13 mars 2009

SITUATION ADRESSE OU TÉLÉPHONE ?

Pourquoi vouloir tout organiser suivant la même logique ?

Je marchais depuis un moment à la recherche de ce restaurant. D'après les indications sur le plan, j'aurais dû y être depuis plusieurs minutes. J'avais dû me tromper en route. J'aperçus une personne qui avait l'air du coin.

« La place Lénine, s'il vous plaît, lui demandai-je ? »

« Derrière vous, Monsieur, me répondit-elle. C'est juste là où vous voyez le parking. »

Deux minutes plus tard, j'étais face au restaurant. On m'y attendait depuis une dizaine de minutes. J'expliquais alors mon erreur en commentant : « J'étais parti trop loin, mais j'ai pu m'en rendre compte et revenir sur mes pas. Résultat, ce retard.

C'est ce qui est bien avec une adresse, c'est que, si l'on se trompe, on peut, par ajustements progressifs, trouver la solution.

Impossible de faire la même chose avec un numéro de téléphone : si vous vous trompez ne serait-ce que d'un chiffre, aucun moyen de le savoir. Là, vous êtes condamnés à l'exactitude du premier coup, pas moyen de procéder par ajustements ! »

En m'asseyant, je continuai : « C'est la même chose dans les entreprises : il faut savoir adapter le niveau de précision aux situations, savoir si l'on est face à un problème de type « téléphone » ou « adresse ».

Si c'est une situation « téléphone », il faut investir en amont, prendre son temps, mener des études approfondies, avant d'agir ; les organisations, les systèmes de pilotage doivent être construits en conséquence.

Par contre, si c'est une situation « adresse », inutile de surinvestir en amont : le mieux est de procéder par ajustements progressifs ; là, il faut des feed-back rapides, de la réactivité, de l'apprentissage. »

Cette conversation qui s'est réellement déroulée cette semaine, reprend une de mes recommandations essentielles en matière d'organisation : construire des jardins à l'anglaise et non pas à la française (voir « Nous aimons trop les jardins à la française ») : ne plus imposer a priori la même organisation à tout le monde et à tous les métiers, mais partir des réalités locales et penser l'organisation – c'est-à-dire les structures et les processus – ensuite.

On retrouve là aussi les réflexions sur les systèmes biologiques ou vivants versus des systèmes mécaniques, et le principe d'auto-organisation.

Il ne s'agit pas dans cette approche de tout laisser faire et d'avoir une entreprise déstructurée, mais de concevoir la structure à partir du réel et de la vie.

Je repense à cet exemple qu'on m'a donné dernièrement : Pour décider où il fallait faire passer un chemin piétonnier dans un espace existant, l'architecte a d'abord semé une pelouse. Il a ainsi pu voir directement où spontanément les gens passaient : en effet, la pelouse n'a pas poussé à cet endroit et le chemin s'était dessiné « tout seul ».

Finalement, il s'agit, une fois de plus, de lâcher-prise, de s'appuyer sur les énergies spontanées, et de simplement les orienter sans les contraindre.

12 mars 2009

CIEL J’AI VU UN UVLI !

Quand la réflexion sur les scénarios de sortie de crise fait appel aux OVNI revisités par Madame Irma.

« Finalement, on peut classer les scénarios de sortie de crise en 4 familles, disait ce mardi un expert lors d'une conférence.

Ce sont :

  • U : D'abord une chute rapide, puis une récession qui dure quelques années et ensuite la reprise. Dans ce scénario, on devrait sortir progressivement de la crise au mieux à partir de 2011. Et rien ne dit que nous ayons déjà fini la chute…
  • V : Là, la chute rapide est suivie immédiatement du rebond. C'est le scenario avancé par le gouvernement. A noter une variante, le W. Dans ce cas, on peut enchainer des crises…
  • L : Moins « optimiste » celui-là. Un scénario, disons à la japonaise. Nous nous installons durablement dans la récession, sans perspective de reprise…
  • I : Le pire. Là, la chute est sans fin…

