21 nov. 2011

SOYONS DES PARANOÏAQUES OPTIMISTES

Apprendre marcher malgré les risques
Imaginez un enfant de neuf mois qui, très mature intellectuellement, a compris qu’il est face à une décision clé pour lui : doit-il oui ou non se mettre à marcher. Aussi plutôt que de se décider à la va-vite, il mène une réflexion approfondie.
Celle-ci l’amène aux conclusions suivantes :
-        Les premières semaines seront très éprouvantes : comme il ne maîtrisera pas son équilibre, il tombera sans cesse. Or tomber fait mal, il le sait, car, enfant pragmatique, il a essayé et ses fesses en gardent un souvenir cuisant.
-        Ce qui le passionne le plus lui restera interdit : il lorgne depuis longtemps, c’est-à-dire neuf mois, l’installation informatique de son père, le tableau de commande de la chaîne hifi, ainsi que celui de la machine à laver le linge. Or il a vu son grand-frère se faire systématiquement rabrouer à chacune de ses tentatives. A quoi bon se lancer alors ?
-        Le monde extérieur est un monde hostile : grâce à la télévision qu’il observe constamment et à ses promenades en landau, il a vu que, dehors, il fait, tour à tour, froid ou chaud, que les rues sont encombrées de voitures qui sont autant de menaces, et que des écoles et des maîtres rébarbatifs l’attendent.
Fort de cette analyse, il prend la seule décision raisonnable, la seule qui le protège de tous ces risques : il ne marchera pas, et passera sa vie dans son landau. Rassuré, il s’enfonce doucement dans le confort de sa couette.
C’est de cet enfant qu’Amélie Nothomb parlait dans la Métaphysique des tubes : « Il se met à marcher, à parler, à adopter cent attitudes inutiles par lesquelles il espère s’en sortir. Non seulement il ne s’en sort pas, mais il empire son cas. Plus, il parle, moins il comprend, et plus il marche, plus il fait du surplace. Très vite, il regrettera sa vie larvaire, sans oser se l’avouer. (…) C’est la vie qui devrait être tenue pour un mauvais fonctionnement. »
Cet enfant fait-il le bon choix ? Est-ce pertinent ? Évidemment non, et Dieu merci, nos enfants ne sont pas aptes à mener de telles analyses…
De même, devenus adultes, nous acceptons de traverser les rues malgré les voitures, ou simplement de sortir malgré les météorites. Pourtant les accidents arrivent, et personne ne peut affirmer que jamais une météorite ne tombera sur ce morceau de trottoir…
Il doit en être ainsi pour les entreprises : au nom de l’analyse des risques, elles ne doivent pas rester immobiles et tétanisées. Mais comme pour le nouveau-né intellectuellement surdoué, et physiquement inhibé, il m’arrive de voir des directions choisissant de ne pas se mettre à marcher. Elles se condamnent à coup sûr.
L’incertitude appelle une attitude qui, tout en ne négligeant aucun risque, notamment les cygnes noirs1, se tourne vers l’action. Soyons tous des paranoïaques optimistes : imaginons le pire, préparons-nous à y faire face, et agissons pour qu’il ne produise pas ! C’est ce que j’exprimais déjà dans ma vidéo au moment du lancement de mon livre les Mers de l’incertitude (cf. ci-dessous).



18 nov. 2011

L'ART DU REGARD DÉCALÉ

Quand Desproges nous réapprenait à voir ce qui se passait chez nous
Pour terminer cette semaine consacrée à quelques réflexions sur l'art du diagnostic, pourquoi ne pas re donner la parole à Pierre Desproges et à ses minutes nécessaires :

