7 juin 2012

FAIRE TRAVAILLER LES INTERNAUTES SANS QU’ILS NE S’EN RENDENT COMPTE

Histoire de jeux de mots (4)
Un des jeux de mots les plus étonnants sur Internet est celui inventé par le Captcha. Quel est le sens de cet acronyme, et pourquoi se répand-il progressivement sur tous les sites WEB ? Captcha veut dire : « Completely Automated Public Turing Test to Tell Computers and Humans Apart », c’est-à-dire qu’il a pour but de différencier l’homme de la machine. Comment procède-t-il ? Il nous présente un mot que nous devons reconnaître et prouver ainsi que nous sommes bien humains.
Voilà donc les mots définitivement réhabilités par Internet : ils sont l’ultime moyen trouvé pour prouver notre humanité. Pourquoi seulement face aux machines, et pas aux autres membres de l’espèce animale ou végétale ? Parce que ceux-ci surfent bien peu sur Internet, et qu’il n’a pas été jugé utile de vouloir nous différencier d’une fourmi ou d’une abeille. Notons quand même que, dans ce cas, ce test marcherait aussi, car, si les fourmis ou les abeilles ont des moyens pour communiquer entre elles, les unes par les phéromones, les autres par des danses, aucune ne saurait lire un mot et réussir un Captcha !
Dernièrement les Captcha ont franchi un nouveau cap, et nous présentent souvent non plus un seul mot, mais deux. Est-ce pour renforcer la fiabilité du test ? Un seul mot s’est-il révélé insuffisant ? Non, pas du tout. L’identification se fait toujours à partir d’un seul mot.
Alors pourquoi devons-nous reconnaître un deuxième mot ? Le but n’est plus de prouver que nous sommes des humains, mais de mettre à contribution notre qualité d’être humain, et notre capacité à reconnaître les mots de notre langue. En effet, le deuxième mot est tiré d’un livre qui vient d’être scanné et dont on cherche à s’assurer de l’orthographe.
L’idée est de mettre à contribution l’intelligence des millions d’êtres humains constamment connectés. Plutôt que de payer quelques spécialistes à tout relire, créant un surcoût considérable et un goulot d’étranglement, il a imaginé se servir des Captcha pour nous faire travailler tous, un peu et gratuitement : si notre appartenance à l’espèce humaine a été prouvée par le premier mot, notre réponse au second est archivée.
Quand je vous disais dans mon article précédent, qu’Internet était une affaire de mots, et qu’ils en étaient les granulats ! 

6 juin 2012

LES MOTS SONT LES GRANULATS DE L’INTERNET

Histoire de jeux de mots (3)
Internet est lui aussi un grand jeu de mots planétaire. Essayez donc d’enlever les mots, il ne restera pas grand chose de l’immense toile qui nous relie de plus en plus. Certes, les pages WEB sont de plus en plus animées, et les images y sont omniprésentes, mais elles sont avant tout faites de mots.
Nous sommes tellement habitués à cet état de fait, que nous n’y prêtons guère d’attention. Ainsi va notre monde, nous sommes souvent tellement focalisés sur le détail, sur l’inattendu, sur l’anormal, que nous en oublions ce qui fait notre quotidien : à force de l’avoir sans cesse sous les yeux, nous ne le voyons plus !
Par exemple, savez-vous quelle est la matière la plus présente après l’eau ? C’est une matière sans laquelle notre monde s’effondrerait littéralement, sans laquelle rien ne serait possible, et que pourtant nous ignorons constamment. La réponse va probablement vous étonner : les granulats, c’est-à-dire ces petits morceaux de cailloux sans lesquels aucun béton n’existerait, aucun train ne roulerait, aucune route ne serait là…
Les mots sont les granulats de l’internet. Bien peu d’internautes en sont conscients, bon nombre les maltraitent, la plupart les ignorent, et pourtant comment surfer sans être un écrivain à la manière d’un Monsieur Jourdain du XXIème siècle ?
Avant de parler de 2.0 ou de 3.0, de la limite de l’essor des réseaux sociaux, ou de l’importance du « brick & mortar », n’oublions pas ces précieux auxiliaires et approfondissons la compréhension que nous en avons. L’enseignement des langues, notre langue maternelle comme les autres, est le socle du reste.
Développons donc l’art de la traduction, traduction entre les langues différentes, mais aussi entre les imaginaires.
Comprenons que tout est affaire d’interprétation et que le sens n’existe pas dans l’absolu, mais uniquement dans un référentiel donné.
Et redonnons ses lettres de noblesse à l’histoire, cette science de l’interprétation, cette revisite constante de nos souvenirs collectifs, à la recherche d’un sens commun, toujours inaccessible et sans cesse reconstruit…
(à suivre)