Maintenant quelles sont les probabilités de ces scénarios ? En faisant la synthèse des prévisions et discours actuels, j'arrive à 40% pour le U, 20% pour le V, 30% pour le L et 10% pour le I. »

Silence dans la salle et il commente : « Oui mais je pense que les 10% du I sont un peu surestimés, je pencherais plutôt pour 5%. »

Résumons donc la démarche de cette « expert » dont je viens de refléter exactement les propos :

  1. On peut calculer la probabilité d'un scénario de sortie de crise.
  2. La méthode proposée est de faire la moyenne pondérée du nombre de fois où un scénario est proposé (est-ce seulement en nombre ou en tenant compte du « poids » de l'expert ?) pour trouver cette probabilité.
  3. In fine, on a le droit au feeling de changer une probabilité parce que l'on sent plus ou moins un scénario.

Donc finalement c'est une version revisitée des prévisions de Mme Irma. Voilà un candidat pour le césar du fromage de tête dont j'évoquais le lancement possible dans mon article d'hier (voir « A qui décerner le césar du fromage de tête »).

Et puis tout à coup la lumière m'est apparue : cet expert en mal de repères avait dû avoir une vision. Il suffisait de relier ces 4 lettres pour comprendre qu'il avait vu passer un UVLI, la version « économique » de nos OVNI, une soucoupe volante de la prévision, un extra-terrestre sauveur et visionnaire.

En poursuivant sa logique, on voit que les anglo-saxons sont beaucoup plus optimistes : eux, ils parlent d'UVO (qu'ils ont dérivé des UFO). Ils ont donc éliminés les deux scénarios les plus pessimistes – les L et I – pour le remplacer par le O.

Quel est la logique de ce O ?

Facile, il exprime simplement que tout est dans tout et réciproquement. Ou encore que plus cela change, plus c'est pareil. Une traduction du retour aux origines et de la boucle sans fin du temps.

D'un seul coup, je me suis réveillé de ma rêverie pour me rendre compte que « l'expert » s'était rassis depuis un bon moment et que ce n'était plus lui qui parlait, mais Edgar Morin.

« Si je prolonge les tendances actuelles, nous allons dans le mur et les probabilités de la crise sont catastrophiques.

Finalement, je ne vois qu'une raison essentielle d'espérer : la possibilité de l'improbable. Pourquoi l'improbable peut arriver ? Parce que les crises réveillent les capacités créatrices. »

La vision du cygne noir comme solution…

Alors j'ai eu un éclair : Edgar Morin venait génialement de balayer tous les calculs de probabilité et de trouver un nouveau scénario de sortie de crise, le scénario Z.

Z comme Zorro, le vengeur masqué qui arrive quand on ne l'attend pas, quand on n'y croît plus.

Ce scénario Z, celui de l'improbable et de l'inconnu, pourrait être effectivement le bon !


11 mars 2009

À QUI DÉCERNER LE CÉSAR DU MEILLEUR FROMAGE DE TÊTE ?

Face à la crise actuelle, on assiste à un grand bétisier des raisonnements les plus absurdes. Mais comment les départager ?

Nous vivons actuellement une période suffisamment troublée pour autoriser, voire encourager toutes les réflexions, ou du moins tout ce qui en a l'apparence. On arrive ainsi à une sorte de bouillie contradictoire.

Je peux citer par exemple pêle-mêle :

