Observer plutôt que questionner
Si, pour analyser une situation, on commence par poser des questions, on risque non seulement de ne pas comprendre ce qui se passe réellement, mais chercher à régler un problème qui ne se pose pas. Voilà un exemple tiré d’un cas réel que j’ai vécu et que j’ai relaté dans les Mers de l’incertitude.
Pour des raisons liées à l’environnement, l’entreprise avait décidé de mettre dans ses déodorants un nouveau gaz de propulsion, gaz dont la densité était plus faible. Ainsi, avec la même quantité de produit, donc le même nombre d’utilisations, le bidon du déodorant allait devenir plus léger. L’écart était faible mais suffisant pour être perçu si l’on tenait dans une main l’ancien déodorant, et dans l’autre le nouveau.
Que fallait-il faire ? Il était facile de compenser l’écart de poids en alourdissant le flacon ou en le remplissant un peu plus. Mais ces deux solutions allaient accroître le coût de production, sans aucune possibilité de répercussion dans le prix de vente. Si l’entreprise avait procédé à une enquête (c’est-à-dire en demandant au client s’il préférerait un flacon plus lourd ou pas), la réponse était dans la question : les clients allaient penser que, si le flacon était plus léger, il y avait moins de produit à l’intérieur.
L’entreprise a procédé autrement. Méfiante de ses réflexes internes, elle a décidé d’observer comment se comportaient les clients. Grâce à des stagiaires envoyés sur les lieux de vente, elle a rapidement compris que le geste fait en interne (comparer les deux bidons) n’existait pas lors de l’achat : la consommatrice prenait un flacon, le secouait pour voir s’il était rempli, le reposait et en prenait un autre. Elle n’avait à aucun moment les deux flacons en même temps dans les mains. Or si l’écart de poids était suffisant pour être perçu quand on tenait les deux flacons, un dans chaque main, il était trop faible pour l’être quand les flacons étaient pris successivement. Rien n’a donc été changé.