17 nov. 2011

CONNEXION AU RÉEL ET “CONSISTENCY”, LES DEUX CLÉS DE LA PERFORMANCE COLLECTIVE

La vie se nourrit d’échanges internes et externes
Dans la prolongation de mon billet d’hier, c’est donc le système global, le collectif qu’il s’agit d’évaluer.  Comment faire ?
Je crois d’abord qu’il faut éviter deux écueils :
-        Celui de l’expert et de sa prétention à croire qu’il peut dire ce qui est juste et bien.
Comment en effet prétendre être capable de dire qu’un système fait juste ? A-t-on à sa disposition un mètre-étalon permettant de mesurer dans l’absolu et avec exactitude ? Non, évidemment. Donc, sauf cas manifeste d’erreur, il faudrait mener sur chaque item des analyses longues et contradictoires, et encore sans avoir l’assurance d’une réponse unique. Bref, il faudrait tout refaire à la place de ceux qui sont là.
-        Celui de la photographie et de l’instantané.
A quoi bon chercher à savoir si un système – un service, une filiale, une entreprise… –,  est en train de faire juste ? Car qu’est-ce qui peut permettre d’en conclure qu’elle pourra faire juste demain ? Les systèmes vivants sont en perpétuelle transformation, et c’est cette dynamique qu’il faut évaluer, et non pas une quelconque performance instantanée.
Donc comment faire ? Personnellement, je m’intéresse à deux questions, et deux seulement :
1.     Comment le système est-il connecté au « réel », ou autrement dit, quelles sont la quantité et la qualité des faits qui l’irriguent ?
Ainsi dans le cas d’une entreprise, je vais chercher à comprendre sur quoi reposent les raisonnements et les décisions internes : est-ce que le marketing connaît les ventes actuelles et passées, les offres de la concurrence, les parts de marché…? Est-ce que la production connaît les performances réelles de ses usines, et avec quel délai, de celles des concurrents, les coûts unitaires, les rebuts…?  Combien de temps une information met pour atteindre la direction générale et être prise en compte ? Est-ce que l’on mesure le temps de conception des nouveaux produits, la part dans le chiffre d’affaires des produits de moins de cinq ans ? Symétriquement, suit-on les produits les plus anciens ?...
2.     Quel est le degré de cohésion au sein du système, est-ce que chacun « tire dans la même direction », est-ce « consistent » pour reprendre l’expression anglaise qui n’a pas d’équivalent direct en français, ou encore à l’opposé, est-il « désarticulé » ?
Là aussi je vais me poser des questions simples : Quelles sont les articulations entre la stratégie, le plan marketing, le budget de l’année, les objectifs commerciaux annuels et le plan industriel ? Les données figurant entre tous les tableaux de bord - finances, marketing, commercial, industriel - proviennent-elles d’une source unique ? Les objectifs individuels fixés lors des entretiens annuels sont-ils en ligne avec les objectifs de l’entreprise ? Et les systèmes de rémunération ? Comment répond-on à la question : quels sont les points forts et les points faibles de l’entreprise ? De la concurrence ?...
Pourquoi seulement ces deux questions ? Parce que mon expérience m’a montré qu’un système cohérent et nourri par les faits finit par faire juste : il s’adapte, il réagit, il ne se désagrège pas… bref il vit et avance !
Par contre s’il n’est pas nourri par les faits, il va dériver, et, s’il est très cohérent, foncera comme un seul homme dans un mur.
Symétriquement s’il n’est pas cohérent, il n’avancera pas, et plus il sera nourri par les faits, plus il se désarticulera, jusqu’à finir par imploser.

16 nov. 2011

LA PERFORMANCE COLLECTIVE ÉMERGE… OU N’ÉMERGE PAS

Évaluer un individu ne dit pas grand chose sur le collectif
Comme je l’indiquais hier, mesurer la performance individuelle n’a pas grand sens, et peut même être dangereux en masquant les effets de système.
Tout personne qui prend le temps d’analyser le fonctionnement des entreprises, ne peut qu’être d’accord avec cette affirmation – elle risque même probablement de la trouver triviale –, mais alors pourquoi tant de primes individuelles, tant de carottes personnelles ?
D’autant que, comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire1, l’esprit de compétition et le développement de « carottes » sont contreproductives : elles ne fonctionnent réellement que pour des tâches simples, élémentaires et non dépendantes des autres. Connaissez-vous beaucoup de telles situations ?
Pourquoi continuer ainsi ? Par conformisme ? Par paresse ? Ou alors par expérience ? Mais cela voudrait dire que les expériences en entreprise viennent contredire toutes les analyses et recherches faites de par le monde. Étrange, non ?
Je repense aux fourmis et aux abeilles dont je parlais début septembre2, et à l’émergence de l’intelligence collective. Est-ce qu’il nous viendrait l’idée de mesurer la performance d’une fourmilière à l’aune de celle d’une fourmi, ou de considérer que la force d’une ruche est la multiplication de la force d’une abeille par le nombre d’abeilles ?  Non, n’est-ce pas ? Nous savons que c’est la collaboration entre les individus, et la bonne répartition des tâches qui font la force collective.
Mais bien sûr, nous ne sommes ni des fourmis, ni abeilles, et chacun d’entre nous est infiniment plus intelligent que ces êtres si petits et si primaires. Certes, je n’en disconviens pas.
Mais ce qui est vrai pour une fourmilière ou une ruche, est vrai pour une entreprise : la performance collective n’est pas l’addition des performances individuelles. Et le système collectif permet l’émergence de nouvelles propriétés, ou ne le permet pas… et c’est cela qui compte et qu’il faut évaluer…