  • La solution de la crise du capitalisme sauvage serait dans la mise en place d'un pilotage direct par l'État, alors que rien n'a jamais démontré la capacité d'un État de réussir à piloter un système économique complexe.
  • On n'est pas capable d'évaluer réellement la dimension des pertes du système financier mondial, mais on est confiant dans la capacité des États de combler les pertes après nationalisations. Notons que ces nationalisations ont pour vertu d'éviter d'avoir à calculer ces pertes.
  • On a confiance dans la capacité d'Obama à contribuer à la résolution d'une crise mondiale qui a été initialisée aux USA, sans savoir si le redressement des États-Unis ne passera pas d'abord par une externalisation croissante des pertes vers les autres pays.
  • On est capable d'évaluer le taux de croissance actuel – ou plutôt celui de la récession – à 0,5% près, alors que l'on n'est même pas capable de connaître la situation réelle des banques. Pourquoi ne pas confier aux économistes si brillants dans le calcul des taux de croissance, celui de la performance économique du système financier ?
  • Des députés, pour faire face à la crise, ont recommandé de ne plus appliquer les règles (voir « Merci aux députés de promouvoir un retour à la loi de la jungle »)
  • Un éditorialiste a expliqué qu'il avait tellement de plus en plus de « métiers » – son journal, la radio, la télévision… – et qu'il n'avait plus le temps de réfléchir, mais juste de parler et d'écrire…

Cette liste n'est évidemment pas close et vous avez le moyen au travers d'un commentaire de la compléter. N'hésitez surtout pas !

Toujours est-il que je trouve que tout ceci ressemble de moins en moins à une pensée construite, et de plus en plus à une forme de « fromage de tête » (d'ailleurs plus informe qu'en forme).

Suivant mes réflexions, je me demandais comment arriver à décerner un prix de meilleur fromage de tête, une forme d'anti-César ou anti-Oscar (tout dépend si l'on veut donner un côté hexagonal à ce prix ou pas…). Les candidats sont faciles à identifier : économistes, politologues, hommes politiques, experts, éditorialistes de tous poils, tous ceux qui peuplent notre univers médiatique.

Mais comment les départager, sur quels critères ?

Leur demander de se noter entre eux, comme on le fait justement pour les César et Oscar ? Avec un grand prix, le prix de la prévision la plus fausse, le prix du raisonnement le plus paradoxal, le prix de l'interprétation, … ?

Ou alors faut-il procéder par sondage auprès de la population mondiale ? Ou uniquement auprès des populations les plus pauvres qui, en tant que victimes, auront un jugement plus précis ?

Ou alors on essaie d'évaluer celui qui a fait le plus de dégâts ? Mais comment ?

Vraiment c'est un casse-tête….

J'en étais là de mes réflexions, quand, en marchant rue de Rennes à Paris, j'ai aperçu la devanture de mon charcutier préféré, Vérot, et y ai lu qu'il était le « champion de France du Fromage de Tête ». Étant lyonnais d'origine, je sais que la charcuterie est un moment important de vérité, et, comme Vérot a été précisément formé à Lyon, je suis rentré confiant dans son magasin : il était le champion de France, il allait enfin pouvoir tout m'expliquer.

En fait, j'en suis ressorti avec un assortiment de ses produits, mais sans la réponse attendue. Dommage.

Depuis je continue à chercher. Si vous avez des suggestions, elles sont les bienvenues…


10 mars 2009

LÂCHER PRISE POUR PRÉVOIR L’IMPRÉVISIBLE

Échanger, s'informer, acheter, jouer : les 4 mers du 3G

« Voilà les données du problème : nous ne connaissons pas vraiment les performances de cette nouvelle technologie. Côté services, tout est à inventer. Et donc évidemment impossible de faire des tests client puisque nous ne savons pas sur quoi. Ah oui, dernière remarque : comme le lancement de ce nouveau réseau va nous coûter pas mal de milliards de francs, nous avons besoin d'un business-plan solide calculé sur 10 ans. »

Ce n'était pas une plaisanterie, mais bien un cas réel tel qui m'a été posé à la fin des années 90. Il s'agissait d'un opérateur de téléphonie mobile qui s'interrogeait sur le lancement ou non d'un réseau 3G (UMTS).

Comment faire ?

Si on essayait de partir de la technologie ou des services, c'était sans solution. J'ai pris le parti de tout oublier et de prendre du recul pour essayer de repérer « où pouvaient être les mers » (voir « Je n'ai jamais vu un fleuve qui ne finissait pas par aller à la mer »).

