvres. »
« Si un Indien peut vivre avec 22 roupies par jour – et certains bien moins –, pourquoi donc un habitant des États-Unis ne peut-il pas vivre avec un dollar par jour ? (…) La pauvreté exclut pour la plupart des Indiens trois choses qui sont importantes et coûteuses aux USA : la maison, la couverture médicale, et l’éducation. En plus, dans un pays chaud comme l’Inde, pas besoin de se chauffer, ni de dépenser beaucoup pour se vêtir. Et les gens travaillent près de là où ils vivent, d’où ne dépensent presque rien en transport. »
Venons-en maintenant aux aides internationales. Un calcul a montré que la pauvreté mondiale pourrait être éliminée si chaque américain, anglais, français, allemand et japonais donnait 0,15 $ par jour. Rien que de très accessible donc. Alors pourquoi donc n’a-t-elle pas disparu ? Est-ce parce que nous n’avons pas assez donné ? Est-ce une problème de plomberie : augmentons la quantité d’eau qui rentre à un bout et nettoyons les conduits pour éviter les pertes, et tout sera réglé ?
Pas vraiment. Car comme le notait Peter Bauer en 1971 : « Si seul le capital manque pour que le développement ait lieu, il sera soit rapidement généré localement, soit fourni par l’étranger au gouvernement ou à des entreprises privées, le capital étant rémunéré par des taxes additionnelles ou des profits. Si, à l’inverse, les conditions du développement ne sont pas présentes, alors l’aide sera nécessairement improductive et donc inefficace. »
Terrifiant et limpide, non ? Et c’est ce que constatent les analyses faites par Angus Deaton : il n’y a aucun lien entre le niveau de l’aide et le développement. C’est même plutôt le contraire : c’est quand les aides sont moins élevées que la situation s’améliore !
Ainsi quand il a mis en regard pour l’Afrique le niveau des aides avec celui du développement, il a constaté que « la croissance baisse fortement pendant que l’aide s’accroit fortement. ».
En fait la vraie corrélation est avec le niveau de prix des commodités produites dans ces pays : la meilleure aide est d’accroître le prix de ce qu’on leur achète. Évident… mais ce n’est pas ce que nous faisons.
Angus Deaton analyse en détail pourquoi les aides sont contre-productives :
« Un projet peut réussir selon ses propres critères, mais son déploiement au niveau de la nation peut échouer. Une évaluation parfaite d’un projet coexiste avec l’échec de l’aide pour le pays tout entier. »
« L’argument qu’une aide menace les institutions dépend de la taille de l’aide. En Chine, Inde ou Afrique du Sud, où l’aide internationale officielle a représenté ces dernières années moins de 5% du revenu national, et occasionnellement plus de 1% des dépenses totales gouvernementales, l’aide n’est pas assez importante pour modifier le comportement du gouvernement ou le développement des institutions. La situation est tout à fait différente dans l’essentiel de l’Afrique. 36 des 49 pays de l’Afrique sub-saharienne ont reçu au moins 10% de leur revenu national lors des 30 dernières années. Sachant que l’aide va au gouvernement, le ratio de l’aide par rapport aux dépenses publiques est encore plus grand. Le Bénin, le Burkina Faso, l’Éthiopie, Madagascar, le Mali, le Niger, le Sierra Leone, le Togo et l’Ouganda sont parmi les pays où l’aide a dépassé 75% des dépenses du gouvernement au cours de ces dernières années. Au Kenya et en Zambie, respectivement 25 et 50%. »
« Que l’aide stimule les dépenses du gouvernement a été de façon répétitive documenté, et le gouvernement est libéré du besoin de consulter ou d’obtenir l’approbation de ses citoyens »
« Dans les cas extrêmes, un afflux externe important, que ce soit une aide ou des ventes de commodités, peut accroître le risque de guerre civile, parce que les souverains ont les moyens d’éviter de partager le pouvoir, et parce que le valeur de ce flux est tel que les deux côtés sont prêts à se battre pour lui. »
« Pourquoi les donateurs laissent-ils faire et ne sanctionnent-ils pas ? Parce qu’ils ne subissent pas les conséquences de l’aide et n’ont pas d’information directe sur ce qui se passe sur le terrain. Ils dépendent des rapports transmis par les agences qui distribuent l’aide. Aussi ils se focalisent sur le volume de l’aide, non pas son efficacité.
« Les agences gouvernementales sont sous la pression de leurs opinions publiques pour "faire quelque chose" contre la pauvreté – une pression qui est alimentée par les bonnes intentions de la population nécessairement mal informée – et ceci rend difficile pour les agences de couper les aides, même si leurs représentants locaux savent qu’elles font du mal. »
« Le problème des aides étrangères n’est pas ce qu’elles font pour les pauvres tout autour du monde – en effet elles les atteignent rarement – mais ce que les gouvernements font dans les pays pauvres. Le fait est que les aides étrangères aggravent la pauvreté en rendant les gouvernements moins attentifs aux besoins des pauvres, et ainsi leur fait du mal. »
Quel terrifiant réquisitoire !
Et ce n’est pas terminé…
« La conditionnalité viole la souveraineté. », c’est-à-dire que le fait de conditionner l’octroi d’une aide à telle ou telle réalisation qui est décidée par le pays qui la fournit, conduit à déresponsabiliser et infantiliser le destinataire. Si les montants sont très élevés, le gouvernement local est un peu comme une marionnette artificiellement pilotée à distance.
Cela conduit Angus Deaton à ce raccourci : « Les projets d’investissements agricoles sont construits pour une économie imaginaire et ont autant de chances de réussir qu’un projet de faire pousser des fleurs sur la lune. ».
Aussi, « si la pauvreté et le sous-développement sont les conséquences de la faiblesse des institutions, alors en les affaiblissant ou en les freinant, les flots importants d’aides aboutissent exactement à l’inverse de ce qu’ils cherchent à faire. »
Quant aux programmes portant sur la santé, le bilan des programmes dits verticaux, c’est-à-dire ciblant une maladie précise, sont efficace par rapport à cette maladie qu’ils arrivent à effectivement éradiquer. Mais il y a des dommages collatéraux :
« Les programmes verticaux d’aide médicale – comme contre le SIDA – ont des résultats positifs contre les maladies qu’ils visent, mais en détournant les ressources locales en leur faveur, ils diminuent de fait la mise en place d’une organisation locale horizontale de la santé : ils la désorganisent par exemple en retirant les infirmières et les aides paramédicales à leurs tâches routinières. »
Que faire ?
Angus Deaton propose malheureusement peu de solutions…
Parce qu’il ne peut pas être question de ne rien faire, parce qu’admettre de voir une partie importante de l’humanité ne pas profiter de la « Grande Évasion », voici les quelques pistes évoquées à la fin du livre :
- Avoir une action pédagogique au sein de nos pays pour expliquer l’effet dévastateur des aides massives,
- Avoir une vue globale de ce que l’on fait dans un pays donné à travers tous les traités, les échanges, le commerce mondial, la banque mondiale, le FMI…
- Soutenir prioritairement les pays dotés d’un vrai gouvernement local, tout en étant conscient que l’on ne peut pas abandonner les autres qui sont justement les pays qui ont le plus besoin d’aide,
- Pour aider un pays, le mieux est de lui garantir un prix minimum d’achat de ses productions, et de le laisser choisir ce qu’il fera de cette ressource financière,
- En cas de soutien direct, privilégier des programmes de base comme la qualité de l’eau, l’assainissement, ou la lutte antiparasitaire. C’est plus complexe, mais plus efficace.