25 janv. 2013

DÉCALAGES...

A Pékin (2)
Deux autres images insolites issues de mon premier séjour à Pékin en novembre 2003.
La cité interdite ne l’est plus guère de nos jours, et est devenue surtout un grand parc d’attraction touristique clos. Continuellement peuplée d’une foule de Chinois et Chinoises partis à la recherche d’un passé révolu, elle est vide de cette cour qui n’y est plus. Dommage…
Aussi, plutôt que de suivre ce flux qui m’est doublement étranger, j’aime me laisser perdre non plus dans ce lieu ceint et clos, mais le long des murs qui le définissent. Tels des membranes figées et impénétrables, ils dessinent une cellule dans laquelle battait le cœur de l’empire.
Peints du rouge impérial, ils dressent des perspectives qui poussent le regard à l’infini. Presque aucun détail ne vient perturber ce mouvement, juste quelques pics qui surgissent inutilement.
Ici la cité redevient interdite, et je me trouve à rêver des bruissements anciens faits par les dizaines de milliers d’eunuques qui, en silence, se pressaient de toutes parts, et de cet empereur condamné à régner sur des terres immenses sans pouvoir quitter sa cellule de 9999 pièces…

Difficilement, j’arrive à m’extraire à ma rêverie pour rejoindre les abords du parc Beihai.
Là sur le vaste trottoir qui le cerne, un groupe de vieillards devise. L’un assis sur une chaise joue d’un instrument qui m’est inconnu, et dont il tire des sons qui viennent d’un autre monde.
Un autre, avec l’aide d’une sorte de grand pinceau, dessine avec de l’eau des idéogrammes. Son ballet est lent et méthodique. Comme religieusement, il écrit de l’éphémère, qui, grâce à l’absence de soleil, durera un peu plus longtemps.
Des années plus tard, je reprendrai ces idéogrammes comme illustration de mon premier roman, Double J, et demanderai alors à un ami chinois leur signification. Ils sont tirés d’un célèbre poème chinois : « Seul, celui qui ne cherche ni gloire ni richesse, peut avoir de grands idéaux ; seul, celui est en paix dans son cœur, peut penser et voir loin devant ». Joli, non ?

24 janv. 2013

POURQUOI ACCEPTER QUE LES PMI FINANCENT LA DISTRIBUTION ?