Tout d'abord sur quoi allait-on regarder ? Quelle pouvait être la taille de l'écran ? En faisant abstraction de toute technologie, nous sommes arrivés à la conclusion qu'il y avait trois types de situation : soit je suis en train de marcher, soit je suis en déplacement mais assis, soit je suis à mon domicile ou mon bureau. Si je suis en train de marcher, l'écran doit tenir dans ma main ; si je suis en déplacement mais assis, il doit pouvoir tenir dans un cartable ; sinon, il n'y aucune contrainte de taille. Donc 3 formats : la main, A4 (ou à peu près), illimité.

Bon et pour faire quoi ? Là aussi tout oublier, tout ce que l'on sait.

Nous sommes face à une rupture. Plus on veut prendre du recul, plus il faut revenir aux « basiques », c'est-à-dire aux attentes fondamentales.

Nous avons alors identifié quatre familles principales :

  • Échanger : Ceci regroupe tous les actes dont le but est simplement de communiquer et échanger avec une autre personne. Cet échange peut se faire par la voix, du texte, des images ou de la vidéo. Mais dans tous les cas, le but est la mise en relation elle-même et la communication.
  • S'informer : Le but est là de chercher tout type d'information sur un sujet quelconque, ce afin d'enrichir une connaissance.
  • Acheter : La finalité est de réaliser une transaction. Bien sûr ceci peut nécessiter une recherche d'information, voire un échange, mais pas nécessairement. De même que symétriquement, souvent on s'informe ou on échange sans acheter.
  • Jouer : Cette fois, ce que l'on recherche, c'est juste s'amuser, passer un moment. Nous avions inclus dans cette famille tout ce qui est musique et vidéo. C'est aussi une famille indépendante, même si il peut y avoir des croisements – par exemple, pour le jeu en réseau, on va échanger –.

Ensuite, nous avons pu croiser la taille de l'écran avec ces familles d'attente pour voir quand l'apport du 3G pouvait être pertinent. Pour quantifier, nous avons émis des hypothèses sur l'évolution des dépenses à nouveau par famille d'attentes…

Et petit à petit, nous avons pu construire des hypothèses de revenus. Aucune étape n'était certaine, mais, comme nous étions partis d'attentes « réelles », les hypothèses étaient explicites et nous avons mesuré la sensibilité au travers de scenarios…

Nous sommes aujourd'hui 10 ans plus tard et quand j'observe tous les services lancés – y compris ceux de l'iPhone –, ils se reclassent bien dans ces 4 familles.

Comme quoi, les fleuves vont bien se jeter dans les mers ... ou les océans !

9 mars 2009

CRÉER DE LA VALEUR EST UNE AFFAIRE D’ATTENTION

La création de la valeur comme le bonheur sont là juste devant nous … à condition que nous fassions suffisamment attention.

Extraits de « Bonheur et création de valeur » de Bernadette Babault (2002 - document d'origine en anglais « Happiness and Value Creation ») :

« Les entreprises et les hommes sont prises dans un piège tendu par un malentendu similaire : les entreprises veulent créer de la valeur, les hommes du bonheur. Nous sommes convaincus que c'est notre but, aussi voulons-nous le faire arriver volontairement. Le malentendu est que, si c'est bien notre but d'atteindre bonheur et création de la valeur, ce n'est pas quelque chose que nous avons à faire advenir. Il est déjà là devant nous ; ce qui nous rend aveugle est notre besoin de le voir volontairement…

La création de valeur arrive partout et tout le temps. C'est un processus fait d'ajustements locaux et de coévolutions… Et ce qui prend une voie ou une autre est bien au-delà des procédures écrites, et ainsi restera invisible aux systèmes d'évaluation. Le système conscient d'une organisation ne peut pas saisir de quoi il est fait. Le management peut voir les résultats, définir des structures, des systèmes et des stratégies et vérifier que les buts sont atteints. Il peut sentir que quelque chose manque dans le paysage, mais il ne peut pas combler ce manque…

Mon approche du conseil est maintenant d'encourager les managers à observer « ce qui est là »… Observer une organisation sereinement et consciemment consiste à écouter des histoires sans les juger...