15 nov. 2011

LA PERFORMANCE INDIVIDUELLE N’A PAS GRAND SENS

Laissons les papillons battre des ailes, et n’en concluons rien !
Retour sur les papillons et leurs battements d’aile.
J’aime cette idée : imaginez donc un papillon qui est en train de donner un coup d’aile, – disons dans le Sud de l’Espagne par une belle fin de journée ensoleillée –, et qui, sans le savoir, va déclencher quelques semaines plus tard une catastrophe météorologique à l’autre du bout du monde. Cette image est si poétique qu’elle est devenue un lieu commun.
Mais arrêtons-nous un instant sur elle. Comment peut-on imaginer réellement qu’un battement d’aile – ou tout autre phénomène unitaire – peut provoquer une conséquence identifiable et attribuable des semaines plus tard ? Comment pourrait-on être capable d’isoler un enchaînement de faits de toutes les autres interférences ?
Notre monde est trop complexe, trop entremêlé pour imaginer une telle corrélation. Tout est affaire de système, et les actions individuelles sont prises dans la toile d’araignée des actions des autres, des effets et des contre-effets, d’une infinité de perturbations.
Il en est de même dans une entreprise.
Certes la mobilisation individuelle et la performance d’une action isolée sont importantes, mais il est illusoire de vouloir relier directement ce que fait un individu d’un résultat précis.
En fait, ce n’est pas seulement illusoire, c’est dangereux et trompeur. Par exemple, cela peut amener à surestimer l’impact individuel, et de sous-estimer l’importance de tout ce qui l’entoure. Ou à l’inverse, ne pas voir que le problème n’est pas dû à un manque d’engagement, mais à un dysfonctionnement systémique…
Ainsi comme il est inutile de prétendre conclure quoi que ce soit à partir d’un battement d’aile d’un papillon, il ne sert pas à grand chose de mesurer la performance individuelle… 

14 nov. 2011

FAISONS PLUS ATTENTION AUX CYGNES NOIRS ET MOINS AUX PAPILLONS !