"Pourquoi payer à un supermarché ce qu'il n'a pas payé lui-même ?" ou "Comment les grandes surfaces fleurissent dans des campagnes qui se vident de leur industrie"
Cette petite ville meurt doucement. Située au pied du Vercors, un peu plus de trois mille habitants, l’industrie y a été pendant longtemps florissante. Tirant parti de la possibilité de produire facilement de l’électricité, et de sa proximité avec la vallée du Rhône, notamment le textile s’y était développé. Forte de cette création de valeur réelle, elle rayonnait alors aux alentours, et était un centre local dynamique. Mais tout ceci est bien loin, et les dernières entreprises industrielles ont fermé.
Et pourtant, malgré cette perte de dynamisme et cet appauvrissement, à l’entrée de la ville, trône un Intermarché flambant neuf. Avec sa façade outrageusement moderne, son parking aux lignes bien dessinées, et son enseigne multicolore, il se moque bien de ce déclin, et vient, par son apparition, finir de sonner le glas du petit commerce du centre-ville.
Quel bel exemple de notre maladie collective, pensai-je, en y passant il y a quelques jours : la grande distribution, nourrie par le crédit inter-entreprises, capable de vendre des produits qu’elle n’a pas encore payés, tel un vampire moderne, grandit là où rien d ‘autre ne subsiste, s’abreuvant du peu d’énergie qu’il peut rester.
J’ai, ces derniers mois, écrit à plusieurs reprises, des articles (1) alertant sur cette maladie bien française, qui empêche nos entreprises de croître : comme le transfert de propriété a lieu à la livraison et non pas au paiement, le délai de paiement est le résultat du rapport de forces, et les factures des petites entreprises ne sont réglées que soixante, quatre-vingt dix, voire cent vingt jours après la livraison. Comment voulez-vous dans ces conditions qu’elles puissent financer leur croissance, puisqu’une part majeure de leur bénéfice sert à payer des intérêts aux banques, plutôt qu’à acheter de nouvelles machines, à embaucher des commerciaux, ou lancer une campagne de communication ?
Dans le même temps, la grande distribution prospère, riche d’une valeur qu’elle n’a pas créée : elle revend ce qui ne devrait pas lui appartenir. Les grandes entreprises ne sont pas non plus les perdantes à ce « jeu » du crédit inter-entreprises, puisqu’elles ne paient aussi que tardivement le travail de leurs sous-traitants. Certes la loi a encadré ces délais, mais quel dirigeant de PMI prendrait le risque de perdre ses marchés futurs, en se retournant contre ses clients ? Et comble de double discours, l’État qui s’affirme voulant promouvoir les PMI, est loin de donner l’exemple, notamment par le comportement des entreprises publiques.
C’est ainsi plus de cinq cents milliards d’euros qui sont prélevés aux PMI françaises pour financer la distribution et les positions dominantes des grandes entreprises.
Comment tous les gouvernements successifs n’ont-ils pas compris que c’était là l’origine essentielle de notre déficit en entreprises moyennes ? Sont-ils à ce point, dépendants des grandes entreprises et du monde financier ? Croient-ils que les dirigeants français de PMI sont moins créatifs, moins entreprenants, moins innovants que leurs homologues allemands ? Ne voient-ils pas que, simplement, ces patrons de PMI ne travaillent pas pour eux-mêmes ?
Pour s’en convaincre, il suffit de voir fleurir dans nos campagnes, ici des Intermarché, là des Leclerc, des Carrefour ou des Auchan. Pour ceux qui en doutent, qu’ils aillent donc demander aux notaires qui a fait fortune ses dernières années. Pour ceux qui pensent que les Français ont peur de l’international, qu’ils apprennent que la deuxième communauté étrangère à Shanghai après les américains, est la communauté française, devant les communautés anglaises, allemandes ou italiennes (2).
Alors quand allons-nous nous décider à mettre fin à cette injustice ? Faudrait-il organiser une manifestation collective, amenant tous les consommateurs à eux aussi ne payer ce qu’ils ont mis dans leur caddie qu’avec trois mois de retard ?
Réveillons-nous car, si nous n’y prenons pas garde, la France deviendra, comme cette commune du Vercors, un pays vide d’industrie et rempli de centres commerciaux flambants neufs. Je repense aussi à la chanson de Boris Vian, Le petit commerce, dans laquelle un vendeur d’armes se réveillait seul au monde après avoir « fait faire des affaires à tous les fabricants d'cimetières », et finissait en criant « Canons en solde » !
(1) voir notamment l’article écrit avec Stéphane Cossé et paru le 27 décembre 2012 dans le Figaro et le 31 décembre dans les Échos
(2) Selon le consulat de France : « 12.000 Français (et leurs familles) de Shanghai et sa région sont inscrits au Consulat, contre deux milliers environ au pic de l’ancienne Concession française, dans les années 1930, et 71 en 1985. Cela représente la première concentration de Français en Asie, et la première communauté européenne à Shanghai, en particulier si l’on prend en compte le fait que le chiffre réel pourrait atteindre 16.000 personnes. »

23 janv. 2013

LE « JE » EST CRÉATEUR D’INCERTITUDE

L’iceberg de l’inconscient (4)
Comment puis-je dire « je » alors que bon nombre de mes actes échappe à ma volonté consciente ? Comment puis-je avoir une sensation d’identité et de continuité, alors que tout se forme et se déforme sans cesse, que tout est bâti sur des sables mouvants ? Inutile d’imaginer me raccrocher à ma mémoire comme un quelconque absolu, puisqu’elle est faite de rocs et de sables mouvants. Aussi, comment puis-je dire « je » ?
Dire « je », c’est arriver à passer au travers de trois étapes : percevoir le temps présent, même si c’est au travers d’interprétations ; s’en souvenir, même si c’est à coups de déformations ; savoir que l’on s’en souvient, c’est-à-dire arriver à relier tous ces événements dans une trame temporelle et s’identifier à cette continuité élaborée.
Comme l’a écrit Joëlle Proust : « Prenons par exemple un souvenir comme « je me rappelle que j’ai visité le château de Versailles ». Il ne suffit pas que « je » dans « je me rappelle » et « je » dans « j’ai visité » se trouvent faire référence à la même personne ; il faut en outre que je sache qu’il s’agit bien de la même personne. (…) Pour être une personne, on doit au minimum être conscient de deux événements (d’avoir vu Versailles et de s’en souvenir) et de les rassembler dans la même expérience consciente présente concernant le même « je ». » 1
Le défi est d’arriver à ce processus d’identification alors que nous ne percevons que la pointe de l’iceberg de nos processus mentaux : notre « soi », c’est-à-dire tout ce que le cerveau qui habite notre corps a conçu, trié et piloté, est beaucoup plus vaste que le « moi », que nous connaissons.
Aussi, où commence et finit notre identité ? Doit-elle s’arrêter au « je » conscient ? Ou, pouvons-nous être tenus pour responsables de tout ce que mon corps a fait, y compris en cachette de notre volonté effective ? Vastes questions auxquelles je ne sais pas personnellement, quelle réponse apporter…
Quoi qu’il en soit, nous devons admettre ne connaître que la partie émergée de notre iceberg. Nous sommes et serons toujours des inconnus pour nous-mêmes. Aussi, nous devons apprendre à vivre avec ces terres inaccessibles qui nous habitent. Il n’y a pas d’autre issue.
Autre conséquence, il est bien illusoire de croire que le cerveau humain est capable de réduire l’incertitude qui grandit avec le monde. Au contraire, il est, lui-même, comme tout ce qui habite l’univers et s’y développe, un facteur d’accélération de l’incertitude !
(1) Joëlle Proust, La nature de la volonté