La première fois que des dirigeants sont encouragés à s'informer sur les situations quotidiennes sans réagir, ils sont sceptiques : « Je suis supposé avoir une opinion, une réponse, autrement pourquoi serais-je le patron ? »… Un PDG m'a dit un jour : « J'incarne la création de valeur ». Quel fardeau !...

Il faut de la compassion et de la patience pour rester attentif sans réagir, mais c'est aussi très gratifiant. Il faut de la force pour voir quelqu'un dans la douleur et résister à la tentation de l'aider, de lui proposer une solution, ou de s'excuser… On suppose que ne pas s'inquiéter est montrer que ce n'est pas important. Or être présent sans s'inquiéter, c'est dire sans aucun mot que « non seulement c'est important pour moi, mais j'ai aussi assez confiance en toi pour te laisser t'en sortir tout seul »…

Pendant que les autres décident où ils veulent aller avant d'embaucher des managers, les grands dirigeants (selon le dernier livre « Good to Great » de Jim Collins) embauchent des managers avec qui ils sentent qu'ils peuvent s'embarquer quel que sera le voyage à faire. Ils cherchent d'abord à avoir les bonnes personnes dans le bus, plutôt que savoir où va le bus. »

8 mars 2009

I'VE SEEN THE FUTURE, BROTHER: IT IS MURDER

Une ballade vers un futur qui, je l'espère, ne sera pas le nôtre

Quand la poésie de Léonard Cohen veut nous inciter au "repentir
" ...


7 mars 2009

COMMENT RÉUSSIR UN DIAGNOSTIC

Pourquoi prendre une photographie est dangereux, comment trop d'expertise peut conduire à se tromper, pourquoi les processus inconscients sont essentiels

La performance durable d'une entreprise repose sur sa capacité non pas à faire juste une fois, mais à s'adapter dynamiquement à l'évolution de la situation. Cette adaptation dynamique repose sur trois points majeurs :

- L'existence de confrontations internes pour ajuster les points de vue, fiabiliser les analyses et construire des projets communs,

- Un maximum de faits et d'informations sur le marché, les concurrents, les résultats des actions passées et en cours pour nourrir les analyses,

- La capacité à se remettre en cause et innover

Tout ceci va venir non seulement des processus apparents dans l'entreprise, mais beaucoup de processus « inconscients » et cachés issus de l'histoire de l'entreprise, de sa culture et de ses systèmes (organisation, système d'information, tableaux de bord et scores, ….). Finalement être rationnel, c'est accepter l'importance de cette dimension inconscient.

Ainsi pour évaluer la performance d'une entreprise, il y a trois pièges principaux à éviter :

- Prendre une photographie de la situation instantanée : comment savoir si la performance – positive ou négative – sera maintenue dans la durée ? L'exactitude est-elle le fruit de la chance ou de la performance du système ? Symétriquement, s'il s'agit d'une erreur, est-elle provisoire ou permanente .

- Avoir une attitude d'expert qui va porter un jugement et dire si ce qu'il voit est juste ou faux : comment percevoir la logique du système analysé et son histoire, si l'on part d'une expertise externe ? Comment être sûr a priori que cette expertise recouvrira bien toutes thématiques pertinentes ?

- Se contenter de ce qui est directement visible : comment évaluer la reproductibilité d'une performance sans comprendre comment elle est atteinte ? Comment analyser un résultat atteint sans comprendre le processus sous-jacent et intégrer les dimensions cachées de l'entreprise ?

Pour réussir un diagnostic, il faut :

- Mener des entretiens ouverts et « non préparés » pour comprendre les logiques des acteurs en place, percevoir les histoires sous-jacentes et évaluer sur quoi reposent les interprétations internes,

- S'arrêter dès que « l'on ne comprend pas » ou que l'on perçoit un résultat ou une attitude « illogique » ou « irrationnelle », car c'est le plus souvent le signal d'une logique cachée et inconsciente,

- Analyser les logiques de systèmes et documents internes (plans stratégique, marketing, industriel, et commercial; politique des ressources humaines ; système d'information ; système de reporting…) et évaluer les logiques induites et leurs cohérences relatives,

- Marier un champ large d'analyse pour ne pas préjuger a priori de la situation, à des zooms locaux ou des « carottages » pour comprendre les logiques et dépasser les apparences.

