Apprendre marcher malgré les risques
Imaginez un enfant de neuf mois
qui, très mature intellectuellement, a compris qu’il est face à une décision
clé pour lui : doit-il oui ou non se mettre à marcher. Aussi plutôt que de
se décider à la va-vite, il mène une réflexion approfondie.
Celle-ci l’amène aux conclusions
suivantes :
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Les premières semaines seront très
éprouvantes : comme
il ne maîtrisera pas son équilibre, il tombera sans cesse. Or tomber fait mal,
il le sait, car, enfant pragmatique, il a essayé et ses fesses en gardent un
souvenir cuisant.
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Ce qui le passionne le plus lui restera
interdit : il lorgne depuis
longtemps, c’est-à-dire neuf mois, l’installation informatique de son père, le
tableau de commande de la chaîne hifi, ainsi que celui de la machine à laver le
linge. Or il a vu son grand-frère se faire systématiquement rabrouer à chacune
de ses tentatives. A quoi bon se lancer alors ?
-
Le monde extérieur est un monde hostile : grâce à la télévision qu’il observe constamment
et à ses promenades en landau, il a vu que, dehors, il fait, tour à tour, froid
ou chaud, que les rues sont encombrées de voitures qui sont autant de menaces,
et que des écoles et des maîtres rébarbatifs l’attendent.
Fort de cette analyse, il prend
la seule décision raisonnable, la seule qui le protège de tous ces
risques : il ne marchera pas, et passera sa vie dans son landau. Rassuré,
il s’enfonce doucement dans le confort de sa couette.
C’est de cet enfant qu’Amélie
Nothomb parlait dans la Métaphysique des
tubes : « Il se met à marcher, à parler, à adopter cent attitudes inutiles par
lesquelles il espère s’en sortir. Non seulement il ne s’en sort pas, mais il
empire son cas. Plus, il parle, moins il comprend, et plus il marche, plus il
fait du surplace. Très vite, il regrettera sa vie larvaire, sans oser se l’avouer.
(…) C’est la vie qui devrait être tenue pour un mauvais fonctionnement. »
Cet enfant fait-il le bon
choix ? Est-ce pertinent ? Évidemment non, et Dieu merci, nos enfants
ne sont pas aptes à mener de telles analyses…
De même, devenus adultes, nous
acceptons de traverser les rues malgré les voitures, ou simplement de sortir
malgré les météorites. Pourtant les accidents arrivent, et personne ne peut
affirmer que jamais une météorite ne tombera sur ce morceau de trottoir…
Il doit
en être ainsi pour les entreprises : au nom de l’analyse des risques,
elles ne doivent pas rester immobiles et tétanisées. Mais comme pour le
nouveau-né intellectuellement surdoué, et physiquement inhibé, il m’arrive de
voir des directions choisissant de ne pas se mettre à marcher. Elles se
condamnent à coup sûr.
L’incertitude
appelle une attitude qui, tout en ne négligeant aucun risque, notamment les
cygnes noirs1, se tourne vers l’action. Soyons tous des paranoïaques
optimistes : imaginons le pire, préparons-nous à y faire face, et agissons
pour qu’il ne produise pas ! C’est ce que j’exprimais déjà dans ma vidéo
au moment du lancement de mon livre les Mers de l’incertitude (cf. ci-dessous).