Création, voyage et lâcher prise - Interview
imaginaire (4)
Vous avez dit, prenant le
contre-pied du film célèbre de Sofia Coppola, que vous vouliez être « Lost in
connections ». N’était-ce qu’un jeu de mots ?
Non, ce n’était pas qu’un jeu de mots. Au travers de ce contre-pied, je
cherchais à expliciter le cœur de ma démarche : me laisser perdre pour trouver
les vraies connexions
Dans le film de Sofia Coppola, Lost in Translation, Bill Murray incarne
un acteur perdu dans un Japon qu’il ne comprend pas, et ne veut pas comprendre.
Il s’enferme dans son hôtel pour s’en protéger, sorte de moustiquaire qui
l’isole de ce qu’il sent comme une agression. Séparé par les vitres qui
l’entourent, baigné dans le décor d’un luxe anonyme et international, il
pourrait être n’importe où. Il est perdu, sans repères, sans lien. Coupé par sa
langue et sa culture, il est Lost in translation, car, au lieu de vivre ce qui
se passe, il veut le traduire. Il est emmuré, – « en-Muray » si j’osais… –, dans
ses habitudes, ses connaissances, sa vie passée.
Pour entrer en relation, c’est l’inverse qui est nécessaire. Pour accéder
au réel, il faut avoir le culot d’abaisser ses protections, se mettre à nu et
plonger dans le moment tel qu’il est. S’immerger profondément avec un minimum
de repères, sans guide, sans plan, sans projets. Lâcher prise pour dépasser les
limites et les différences apparentes, trouver ou retrouver les connexions, se
laisser aller au gré des télescopages, des rapprochements incongrus.
Ne rien lire à l’avance, surtout pas, ne pas savoir ce qu’il « faut voir
», ce qu’il « faut faire », ce qu’il « ne faut surtout pas manquer », ne pas
inscrire ses pas dans les pas des autres et de la foule, ne pas chercher à
vivre ce qui a déjà été vécu, ne pas avoir des idées préconçues… ou le moins
possible, car nous restons tous – moi y compris –, prisonniers de nos
habitudes, nos racines, notre identité. Nous emportons toujours avec nous, –
que nous le voulions ou pas –, là où nous sommes nés, là où nous avons grandi,
la famille qui nous a donné naissance, les rencontres que nous avons faites,
les métiers que nous avons exercés…
Quand je suis seul, solitaire, sans informations, je suis une éponge,
plein d’un vide que les rencontres vont combler. Je regarde sans poser de
questions, avec un minimum de projection et un maximum d’observations, juste ouvrir
les yeux, regarder, repérer l’insolite, ce que je ne comprends pas, et
m’arrêter alors. Me laisser aller, me laisser perdre pour entrer en relation et
vibrer, me préparer à être « lost in connections ».
Oui, cette expression résume bien ma façon de vivre en tant qu’artiste :
je suis « lost in connections ».