Tout repose finalement sur deux questions « simples » :

  • L'entreprise, est-elle « connectée au réel » ou encore quelle quantité de « faits » l'irrigue ?

  • Est-elle « cohérente » ou encore est-ce la même « musique » au marketing, au commercial ou à la fabrication ?

En effet si l'entreprise est cohérente, mais déconnectée du réel, elle va foncer, consciencieusement et efficacement, dans le prochain mur et ce « comme un seul homme ». Et si elle est « éclatée », elle sera décoordonnée et n'ira nulle part.

Si elle est connectée au réel et cohérente ("consistent"), elle va progressivement trouver la meilleure réponse et saura s'adapter à ce qu'elle n'a pas prévu...

6 mars 2009

LA LOGIQUE CACHÉE DES MURS EN PIERRES SÈCHES

Suffit-il de poser des pierres les unes sur les autres pour construire un mur ?

J'ai commencé à construire des murs en pierres sèches, il y a une trentaine d'années.

Au début, je m'appliquais et faisais attention au choix des pierres : je prenais uniquement les plus plates, les plus larges, les plus « belles ». Ensuite, je passais de longues minutes à ajuster chacune sur la précédente. Le plus souvent, aucune de ces pierres n'allait et je devais en chercher une autre. Péniblement, centimètre par centimètre, le mur prenait forme. Et in fine, si mes murs étaient bien un assemblage de pierres, ils ne s'intégraient pas dans les murs existants : mes murs restaient fragiles, différents, comme des « verrues »…

Les mois et les années passaient, et rien n'y faisait.

Un jour j'ai eu la curiosité de prendre le temps d'observer un mur existant. Comme il était à moitié démoli, j'ai pu voir quelle était sa structure et comment il avait été construit. A ma grande surprise, j'ai vu qu'il n'y avait quasiment pas de grosses pierres : en fait des pierres de taille moyenne composaient les deux façades et l'intérieur était rempli de petites pierres. De temps en temps, une grosse pierre venait réunir le tout et renforçait la cohésion.

J'ai cherché à mettre en œuvre cette technique et, très vite, j'ai constaté que je montais beaucoup plus vite les murs et qu'ils étaient beaucoup plus solides : je n'avais plus à chercher des pierres « idéales », les petites pierres s'imbriquaient « naturellement » les unes dans les autres, mes murs commençaient à s'intégrer dans le paysage existant.

Restait un problème : comment arriver à ce que le sommet du mur soit aligné. En effet, en Provence, les murs en pierres sèches se terminent par une dernière rangée de pierres posées verticalement et qui, étant mises en compression entre elles, donnent la solidité finale du mur. Or, si j'arrivais sans problème à mettre la dernière rangée en vertical, j'étais incapable d'obtenir que cela produise un mur « horizontal » en son sommet : mes murs avaient une hauteur variable en fonction de la largeur de la dernière pierre.

J'ai buté sur cette difficulté encore un bon moment, et l'évidence m'est apparue brutalement en regardant avec un peu plus d'attention un mur ancien et en le comparant à un des miens : la dernière rangée de mes murs reposait sur une rangée horizontale et en conséquence créait une ligne supérieure aléatoire ; celle des murs existants se terminait par une ligne horizontale et c'était leur base qui était une ligne aléatoire. En fait, les ajustements étaient faits par le dessous : il ne fallait pas finir le mur et poser la rangée verticale, mais le finir en fonction de la largeur de la dernière pierre. (Je ne suis pas certain que mes explications soient limpides – j'ai essayé de les faire les plus claires possible -, mais en regardant les photos, vous devriez comprendre. Sinon, n'hésitez pas à me poser des questions !)