5 juin 2012

ON SE COMPREND MIEUX QUAND ON NE PARLE PAS SA LANGUE MATERNELLE !

Histoire de jeux de mots (2)
Jouer sur les mots est donc une affaire sérieuse, et aucune pensée individuelle comme collective ne serait possible sans eux (voir mon article d’hier).
Donc l’art du jeu de mots devrait une matière essentielle des écoles de management. Les MBA devraient-ils alors avoir des chansonniers comme professeurs, et les écrits de Pierre Dac ou Pierre Desproges remplacer ceux de Peter Drucker ou Jim Collins ?
Non, probablement pas, mais passer un peu de temps à comprendre que le rôle et l’importance des mots ne serait ni vain, ni inutile…
Voici notamment quelques idées – exprimées au travers de mes mots… – qui, selon moi, sont insuffisamment comprises, ou à tout le moins, trop souvent ignorées :
1. Les mots ne sont pas une matière neutre, abstraite, exacte, ils sont la cristallisation de notre propre imaginaire.
Pour vous en convaincre, choisissez n’importe quel mot, fermez les yeux et laissez-vous envahir par tout ce qu’il évoque en vous.
Ou encore imaginez l’histoire suivante : vous avez été élevé par un père ébéniste, votre mère étant morte alors que vous étiez très jeune. Ce père castrateur vous répétait sans cesse : « Des tables comme celles-là, tu ne sauras jamais en faire. ». C’est pour cette raison que vous avez choisi une autre voie, et pour lui prouver que, même si vous étiez incapable de rivaliser avec lui sur les tables, vous n’étiez pas un incapable, vous avez fait des études d’ingénieur en informatique. Aussi à chaque fois que vous entendez parler de tableurs ou de table de calcul, vous ne pouvez pas éviter de ressentir de drôles d’images en vous…
2. Communiquer suppose une traduction, même si l’on se parle dans la même langue
Puisque les mots ne sont pas seulement porteurs d’un sens commun et universel, mais aussi, et parfois surtout, de chacun de nos imaginaires qui les imprègnent, communiquer suppose d’accéder à ces imaginaires qui ne sont pas les nôtres. Si je veux comprendre ce que mon voisin me dit, si je veux dépasser le niveau fonctionnel et minimal d’un échange pour accéder au sens réel de ce qu’il exprime, consciemment on inconsciemment, je dois faire l’effort d’entendre ses mots, non pas à partir des émotions qu’ils génèrent en moi, mais à partir de celles qu’ils ont générées en lui. Effort de traduction donc…
Revenons à mon ingénieur, fils d’ébéniste. Imaginez-vous donc maintenant assis à votre bureau. Brutalement votre supérieur hiérarchique entre et hurle : « Quoi ! Tu t’es encore trompé. Décidément, tu n’arriveras jamais à mettre cette table d’aplomb ! ». Pour lui, bien sûr, pas de problème, pas de doute, il vous parle de votre dernière réalisation, cette nouvelle application informatique qui modifie la structure des bases de données, et sur laquelle vous butez. Il vient de trouver une nouvelle erreur dans la table de données.  Comment pourrait-il se rendre compte de ce qu’il est en train de provoquer en vous ? Comment pourriez-vous réellement communiquer ensemble ?  Comment sans avoir pris le temps de se comprendre, de connaître l’histoire de l’autre, se parler vraiment ?
3. Paradoxalement, on se comprend mieux quand ni l’un ni l’autre ne s’exprime dans sa langue maternelle
Parler une langue, autre sa langue maternelle, est une sensation étrange, et cette langue nous est doublement étrangère.
D’abord bien sûr, parce que nous la maîtrisons moins bien, que notre vocabulaire est plus pauvre et imprécis, que nos constructions grammaticales sont souvent aléatoires, que nous avons souvent du mal à saisir le sens de ce que l’on lit ou entend.
Mais aussi, parce que les mots y sont relativement neufs, c’est-à-dire vides de passé, vides d’émotion. Autant chaque mot de ma langue maternelle me renvoie à tout un contexte, ces moments où je l’ai entendu les premières fois, ces réactions qu’il a provoqué quand je l’ai utilisé, autant les mots d’une langue étrangères sont comme un bain de jouvence.
Souvent enfin, que ce soit pour nous exprimer ou comprendre, nous passons par une étape interne de traduction pour saisir le sens.
Ainsi quand nous parlons une langue étrangère, si notre communication est apparemment plus pauvre, puisque notre vocabulaire l’est, elle est paradoxalement meilleure, surtout si, pour l’autre aussi, ce n’est pas sa langue maternelle : comme l’un et l’autre sont dans cette double étrangeté, les mots prennent un sens spontanément plus proche, et chacun est en éveil de la qualité ou non de la compréhension mutuelle.
Notons que nous, les Européens, à cause de la cohabitation de nos langues multiples, sommes les rois de la traduction. A l’opposé les Américains, et surtout les Chinois se sont bien peu exercés à cet art difficile, mais nécessaire. Les Américains laissent aux autres le soin d’apprendre leur langue. Et, en Chine, si bon nombre de langues locales perdurent, elles s’écrivent toutes depuis leur origine, de la même façon ; aussi les lettrés chinois n’ont-ils jamais eu besoin de traduire, il leur suffisait de s’écrire pour se comprendre. Ainsi la calligraphie est-elle une substitution à la traduction !
(à suivre)