22 janv. 2013

LE MOI S’INVENTE DES HISTOIRES

L’iceberg de l’inconscient (3)
C’est bien d’un iceberg qu’il s’agit : l’essentiel de l’énergie consommée par le cerveau est appelée « l’énergie sombre », représenterait 80% du total et serait consommée en continu, même quand notre cerveau est en repos.
Enfin, si jamais nous sommes confrontés à un événement inexplicable, nous n’hésiterons pas à réinventer un passé qui n’existe pas :
- Si la raison de notre comportement est liée à une information subliminale, inaccessible à notre conscience, nous trouverons une autre explication.
- Si nous croyons avoir fait un choix, nous construisons des raisons pour l’expliquer.
Siri Hustvedt, une poétesse et essayiste, a vécu une histoire exemplaire de recomposition du passé. Comme elle le relate, dans « La femme qui tremble », elle a un souvenir d’enfance très précis qui se déroule alors qu’elle avait quatre ans. Elle voit très bien du lieu exact où il s’est déroulé, lieu qui est celui de sa maison d’enfance. Sauf qu’elle s’est rendue compte dernièrement que cette maison n’avait pas encore été acquise par sa famille quand elle avait quatre ans.  Elle avait reconstruit une histoire simple, cohérente et facilement racontable.
Jung définit ainsi le moi : « J’entends par Moi un complexe de représentations formant, pour moi-même, le centre du champ conscienciel, et me paraissant posséder un haut degré de continuité et d’identité avec lui-même… Mais le Moi n’étant pas le centre du champ conscienciel ne se confond pas avec la psyché ; ce n’est qu’un complexe parmi d’autres. Il y a donc lieu de distinguer le Moi et le Soi, le Moi n’étant que le sujet de ma conscience, alors que le Soi est le sujet de la totalité de la psyché, y compris de l’inconscient. » 1
(à suivre)
(1) CG Jung, Types psychologiques