Depuis ce jour, je construis des murs qui s'intègrent parfaitement et que l'on ne distingue plus des anciens. Et en plus, je les réalise très rapidement : j'arrive maintenant à les monter sans réfléchir et en « jetant » les pierres comme elles viennent.

Finalement si, dès le départ, j'avais pris le temps de comprendre qu'elle était la logique cachée…

5 mars 2009

FAIRE UN DIAGNOSTIC, CE N’EST PAS PRENDRE UNE PHOTO

Comment évaluer la performance d'une entreprise… vraiment ?

« Mon diagnostic a commencé, il y a maintenant trois jours. Les interviews se succèdent, celui-là est le vingtième. Le déroulement initial est immuable : je commence par me présenter en deux minutes, et puis, première question : « Et vous ? »

Comme d'habitude, mon interlocuteur, à son tour, me dit qui il est, d'où il vient. Essentiel pour comprendre de savoir « d'où » il va me parler. En fait je me suis présenté surtout pour cela : pour qu'il trouve naturel de me dire même rapidement son parcours personnel. Réciprocité.

« Donc, vous êtes arrivé dans cette entreprise depuis maintenant plus de dix ans. En quelques mots, pourriez-vous m'en parler : y a-t-il eu des étapes importantes, des ruptures ? Ou alors cela a-t-il été un long fleuve tranquille ? »

Les questions s'enchainent. Je rebondis sur ses réponses, l'aide à approfondir, à remonter à la source de ses convictions. Mentalement, je ne suis plus assis face à lui, mais à côté pour voir la situation de son point de vue, pour comprendre sa vision de son rôle, de celui des autres.

« Et l'entreprise plus globalement, quels sont les défis auxquels elle a à faire face ? ».

Je fais attention à oublier ce que je sais déjà, à ne pas reproduire vers lui mes interprétations naissantes. Comme c'est la vingtième interview, forcément une image commence à se dégager. Mais je dois rester en éveil, le moins projectif possible, le moins inductif.

Vers la fin, j'injecte au travers de mes questions les lignes de force actuelles de mon diagnostic. Pour voir comment il va réagir : va-t-il confirmer, compléter, infirmer ?


Partir sans a priori, sans jugement initial. Repérer les courants, les logiques, les contradictions. Laisser la synthèse émerger presque d'elle-même. « Neurodiagnostiquer ».

De quoi s'agit-il ?

D'aller bien au-delà d'une simple analyse des actions, de la véracité des chiffres ou de l'exactitude d'une politique. Certes, de telles analyses peuvent apporter des données intéressantes mais elles ne prennent qu'une photographie instantanée de l'entreprise :

- Si les éléments recueillis sont satisfaisants, comment savoir si cette performance sera maintenue dans la durée ? L'exactitude est-elle le fruit de la chance ou de la performance du système ? Symétriquement si les résultats recueillis ne sont pas satisfaisants, est-ce qu'il s'agit d'une erreur provisoire ou permanente ?

- Quels sont les éléments qui expliquent ces résultats – positifs ou négatifs – ?

- En quoi l'analyse du résultat va-t-elle permettre de comprendre comment il a été obtenu ?

- Qu'en déduire pour le futur et les actions à entreprendre ?


« Neurodiagnostiquer » c'est chercher non pas à juger le résultat obtenu ou la qualité des décisions prises, mais bien à comprendre les systèmes, conscients et inconscients, qui sous-tendent l'action de l'entreprise et génèrent les décisions. C'est identifier aussi les décalages éventuels par rapport au réel et les interprétations majeures qui sous-tendent les actions.

D'une certaine façon, il s'agit de développer vis-à-vis de l'entreprise une approche de type « psychanalytique », c'est-à-dire amenant à exprimer les interprétations émises par l'organisation et les logiques sous-jacentes. Soyons clairs, il n'est bien sûr pas dans mon propos de dire qu'il faut considérer l'entreprise comme un organisme malade : je n'emploie l'expression « psychanalytique » que pour exprimer que, ici encore, il s'agit, sans a priori, de faire retrouver à l'entreprise pourquoi elle agit et de l'aider à tirer par elle-même ses propres leçons.