4 juin 2012

JOUER SUR LES MOTS EST UNE AFFAIRE SÉRIEUSE

Histoire de jeux de mots (1)
Finalement, à y bien réfléchir le management comme la vie, est d’abord une affaire de jeux de mots.
Sans les mots, en effet, impossible de penser, de dessiner des plans, d’échafauder des hypothèses… bref de réfléchir. Sans ces jeux de lettres assemblées, sans les images qu’ils projettent en nous dans le mystère de nos neurones, sans les souvenirs qu’ils rappellent ou qu’ils expriment – Marcel Proust avait certes d’abord besoin de la sensation de la madeleine, mais comment aurait-il pu comprendre ce qu’elle évoquait en lui, sans la médiation des mots qui se dessinèrent en lui, avant de s’écrire sur une feuille de papier ? –, nous ne serions qu’un animal de plus, bien incapable de se démarquer de ses congénères…
Sans les mots, aussi, impossible de communiquer, d’exprimer auprès des autres ce qui s’est construit en nous, d’obtenir un accord, un soutien ou un enrichissement, d’apprendre ce que l’on n’a pas vu, pas lu, pas pensé… bref de collaborer. Sans ces jeux de lettres assemblées, sans ces concepts projetés à l’extérieur de nos neurones, sans ces expériences reçues du dehors, sans ces ponts lancés vers ceux qui ne sont pas nous, nous n’aurions pas pu tisser la société humaine, et surpasser ainsi largement la puissance des fourmilières ou des ruches : l’émotion ressentie par Marcel Proust, de se retrouver, pour une madeleine dégustée, pour un moment dans la maison de tante Léonie serait restée à tout jamais une affaire privée et personne n’en aurait rien su…
Ainsi grandir, que ce soit en tant que personnalité individuelle ou collectivité, c’est largement apprendre à mieux se servir des mots. Bref, les mots, c’est du sérieux, et on ne doit laisser aux seuls humoristes l’art de jouer avec.
Alors pourquoi vais-je, pendant quelques jours, me servir de ce blog pour jouer sur les mots, puisque ceci est tout, sauf une plaisanterie !
(à suivre)