21 janv. 2013

UN ENFANT CROÎT DÉSIRER LIBREMENT DU LAIT

L’iceberg de l’inconscient (2)
Voici quelques exemples pour vous montrer la taille de l’iceberg de nos processus inconscients :
- Si, bébé, vous avez dû attendre un biberon pendant plusieurs heures dans une pièce où tout était rouge, couleur que vous découvriez pour la première fois. Cette situation a laissé une trace indélébile avec laquelle vous vivez depuis : à chaque fois que vous voyez la couleur rouge, vous vous sentez mal à l’aise et ressentez une émotion négative violente. Et, comme vous n’avez aucun souvenir conscient de cette épisode initial, vous ne comprenez pas pourquoi.
- Notre mémoire n’est pas un système stable et figé : chaque souvenir est décomposé lors de son stockage initial, puis, à chaque rappel, reconstruit et modifié. Se souvenir, c’est un peu comme transporter un meuble en le démontant et en le remontant de façon incomplète et un peu inexacte. Ces souvenirs sont en plus colorés par les émotions ressenties alors.
- Il est dimanche matin, vous venez de vous réveiller. Comme votre planning est libre, que rien n’est prévu, vous devez décider de ce que vous allez faire de cette journée. Rapidement trois options s’imposent à vous, et c’est entre elles que vous choisissez. Pourtant le nombre réel des choix possibles était beaucoup plus vaste : vos processus inconscients ont fait un premier tri, et vous n’avez traité consciemment qu’un choix limité.
- Face à un jeu où il s’agit de trouver parmi quel tas il est plus intéressant de tirer des cartes, vous trouvez quelle est la bonne stratégie, avant d’être capable d’expliquer ce que vous faites. Ce n’est que plus tard que vous pourrez expliciter les raisons de votre choix.
- Face à un choix complexe et multicritères, ce n’est pas la décision consciente qui aboutit à un choix qui correspond le mieux à vos objectifs annoncés : c’est en faisant confiance à votre intuition que vous ferez le meilleur choix, ceci notamment à cause de la capacité des processus inconscients à traiter rapidement et de façon parallèle des données complexes.
- Notre système nerveux ne vous « donne à voir » de façon consciente, qu’une seule interprétation du monde à un instant donné, alors que d’autres réponses possibles ont aussi été traitées, et chacune avec un niveau de vraisemblance associée. Si l’on vous demande de fournir après un certain intervalle de temps, une deuxième réponse, la moyenne des deux réponses sera meilleure que chacune prise isolément, même si la deuxième est moins bonne que la première.
- Au-delà de la vision consciente, il y a ce qui a été baptisée « la vision aveugle » : des informations que vous ne savez pas avoir vus sont traitées et aboutissent à des prises de décision. Par exemple, vous pouvez désigner des objets que vous ne savez pas avoir vus, ou ressentir des émotions pour des visages dont vous n’avez aucun souvenir conscient.
Comme Spinoza l’a écrit, il y a longtemps : « C’est ainsi qu’un enfant croit désirer librement le lait, et un jeune garçon irrité vouloir la vengeance, ou un pusillanime, la fuite. »
(à suivre)

(1) Ces exemples sont issus des cours de Stanislas Dehaene au Collège de France, et des travaux d’Antonio Damasio et de Daniel Kahneman

18 janv. 2013

RENCONTRES INSOLITES EN CHINE

A Pékin
Trois images insolites de mon premier séjour à Pékin en novembre 2003.
Mon regard ne sait plus bien où se porter dans l’effervescence des rues du centre de la ville. Tout est bruit, foule, et mouvement. Les vélos sont légions, les piétons aussi, et les voitures ne sont pas en reste.
Fatigué de cette folie qui m’entoure, mes pas ralentissent, et mon regard suit la façade de l’immeuble qui se trouve face à moi. Et là, tout là-haut, au sommet, la silhouette gigantesque d’un joueur de basket plane. Comment est-il arrivé à s’extraire de la foule ? Comme je l’envie d’être capable de surplomber ainsi le monde !
Mais où est donc le panier qu’il semble viser ? J’ai beau chercher de toutes parts, je ne le trouve pas. Lui semble pourtant savoir ce qu’il fait…

Depuis plus d’une heure, avec mon ami Hai, nous sillonnons les méandres du Palais d’Été, merveille architecturale, orpheline de l’impératrice qui ne vient plus jamais y séjourner.
Sans nous douter du risque que nous courrons d’enfreindre la loi, nous avançons confiants jusqu’à la rencontre de ce panneau.
« Ciel, dis-je, mais nous n’avons pas le droit d’y faire grand chose ! »
Heureusement, après un examen approfondi de tous les icones, je me rends compte que tout va bien : nous n’avons ni moto, ni voiture, ni patin, ni chien, ni fusil. Je ne me rappelle pas non plus avoir allumé un feu, joué au ballon ou du clairon.
Rassurés, nous poursuivons notre promenade…

Pas très loin du Palais d’Été, se trouve le Parc Yuanmingyuan. C’est un endroit plus calme où les touristes ne se bousculent pas trop. Et pour cause, puisque seules des ruines s’y trouvent.
Autrefois, le parc était peuplé de palais qui avaient été construits sur le modèle de l’architecture occidentale. Ils sont tous été détruits par les troupes anglo-françaises en 1860, lors de l’invasion de Pékin. D’où les ruines.
Mais ce qui est le plus étonnant, c’est qu’à côté de chaque ruine, se trouve une maquette montrant le palais tel qu’il était avant d’être détruit. Et devant chaque maquette, figure une pancarte rappelant que le palais originel a été détruit par les troupes franco-anglaises.
Tout en marchant dans ce parc, à force d’être interpellé par toutes ces maquettes et ces pancartes, je ressens comme un malaise à me sentir français. Pour me rassurer, je me dis que, n’ayant pas un anglais à mes côtés, je ne vais être perçu comme dangereux…

17 janv. 2013

QUI SUIS-JE ?