Tout au long de ce « neurodiagnostic », une phrase clé est à garder en mémoire : « Si je ne comprends pas pourquoi un système ou quelqu'un fait quelque chose, la seule chose que je dois comprendre, c'est que je ne comprends pas… et que je dois continuer à chercher. » »

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(EXTRAIT DU LIVRE NEUROMANAGEMENT)

4 mars 2009

COMMENT LIRE DERRIÈRE LES APPARENCES ?

Il est illusoire de vouloir séparer les faits des interprétations, ils sont consubstantiels l'un de l'autre : nous n’avons jamais accès au fait brut, mais seulement à des interprétations.

Dans son dernier livre, Le spectateur émancipé, Jacques Rancière analyse la lecture d'une photographie d'un jeune homme menotté (voir la photo ci-jointe) et écrit :

« Barthes nous dit ceci : « La photo est belle, le garçon aussi : ça c'est le studium. Mais le punctum, c'est : il va mourir. Je lis en même temps : cela sera et cela a été. » Or rien sur la photo ne dit que le jeune homme va mourir. Pour être affecté de sa mort, il faut savoir que cette photo représente Lewis Payne, condamné à mort en 1865 pour tentative d'assassinat du secrétaire d'État américain. Et il faut savoir aussi que c'est la première fois qu'un photographe, Alexander Gardner, était admis à photographier une exécution capitale…

Trois formes d'indétermination. La première concerne le dispositif visuel… Nous ne pouvons savoir si l'emplacement a été choisi par le photographe… La seconde est le travail du temps. La texture de la photo montre la marque du temps passé. En revanche, le corps du jeune homme, son habillement, sa posture et l'intensité du regard prennent place sans difficulté dans notre présent, en niant la distance temporelle. La troisième l'indétermination concerne l'attitude du personnage. Même si nous avons qu'il va mourir et pourquoi, il nous est impossible de lire dans ce regard les raisons de sa tentative de meurtre ni ses sentiments en face la mort imminente. La pensivité de la photographie, pourrait être définie comme ce nœud entre plusieurs indéterminations. Elle pourrait être caractérisée comme effet de circulation entre le sujet, le photographe et nous, de l'intentionnel et de l'inintentionnel, du su et du non su, de l'exprimé et de l'inexprimé, du présent et du passé. »

Or comme pour cette photo, nous n'avons jamais accès au fait brut.

Quand nous sommes des témoins directs d'un fait, nous allons intégrer dans le fait lui-même tout notre connaissance et notre savoir issu de notre passé. Nous allons construire des interprétations de et à partir de ce que nous observons. Dans certains cas, des perturbations provenant de nos émotions – le fait observé vient télescoper chez nous un souvenir émotionnel fort – ou des erreurs d'appréciation – un des éléments importants de la scène nous ont échappé – vont venir déformer en profondeur notre compréhension de la situation : nos interprétations seront fausses.

Or la plupart du temps, nous ne sommes pas les témoins directs des faits et nous dépendons des interprétations de ceux qui nous les rapportent. Nous allons donc construire notre propre interprétation non pas seulement à partir du fait, mais en intégrant la lecture que d'autres en ont fait, et donc en partie leurs passés et leurs histoires personnelles.

Notre perception du monde est donc faite d'emboîtements successifs d'interprétations. Les faits sont bien loin, et il est illusoire de viser une objectivité quelconque. Il faut simplement être conscient de cette réalité et vivre avec…

Ceci s'applique bien sûr au management des entreprises : toute Direction Générale n'a pas accès aux faits, mais seulement à des jeux d'interprétations. D'où l'importance de développer une culture de la confrontation pour améliorer la qualité des interprétations et permettre leur ajustement progressif. (voir "Quand une entreprise se voit avec trois mains" et "Sans effets miroirs, les entreprises ne peuvent pas rester connectées au réel")

Comme pour cette photo de Lewis Payne, assurons-nous que tous ceux qui vont l'interpréter sachent au moins quel est son contexte historique…