1 juin 2012

VERTIGES

Dehors, dedans…
Des échos et des mots…
Seul
Ta voix en moi crie,
Ton regard sur moi se pose.
Pour quoi, pour qui, pour moi ?
Et je suis vide.
Vide de ces mots que je ne t’ai pas dits,
Vide de ces sourires que je ne t’ai pas faits,
Vide de ces matins où je ne t’ai pas embrassé.
Ta voix en moi ne peut rien,
Ton regard sur moi est creux,
A quoi bon ?
Et je suis seul,
Seul de ce que je n’ai pas pu te dire,
Seul de ton corps que je n’ai pas su étreindre,
Seul des pleurs qui sont restés en moi,
Seul de ta vie qui s’en est allée.

Le bruit de monde
Le bruit du monde en moi vibre,
Danse aléatoire et infinie,
Rebond théorique et irréel,
Dehors et dedans fusionnent,
Altérité et intériorité s’absorbent,
Qui disparaît ?
Faut-il souffrir pour comprendre ?
Faut-il tuer pour apprendre ?
Faut-il penser pour exister ?
Comment savoir ?
Faut-il mourir pour exister ?
Faut-il naître pour disparaître ?
Faut-il aimer pour vivre ?
Le bruit de monde en moi vibre.

31 mai 2012

DES HOMMES, DES MACHINES… SANS ARGENT ?

L’entreprise est une construction contingente (6)
Après le passage à la raréfaction de la matière et l’abondance de l’information (voir « La matière devient rare, l’information surabondante ») et à la déterritorialisation (voir « Le territoire n’est plus ou si peu, les voisins ne sont plus les mêmes »), voici le troisième et dernier volet de la mutation des entreprises, le changement portant sur les hommes, l’argent et les machines.
Qu’observe-t-on en effet ?
Tout d’abord une rupture dans l’organisation des processus industriels et administratifs, et un changement dans la relation travail-homme-machine. La diffusion massive des technologies de l’information au sein de tous les composants de l’entreprises – dans les machines-outils, dans les systèmes de pilotage, dans la bureautique, dans les bases de données, dans les systèmes expert… - , modifie en profondeur la notion de travail, ainsi que le rôle et la place des hommes et des femmes qui sont présents dans les entreprises.
On n’est bien loin déjà du temps des ateliers caricaturés dans Les Temps modernes de Charlie Chaplin, et le coût réel du travail, c’est-à-dire la relation entre la valeur ajoutée effectivement produite et les dépenses en personnel, dépend de moins en moins du niveau de rémunération, et de plus en plus de la motivation, du niveau de formation et de la capacité à se confronter et à travailler ensemble.
Quant à l’argent, c’est peu de dire qu’il occupe aujourd’hui un rôle plus que jamais central. Inventé à l’origine comme un moyen nécessaire pour sortir de l’économie de troc, et permettre l’émergence des économies modernes, il est devenu une valeur en soi, et l’emballement de la sphère financière en témoigne.
Mais est-il si certain que cet argent va garder cette place centrale ? Comme la généralisation des systèmes de communication temps réel et la diffusion d’intelligence dans les réseaux est devenue une réalité, il devient possible, dans de nombreux cas, de boucler des transactions faisant intervenir un grand nombre d’acteurs – une sorte de nouveau quasiment infiniment sophistiqué et complexe –,  et donc en se passant de l’intermédiaire financier.
Va-t-on alors voir naître des nouvelles entreprises tirant parti de ce nouveau paradigme d’une relation non intermédiée par l’argent, et bâtie sur un couple homme-machine inconnu encore ? 