Se préoccuper plus des ruptures majeures improbables que des battements d’aile d’un papillon
Extrait des Mers de l’incertitude
Comme l’écrit justement Pierre Gonod, « l’expression de Pierre Massé sur « les faits porteurs d’avenir » a fait fortune. Mais personne n’a jusqu’alors indiqué comment on pouvait les repérer. Parce que scientifiquement c’est impossible. »1 Ces faits porteurs d’avenirs ont été repris par les gurus de la prospective qui parlent des signaux faibles ou de « battements d’aile de papillons ».
Comme pour les tableurs Excel, beaucoup d’énergie et d’argent sont dispersés en vain. Ne partons donc pas à la chasse aux papillons et soyons attentifs intensément à ce qui se passe ici et maintenant pour repérer les  phénomènes porteurs de fractures immédiatement identifiables. Comme  lorsque l’écureuil du film l’Âge de glace retire brutalement sa noisette,  et que la rupture provoquée commence à fissurer la banquise. Il s’agit  d’anticiper les conséquences et la propagation d’un changement dans la  situation initiale. Si j’ai analysé attentivement comment elle se compose  et quels sont les potentiels de la situation, je peux comprendre qu’un effet  actuellement modeste va se propager.2
A l’opposé des signaux faibles, on trouve les ruptures majeures improbables,  ces événements disruptifs qui n’ont quasiment aucune chance de  se produire, mais qui, s’ils adviennent, vont tout changer. Ce sont eux  que Nicholas Nassim Taleb appelle les « cygnes noirs » : un best-seller qui, à lui seul, peut faire la fortune ou non d’une maison d’édition ; les attentats du onze septembre qui viennent tout changer ; le ticket de loto gagnant pour un individu.3
Or tous nos modèles nous amènent à nier l’existence de ces ruptures improbables : nous lissons les situations, nous ne regardons que les moyennes. Nous croyons le monde régi par la courbe de Gauss, or il n’en est rien : il suit les lois du chaos.
Aussi, des événements très improbables peuvent-ils à tout moment avoir un impact majeur.
Et d’ailleurs, comment savoir que tel ou tel événement est improbable ?  D’où sort ce calcul, alors que nous ne pouvons rien quantifier au-delà  de l’horizon du flou, horizon qui se rapproche sans cesse ? Avons-nous  vraiment pu intégrer tous les aléas ?
Plutôt que de se centrer sur ce que l’on ne peut pas calculer – quelle  est la probabilité que ceci ou cela se produise ? –, ne serait-il pas plus  efficace et utile de chercher à répondre à la question : puis-je identifier  des événements susceptibles de me mettre en péril brutalement ? Que se  passera-t-il si ceci advient ? Quelle sera la portée des bouleversements ? Peut-on prendre des dispositions maintenant pour limiter ces bouleversements ? En cas de déclenchement de ce risque majeur, a-t-il des signes  avant-coureurs qui peuvent déclencher une alerte ?
Repensez à tout ce qui a été mis en place suite au tsunami survenu en décembre 2004 :
  • Dispositif pour analyser en temps réel les secousses sismiques et évaluer si elles sont susceptibles de déclencher un tsunami,
  • Équipements de tous les points sensibles de systèmes permettant de relayer immédiatement l’alerte,
  • Modification des implantations des habitats,
  • Élaboration de procédures d’évacuation dans ces mêmes zones,
  • Entraînement avec tests des systèmes en place…
De même, une entreprise ne pourra pas éviter une rupture majeure improbable si elle survient, mais elle pourra mieux y faire face si :
  • Elle s’est organisée pour limiter son impact,
  • Elle sait plus tôt identifier qu’elle survient,
  • Elle diffuse plus vite l’alerte,
  •  Elle a préparé des scénarios d’action,
  •  Elle a entraîné son personnel à les mettre en œuvre.

(1) Pierre Gonod, Penser l’incertitude, p.2 ; Pierre Massé a notamment été commissaire au Plan de 1959 à 1966
(2) « Le stratège chinois ne fait que dérouler la conséquence : de ce facteur infime, à peine perceptible, il anticipe le déploiement. » (François Jullien, Conférence sur l'efficacité, p.64)
(3) Au moment où je relis mon manuscrit, le nuage de cendres provoqué par l’éruption du volcan islandais apporte un nouvel exemple de cygne noir.

10 nov. 2011

LES GIROUETTES DU MANAGEMENT ET DE L’EXPERTISE

Le zapping ne conduit pas à la constance
Pris dans un mouvement brownien et une course entre les plateaux de télévision, ou les conférences, les experts n’ont plus le temps de réfléchir. Dans mon livre, les Mers de l’incertitude, je relatais l’anecdote réelle suivante :
« Dernièrement, un journaliste vedette a déclaré à la radio : « Entre mon rôle de rédacteur en chef de mon journal et d’éditorialiste, plus toutes les émissions auxquelles je participe, c’est bien simple, je n’ai plus cinq minutes de libre pour m’arrêter ». Il disait cela comme la preuve de sa performance et de son importance. Son interlocuteur en sembla d’ailleurs impressionné. En moi-même, je pensais : « Mais quand réfléchit-il ? Comment peut-il vraiment faire son métier d’éditorialiste et de journaliste en courant tout le temps de la sorte ? ». »
Ils deviennent alors des perroquets, reprenant la dernière histoire racontée, et, si jamais le vent en vient à tourner, dociles girouettes, ils tourneront tous ensemble, tout en expliquant doctement pourquoi tout a changé.
Dans le même temps, les dirigeants sont eux aussi pris dans le ballet des avions, des réunions, et parfois aussi des plateaux de télévision. Comme, souvent, ils n’ont pas grandi dans l’entreprise qu’ils dirigent et viennent de la rejoindre, ils ne la connaissent pas de l’intérieur, et ne manipulent que des rapports et des tableaux de chiffres.
Difficile dans ce contexte de se fixer sa propre conviction, surtout si l’environnement est mouvant. Aussi feuilletant les pseudo-analyses des experts-girouettes, reproduisant sans s’en rendre compte les lieux communs produits par l’organisation qu’ils viennent de rejoindre, ils en viennent à affirmer le contraire de ce qu’il avait dit dans une responsabilité précédente.
Ainsi va le monde…