L’iceberg de l’inconscient (1)
« Je pense, donc je suis » a affirmé Descartes il y a presque cinq cents ans. Quel chemin parcouru depuis, et quelle remise en cause tant de la notion de pensée, que celle d’identité ! En effet, ce « je » conscient, celui qui est capable non seulement de constater ce qu’il fait, mais pourquoi il le fait, n’est que la pointe immergée de l’iceberg de notre identité.
En effet, comme, par hypothèse, nous n’avons accès qu’à nos processus conscients, c’est-à-dire à ce que nous pouvons analyser, jusque tout dernièrement, nous ne nous sommes pas rendus compte qu’une bonne partie de ce qui nous sous-tend, nous est inaccessible, profondément caché dans les profondeurs de nos processus inconscients ou déformé par nos souvenirs et nos émotions.
Je ne parle pas là seulement des processus qui régissent l’équilibre de notre corps ou qui nous permettent de marcher ou nager sans y penser. Non, c’est bien la totalité de nos processus cognitifs qui sont en jeu, et nous ne sommes que « superficiellement » conscients : la plupart du temps n’avons accès qu’aux conséquences de choix inconscients qui ont été fait à l’insu de nous-mêmes, si ce « nous-mêmes » ne recouvre que notre conscience.
Voulez-vous quelques exemples pour vous montrer la taille de l’iceberg de nos processus inconscients ?
(à suivre)

16 janv. 2013

NOUS EXTRAYONS DES RÉGULARITÉS DU MONDE

On ne voit que ses pensées
Comment notre cerveau peut-il induire à partir de presque rien ?
Essentiellement parce qu’il ne se contente pas de tirer des conclusions à partir de ce qu’il observe, mais parce qu’il mobilise des règles apprises dans le passé : il est capable de transférer des règles et donc de progresser ainsi rapidement.
Par exemple, si, parce que quelqu’un vient de tirer de tirer cinq boules blanches d’une boîte dont on ne voit pas le contenu, il est périlleux et faux d’en déduire que la suivante sera forcément une boule blanche. Mais si l’on a appris, par l’expérience, que ces boîtes ne contiennent toujours que des objets identiques, et de même couleur, on saura que les tirages suivants seront aussi des boules blanches.
C’est ce type de transfert d’expérience qui permet l’apprentissage du langage chez un enfant :
1. Face à une ensemble de cinq objets, trois sortes de balles et deux sortes de tasses, il apprend que trois s’appellent des balles, et deux des tasses.
2. Il constate que les formes des balles et des tasses sont différentes, mais que toutes les tasses ont la même forme, ainsi que les tasses.
3. Il en conclut qu’à chaque nom, correspond une forme spécifique. Les « choses » ont une forme donnée qui les caractérise.
4. Il transfère ce savoir acquis à d’autres noms, et comprend qu’une girafe est un animal qui a une forme de girafe, qu’un crayon la forme d’un crayon, etc.
C’est le principe du méta-apprentissage : nous apprenons à apprendre, et, chaque progrès nous transforme et facilite l’acquisition future. Nous extrayons naturellement des régularités du monde.
En simplifiant, voici donc comment on pourrait représenter le fonctionnement de notre processus de pensée :
- Notre cerveau est « nourri » des informations transmises par nos cinq sens (vue, audition, toucher, goût, odorat).
- De ces informations, après un traitement immédiat et automatique, qui s’appuie sur des métarègles et les connaissances issues de notre passé, émerge une première interprétation de la situation.
- Cette interprétation, enrichie des traces mémorielles et des émotions associées à elle, est transmise à nos processus conscients pour traitement.
Et ainsi, nous n’avons jamais accès consciemment aux faits bruts qui nous entourent…