30 mai 2012

LE TERRITOIRE N’EST PLUS OU SI PEU, MES VOISINS NE SONT PLUS LES MÊMES

L’entreprise est une construction contingente (5)
De plus en plus de compétition pour la matière, de moins en moins pour l’information (voir mon article précédent « La matière devient rare, l’information surabondante »), et une entreprise et des hommes qui sont de plus en plus hors sol, ou qui, du moins, ont une relation nouvelle et distante avec le territoire et la géographie.
Historiquement pourtant toutes les entreprises sont nées quelque part et sont le fruit et l’expression de leur lieu de naissance : McDonald ou Coca-Cola n’auraient pas pu émerger ailleurs qu’aux États-Unis, Sisheido qu’au Japon ou L’Oréal qu’en France.
Mais depuis ces dernières années, tout a changé sous l’effet de mutations concomitantes et cumulatives.
Tout d’abord l’internationalisation, puis la globalisation de leurs opérations. Il est bien loin le temps où ces grandes entreprises avaient un état-major monoculturel et n’était qu’une juxtaposition d’entreprises locales. Elles ont, chacune à sa façon, entrepris un métissage qui, sans faire disparaître la réalité de leur origine, l’enrichit des apports de chacun. Ainsi par exemple, si L’Oréal reste différent d’un Procter & Gamble dans sa façon d’aborder un marché, de s’organiser et de s’y développer, l’entreprise n’en est pas moins de plus en plus chinoise en Chine, russe en Russie ou américaine aux USA… devenant par là-même un être hybride, nouveau et complexe.
Ensuite chacun de nous, chaque homme ou chaque femme qui participe à ces entreprises, nous avons une relation différente avec le pays et le territoire où nous nous trouvons. C’est ce qu’a notamment très nettement explicité Michel Serres dans ces différents livres.
Comme il le résumait dans une conférence tenue en janvier 2011 : « Avant, notre adresse nous repérait dans l’espace. Aujourd’hui nos adresses sont le téléphone portable et l’ordinateur, ce sont deux adresses qui ne sont plus repérées dans l’espace. (…) On est dans un nouvel espace topologique où on est tous voisins. Les nouvelles technologies n’ont pas raccourci les distances, il n’y a plus de distance du tout. » L’essor récent des réseaux sociaux, et singulièrement Facebook, invente de nouvelles appartenances, de nouveaux voisinages, de nouvelles interactions.
Enfin ce brassage des origines et des cultures n’est pas seulement organisationnel dans les entreprises ou virtuel dans les réseaux, il est aussi de plus en plus physique dans nos villes. Il suffit de marcher, les yeux ouverts, dans les rues de Paris pour y constater la diversité qui y déambule. Toutes les races, toutes les religions, toutes les cultures s’y télescopent… souvent non sans mal.
Comment dès lors l’entreprise, qui est avant tout l’expression d’un mode d’organisation collective des hommes, ne s’en trouverait pas changée… et en profondeur ?

