La crise est due à la tectonique des plaques (14 février 2011)
Le 31 janvier dernier, Michel Serres a tenu une conférence sur « Vivons-nous un temps de crise », ce dans le cadre des États généraux du renouveau. Il y a insisté sur les mouvements de fonds qui sous-tendent la crise actuelle, faisant la comparaison avec la tectonique des plaques.
En voici, un patchwork personnel et reformulé (voir l'intégrale de la vidéo à la fin) :
« Un événement est d’autant plus important que ce qu’il clôt est long, c'est-à-dire depuis combien de temps l’état précédent datait. Ainsi le passage de la population agricole de 80% à 1% en un siècle clôt une période qui a commencé au néolithique. C’est donc un changement majeur : La campagne est vide et nous ne sommes plus en relation physique avec le monde que nous habitons. »
« La médecine ne sait guérir que depuis la fin de la guerre de quarante. (…) La durée de vie s’allonge et tout se transforme, notre relation avec la vie comme avec la mort. (…) Au moment du mariage, nous nous promettons fidélité pour soixante-cinq ans. (…) Avant, on héritait encore jeune de ses parents, maintenant on est déjà vieux soi-même quand cela arrive. (…) Le corps étant soigné est devenu montrable, alors on se déshabille sur les plages. (…) Nous programmons les naissances, et donc l’apparition de la vie. »
« Avant, notre adresse nous repérait dans l’espace. Aujourd’hui nos adresses sont le téléphone portable et l’ordinateur, ce sont deux adresses qui ne sont plus repérées dans l’espace. (…) On est dans un nouvel espace topologique où on est tous voisins. Les nouvelles technologies n’ont pas raccourci les distances, il n’y a plus de distance du tout. »
« C’est l’adresse qui nous relie au politique. Donc ce ne peut plus être le même droit et la même politique, car ils étaient bâtis sur là où on habitait. (…) Nous habitons un nouvel espace, et comme il est nouveau, c’est un espace de non-droit. (…) Robin des bois : Robin vient de Robe, c’est l’homme de loi, l’homme de droit. Il habite la forêt de Sherwood qui est un espace de non-droit dont il construit le droit. Nous avons besoin de nouveaux Robins des bois. »
« Jusqu’à présent, le renouvellement de la langue française se faisait au rythme de trois à quatre mille nouveaux mots à chaque édition du Dictionnaire de l’Académie Française (tous les vingt ans). Cette fois, trente-cinq mille mots : ceci est lié à la transformation des métiers (par exemple : plus mille mots ont « disparu » à cause du déclin de l’agriculture). (…) C’est un témoin de la profondeur de la mutation : la vitesse est multipliée par dix. Si ceci se poursuit, cela voudra dire qu’en 2030, le français sera aussi différent de celui de 1990, que nous sommes distants de ce que l’on appelle l’ancien français (il y a quatre-cents ans), français que nous ne comprenons plus. »
« Je vous annonce la naissance d’un nouvel être : l’individu. (…) Nous ne savons plus être ensemble : on ne fait plus équipe, on ne peut plus faire classe, on ne sait plus passer la balle au voisin, il n’y a plus d’appartenance, on divorce, on ne se reconnait plus dans les partis. (…) De ce point de vue, l’équipe de France de football lors du dernier mondial en a été une parfaite illustration : c’était une collection d’individus qui ont montré qu’ils ne pouvaient plus jouer ensemble. »
« Sur dix meurtres, six se passent en famille et neuf assassins connaissaient leur victime. Aussi, aimer l’autre quand il est loin est-il facile : il n’y avait pas de problème à affirmer « Aimez-vous les uns les autres ». (…) L’autre ne me gène pas, car je ne le vois pas souvent. Le problème, c’est le proche, c’est le même. Or aujourd’hui, tous les autres sont des proches, sont des mêmes : nous n’avons plus que des prochains. (…) Il y a une sur-morale à inventer »