Attention j’entends en ce moment chanter les sirènes du protectionnisme. Prenons garde qu’elles ne nous attirent pas sur les récifs de la récession… ou pire… Extrait de l’Odyssée d’Homère (adaptation de Michel Woronoff) :
« Je préviens mes compagnons du danger des Sirènes, grâce aux conseils de Circé. Nous sommes en vue de leur île; tout à coup le vent tombe; un calme plat s'installe, sans un souffle d'air; un dieu endort les vagues… Moi, du bronze aigu je coupe en petits morceaux un grand gâteau de cire, je l'écrase entre mes mains puissantes. La cire s'amollit sous mes doigts et à la chaleur du soleil. Je bouche les oreilles de tous mes compagnons, un par un. Eux m'attachent pieds et poings. Nous poursuivons notre route.
Mais le bateau qui file sur la mer n'échappe pas au regard des sirènes; elles entonnent leur chant, à voix claire : "Viens ici, Ulysse légendaire, arrête ton bateau, viens entendre notre voix à toutes deux. Aucun bateau à coque noire, n'a jamais longé notre rivage sans succomber au charme de notre chant mélodieux. Nous savons tous les malheurs dont les dieux ont accablé Achéens et Troyens dans la vaste Troade. Nous savons tout ce qui se passe sur la terre féconde." »
Rencontre d’Orphée avec les sirènes (Mythologie grecque, contes et récits de François Busnel) :
« Au retour de l'expédition, lorsque le bateau doubla au large de l'île des sirènes, ce fut lui qui évita que tous fussent engloutis dans les abysses. Car les sirènes étaient des créatures démoniaques, mi-femmes, mi-poissons. Elles apparaissaient aux marins sous l'aspect de jeunes filles séduisantes et, lorsqu'elles se mettaient à chanter, envoûtaient les hommes au point que ceux-ci abandonnaient leur navire et se jetaient à la mer pour les rejoindre. Elles reprenaient alors leur horrible visage de vieilles sorcières et entraînaient les infortunés navigateurs dans les profondeurs des ténèbres ! Averti du danger par Apollon, Orphée, dès qu'il aperçut les Sirènes, se mit lui aussi à chanter. Un chant si fantastique que les Sirènes, surprises et charmées, laissèrent filer le navire. »
Aujourd’hui quand j’entends parler du protectionnisme, je ne peux pas m’empêcher de penser à ces chants de sirènes qui ont tué tant de marins…
Car que disent toutes les analyses des crises passées, et singulièrement celle de 1929 ? Que le protectionnisme qui a suivi a accru les conséquences de la crise, qu’il s’est aussi matérialisé par un renforcement des nationalismes et qu’il a conduit à la guerre.
Car que voit-on si l’on analyse nos produits quotidiens ? Qu’ils sont le fruit d’un travail collectif enchevêtrant bon nombre de sous-traitants et de pays et que le détricotage est impossible sans une décroissance économique accélérée.
Car que donne l’observation de la façon dont fonctionnent nos villes occidentales ? Que ce sont des centaines de milliers, voire des millions d’Asiatiques et Africains qui peuplent nos villes d’Europe. Que ce sont des centaines de milliers, voire des millions, d’Américains du Sud qui peuplent en plus les villes d’Amérique du Nord. Que la montée des égoïsmes nationaux risque de conduire à une explosion sociale, face à laquelle l’explosion des banlieues paraîtra une « bluette ».
Oui la crise est réelle, mais le protectionnisme n’est pas une solution, juste un leurre, une tentation dangereuse.
Aussi, comme Ulysse et ses matelots, bouchons-nous les oreilles à la cire et attachons-nous à des mâts.
Ou mieux, comme Orphée, inventons ensemble de nouvelles règles qui construiront une musique beaucoup attractive et contemporaine que celle des sirènes du protectionnisme.