29 mai 2012

LA MATIÈRE DEVIENT RARE, L’INFORMATION SURABONDANTE

L’entreprise est une construction contingente (4)
Quelles sont donc ces lignes de force qui pourraient structurer l’émergence de nos nouvelles organisations économiques collectives ?
J’en vois trois essentielles – du moins à ce jour ! – : la relation à l’information et à la matière, la relation à l’espace et à la géographie, les rôles de l’argent et de l’homme.
Dans cet article, je vais aborder la première. Je traiterai les suivantes dans mes deux prochains articles.
En caricaturant mon propos, je pourrai dire que nous passons d’une économie où la matière était abondante et l’information rare, à l’inverse.
En effet, jusqu’à présent, nous, humains, étions en petit nombre, et chacun de nous – du moins la plupart – consommions peu par individu. Ainsi nous étions face une abondance de matières premières, et le modèle économique dominant s’est construit sur le peu de dépendance vis-à-vis de ces matières premières. Un axiome implicite était qu’elles seraient toujours là et en quantité suffisante, quoiqu’il arrive. Il a fallu voir apparaître des entreprises géantes qui, à quelques-unes, ont pu se construire des empires en s’accaparant certaines d’entre elles – ou sur leur accès, ce qui revient au même –. Ce n’est donc pas que la matière était rare, mais que son accès était contrôlé.
Parallèlement l’information était limitée, son accès difficile et le savoir l’affaire de quelques-uns. Ce qui limitait la croissance était finalement cette intelligence à se servir de la matière disponible. Il devenait dès lors logique de payer très cher des cerveaux exceptionnels et des talents rares, et peu une matière qui ne l’était pas.
L’organisation correspondante, même si elle n’était plus taylorisée, restait avec un grand écart entre une tête pensante et une masse obéissante (d’abord dans les usines, puis dernièrement dans les bureaux).
Aujourd’hui la relation s’inverse, car nous consommons notre planète plus vite que les ressources ne se renouvellent, alors que, grâce aux développements de l’éducation,  de l’informatique, des télécommunications et d’Internet, la quantité d’informations disponibles explosent et que son accès est quasi universel.
On voit déjà se transformer les modes de management et d’organisation, avec l’émergence de réseaux horizontaux, la diffusion des connaissances et des processus de décisions, l’acceptation d’une direction intégrant le lâcher prise.
Côté production, comment imaginer que nous allons pouvoir durablement produire des voitures en nombre croissant qui, la plupart du temps, restent immobiles, et qui, quand par exception elles se déplacent, le font avec une seule personne à bord, le conducteur ?

25 mai 2012

"COMMENT AIMER UN PAYS QUI REFUSE DE NOUS RESPECTER"

Il est urgent que nous fassions face à la réalité de notre histoire
Kery James est un artiste malheureusement constamment absent des radios et des télévisions nationales. Ce chanteur dresse tout au long de ses différents disques, un portrait dur et râpeux de la réalité des banlieues, se faisant toujours l’apôtre de la non-violence et de la prise en main par chacun de son avenir.
Dans son dernier disque, 92.2012, il semble pris d’un pessimisme croissant face à la réalité française et à la montée des intolérances. Sa chanson, « Lettre à la République », sonne avec violence et se termine par cette phrase terrible : « Je ne suis pas en manque d'affection, comprend que je n'attends plus qu'elle m'aime ». J’espère qu’il est encore temps pour lui redonner espoir…
Voici ci-dessous des extraits du texte de cette chanson, ainsi que la vidéo associée.
Est-il besoin d’ajouter que je conseille vivement l’achat et l’écoute de tous ces disques…
Lettre à la République 
A tous ces racistes, à la tolérance hypocrite
Qui ont bâti leur nation sur le sang
Maintenant s'érigent en donneurs de leçons
Pilleurs de richesses, tueurs d'africains,
Colonisateurs, tortionnaires d'algériens
Ce passé colonial, c'est le vôtre
C'est vous qui avez choisi de lier votre histoire à la nôtre
Maintenant vous devez assumer
L'odeur du sang vous poursuit, même si vous vous parfumez
Nous les arabes et les noirs, On n'est pas là par hasard
Toute arrivée à son départ.
(…)
Les immigrés ce n'est que la main d'œuvre bon marché
Gardez pour vous votre illusion républicaine
De la douce France bafouée par l'immigration africaine
Demandez aux tirailleurs sénégalais et aux harkis
Qui a profité de qui ?
La République n'est innocente que dans vos songes
Et vous n'avez les mains blanches que dans vos mensonges
(…)
On ne s'intègre pas dans le rejet
On ne s'intègre pas dans des ghettos français
Parqués entre immigrés, faut être sensé
Comment pointer du doigt le repli communautaire
Que vous avez initié depuis les bidonvilles de Nanterre ?
(…)
Et plus j'observe l'histoire, moins je me sens redevable
Je sais ce que c'est d'être noir depuis l'époque du cartable
Bien que je ne sois pas ingrat, je n'ai pas envie de vous dire merci
Parce qu'au fond, ce que j'ai, ici, je l'ai conquis,
(…)
Au cœur des débats, des débats sans cœur
Toujours les mêmes qu'on pointe du doigt dans votre France des rancœurs 
En pleine crise économique, il faut un coupable
Et c'est en direction des musulmans que tous vos coups partent
(…)
Vous nous traitez comme des moins que rien, sur vos chaînes publiques
Et vous attendez de nous qu'on s'écrie « Vive la République »
Mon respect se fait violer au pays dit des Droits de l'homme
Difficile de se sentir français sans le syndrome de Stockholm
(…)
Que personne ne s'étonne si demain ça finit par péter
Comment aimer un pays qui refuse de nous respecter ?
Loin des artistes transparents, j'écris ce texte comme un miroir
Que la France se regarde si elle veut s'y voir
Elle verra s'envoler l'illusion qu'elle se fait d'elle-même
Je ne suis pas en manque d'affection, comprend que je n'attends plus qu'elle m'aime


