A la recherche des deux inconnus : celui du monde intérieur, celui du
monde extérieur
Patchwork tiré de la lecture de
deux livres de C.G. Jung, la Dialectique
du Moi et de l’inconscient, et Ma vie
Le territoire « connu » du « moi » et de la persona
J’entends par Moi un complexe de représentations
formant, pour moi-même, le centre du champ conscienciel, et me paraissant
posséder un haut degré de continuité et d’identité avec lui-même… Mais le Moi
n’étant pas le centre du champ conscienciel ne se confond pas avec la psyché ;
ce n’est qu’un complexe parmi d’autres. Il y a donc lieu de distinguer le Moi
et le Soi, le Moi n’étant que le sujet de ma conscience, alors que le Soi est
le sujet de la totalité de la psyché, y compris de l’inconscient.
La persona est un ensemble compliqué de relations
entre la conscience individuelle et la société ; elle est adaptée aux fins qui
lui sont assignées, une espèce de masque l’individu revêt ou dans lequel il se
glisse ou qui, même à son insu, le saisit et s’empare de lui, et qui est
calculé, agencé, fabriqué de telle sorte parce qu’il vise d’une part à créer
une certaine impression sur les autres, et d’autre part à cacher, dissimuler,
camoufler, la nature vraie de l’individu. (p.153-154)
Le monde inconnu du « soi »
Nous procédons toujours de l’idée simpliste que
nous sommes le seul maître dans notre propre maison. Notre compréhension doit
d’abord se familiariser avec la pensée que, même dans la vie la plus intime de
notre âme, tout se passe comme si nous vivions dans une espèce de demeure qui,
pour le moins, présente des portes et des fenêtres qui ouvrent sur un monde
dont les objets et les présences agissent sur nous, sans que nous puissions
dire pour cela que nous les possédons.
L’inconnu se divise en deux groupes d’objets :
ceux qui sont extérieurs et qui seraient accessibles par les sens et les
données qui sont intérieures et qui seraient l’objet d’une perception immédiate.
Le premier groupe constitue l’inconnu du monde extérieur ; le second, l’inconnu
du monde intérieur. Noud appelons inconscient ce dernier champ.
Ainsi nous pouvons, par exemple, sans
difficultés, nous voir sous les traits de notre persona. Mais cela dépasserait
nos possibilités et nos virtualités de représentation que de nous discerner en
tant que Soi, car cette opération mentale présupposerait que la partie puisse
embrasser le tout. Il n’y a pas lieu d’ailleurs de nourrir l’espoir d’atteindre
jamais à une conscience approximative du Soi ; car, quelque considérables et
étendus que soient les secteurs, les paysages de nous-même dont nous puissions
prendre conscience, il n’en subsistera pas moins une masse imprécise et une
somme imprécisable d’inconscience qui, elle aussi, fait partie intégrante de la
totalité du Soi. De sorte que le Soi restera toujours une grandeur, une entité
« sur-ordonnée ».
Quand on parvient à percevoir le Soi comme
quelque chose d’irrationnel, qui est, tout en demeurant indéfinissable, auquel le Moi ne s’oppose pas et
auquel le Moi n’est point soumis, mais auquel il est adjoint et autour duquel
il tourne en quelque sorte comme la terre autour du soleil, le but de
l’individuation est alors atteint. J’utilise à dessein l’expression « percevoir
le Soi » pour bien marquer combien la relation du Moi au Soi relève de la
sensation. A ce sujet, nous ne saurions en connaître davantage, car nous ne
pouvons absolument rien dire des contenus du Soi. Le Moi est le seul contenu du
Soi que nous puissions connaître. Le Moi qui a parcouru son individuation, le
Moi individué, se ressent comme l’objet d’un sujet qui l’englobe.
La mémoire intérieure
Cette image intrapsychique ou imago procède d’une
double appartenance, les influences des parents d’une part et les réactions
spécifiques de l’enfant d’autre part ; elle est donc une image qui ne reproduit
son modèle que de façon fort conditionnelle. L’être naïf n’en porte pas moins
naturellement en lui la conviction que ses parents sont tels qu’il se les représente
et qu’ils se confondent à l’image qu’il s’en fait. L’image intérieure se trouve
inconsciemment projetée et, lorsque les parents viennent à mourir, elle demeure
active et dynamique, comme si elle était un esprit existant en soi. Les
primitifs parlent alors d’esprits des morts qui reviennent les hanter la nuit
(les « revenants ») ; les modernes, eux, appellent cela le complexe du père et
de la mère.
Christ et Bouddha, deux figures reconstruites
Le Christ aussi - comme le Bouddha - est une
incarnation du Soi, mais dans un sens tout différent. Tous deux ont dominé en
eux le monde : le Bouddha, pourrait-on dire, par une compréhension rationnelle,
le Christ en devenant victime selon le destin ; dans le christianisme cela est
plutôt subi : dans le bouddhisme cela est plutôt contemplé et fait. L'un et
l'autre sont justes ; mais dans le sens indien, l'homme plus complet, c'est le
Bouddha. Il est une personnalité historique et par conséquent plus
compréhensible pour l'homme.
Plus tard il s'est produit dans le bouddhisme la
même transformation que dans le christianisme : le Bouddha devint, pour ainsi
dire, l'imago de la réalisation du Soi, un modèle que l'on imite, alors que
lui-même avait proclamé qu'en arrivant à vaincre la chaîne des nidânas, chaque
individu peut devenir l’illuminé, un bouddha. Il, en va de même dans le
christianisme. Le Christ est le modèle qui vit dans chaque chrétien, expression
de sa personnalité totale.