9 nov. 2011

NON AUX POUPÉES RUSSES DANS L’ORGANISATION

Chacun doit avoir sa mission en propre
Les organisations commerciales des entreprises ressemblent parfois encore à des poupées russes géographiquement emboitées.
Qu’est-ce que je veux dire par là ?
Une réalité simple : aucune réelle réflexion n’ayant été menée sur la définition des valeurs ajoutées de chaque niveau géographique et sur la différentiation des missions, chaque responsable géographique se trouve uniformément en charge de s’occuper des clients présents sur ce territoire.
Souvenir par exemple des activités de banque de détail d’un grand établissement financier généraliste où :
  • Les agences s’occupaient de tous les types de clients.
  • Les directeurs d’agence dépendaient d’un directeur de sous-groupe, dont le rôle était de manager les directeurs d’agences dépendant de lui, sans plus de précisions.
  • Les directeurs de sous-groupes dépendaient d’un directeur de groupe dont le rôle était de manager les directeurs de sous-groupes dépendant de lui, sans plus de précisions.
  • Les directeurs de groupe dépendaient d’un directeur régional selon la même logique, directeurs régionaux dépendant eux du directeur France

Une telle organisation présente trois inconvénients majeurs :
  • La subsidiarité impossible : Supposons d’abord que les agences et leurs directeurs fassent bien leur métier. Dans ce cas, à quoi servent tous les autres échelons, et quelle est leur valeur ajoutée ? En caricaturant, les directeurs successifs sont mis dans le dilemme suivant : soit ils ne font rien, soit ils perturbent l’efficacité de ceux qui s’occupent des clients. Si maintenant un échelon dysfonctionne, comment intervenir ? Son supérieur prend de fait la commande en direct, ou le remplace. Mais comment peut-il le faire au pied levé s’il ne faisait que surveiller ce qui se passait ? Et s’il intervenait constamment, à quoi bon maintenir la fiction du responsable de l’échelon inférieur ?
  • La déconnexion du réel : Les échelons supérieurs n’ont aucun accès direct à ce qui se passe réellement au contact des clients, et sont donc complètement dépendants des informations remontées. Or, souvenez-vous du jeu auquel vous vous êtes probablement adonnés enfant : il s’agissait de raconter à son voisin une histoire simple, celui-ci devant à son tour la transmettre à son voisin ; dès la troisième transmission, l’histoire n’avait plus grand-chose à voir avec celle d’origine. A part les tableaux de bord financiers, c’est la même chose dans une entreprise. Et comme on ne dirige pas efficacement par les mathématiques, la direction de l’entreprise est déconnectée du réel.
  • La perte de contrôle : Dans une telle organisation, l’unité de base est censée gérer directement l’ensemble des sujets. Comme souvent on a réduit les effectifs, ceci est impossible, et une part très importante de la vie de l’entreprise n’est pas managée directement. Combien de temps un tel projet met-il alors pour aboutir ? Comme dans l’histoire de Fernand Raynaud sur le temps qu’il faut au fût d’un canon pour refroidir, un certain temps, le temps qu’il faudra… Il peut en être ainsi du temps d’attente des clients, comme du déploiement d’une innovation.