24 mai 2012

L’ENTREPRISE, NI DIEU, NI DIABLE

L’entreprise est une construction contingente (3)
Dans mes deux derniers articles, j’ai expliqué pourquoi d’abord il ne fallait pas penser les entreprises comme nées de nulle part, mais bien les comprendre comme le fruit de l’histoire de notre monde, pourquoi ensuite elles vont muter et se transformer en profondeur, ce très prochainement. Je terminais avec l’affirmation qu’il était impossible de prévoir quelle serait la nouvelle forme d’organisation qui viendrait à émerger, en prenant l’image de la chenille incapable de se penser papillon.
Peut-on toutefois mettre l’accent sur quelques points qui pourraient structurer cette émergence ? Je vais m’y risquer…
Mais avant cela, je voudrais d’abord m’élever contre une forme de double dogmatisme dominant :
  • d’un côté, la propagation croissante d’un discours venant faire des entreprises une sorte de Deus ex machina, sources d’exploitation à la fois des hommes qui la composent, des clients qu’elles exploiteraient et de la planète qu’elles videraient de sa substance,
  • de l’autre, une forme de sanctuarisation des entreprises comme l’outil absolu et idéal de la création de valeur, du développement économique et du progrès.
Les entreprises ne valent ni ces anathèmes, ni ces sacralisations, et le capitalisme qui les sous-tend non plus. 
Le monde est en perpétuelles création et transformation, sous la triple dynamique de l’accroissement de l’incertitude, de la multiplication des emboîtements et des émergences nouvelles.
Comprenons seulement que nous sommes à la fin d’un mode d’organisation – et non pas d’un cycle, car le mot de cycle supposerait un retour en arrière –, et que la complexité et la richesse de nos systèmes collectifs vont franchir une nouvelle étape.
Les tensions qui se répandent sont le témoignages des émergences en cours : les transformations réelles ne peuvent se faire sans mettre en tension tout ce qui existe. Accuser les entreprises de maux parfois réels mais dépassés n’est pas pertinent ; vouloir lutter contre ces transformations au nom d’une idéalisation de ce qui a précédé est dangereux et inopérant.
Comprenons donc qu’il ne nous faut plus réfléchir à partir du passé, que nos expériences sont de plus en plus contreproductives, et préparons-nous aux émergences en cours.
Quelles sont donc les forces en cours ?
(à suivre)