Nous avons tous appris que piloter c'était prévoir, organiser, contrôler. Et si, en fait, c'était lâcher prise…
Sud du Rajasthan en Inde l'été dernier, découverte aléatoire d'Udaipur.
Aller voir le village artisanal de Shilpgram, distant de quelques kilomètres. Sans raison précise, refuser de prendre un taxi ou un rickshaw – le prix demandé pour la course n'est que le prétexte de mon refus – et me retrouver marchant sur une route inconnue. Accepter l'imprévu, se laisser perdre à un carrefour, se laisser tromper – mais comment pourrais-je me tromper puisque je ne cherche rien de précis, si ce n'est le hasard de la découverte ? – : lâcher prise…
Savoir regarder, s'amuser de ces vaches qui trônent impassibles sur la route et n'acceptent de bouger qu'à l'arrivée d'un camion (voir « C'est la crise, rien ne va plus : même les vaches sacrées doivent se pousser ! »), repérer ce dialogue immobile et muet entre une vache et deux oiseaux qui l'accompagnent…
Souvenir aussi des rencontres de la veille. Discussion dans un rickshaw avec le conducteur et son passager. Mon numéro de téléphone portable local laissé à tout hasard à la fin de la course. Quelques heures plus tard, un appel, un rendez-vous dans un des endroits que je connaissais d'Udaipur. Trajet en rickshaw, un verre et un autre dans un bar excentré où seuls des indiens sont attablés. Puis ne plus sentir l'ambiance, impression non pas vraiment de danger, mais d'une direction qui ne m'intéresse plus.
Alors me lever, ne pas écouter leur volonté de continuer, prendre un autre rickshaw pour rentrer à mon hôtel. Passer dans le centre et apercevoir l'eau du lac dans laquelle miroitent les lumières de la ville. Décider finalement qu'il serait dommage de ne pas s'asseoir là un moment sur les marches au bord de l'eau. Descendre donc du rickshaw et, sans penser à rien, sans projet, sans volonté, regarder l'eau immobile. Ne pas faire attention à cet indien qui s'approche, me regarde un moment et finit par s'assoir lui-aussi à côté de moi. Sentir le contact synchrone de nos émotions. Rencontre. Hasard. Lâcher prise.
Paris. Un contrat complexe, une stratégie à trouver avec à une technologie non stabilisée et des clients encore inconnus.
Savoir ne pas trop chercher la solution, mais apprendre à la laisser venir. Apprendre à ne pas vouloir commencer par comprendre, mais à d'abord admettre une situation telle qu'elle est sans a priori. Poser le problème, découvrir ses composantes en désordre et sans logique. Identifier ce que l'on sait, et surtout ce que l'on ne sait pas. Puis aller courir le long de la Seine, enchaîner les foulées, tourner autour du problème. Laisser mes processus inconscients chercher pour moi. Sentir les possibles, commencer à ne plus regarder le cours des fleuves, chercher les mers (voir « Je n'ai jamais vu un fleuve qui ne finissait pas par aller à la mer »). Lâcher prise.
Tout ceci peut vous sembler peut-être loin du management, de la stratégie et de vos vies quotidiennes. Je ne crois vraiment pas. Au contraire, plus on lâche prise, plus on apprend à sentir les courants naturels, mieux on peut se diriger, anticiper et manager…
Tout ceci peut aussi vous sembler comme non scientifique et irrationnel. Je ne crois vraiment pas. Au contraire, est-ce que la science contemporaine ne nous apprend pas l'importance du chaos, du hasard et de la dérive naturelle (voir « Résonance entre dérive naturelle, cygne noir et crise actuelle ») ? Est-ce être rationnel que nier l'existence des processus inconscients ?
Bien sûr on peut croire que manager c'est contrôler, que construire une stratégie c'est définir a priori la cible et le chemin, que concevoir une organisation c'est « dessiner des jardins à la française » (voir « Attention aux jardins à la française »)…
Je ne crois vraiment pas. Piloter c'est lâcher prise…
Je vous sens sceptique (c'est un euphémisme !), aussi je vais revenir là-dessus dans un prochain article.
A suivre….