Comment sortir d’une telle organisation ? En analysant quels sont les différentes missions et tâches à couvrir, et en les répartissant au sein de la chaîne hiérarchique.
Voici par exemple ce que cela pourrait donner pour une banque de détail :
  • Un agent, compte tenu de son portefeuille clients, des produits existants et des objectifs fixés, prend en charge la relation client.
  • Un directeur d’agence :
o   Alloue les portefeuilles clients à ses agents pour maximiser les chances de développement,
o   Assure une formation action auprès d’eux pour l’utilisation de tous les outils et systèmes d’aide à la vente,
o   S’occupe personnellement de quelques clients principaux de l’agence (notamment gros professionnels),
o   Suit la situation de la concurrence locale, bancaire et non bancaire, pour évaluer l’évolution du potentiel de la zone.
  •   Un directeur de sous-groupe :
o   Évalue la performance relative des agences, notamment quant à la qualité de la relation client,
o   Identifie les besoins de soutien en matière d’outils de la vente et de suivi de la concurrence locale,
o   Réunit des éléments d’appréciation sur l’adéquation du réseau d’agences à la situation locale (localisation des agences, dimensionnement des agences, aménagement, concurrence locale…).
  •  Un directeur de groupe :
o  Décide de l’évolution de l’architecture du réseau en assurant une synthèse entre les informations fournies par le directeur de sous-groupe et les objectifs globaux du réseau,
o   Développe éventuellement des outils ad hoc d’aide à la vente ou demande des évolutions au marketing central
o   Participe à l’évolution des produits et de l’offre.

8 nov. 2011

« IL EST MORT. JE N’AI VRAIMENT PAS DE CHANCE »

L’anorexie est plus que jamais là !
« Nasreddine trouvait  que son âne mangeait trop. Par souci d’économie, il décida de lui donner chaque jour un peu moins de foin, en se disant que l’âne ne se rendrait pas compte de la différence.
Jour après jour, il diminuait la ration de l’animal et l’âne n’avait pas l’air de protester. Au bout d’une semaine, l’auge était vide : Nasreddine ne donnait plus rien à son âne.
Cette situation dura une bonne semaine, jusqu’au jour  où l’âne s’allongea et ne se releva plus. Il était mort.
Nasreddine se mit à se lamenter : « Je n’ai pas de chance ! Maintenant que mon âne avait pris l’habitude de ne plus manger et qu’il ne me coûtait rien, il est mort. Je n’ai vraiment pas de chance » »
Cette histoire tirée de « Sagesses et malices de Nasreddine, le fou qui était sage », est une belle illustration de tous mes articles sur l’anorexie et le danger des régimes amaigrissants.
Un ami, membre d’un comité de direction d’une grande banque, me confiait encore la semaine dernière : « Nous venons de couper tous les budgets d’investissement, notamment marketing, pour améliorer un peu plus nos résultats financiers, alors que notre profit vient de progresser de 50%. On marche sur la tête ! »
Effectivement, et il serait peut-être temps d’arrêter si, comme dans l’histoire de Nasreddine, nous ne voulons pas voir mourir nos entreprises, et notre tissu social se désagréger.

7 nov. 2011

N’ACCEPTONS PLUS LES PSEUDO-SOLUTIONS

Sortir de Thaïlande sans être entré au Cambodge
Nous avons tendance souvent à éviter les réalités, et à nous contenter de solutions factices ou hypocrites.
J’ai, cet été, à l’occasion de mon voyage au Cambodge et en Thaïlande, été confronté à un exemple typique d’une telle hypocrisie.
L’anecdote est la suivante. Comme les jeux d’argent sont interdits en Thaïlande, et qu’ils sont autorisés au Cambodge, des hôtels-casinos se sont développés dans la ville frontière de Poipet. Pour y accéder, les Thaïlandais doivent franchir la douane thaïe, ce qui matérialise la sortie de la Thaïlande, mais n’ont pas besoin de passer les formalités d’entrée sur le territoire cambodgien : en effet, les hôtels-casinos ont été créés dans une zone comprise entre les douanes thaïes  et khmères.


Ainsi tout est fluide et facile d’accès, et les casinos se développent.
Sommes-nous vraiment au Cambodge ? Probablement oui, et ceci est une belle métaphore de l’hypocrisie rampante : on interdit une chose, et on la contourne en abaissant au maximum toute contrainte.
Faut-il s’en réjouir ? Je ne crois vraiment pas. Apprenons à faire face au réel, plutôt qu’à en masquer les effets.