15 janv. 2013

LES LANGAGES SONT LE PROPRE DE L’HOMME

Nous ne pouvons pas ne pas communiquer
Selon Rabelais, le rire est le propre de l’homme. Il est vrai que j’ai rarement vu des fourmis rire, mais comment être certain qu’elles ne vivent pas à leur échelle une forme d’humour ? Mais les singes semblent bien capables de se jouer des tours, et de s’en amuser. Donc il semble bien que le rire ne soit pas vraiment le propre de l’homme.
Par contre, je n’ai jamais entendu parler d’un animal qui ferait un numéro de chansonnier ou un stand-up, avec tous ses congénères assis et s’esclaffant de ses jeux de mots. Car, oui, le langage, avec toutes ses subtilités, tous les sens et les contresens qu’il véhicule, nous est bien spécifique : si les animaux communiquent entre eux, et sont capables à partir de cela de déclencher des comportements collectifs, ils n’emploient pas à proprement parler de langage, c’est-à-dire qu’ils ne sont pas capables de manipuler des symboles porteurs de sens et qui se substituent aux objets même, et les représentent.
Nous, humains, au fil de notre évolution, nous avons multiplié nos langages. Bien sûr d’abord ceux au travers desquels nous nous exprimons et lisons. Mais aussi une multitude de langages spécialisés, soit pour le jeu (comme les échecs, le bridge ou le go), soit pour les sciences ou la technique (les mathématiques, la physique, la chimie, l’architecture…), soit au sein de structures locales (les langues internes aux entreprises par exemple avec leur floraison d’acronymes).
D’ailleurs, sauf à nous isoler sur une île déserte, nous ne pouvons pas ne pas communiquer. En effet comme chacun de nos comportements a valeur de message, volontairement ou involontairement, nous nous exprimons sans cesse, et symétriquement nous sommes soumis au flux des autres :  « On ne peut pas ne pas avoir de comportement. Or, si l’on admet que, dans une interaction, tout comportement a la valeur d’un message, c’est-à-dire qu’il est une communication, il suit qu’on ne peut pas ne pas communiquer, qu’on le veuille ou non. Activité ou inactivité, parole ou silence, tout a valeur de message. De tels comportements influencent les autres, et les autres, en retour, ne peuvent pas ne pas réagir à ces communications, et de ce fait eux-mêmes communiquer. » 1
Bref, même si sous le coup d’une colère, nous pouvons nous écrier : « L’enfer, c’est les autres » 2, sans eux, nous sommes impuissants. Aussi les mots, c’est du sérieux, on ne doit laisser aux seuls humoristes l’art de jouer avec, et « lire après tout, est une façon de vivre à l’intérieur des mots d’autrui. » 3

(1) P. Watzlawick, J. Helmick Beavin et Don D Jackson, Une logique de communication
(2) Jean-Paul Sartre, Huit Clos
(3) Siri Hustvedt, La femme qui tremble

14 janv. 2013

SORTONS DE L’HYPOCRISIE DU DÉBAT ACTUEL SUR LA SOUPLESSE DE L’EMPLOI EN FRANCE

Avec les CDD, l'intérim et la sous-traitance, la souplesse est déjà là... au préjudice des faibles
On se pose en ce moment la question de savoir s'il faut oui ou non plus de flexibilité en France pour sauver l'emploi (voir par exemple ledébat sur ce sujet sur Newsring).  Mais, la question est mal posée, car nous avons déjà la flexibilité en France, mais une mauvaise flexibilité.
En effet, comme le contrat de travail dit CDI est trop rigide, et largement inadapté à ce qu'est devenue la réalité économique, il a été contourné et ce de trois façons :
- d'abord bien sûr au travers de la prolifération de CDD, qui représentent maintenant quasiment le statut normal à l'embauche,
- ensuite avec l'intérim, qui est la version dégradée des CDD : quand l'entreprise a un besoin trop fluctuant, et qu'elle trouve les CDD trop rigides encore, elle recourt à l'intérim, et c'est auprès des entreprises d'interim que les CDD sont signés. Les entreprises d'intérim se trouvent ainsi amortir les aléas en agrégeant les besoins de leurs clients,
- enfin avec l'externalisation croissante : là l'entreprise achète seulement des produits et des services, et laisse ses sous-traitants ou ses fournisseurs faire face au problème social
Donc la souplesse et la précarité sont là. En fait elles se sont répandues pour protéger une forme d "élite  du salariat" qui bénéficie des CDI et qui constitue le gros des bataillons des syndicats. Elles sont aussi l'expression d'une sorte de démission des dirigeants (économiques et politiques) qui n'ont pas voulu affronter le problème et l'ont contourné.
La question en France n'est donc pas plus ou moins de souplesse, mais d'inventer un nouveau cadre social, plus juste et recouvrant la majeure partie des situations, tout en préservant la souplesse actuelle, ce afin de protéger les plus faibles qui sont les victimes du système actuel.
Arrêtons de laisser le débat monopolisé par d'une part les dirigeants des grandes entreprises, et d'autre part des représentants syndicaux qui parlent au nom uniquement des CDI....
Il est plus que temps d'avoir collectivement et individuellement le courage en France de sortir de l'hypocrisie ambiante. C'est à cette condition que se créeront de nouvelles solidarités et que nous sortirons du climat de défiance actuel.